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Le traitement médiatique de l’arrestation de Varg Vikernes et ses enseignements

Posted in Actualité et perspectives du black metal with tags , , , , , , , , , , , , , on 20 juillet 2013 by Darth Manu

Aske - Burzum

Donc, deux jours après le début de sa garde à vue, et sans que celle-ci ait atteint la durée maximale de 96 heures, Varg Vikernes a été relâché  (et a depuis commencé sur son blog le récit en plusieurs parties de l’arrestation et la garde à vue). Si aucune association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste n’a été mise en évidence, il sera cependant probablement poursuivi pour incitation à la haine raciale devant le tribunal correctionnel de Paris.

Rien n’est surprenant dans cette issue:

– concernant l’accusation d’incitation à la haine raciale: tout ceux qui ont ne serait-ce qu’un tout petit peu suivi l’histoire du groupe Burzum et de son unique membre connaissent bien le racisme et l’antisémitisme explicites et sans cesse rabâchés de ce dernier. On se souvient que l’an dernier, Radio metal a préféré censurer sur plusieurs points une interview qu’il lui a accordée, plutôt que de la publier, comme d’habitude, intégralement, en raison de nombreuses déclarations antisémites susceptibles d’engager la responsabilité légale du webzine.

– concernant la levée de la garde à vue et des soupçons de terrorisme: dès les premières dépêches, les faits reprochés paraissaient très minces. Dès le début, lesjournalistes ont rappelé que l’achat de 4 armes à feu par Marie Cachet, la compagne de Vikernes, qui semble avoir été l’élément déclencheur décisif de la garde à vue, était légal, puisqu’elle dispose d’un permis de port d’arme. Interrogé sur l’opération, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a reconnu dès le premier jour que l’arrestation était de nature essentiellement préventive:

« « Cet individu, proche de la mouvance néonazie constituait donc une menace potentielle pour la société, comme l’atteste la violence de ses propos interceptés notamment sur le Web », affirme la Place Beauvau. Plus tard dans l’après-midi, M. Valls, tout en reconnaissant qu’il n’y a pour le moment « ni cible, ni projet identifié », a justifié cette décision par la nécessité, face au terrorisme, « d’agir avant, et non pas après ». » (Le Monde, « Valls justifie l’arrestation préventive du Norvégien Vikernes »).

Enfin, la nature des armes trouvées au domicile de Varg Vikernes, des 22 long rifle essentiellement, semble peu compatible avec un massacre du type de celui commis par Breivik en 2011, et beaucoup plus avec la pratique de la chasse mise en avant par le couple. Jacques Raillane / Abou-Djaffar, ancien des services secrets et un commentateur très informé des milieux et des problématiques du contre-terrorisme, exprimait dès mardi son profond scepticisme:

Si, compte-tenu des antécédents de Varg Vikernes, on comprend aisément qu’il soit surveillé, et que ses récents posts de blog sur le déraillement de Brétigny, couplés à un achat d’armes important, suscitent quelques inquiétudes, surtout à quelques jours du second anniversaire du massacre commis par Breivik en Norvège, on peut en effet s’interrogersur le caractère brutal et médiatique du mode d’intervention choisi. Peut-être lié au besoin de redorer le blason de la DCRI, fortement terni par l’affaire Merah?

An fond, je n’en sais rien, n’étant pas moi-même spécialiste, ni de près, ni de loin, du contre-terrorisme, et tout cette histoire relève au fond du fait divers très anecdotique.

Ce qui est plus intéressant, c’est le traitement médiatique qui en a été fait, et ce qu’il révèle de l’évolution de la réception du black metal par le grand public, un quart de siècle après son apparition, et 21 ans après les méfaits du black metal inner circle norvégien, auxquels Varg Vikernes a tant et si célèbrement contribué.

Tout au long de la journée de mrdi, et alors que la nouvelle de sa garde à vue se répandait sur les réseaux sociaux, j’ai vu pluieurs de mes contacts metalleux commencer à anticiper un backlash médiatique sur la communauté metalleuse dans son ensemble.

Ainsi, un de mes contacts facebook écrivait sur sa page:

« Métalleux, métalleuses, Brace yourselves, Commentaires are coming, avec la mise en examen de Varg, le Metal va s’en prendre des caisses et des violentes ! ahahahahah c’est bon, l’année prochaine on repasse sur M6, c’est fini les traitements de faveurs du petit journal ! XD »

Et, avec une inquiétude plus tangible, le fondateur et responsable du webzine Radio Metal:

Or, force est de constater que malgré des erreurs factuelles (Varg Vikernes « disciple » de Breivik, entre autres), les amalgames ont été quasiment inexistants. En fait, en parcourant les divers articles écrits sur cette affaire, les épithètes « néo-nazi » et « compatriote de Breivik » semblent plus significatif pour les journalistes, pour comprendre l’arrestation, que le statut de « star » du black metal de Vikernes, même s’il est également évoqué.

Radio Metal a compilé une petite revue de presse du traitement médiatique de l’affaire, avec le commentaire suivant:

« On aurait pu croire que, sous le coup de l’émotion, de nombreux médias généralistes allaient traiter à la va-vite l’objet éminemment complexe qu’est Varg en faisant, on l’a déjà vu à de nombreuses reprises par le passé, un amalgame facile entre « metal » et « extrémisme ». Pourtant, et c’est à signaler, malgré quelques approximations factuelles concernant l’idéologie de Varg (notamment son rapport à Anders Breivik) les grands médias ont souvent fait le travail en allant à la pêche aux infos – des infos précises parfois issues de médias spécialisés comme le nôtre – dans le but d’informer au mieux leur lectorat respectif.

France TV Info, Le Monde, BFM etc. : beaucoup de médias ont tenté de faire le portrait de Varg et je n’ai à ce jour pas constaté d’amalgames douteux assimilant « black metal » à « néo-nazi », « metal » à « dangerosité » ou les habituels poncifs que les fans de metal subissent constamment ! Mais n’hésitez pas à partager vos impressions en commentaires si vous avez lu/vu des propos de journalistes sur l’affaire Vikernes qui vous ont choqué ou si votre ressenti global, concernant le travail journalistique des grands médias sur cette affaire, est tout simplement différent de mon opinion (plutôt positive).« 

De mon côté, j’ai remarqué que les grands médias sont aller solliciter, outre des spécialistes des droites radicales (Jean-Yves Camus, Stéphane François, etc.), des experts de niveau universitaire, qui connaissent le sujet d’asez prêt (Alexis Mombelet, Nicolas Walzer). Parcontre, il ne m’a pas semblé que tous ces pseudos experts que certains catholiques, de droite comme de gauche, ont longtemps porté aux nues, et qui se sont spécialisés dans une dénonciation apocalyptique et outrancière du metal et des idéologies supposées en constituer le coeur: Jacky Cordonnier, le Père Benoit Domergue, Paul Ariès, etc. On ne nous a ps ressorti non plus la tarte à la crème du rapport de la MIVILUDES sur le satanisme.

Pour expliquer cette modération à l’encontre du metal, si nouvelle chez les grands médias français, on peut, avec Radio Metal, émettre l’hypothèse que la polémique récurrente du Hellfest et le succès populaire de ce festival, maintenant l’un des poids lourds français, ont favorisé une meilleure connaissance du metal par le grand public, et une acceptation croissante de ses valeurs et de son esthétique, et ont constitué un accélérateur de son intégration:

« D’ailleurs, en France, parler du metal dans les médias généralistes signifie souvent répondre à des questions où l’on est très vite obligé de défendre l’image négative du genre en dissertant sur les minorités extrémistes comme Varg Vikernes dont le discours haineux est, évidemment et heureusement, dénoncé par la très grande majorité du public metal. Dans cette optique, c’est dans la façon de parler du metal au grand public – véritable lutte pour l’image et la crédibilité du mouvement au sens large – que se situe l’une des vraies réussites du Hellfest. En effet, Ben Barbaud et ses acolytes sont parvenus à remporter, au fil du temps, un combat moral et politique situé bien au-delà de la musique et c’est peut-être avant tout en cela que la réussite du Hellfest est exceptionnelle. Les attaques anti-Hellfest en provenance des conservateurs (Christine Boutin, Philippe de Villiers…) ayant finalement été totalement décrédibilisées par des émissions comme Le Petit Journal (Canal +) qui n’ont jamais hésité à railler leurs discours extrémistes en valorisant même le festival de l’Enfer par l’humour ! »

Ironiquement, à force de ramener le metal et le Hellfest sur le terrain de l’actualité et de pousser les journalistes et l’opinion publique à s’y intéresser, ses opposants les plus irréductibles ont peut-être bien contribué à favoriser une connaissance plus étendue et nuancée de cette musique et de ce milieu. Bien malgré eux, ils auraient peut-être contribué à cette banalisation du metal extrême qu’ils semblent tant redouter.

Autre explication possible: le black metal a un quart de siècle. Le monde a vieilli, et les gamins qui se faisaient confisquer leurs CDs sont devenus grands, et pour certains, journalistes (je me souviens avoir discuté, à l’issue de la table ronde sur le metal organisée par le diocèse de Lyon en novembre dernier, avec un journaliste de Rue 89 Lyon qui se définissait lui-même comme metalleux. Les amateurs de black metal ne sont plus depuis longtemps une petite minorité de marginaux ou de précurseur, mais une composante à part entière du « grand public ». J’observe d’ailleurs une certaine porosité de la presse metal et de celle plus mainstream, puisque l’auteur d’un article sur Varg Vikernes publié cette semaine sur le Huffington Post est Maxime Bourdier, également membre de l’équipe de rédaction de Metallian, l’un des magazines de référence en France sur le metal extrême.

Côté catho, ça été très calme, ce qui n’a pas manqué de surprendre certains:

Pourtant, toute cette année a bien montré que l’actualité sociétale (mariage pour les personnes de même sexe, recherche sur les cellules souches…) écrasait, dans la cathosphère, tous les autres sujets ou presque, et en particulier les polémiques culturelles. Alors que les années précédentes, on a vu des campagnes très virulentes contre l’oeuvre « Piss Christ », divers pièces de théâtre, diverses séries télé, comme Inquisitio, cette année, on n’a quasiment rien vu de tel. Comme si, loin d’être une préoccupation centrale des catholiques, l’art « blasphématoire » était au fond un sujet bouche trou, destiné à faire entendre la voix des catholiques les plus revendicatifs en l’absence d’actualité sur les « vrais » sujets qui fâchent.

Même sur le Hellfest, l’année a été très calme, beaucoup plus que les précédentes (sans doute en grande partie du fait de l’actualité politique brûlante qui a mobilisé ailleurs l’énergie des cathos). Les deux polémiques les plus lourdes de l’année autour de ce festival, et de manière très relative, sont toutes deux sans rapport avec la nature de la musique qui y est jouée et l’identité des groupes qui y sont invités: la mobilisation de riverains contre les nuisances sonores du festival, et la saisie de viande avarié sur le stand d’un des restaurateurs sous-traités par le Hellfest.

Concernant la garde à vue de Varg Vikernes, j’ai juste remarqué un article du Collectif Provocs Hellfest ça suffit! qui citait une interview de Stéphane François sur Varg Vikernes et le NSBM, pour renvoyer sur un de leur propre article, qui établissait un lien entre le black metal dans son ensemble et l’idéologie de la Nouvelle Droite. Très mal à propos à mon sens, puisque ce politologue a lui-même réfuté, dans d’autres publications, l’amalgame qu’ils tentent de lui attribuer, comme je le signalais dans un billet que je consacrais aux liens entre une minorité de groupes de metal à la marge et certaines initiatives de la droite néo-païenne:

« la scène europaïenne s’est intéressée sérieusement au Black Metal àpartir des faits divers morbides dont les groupes radicaux de cette scène se sont rendus coupables : meurtres, cannibalisme, incendies de dizaines d’églises, violation de sépultures. En effet, depuis le début des années quatre-vingt-dix, cette scène musicale a souvent défrayé la
chronique par les crimes et les incendies perpétrés par des musiciens de cette scène ou par leurs fans. Des disques de groupes de cette scène furent saisis par la police, comme par exemple en Allemagne. Toutefois, malgré ces dérives nous ne pouvons pas suivre les textes délirants de Paul Ariès et du Père Benoît Domergue dans leur description apocalyptique de ce milieu musical car la majorité de ces groupes sont apolitiques et non violents, même s’ils utilisent un satanisme, souvent de façade. Par ailleurs, cette musique est née au milieu des années quatre-vingt absente de la violence postérieure qui caractérisera certaines de ses dérives » (Les paganismes de la Nouvelle-Droite, thèse de doctorat soutenue par Stéphane François le 29 septembre 2005 à l’Université Lille II, sous la direction de Christian-Marie Wallon-Leducq, p.192).

En fait, l’inquiétude exprimée mardi par beaucoup de metalleux (y compris de black metalleux), face au risque d’être amalgamés avec Vikernes, montre que loin d’être au coeur du milieu et de la musique metal, les idéologies violentes qui ont en partie accompagné la genèse de certains courants se séparent progressivement de celui-ci. on observe avec le black metal ce qu’on a constaté avant lui, pour d’autres courants musicaux, ou plus largements artistiques, contestataires. Mieux ils sont connus, et plus ils sont reconnus. Plus ils sont reconnus, et plus ils s’intègrent au paysage culturel au sens large. Ils se répandent, se partagent davantage, et perdent de leur radicalité. Bien loin de subvertir la culture, ils sont phagocytés par elle (les réactions de la communauté metalleuse cette semaine, oscillant entre sarcasmes envers Varg Vikernes et refus des amalgames, témoignent que l’écoute assidue de Burzum n’implique nullement une adhésion aux thèses politiques, religieuses et historiques de son auteur. Assez paradoxalement, alors que la grande majorité des metalleux détestent sa « pensée », ses positions politiques lui ont par contre valu une appréciation très élogieuse en 2011 de la part d’un blog intégriste particulièrement mobilisé contre le Hellfest: comme quoi le rapport triple entre musique, idéologie et religion est finalement plus complexe et pluriel qu’on ne le dit souvent).

Aussi bien la revendication, longtemps (et abusivement à mon sens) présentée comme indissociable du black metal , d’une musique qui devrait, sous peine de se perdre, être celle du mal, que le combat de certains chrétiens contre la culture « sataniste semblent devenir avec le temps des combats d’arrière-garde, à l’obsolescence programmé à moyen terme. La question qui commence à se poser est plutôt celle d’un black metal, dont l’intégration par la culture mainstream est désormais en bonne voie, qui arriverait à mettre en cohérence cette évolution avec la radicalité et la violence de son esthétique. il s’agit peut-être désormais de moins s’épancher ad nauseam sur ce qu’il combat ou serait supposé combattre (le christianisme etc.), mais sur la partie positive (paradoxalement il est vrai pour une musique si négative) de son message: ce qu’il dit de l’homme, de la souffrance, du monde, de la nature etc…. et de la musique en elle-même).

Avec toute les difficultés (abstraction, élitisme…) qu’il y a à théoriser l’apport artistique au sens le plus large de d’expressions de l’art populaire, et les résistances que ce type de tentatives entraine fréquemment, comme en témoigne la publication d’un manifeste en faveur d’une théorisation plus grande du black metal, publié par un membre du groupe Liturgy:

« Une violente controverse a récemment secoué la scène déjà tumultueuse du black metal, suite à la parution d’un manifeste, Transcendental Black Metal. Son auteur, Hunter Hunt-Hendrix, compositeur et chanteur d’un groupe brooklynien (Liturgy) y redéfinissait les contours, la nature et la destinée de cette musique, en des termes clairement philosophiques, et à grands renforts d’emprunts à Nietzsche et à Hegel.

Plus précisément, il y décrivait deux moments dans l’histoire de cette musique, en théorisant la nécessité du passage de l’un à l’autre. Le premier – correspondant à la naissance du genre et à son développement, essentiellement en Scandinavie – y était décrit comme « atrophié, nihiliste, lunaire » en raison de ses thématiques et de sa tonalité. Le caractère statique de ce premier moment est, pour Hunt-Hendrix, insatisfaisant, et doit conduire à un dépassement, une négation nietzschéenne du nihilisme. Ce deuxième moment – à savoir, l’émergence d’un black metal américain hybride, intégrant d’autres genres musicaux et développant une rythmique légèrement distincte – se caractérise par l’affirmation, la plénitude ; des valeurs solaires, en somme3. Ce deuxième temps, qui est aussi la forme aboutie de ce genre, sa fin, inclut implicitement l’œuvre de Hunt-Hendrix et de son groupe Liturgy.

Or, au sein de l’univers relativement fermé et discret du black metal, la simple mise en ligne de ce texte a provoqué un petit cataclysme, qui s’est notamment manifesté sur le web. Tandis que ce discours philosophique exposait Liturgy à un plus large public, lui valant notamment l’intérêt du New-Yorker ou de Art Times, les réactions violentes de fans de metal ont fusé. Jugé pédant ou déplacé par certains, illégitime par d’autres – en s’ouvrant à d’autres genres musicaux, Liturgy aurait perdu le droit de formuler un quelconque discours sur le black metal – le manifeste donne lieu à plusieurs lettres ouvertes dirigées contre ce « traître » qui a voulu se faire le chantre d’une cause qui n’est pas la sienne. […]

A notre sens, l’accueil réservé à ce manifeste au sein de la scène metal est un indice de la méfiance générale des cultures populaires à l’égard de toute forme de théorisation. Préférant rester à l’abri du regard du grand nombre, et refusant d’être traduites dans des termes « sérieux », ces sous-cultures gardent leurs distances avec la théorie. Mais ce faisant, elles maintiennent le fossé séparant les arts « nobles » ou savants des arts populaires, se constituant volontairement comme un objet négligeable pour les universitaires – ou tout juste digne de l’intérêt de l’ethnologue attiré par l’exotisme d’une culture étrangère. Elles se cantonnent volontairement dans le domaine de l’expression viscérale d’émotions propres à une certaine catégorie de la population – simple symptôme d’un phénomène que la sociologie se donnera pour objet d’expliquer.

Pourtant, comme le souligne Hunt-Hendrix lui-même, « les musiques populaires pourraient se permettre d’être un peu plus prétentieuses ». Car s’enfermant dans la catégorie des musiques qui ne se théorisent pas, elles masquent leur intérêt esthétique propre, et dissimulent le fait qu’à leur manière, elles constituent une forme de pensée sensible, enfermant des positionnements métaphysiques et éthiques, des points de vue sur le monde. Elles se donnent à voir comme des simples phénomènes anthropologiques, outils de reconnaissance au sein de groupes tribaux, masquant tout ce qu’elles donnent à penser sur le plan esthétique.

Le texte de Hunt-Hendrix aura au moins eu ce mérite-là. Renouant avec la tradition des manifestes artistiques qui ont fleuri au début du siècle dernier, le musicien adopte une posture qui consiste à penser sa place au sein d’une histoire de l’art, à situer son geste artistique au sein de cette histoire, et à justifier, de manière théorique, la nécessité de ce geste. Ce faisant, le chanteur contribue à amenuiser le fossé existant entre arts « nobles » et arts populaires, acte pour lequel on ne saura trop lui témoigner notre reconnaissance. » (Un manifeste pour le black metal : quand les musiques populaires se théorisent, par Églantine de Boissieu et Catherine Guesde, Sens public, 9 janvier 2012)

Les catholiques, Ayn Rand, et l’Eglise de Satan…

Posted in Christianisme et culture, Hellfest, Regard chrétien sur les influences ésotériques, satanistes et païennes du black metal with tags , , , , , , , , , , , , on 3 avril 2013 by Darth Manu

Ayn Rand

Venant de perdre le brouillon de mon second billet sur la « guerre culturelle » à la suite d’une erreur de sauvegarde, et dans l’attente de le réécrire, j’en profite pour rédiger ce billet sur un sujet qui n’est sans doute pas central, mais qui me fait sourire depuis des mois: l’attachement de nombre de catholiques de la tradisphère, parmis les plus engagés contre le Hellfest et tout ce qui pourrait être interprété comme du satanisme, à la pensée d’Ayn Rand. Qui est Ayn Rand?

« Ayn Rand (prononcé [ˈaɪn ˈrænd]), née Alissa Zinovievna Rosenbaum (en cyrillique russe : Алиса Зиновьевна Розенбаум), est une philosophe, scénariste et romancière2 américaine d’origine russe, juive athée, née le 2 février 1905 à Saint-Pétersbourg et morte le 6 mars 1982 à New York.

Ayn Rand est connue pour sa philosophie rationaliste, proche de celle du mouvement politique libertarien, à laquelle elle a donné le nom d’« objectivisme ». Elle a écrit de nombreux essais philosophiques sur des concepts tenant de la pensée libérale, comme la liberté, la justice sociale, la propriété ou l’État et dont le principal (et l’un des seuls de ses textes traduits en français, avec La Grève), est La Vertu d’égoïsme (The Virtue of Selfishness en langue originale). Ses contributions principales s’inscrivent dans les domaines de l’éthique, de la philosophie politique et de l’épistémologie. Cependant, malgré sa considérable popularité hors du champ académique, ses travaux ne sont généralement pas pris au sérieux par la plupart des philosophes.

Ayn Rand a également publié des œuvres de fiction telles que La Grève (Atlas Shrugged), La Source vive (The Fountainhead) et Nous, les vivants (We the Living), qui figurent parmi les plus vendues aux États-Unis. Elle a par ailleurs écrit de nombreux scénarios pour le cinéma, dont des adaptations de ses propres œuvres de fiction.

Ayn Rand est considérée comme la théoricienne d’un capitalisme individualiste ainsi que d’un libertarianisme refusant toute forme de coercition et prônant les valeurs de la raison, du travail et de l’« égoïsme rationnel », son concept central. Figure de l’anti-communisme radical, Ayn Rand prône également l’indépendance et le « laissez-faire » face à toute forme de collectivisme ou de religion établis. » (Wikipédia, « Ayn Rand »).

Il a beaucoup été question d’elle l’an dernier dans les médias généralistes, dans le contexte de la campagne présidentielle américaine. En effet, Paul Ryan, le co-listier de Mitt Romney, catholique pratiquant, s’est publiquement réclamé de son influence:

« Tranchées au couteau, les idées d’Ayn Rand inspirent Paul Ryan, le colistier de Mitt Romney. Adepte des coupes budgétaires et de la réduction des impôts, cet ultra-conservateur président de la commission du Budget à la Chambre des représentants veut réinjecter du rêve américain – dopé au P90X, un brutal programme de fitness que le possible futur vice-président pratique tous les matins dans une salle de gym du Capitole… – dans le ventre mou d’une Amérique en perte de vitesse :« Si je devais rendre hommage à une personne pour m’avoir fait entrer en politique, ce serait Ayn Rand. Car, ne vous trompez pas, le combat que nous menons est une lutte de l’individualisme contre le collectivisme », a révélé la jeune star du parti républicain devant d’autres disciples de Rand. La sécurité sociale ? Collectiviste. A privatiser entièrement… La haine de la religion professée par Ayn Rand ? S’en démarquer coûte que coûte.

« Avant de minimiser son influence à cause de son athéisme viscéral et de ses positions pro-avortement, très gênants en période électorale, Paul Ryan a encensé Ayn Rand à l’Atlas Society en 2005, à l’occasion du centenaire de sa naissance », se souvient David Kelley, philosophe qui a fondé cette organisation à Washington pour faire vivre les idées objectivistes et concurrencer le plus orthodoxe Ayn Rand Institute, situé en Californie.  » (Télérama, « Ayn Rand, l’apôtre de l’égoïsme qui inspire la droite américaine »).

Dans les termes employés par Paul Ryan lui-même (source: « Paul Ryan’s Favorite Philosopher Inspired « The Satanic Bible », Experts Say », sur Daily Kos):

« « Ayn Rand, more than anyone else, did a fantastic job of explaining the morality of capitalism, the morality of individualism. » — Congressman Paul Ryan, 2009 official Ryan For Congress video ad. »

« « I just want to speak to you a little bit about Ayn Rand and what she meant to me in my life and [in] the fight we’re engaged here in Congress. I grew up on Ayn Rand, that’s what I tell people..you know everybody does their soul-searching, and trying to find out who they are and what they believe, and you learn about yourself.

I grew up reading Ayn Rand and it taught me quite a bit about who I am and what my value systems are, and what my beliefs are. It’s inspired me so much that it’s required reading in my office for all my interns and my staff. We start with Atlas Shrugged. »
— U.S. Congressional Representative Paul Ryan (R-WI), 2005 keynote speech in honor of Ayn Rand’s birthday, held by the Atlas Society.« 

La question s’est posée, jusque dans les milieux catholiques français, de la compatibibilité de la pensée d’Ayn Rand avec la doctrine sociale de l’Eglise. Deux lignes très opposées (pas seulement sur ce sujet d’ailleurs), se sont affrontées:

– Celle de Patrice de Plunkett et des « chrétiens indignés », très engagés dans la critique du modèle économique libéral:

« Cinquante ans plus tard, Paul Ryan, candidat républicain à la vice-présidence des Etats-Unis, se réclame ouvertement d’Ayn Rand tout en se disant catholique, incompatibilité qui semble ne plus gêner personne à droite. Le niveau intellectuel et moral est tombé si bas qu’on ne sait plus faire la différence entre philosophie « conservatrice » et matérialisme mercantile. Cette confusion sévit aussi en France. Il y a trois semaines, un site libéral-traditionaliste célébrait un gros patron du Sud-Est qui venait d’annoncer sa décision de créer une entreprise au Maroc plutôt que dans sa propre région (qui aurait eu bien besoin de ces emplois) ; couvert de blâmes pour son cynisme par ses concitoyens, ce patron était présenté par le site bien-pensant comme un héros de l’antisocialisme ! Ayn Rand aussi aurait aimé ce type-là. » (« Quand des conservateurs US « exorcisaient » Ayn Rand, future ghost-inspiratrice de Paul Ryan »)

– Celle de nombreux représentants de la tradisphère, défenseurs de l’économie de marché  et du non interventionnisme de l’Etat, au premier rang desquels le Salon Beige, dont l’un des animateurs, Michel Janva, répond de la sorte à un commentateur qui ironise sur un billet qui partage l’argumentaire d’un site américain appelant les catholiques à voter Romney:

« Commentaires

Et le fait que le vice président du Romey se déclare ouvertement d’Ayn Rand, ça ne leurs (et vous) fout pas un peut les miches?

[Aucunement. Lisez plutôt ceci :

http://www.riposte-catholique.fr/americatho/paul-ryan-un-vice-president-attache-a-la-doctrine-sociale-de-leglise-et-a-la-defense-de-la-vie#.UF3TB1Gefxg

http://www.riposte-catholique.fr/americatho/pour-larcheveque-aquila-paul-ryan-ne-soppose-pas-a-la-doctrine-sociale-de-leglise#.UF3SyVGefxg

http://www.riposte-catholique.fr/americatho/leveque-robert-morlino-sur-paul-ryan#.UF3S0VGefxg

MJ]

Rédigé par : Alex | 22 sep 2012 16:56:08« 

Si les liens donnés par Michel Janva ne mentionnent ni le nom, ni la pensée de Rand, sa réponse indique explicitement que l’influence éventuelle de sa pensée sur un candidat, soutenu par des catholiques, à la présidence des Etats-Unis d’Amérique, ne le gêne « aucunement ».

Toujours sur le Salon Beige, j’ai trouvé deux autres mentions, dans un contexte plutôt favorable, de l’oeuvre d’Ayn Rand:

– Dans un article partagé par Michel Janva et issu du site Contrepoints, un passage, graissé par lui, invoquant l’autorité d’Ayn Rand contre les décroissants:

« Ce que les décroissants cherchent à obtenir de nous c’est ce qu’Ayn Rand appelait la « caution de la victime » : pour nous faire accepter leur projet et ses conséquences, ils doivent nous convaincre non seulement de l’urgence d’une intervention gouvernementale massive mais surtout de notre culpabilité.« 

– Dans un autre billet, là encore cité par Michel Janva, et qui provient du blog, tradi,  de l’Amiral Woland, et qui mentionne Ayn Rand pour nuancer la critique faite par certains catholiques des méfaits, réels ou supposés, du libéralisme:

« Quand je lis et entends que la crise est la faute du libéralisme et du manque de régulations alors qu’elle est due au capitalisme d’état (déjà dénoncé par Ayn Rand et qui consiste en un copinage consanguin, voir pire, entre gouvernement et grandes entreprises) et à l’hyper-régulation (par exemple le gouvernement fédéral US forçant les banques à prêter de l’argent à des gens qui ne pouvaient en aucun cas le rembourser, ce qui a fini par déclencher la crise en 2008) j’ai envie de sortir les catapultes.« 

Tout cela est très bien: j’imagine qu’on a le droit d’aimer Ayn Rand (ce n’est pas ma tasse de thé, mais je l’ai assez peu lue j’en conviens). Et je ne vais pas rentrer ici dans le débat « décroissants vs libéraux »: ce n’est pas le sujet de ce blog, ni de cet article, et je n’ai pas une connaissance suffisante des questions qui y sont disputées pour le trancher… Non, ce qui m’amuse, c’est la sympathie que ce blog, qui par ailleurs est très mobilisé contre le Hellfest (avec des arguments parfois à la limite de la malhonnêteté intellectuelle, comme je le montrai l’été dernier à partir de leur traitement du décès d’un employé du festival), montre envers une auteure qui  compte parmi les inspirations principales de la doctrine de l’Eglise de Satan, telle que formulée par Anton LaVey dans la Bible de Satan ( avant d’aller voir sur le SB, cet article m’a en grande partie inspiré par le spectacle d’un de mes contacts facebook qui parlait l’an dernier du « scandale du Hellfest », et qui partage régulièrement des articles à la gloire d’Ayn Rand). D’autres catholiques ont par contre relevé cette difficulté, ainsi le site Liberté politique, également engagé contre le Hellfest:

« Autre coïncidence, Ayn Rand est l’un des principaux auteurs cités dans la Bible de Satan d’Anton Lavey, qui explique que sa religion est uniquement la philosophie d’Ayn Rand à laquelle a été ajoutée des cérémonials et des rituels . » (« René Girard et Ayn Rand : éthique du sacrifice et de l’anti-sacrifice », par Thierry Paulmier).

Anton LaVey lui-même n’a jamais caché l’influence qu’a eu la lecture de l’oeuvre d’Ayn Rand sur sa conception du satanisme, ainsi que l’ont rappelé certains sites chrétiens inquiets lors de la campagne présidentielle américaine, auwquels j’emprunte les citations qui suivent, ainsi que celles de Paul Ryan citées plus haut dans l’article:

« « I give people Ayn Rand, with trappings »  — Anton LaVey, founder of the Church of Satan (to Kim Klein of the Washington Post, 1970), as cited on page 2 of Contemporary Religious Satanism: A Critical Anthology, by Jesper Aagaard Peterson (Ashgate Publishing Limited, 2009)« 

« « As for his ‘religion,’ he called it ‘just Ayn Rand’s philosophy with ceremony and rituals added’  » — Bill Ellis, quoting Anton LaVey on the intellectual source of his form of satanism, from page 180, Raising the Devil: Satanism, New Religions and The Media (2000, the University Press of Kentucky) »

« « To imply or state that the Church of Satan was the first to clearly state the Satanic ethic is to ignore the continuing impact of Ayn Rand…
To illustrate this historical precedent, let us examine the Nine Satanic Statements [from The Satanic Bible] in view of the Rand work Atlas Shrugged. In Galt’s speech (pages #936-993) is the written source of most of the philosophical ideas expressed in the Satanic Bible… Note that the sequential order of these Atlas Shrugged quotations parallels the order of the Nine Satanic Statements. »
 — Essay by George C. Smith, « The Hidden Source of the Satanic Philosophy », republished in The Satanic Bible (link to PDF file of Anton LaVey’s book)« 

Pour ceux qui veulent comparer, les 9 affirmations sataniques, qui constituent le coeur de doctrine de l’Eglise de Satan, sont consultables ici, et le discours de Galt . A les lire à la suite, on réalise combien LaVey, loin d’opérer une quelconque révolution idéologique, s’est contenté de régurgiter sous une forme appauvrie certaines lectures à la mode de son époque (cela me parait aussi vrai pour son approche de l’occultisme).

First Things, un journal néoconservateur fondé par le catholique Richard John Neuhaus et très hostile à la pensée de Rand, est allé jusqu’à affirmer dans un article intitulé « The Fountainhead of Satanism« :

« « [P]erhaps instead of recommending Atlas Shrugged, we should simply hand out copies of The Satanic Bible. If they’re going to align with a satanic cult, they might as well join the one that has the better holidays.« 

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de différence entre la pensée de Rand et celle de LaVey. On en trouve une intéressante énumération sur le site de l’Eglise de Satan, et elles ne sont pas toutes anecdotiques:

« First, Objectivism holds that metaphysics, that branch of philosophy which concerns itself with the nature of reality, determines the nature of epistemology (which is concerned with how man acquires knowledge) as well as ethics (which is concerned with valuing human action), politics (social ethics) and art. Current philosophical disagreement on this issue still continues. It is, in fact, an unproven assertion by Rand that one’s metaphysical assumptions determine one’s ethics.

[…]
Second, Satanism does not hold that “a life appropriate to a rational being” is the sole standard of ethical right as does Objectivism. If anything, Satanism holds that indulgence in life or “fun” as perceived by the individual is the highest standard of ethics. Satanists see that Objectivism has enthroned reason above the individual as opposed to utilizing this sole means to knowledge as a tool to achieve a purpose. Satanism enthrones the individual as a whole, not reason, as the supreme standard to determine the value of actions (ethics).

Third, Rand’s philosophy rejects as ethical accepting the sacrifice of another to one’s self (to paraphrase the end of Galt’s oath from Atlas Shrugged). The Satanic view sees as ethical the reality of domination of the weak by the strong. The assertion in Objectivism is that the use of force to cause others to submit to the will of the stronger or cleverer individual is « wrong » for the individual. This is a second major assertion which Satanism finds unproven by the Objectivists. Consequently, the Satanist is far more flexible in the choice of actions available than is the Objectivist who cannot simply accept his personal needs as absolutely reliable to determine the best course of action in any circumstance.

Fourth, Objectivism is purely atheistic with a complete rejection of the value of a god in their metaphysics. The Satanic view of this is in pure agreement except in two areas. The Satanist holds that the meaning of god is useful when one holds it to mean the most important person in an individual’s universe and chooses that person to be himself. The Satanist also ascribes magical god-like qualities to himself when indulging in the alternate view of reality enjoyed in ritual. In both instances, Satanism sees the cultural effect of religion and god as an emotional asset to be tapped rather than simply rejected. In other words Satanism is a religion (with the individual as God) and Objectism isn’t. » (Church of Satan, « Satanism and objectivism », par Nemo).

D’un point de vue chrétien, la transition de l’égoïsme éclairé à la domination du fort sur le faible est certes une aggravation considérable de la doctrine initiale de Rand. Cependant, si on peut considérer le satanisme comme « encore pire » que l’objectivisme, la dette du premier au second reste évidente:

« Let me conclude this brief overview by adding that Satanism has far more in common with Objectivism than with any other religion or philosophy. Objectivists endorse reason, selfishness, greed and atheism. Objectivism sees Christianity, Islam and Judaism as anti-human and evil. The writings of Ayn Rand are inspiring and powerful. » (idem).

Ceci dit, mon but n’est pas de faire le procès d’Ayn Rand ni des catholiques qui se reconnaissent dans sa pensée. Et je n’ai pas nécessairement une grande confiance dans la rigueur intellectuelle de LaVey et la fidélité de sa lecture de Rand. Je m’amuse cependant de voir certains des mêmes catholiques qui hurlent contre le Hellfest parceque celui-ci invite des groupes dont les noms et/ou les paroles s’opposent violemment au christianisme ou évoquent des thématiques satanistes, sympathiser pour une oeuvre dont les liens idéologiques avec la doctrine de l’Eglise de Satan sont beaucoup plus forts et avérés, mais n’apparaissent pas de manière explicite. Comme si le nom que se donne un phénomène ou un mouvement était plus important que le contenu de ses idées, à leurs yeux.

Car de deux choses l’une:

– Soit ces catholiques considèrent vraiment le satanisme comme une menace importante, au point de combattre toute référence à ce dernier dans la culture, indépendamment des idées très diverses, et pas toujours au premier degré ou contraire au christianisme, qui se cachent derrière son nom, dans les phénomènes et les manifestations qu’ils dénoncent. Dans ce cas, comment ne pas s’interroger sur l’intérêt porté en milieu catholique pour une oeuvre dont les idées, pour le coup, ont eu une influence décisive sur la constitution idéologique du satanisme contemporain?

– Soit ils sont relativement sûrs de leur coup pour ce qui concerne la catho compatibilité de la pensée d’Ayn Rand, et estiment que son influence sur l’idéologie de LaVey, qui est il est vrai très superficielle et opportuniste, est anecdotique. Mais dans ce cas, porquoi faire tant de cas de l’imaginaire satanique dans le metal (imaginaire qui de surcroit y est en déclin, comme je l’ai rappelé dans d’autres articles)?

Toujours est-il que ce genre d’incohérence amène à mettre en doute « l’indignation » de certains catholiques, qui est brandie avec force contre des images et des étiquettes sans liens réels avec la réalité du satanisme cultuel, mais qui s’estompe comme par miracle quand les idées exprimées par tel ou tel en sont proches, mais de manière non explicite, et les arrangent politiquement. Comme si au fond les doctrines étaient interchangeables et que les appelations seules avaient de l’importance, tels autant dépouvantail alimentant l’auto-intoxication des catholiques partisans d’une riposte culturelle, qui semblent tant avoir besoin de la « cathophobie » pour s’expliquer la déchristianisation, comme s’il n’y avait pas d’autres causes plus complexes et parfois plus porteuses de remises en questions pour nous chrétiens…

Pour finir, une citation  sur Ayn Rand, qui n’est pas liée au satanisme, qu’il est sans doute un peu limite de ma part de partager compte tenu de ma faible connaissance de son oeuvre , mais dont la formulation me fait rire:

« « There are two novels that can change a bookish 14-year-old’s life: The Lord of the Rings and Atlas Shrugged. One is a childish fantasy that often engenders a lifelong obsession with its unbelievable heroes, leading to an emotionally stunted, socially crippled adulthood, unable to deal with the real world. The other, of course, involves orcs. »
–– John Rogers, screenwriter and comic » ( « Paul Ryan’s Favorite Philosopher Inspired « The Satanic Bible », Experts Say », sur Daily Kos).

Pourquoi je défends le Hellfest: F.A.Q.

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , , , on 19 novembre 2012 by Darth Manu

A quelques jours des premières annonces de groupes pour l’édition 2013 du Hellfest (qui seront diffuséesen principe le jeudi 29 novembre 2012 à 14h sur le site de celui-ci), et alors que ses critiques habituels fourbissent déjà leurs armes, il me parait utile de rappeler les grands axes de ma position sur le Hellfest.

Je le fais cette fois sous forme d’un FAQ, tant pour mettre à disposition des lecteurs, cathos et/ou metalleux, et/ou curieux, une synthèse plus générale que d’habitude de mon point de vue, que pour préparer la table ronde autour des relations entre christianisme et metal, qui aura lieu ce dimanche à l’initiative du diocèse de Lyon, et où des questions en relation avec cette polémique seront certainement posées.

– Le Hellfest est-il christianophobe?

« Christianophobe » est un néologisme qui désigne l’hostilité ou l’aversion envers le christianisme. Au dela de la simple antipathie, ou de l’opinion hostile, il exprime de par son étymologie (« -phobe ») un sentiment intense qui peut aller jusqu’à la peur iraisonnée ou à la haine.

Dire que le Hellfest est christianophobe, ce n’est pas seulement constater que certains des groupes qu’il invite, ou certains des festivaliers qu’il accueille, semblent hostiles au christianisme. C’est impliquer que ce festival dans sa finalité même, dans sa raison d’être, constitue une offensive délibérée contre le christianisme en tant qu’institution et en tant que sentiment religieux.

Or rien ne permet de l’affirmer. Le Hellfest est un festival de musique spécialisé dans le metal, ce qui l’amène certes dans les choix qui sont les siens à recueillir l’héritage d’une tradition musicale longtemps marquée par des relations tumultueuses avec le christianisme, qui transparaissent dans les paroles et les thématiques de nombreux groupes de premier plan. Pourtant, le Hellfest a également à plusieurs reprises invité des groupes chrétiens, dans des registres où ils percent actuellement, comme le metalcore. Ainsi, Betraying the Martyrs s’y est produit l’an dernier, et August burns Red en 2012 et en 2009 (et a donc été invité avant que la polémique prenne une ampleur sérieuse). Sa direction a également accepté en 2010 de participer à une table ronde entre métalleux et chrétiens à l’initiative de la radio catholique nantaise Radio Fidélité, même si elle s’y est cantonnée à des considérations de type artistique et financier.

De manière générale, je suis très réservé sur le terme « christianophobie », qui de même que la plupart des mots en « -phobie », me parait avoir des connotations plus polémiques que descriptive, et enfermer « l’adversaire » dans une position stigmatisée d’emblée comme irrationnelle, plutôt que de donner une intelligence plus précise et exacte de ses positions, des arguments qu’elles font valoir et de leurs limites.

– Pourtant son nom peut se traduire par « fête de l’enfer »!

« Fête de l’enfer » n’est pas la seule traduction possible de ce terme, mais est mise en avant par certaines associations catholiques parce qu’elle illustre davantage leurs craintes. De manière très naturelle, « Hellfest » peut aussi se traduire par « fête d’enfer », au sens de pleine d’entrain. Le prêtre traditionnaliste Guillaume de Tanoüarn avait proposé en 2011 la traduction « putain de fête ».

Avant le Hellfest, il y avait en 2002 le Hardcore Furyfest, renommé par la suite Furyfest, à Rezé puis au Mans. En 2005, l’entreprise à l’origine de ce festival déposa le bilan à la suite de très grosses difficultés financières et matérielles. En 2006, l’un des organisateurs du Furyfest, Ben Barbaud, lance le Hellfest à Clisson, avec une affiche moins centrée sur le hardcore, et ouverte à de nombreux groupes de metal. L’appellation « Hellfest » n’est pas choisie ex nihilo. Elle fait référence au festival canadien du même nom. Il s’agissait de profiter de la renommée de ce dernier, avec l’accord de son orga, tout en trouvant un nom proche sémantiquement du Hellfest, comme Ben Barbaud le confiait à l’époque à Metalorgie:

 » il a été en effet question de partir sur un projet similaire et donc en discutant avec keith du hellfest us, il ne voyait pas de problèmes à ce que nous prenions le même nom, étant sur 2 continents différent, la concurrence est nulle et non avenue donc on trouvait ce nom facile, agressif et le plus proche de celui qui avait été donné avec le furyfest, on ne voulait pas non plus tout reprendre à zéro, donc on a essayé de repartir sur un truc établissant un lien plus ou moins évident…« 

Il apparait clairement, à la lueur de ces propos, que le terme « Hellfest » n’a pas été choisi en fonction de sa connotation « religieuse », mais de sa proximité sémantique avec « fury ». Et que donc la traduction la plus adéquate n’est pas « fête de l’enfer », mais « fête d’enfer ». Après, il est possible que le choix de ce terme par le festival canadien d’origine ait aussi constitué un clin d’oeil à la réputation sulfureuse qui est donnée par certains chrétiens au métal, et plus largement à l’ensemble des dérivés du rock, mais il ne s’agirait alors que d’un clin d’oeil.

En conclusion, on voit qu’il n’y a aucune preuve que ce terme est été choisi pour blesser le sentiment des chrétiens, et de nombreux éléments qui tendent à prouver qu’il a été choisi pour des raisons qui n’ont rien à voir avec un agenda « christianophobe ».

– Oui, mais il invite pourtant des groupes dont les paroles et/ou la mise en scène sont violemment anti-chrétiennes!

Le Hellfest est un festival de metal, et il est vrai que ce dernier a longtemps eu des rapports très difficiles avec les milieux chrétiens. Cela se ressent dans les paroles de nombreux groupes de premier plan, qui ont fait l’histoire de ce registre musical. La question qui est posée ici dépasse le seul Hellfest, et nécessite d’être ramené, de façon beaucoup plus large, à celle des rapports entre christianisme et metal.

Tout d’abord, un peu d’Histoire: loin de constituer une singularité du metal, ses thématiques « diaboliques » s’inscrivent dans l’histoire des musiques actuelles dérivées du blues. Le guitariste Robert Johnson avait la réputation d’avoir signé un pacte avec le diable pour devenir un virtuose du blues. De nombreux groupes de rock ont flirté dans leurs paroles ou leur attitude avec une certaine imagerie satanique, l’un des plus emblématiques étant les Rolling Stones, qui sort en décembre 1967 un album intitulé « Their Satanic Majesties » et qui entretient une réputation sulfureuse, mais qui prend ses distances avec ces provocations après le festival d’Altamont, qui, organisé de manière catastrophique, fit quatre morts en 1969. On constate aujourd’hui que ces courants, le blues, le rock, qui ne scandalisaient pas moins les générations précédentes que le metal extrême aujourd’hui, bien loin de sombrer de plus en plus dans la transgression, se sont au fil du temps rangés et intégrés. Ils se sont assagis à mesure que les musiciens vieillissaient, que la musique était mieux connue et davantage partagée.

De même, si on considère les quarante ans depuis lesquels le metal existe, on constate que les vingt premières années ont vu se succéder des styles de plus en plus radicaux, à mesure que ceux qui défrayaient tout d’abord la chronique finissaient par rentrer dans le rang et paraitre acceptables. Se sont ainsi succédés dans la mise en scène d’une révolte de plus en plus radicale le heavy metal, le thrash, le death metal, le black metal… Après le début des années 1990 et les polémiques provoquées par les agissements de certains groupes de black metal, on n’assiste plus à une telle escalade. Si certains groupes de metal extrême maintiennent un discours jusqu’au boutiste, leur public s’est diversifié, comptant même de nombreux chrétiens, et a largement pris ses distances avec le discours sataniste et occultiste pour centrer son intérêt sur la dimension musicale de ces courants. En témoigne le glissement sémantique du terme « black metal » au fil du temps, qui dans les années 1980-début des années 1990, désignait  des groupes de metal avec des paroles sataniques, et qui maintenant se réfère à une certaine identité musicale (chant crié, tremolo pickings, blast beats, …), quand bien même les paroles déploieraient un imaginaire non pas nécessairement blasphématoire ou antichrétien, mais fantastique, naturaliste, onirique, ou même chrétien. Ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas intéressant de s’interroger sur les liens éventuels entre la création musicale et l’inspiration « ténébreuse » qui a présidé à celle-ci, au contraire, mais c’est une question beaucoup plus subtile et nuancée et moins violemment à charge contre les personnes et le metal en lui-même que de poser sommairement l’équation: groupe déployant un imaginaire d’inspiration satanique = satanistes.

Alors certes, on voit chaque année dans les groupes invités au Hellfest, au côté de ceux qui comme Slayer, utilisent l’imagerie satanique uniquement pour son caractère spectaculaire, sans conviction personnelle derrière, d’autres formations qui expriment de manière sincère des convictions et/ou satanistes, et/ou antichrétiennes, et/ou occultistes, comme Marduk, par exemple. Cela ne signifie pas que le festival les invite pour ces convictions, ni ques les festivaliers qui assistent à leur prestation les partagent nécessairement. Comme je le montrais dans un article précédent, la signification littérale, dénotative, des paroles et de la mise en scène d’un groupe prend des connotations différentes, subit des dépalcement de sens, suivant le cadre de la représentation et son public, a fortiori quand les paroles sont inaudibles sur scène comme c’est le cas de la plupart des groupes « polémiques »:

 » »Le lecteur apporte lui-même ses propres connotations: il apporte aux textes sa propre expérience et ses autres lectures, en déplace les significations grâce à son imaginaire » (Espace français .com, La dénotation et la connotation).

De même que l’auditeur ou le spectateur, dirais-je.

Une svastika prend une certaine signification dans un contexte européen, et un autre radicalement différent en contexte hindou. D’ une manière analogue, on pourrait dire qu’un concert de Marduk, mis en scène de la même façon, avec les mêmes paroles, aurait une certaine signification dans le cadre d’une messe noire, où chaque participant aurait un livret avec les paroles, une autre signification lors du Hellfest, au milieu de groupes beaucoup moins engagés religieusement, dans un contexte festif où personne n’entend clairement les paroles et où la bière coule à flot, et encore un autre dans une assemblée de musiciens, qui seraient beaucoup plus attentifs à la performance musiclae qu’aux paroles ou à la mise en scène. De même que si on transposait la liturgie d’une messe catholique sur une estrade du Hellfest au milieu d’un public éméché, sa signification pour les specteurs serait sans doute profondément différente qu’au sein d’une église (et pour le coup sans doute proche du blasphème).« 

Si je puis me permettre d’apporter mon témoignage personnel, j’ai assisté à une partie du Hellfest 2011, et à la totalité du Hellfest 2012. Lors de ce dernier, je portais durant l’intégralité des trois jours le crucifix des dernières JMJ en évidence sur un T-Shirt de metal. J’ai eu droit à quelques regards furtifs sur ma poitrine, mais personne ne m’a fait de réflexion ou créé des problèmes, bien que je me sois cantonné l’essentiel du temps aux scènes spécialisées dans le death et le black metal. Et bien que j’ai assisté aux concerts de plusieurs groupes très controversés, comme Nécros Christos, Taake, etc., pas un instant je n’ai eu l’impression que ce qui rassemblait l’auditoire était d’ordre idéologique et non musical. Pour tout dire, j’ai vu coup sur coup le vendredi matin la prestation du groupe chrétien Betraying the martyrs sur le Main Stage 2, et celle du groupe de black d’inspiration satanique Merrimack sur la scène The Temple, et au dela des différences musicales, si je n’avais pas connu ces groupes au préalable, je ne pense pas que j’aurais été capable de deviner de manière certaine leurs a priori respectifs sur la religion. C’est donc bien pour leur musique que ces groupes sont invités et applaudis aux Hellfest, et non pour un hypothétique assentiment des organisateurs ou du public dans son ensemble au discours de certains d’entre eux. Se fonder sur leur présence pour déduire que le Hellfest dans son ensemble est satanique ou antichrétien, c’est prendre la partie pour le tout, ce qui en bonne logique est un sophisme.

– N’y at-il pas eu certaines années des groupes invités qui versaient quelque peu dans le néo-nazisme?

En 2011, le Hellfest a invité le groupe de black metal Satanic Warmaster, qui n’est pas à proprement parler un groupe de NSBM (National Socialist Black Metal), mais dont le leader, Satanic Tyrant Werewolf, ne cache pas ses sympathies pour le nazisme, et qui a fait en 2008 une tournée avec deux groupes de NSBM, Absurd et Der Stürmer. Plusieurs autres groupes invités et des festivaliers ont fortement contesté ce choix de programmation, ce qui a conduit la direction du festival a annulé Satanic Warmaster, en les termes suivants:

« Le Hellfest a décidé seul et en âme et conscience d’annuler la prestation de Satanic Warmaster. Il ne s’agit aucunement d’une décision prise suite à des pressions reçues par différents groupuscules hostiles à la manifestation. Nous avions décidé de confirmer cet artiste lorsque nous nous sommes aperçus qu’il y avait une forte demande. L’idéologie et la politique menées par certains artistes n’ont jamais été des critères de sélections pour le festival, nous laissons tout à chacun le droit de se faire une opinion sur les artistes présents au festival et il n’est pas question d’amener notre manifestation sur des terrains de cet ordre qui n’ont plus rien à voir avec la musique.

Cependant nous avons reçu un nombre importants de plaintes émanant d’une partie des festivaliers mais également d’une partie des artistes jugeant cet artiste contraire à l’état d’esprit du festival et prêt à en découdre lors du festival pour faire valoir leurs opinions contraires. Nous ne sommes pas là pour prendre position dans ce débat. Le Hellfest est une fête avant tout, il ne cherche pas à diviser mais plutôt à rassembler un public sous une même bannière, la passion pour les musiques extrêmes. Dès lors il nous est apparu impossible de trouver une solution adéquate sans risquer d’arriver à un point de non retour et de risquer des débordements lors du festival qui se déroulera en juin prochain.

Le Hellfest n’est pas là pour juger les opinions des uns et des autres mais pour assurer à tous un rassemblement amical et pacifique. Nous avons donc pris seuls la décision d’annuler la prestation de Satanic Warmaster et ce afin de garantir la bonne tenue du festival. Les guerres de clans sous fond d’idéologie contraire n’ont pas leur place au Hellfest.

Le festival tient à s’excuser auprès des fans de cet artiste mais tient à réaffirmer sa position apolitique et indépendante de toute idéologie. Nous ne mettrons pas l’événement, que nous avons mis des années à mettre en place, en danger pour des raisons extra musicales qui n’ont rien à voir avec ce pourquoi le festival existe.

Pour le festival,
 Ben Barbaud« 

Cet épisode, qui fut montré par certains catholiques comme un exemple de « deux poids, deux mesures », me parait au contraire montrer que les métalleux sont aussi capables que les chrétiens de juger en conscience de l’arrière plan idéologique d’un groupe, et n’on pas besoin qu’on les tiennent par la main pour se mobiliser en cas de dérive apparente, un groupe affilié à une mouvance politique militante n’étant pas comparable  à ceux qui énoncent un discours d’inspiration sataniste sans mettre les idées qu’ils énoncent en pratique, n’en déplaise à certains.

La même année, juste après cette annulation, le blogueur catholique les Yeux Ouverts a épluché la programmation du Hellfest, et découvert que le groupe de grindcore Anal Cunt comportait dans sa discographie des morceaux tels que « Hitler was a sensitive man » ou « I hope you will be deported ». Il a contacté une association d’anciens résistants, qui a fait pression sur la mairie de Clisson et la direction du Hellfest pour que ce groupe soit déprogrammé. Après une petite période d’hésitation, j’ai personnellement regretté cette issue, qui aété très mal prise par la majorité des festivaliers. Anal Cunt, contrairement à Satanic Warmaster, n’a pas d’engagement politique en faveur du nazisme (ni de quoique ce soit d’ailleurs) mais pratique une forme d’humour acide à la manière de la série South Park. On peut certes exprimer de fortes réserves sur le goût contestable de celui-ci, et sur certains des thèmes abordés. La question qui était celle-posée par la programmation d’Anal Cunt, et qui est distincte d’une apologie du nazisme telle que pratiquée par les groupes de NSBM, est la suivante: « peut-on rire de tout? ». Elle est complexe, car elle pose le risque de deux dérives: la banalisation de certaines formes de cruauté et de barbarie d’un côté,  la difficulté de donner des bornes qui s’impose à tous en matière d’humour et la tentation d’instituer une sorte de police de la pensée de l’autre. Cela aurait mérité un vrai débat, qui a malheureusement été étouffé dans l’oeuf par le lobbying et la pression institutionnelle. Une seconde question me parait pouvoir être posée par cette polémique, qui est celle de la sacralisation des crimes du nazisme: , en portant le soupçon sur tout ce qui en rit ou en détourne la référence, ne court-on pas le risque, dans une certaine mesure, de le mythifier et de l’esthétiser, avec le risque de le rendre attirant aux yeux de certains?

En 2012, l’invitation du groupe Taake a également fait polémique. En effet, les paroles de l’un de ses morceaux pourraient être interpréter dans un sens hostile à l’Islam. Plus significatif, son chanteur, Hoest, s’était signalé quelques mois plus tôt en Norvège en arborant lors d’un concert un tatouage en forme de croix gammée (ce qu’il n’a pas fait lors de son concert au Hellfest, auquel j’ai assisté) etpour avoir réagi de la manière suivante à l’annulation qui s’en est suivie d’une de leurs tournées:

 » Nous présentons nos plus sincères excuses à tous nos collaborateurs qui ont pu éventuellement avoir des problèmes suite au scandale provoqué par la croix gammée, mais pas à l’Untermensch (ndlr : « sous-homme » en Allemand, un concept fort apprécié au temps du IIIe Reich) propriétaire de cette salle : tu peux aller sucer un Musulman « .

Il convient cependant de noter que contrairement à Satanic Warmaster, Taake ne semble pas avoir de lien avec le milieu NSBM, ni faire de militantisme politique, et que l’affaire s’apparente à un ensemble de provocations de mauvais goût, condamnables certes, mais qui n’engagent pas vraiment la responsabilité du Hellfest, puisqu’elles se sont placées hors de l’enceinte de celui-ci, et que le groupe n’a pas récidivé au sein du festival. Il apparait également que l’attitude intransigeante de la direction du festival face au plaintes dont ce choix de programmation a fait l’objet sont la conséquence directe des annulations de l’année précédente et de la manière polémique dont elles ont été récupérées par des associations catholiques qui se sont, de fait, tiré une balle dans le pied sur le moyen terme.

Enfin, l’affiche de l’an dernier a suscité l’ire aussi bien des journaux L’Humanité et Le Canard Enchaîné que de l’association « antiraciste » l’AGRIF, fondée par d’anciens cadres du Front National, parce qu’elle représentait des soldats dans des tranchées.Ils ont cru y voir des nazis, en dépit de l’absence de symboles renvoyant à cette idéologie, et du fait que le modèle des casques semblait emprunté à l’armée française et non à celle allemande. L’ AGRIF a été jusqu’à demander l’interdiction du Hellfest sur cette base:

« Du 15 au 17 juin 2012 doit se tenir sur la commune de CLISSON, en Loire-Atlantique, le concert intitulé « HELLFEST » et qui est violemment anti-chrétien.

En effet, certains groupes de musique s’appellent « Death Angel », « Suicidal Angels », « Benediction », « Jesus Crost », « Necros Christos », « The Devil’s Blood ».

Par ailleurs, les organisateurs du « Hellfest » n’hésitent pas à affirmer que « le black metal est par nature anti-chrétien et sataniste ». 

Enfin, lors des différents concerts, certains groupes n’hésitent pas à appeler au meurtre des chrétiens.

De plus, ce spectacle fait l’apologie du nazisme. Les affiches représentent un soldat allemand de la Deuxième Guerre Mondiale et un groupe se produit sous le nom de « Sacred Reich ».

Devant l’inertie des pouvoirs publics, l’AGRIF a mandaté ses avocats pour demander l’interdiction de cette manifestation qui constitue un trouble à l’ordre public« .

Le Hellfest s’étant bel et bien produit, et n’ayant plus entendu parler de cette plainte depuis, je suppose que l’AGRIF a été déboutée. Ce qui donne à mon avis une indication éclairante de ce que la justice pense des soit-disant évidences de néo-nazisme dans la programmation du Hellfest.

– Pourtant, des groupes ont déjà été annulés par les organisateurs du Hellfest en raison du contenu de leur paroles, bien que comme par hasard ce ne soient pas ceux qui s’en prennent aux chrétiens!!!

En réalité, le Hellfest a commencé son histoire en annulant un groupe antichrétien de son propre chef, plusieurs années avant les polémiques. Le groupe de death metal satanique Deicide était l’une des têtes d’affiche de la première édition, en 2006. A la suite d’une affaire de profanation en bretagne, où des graffitis qui se référaient au groupe ont été trouvés, la direction du festival a décidé, de sa propre initiative, d’annuler la participation de ce groupe. Ben Barbaud justifiait alors cette décision de la manière suivante, dans une interview accordée à VS-webzine:

« On a jamais eu de censures nous ici mais bon c’est moi qui l’ai voulu. Organiser un événement de 30,000 personnes dans un bled de 6 000 qui est connu pour son patrimoine et ses visiteurs du dimanche après midi et bien c’est pas facile. La politique n’est pas la même que dans une
grande métropole ou l’activité artistique est débordante, non là on est à la campagne qui accueille pour la première fois de son histoire un festival de cet ampleur !
 Vous devez donc vous douter des craintes de tout le monde ici, entre les ragots sur la consommation de stupéfiants, de vandalisme il y a aussi évidemment cette image « sataniste » du hard rock (le mot black métal n’étant même pas connu de leur vocabulaire…) et donc on a le droit à aucune erreur, j’ai donc préféré prévenir que guérir en ne laissant à personne l’opportunité de nous enfoncer et donc de déstabiliser l’organisation du festival… sachant que de nombreux actes de vandalismes et diverses profanations avaient été constaté dans notre région et que celles ci prenait en partie le groupe DEICIDE nous avons préféré l’annuler afin de ne pas créer de trouble dans une ville (je le rappelle) qui éprouve de grosses craintes et qui pour l’instant vit sur des préjugés quand au public qui va y participer… à nous, à vous tous donc de leur prouver le contraire… on en revient au même sujet, il faut vraiment que les metalleux de tous bords se sert les coudes pour former un vrai mouvement unis de façon à ce que les institutions nous prennent au sérieux et que donc les musiques extrêmes puissent se développer de façon sereine et sans préjugés !« 

Or, depuis que le festival est devenu chaque année la cible de polémiques, on peut constater que le même Ben Barbaud tient ferme contre toute tentative de le dissuader de programmer des groupes satanistes, occultistes ou antichrétiens. A ce propos, certains catholiques hostiles au Hellfest aiment à rappeler une parole de l’un de ses collaborateurs, au cours d’une interview: « on ne déprogramme pas les groupes antichrétiens », pour y lire une forme d’aveu quant aux principes de programmation supposément « christianophobes » de ce festival.

Mais l’épisode de 2006 démontre le contraire. Si véritablement les choix de la direction du Hellfest sont dictés par une forme d’hostilité au christianisme, pourquoi ont-ils déprogrammé Deicide à une époque où personne ne le leur demandait? Et si c’était la seule crainte des réactions de chrétiens qui les y a poussés, pourquoi ne modèrent-ils pas la programmation du festival, après plusieurs années de pressions beaucoup plus réelles  et importantes?

Il semble en fait que la direction du festival n’était pas fermée d’emblée à l’écoute des sensibilités chrétiennes inquiète face aux paroles de certains groupes invités, mais que les violentes attaques dont elle est la cible de la part d’associations catholiques depuis 2008 l’ont conduit à durcir sa position.  Si on replace dans son contexte la phrase « on ne déprogramme pas les groupes antichrétiens », on constate qu’elle a été dite peu de temps après les annulations de Satanic Warmaster et d’Anal Cunt, que certains festivaliers ont très mal prises, notamment la seconde, et qui ont valu au Hellfest de se faire accuser de brader sa programmation et son intégrité musicale sous la pression des associations catholiques. Même Radio Metal, qui pourtant à été à l’originel’année précédente de plusieurs initiatives de dialogues avec des catholiques, s’est inquiété d’une possible dérive vers l’autocensure et le politiquement correcte. La phrase précédemment citée n’est donc pas à lire comme l’aveu d’une conviction intérieure, mais comme un gage d’indépendance, en direction des vives inquiétudes alors exprimées par une partie de la base des festivaliers.

Car toute l’ambiguité de cette polémique est qu’elle a fait du Hellfest un symbole: celui d’une culture contemporaine christianophobe aux yeux de certains catholiques, mais aussi de la liberté d’expression du point de vue de nombreux observateurs et participants. Elle a pris la direction du festival entre deux feux, et il lui est paradoxalement, maintenant qu’elle subit toute sortes de pressions de la part de catholiques, beaucoup plus difficile de déprogrammer des groupes polémiques que du temps où le Hellfest était inconnu du grand public. Car désormais, chacune de ses décisions est scrutée, disséquée, grossie, réinterprétée, surinterprétée, déformée… A trop vouloir éclairer et influencer ses choix, les catholiques ont fini par , non pas quand même la paralyser, mais considérablement réduire ses options et sa marge d’ouverture au dialogue.

Un exemple parmi tant d’autres des raisons pour lesquelles je ne crois pas à l’efficacité du lobbying en matière de « combat culturel » et d’évangélisation… (je rappelle que lobbying n’est pas un terme péjoratif en soi: il y a des domaines où il s’applique à mon avis de manière très pertienente, mais pas celui-là).

– Est-il normal qu’une manifestation culturelle qui accueille de tels groupes bénéficie de subventions publiques?

Préalablement à cette question, je pense qu’on doit s’interroger sur deux points:

* On peut certes rappeler que les collectivités publiques ont une responsabilité de garantes de l’ordre public, et éventuellement des moeurs quand leur non respect risque de porter atteinte à ce dernier. On peut également poser la question de la légitimité des subventions publiques dans le domaine culturel. Sur ce second point, je pense que l’alternative raisonnable est la suivante: soit on subventionne la culture dans son ensemble, soit on ne subventionne rien. Concernant le premier point, je pense que dans la mesure où une manifestation culurelle ne trouble pas l’ordre public, et je pense avoir montré dans mes indication précédentes que le Hellfest satisfait à ce critère, ce n’est pas le rôle de l’Etat de déterminer ce qui est pertinent ou non dans les domaines de l’art, de la religion, ou même de la morale. L’alternative serait un art d’Etat, dont la définition changerait à mesure que les majorités se succéderaient ou que l’opinion publique évoluerait, et qui pourrait très bien exclure de son champ des oeuvres chrétiennes, si tant est par exemple qu’elles toucheraient à des aspects impopulaires de l’enseignement de l’Eglise en matière de morale, par exemple. De manière générale, cette lutte sur les subventions en fonction du contenu des oeuvres d’art ne peut que conduire à fractionner le monde de la culture en clans divers, qui insisteraient chacun sur la plus grande légitimité artistique de leur courant, et à agraver les divisions sociales.

* Derrière cette question se pose celle du poids du Hellfest sur la dépense publique. Or, force est de constater que celui-ci n’a jamais été exprimé clairement. Le Collectif Provocs Hellfest ça suffit a certes publié une estimation des subventions, directes ou indirectes, dont le Hellfest a bénéficié de la part de diverses administrations publiques. Mais on ne dresse pas un bilan comptable sur la base des seules dépenses. Ce qui compte, c’est le solde entre les dépenses et les recettes. Et personne jusqu’ici n’a donné une estimation précise de l’apport du festival à la région et à la ville, en terme de retombées commerciales, de rayonnement culturel, de tourisme, etc. Cela viendra probablement. De toute façon la chambre régionale des comptes fera tôt ou tard l’examen de l’usage par le Hellfest des subventions dont il bénéficie, et de leur bien-fondé à l’origine. Mais je regrette que l’on pose de manière souvent péremptoire l’argument du poids qu’il représenterait sur la dépense publique, en n’acceptant de ne prendre en considération que les éléments à charge, alors qu’il est devenu l’an dernier le troisième festival français en terme de fréquentation, et pas nécessairement l’un des plus gourmands en matière d’aides.

-Vous parlez du respect et du dialogue avec les métalleux y compris les plus extrêmes, mais que faites-vous du respect des chrétiens blessés dans leur foi par ce festival? 

Au fil de conversations que j’ai pu avoir avec des catholiques qui se disent blessés par le Hellfest, il m’a semblé qu’ils se répartissaient globalement en deux catégories: ceux qui ignorent tout du metal, ne connaissent pasde métalleux, et croient sur paroles les informations alarmantes publiées sur certains sites. Et ceux dont la position sur le Hellfest s’articule avec des convictions philosophiques ou politiques, qui les amènent à considérer le Hellfest comme l’expression d’un mouvement plus gnénral de « contre-culture », qui saperait les racines chrétiennes de notre civilisation. Engénéral, les premiers sont heureux de discuter avec moi, car je leur apporte un point de vue plus étayé et informé que le leur, et leur montre par l’exemple que tous les metalleux ne sont pas satanistes ou hostiles au christianisme. Précisément parce que leur réaction a pour origine une blessure, un ressenti, ils sont souvent content de pouvoir poser des mots et des idées dessus, quand bien même ils sont en désaccord avec moi. Avec les seconds, la conversation est moins évidente, même si elle peut être cordiale, mais on est moins dans le ressenti que dans le débat d’idées.

De manière générale, je pense que l’indignation, même sincère et profonde,  n’est pas un critère suffisant pour justifierd’une position, que ce soit sur le Hellfest, en politique, ou ailleurs. Certains catholiques sont sincèrement blessés par les textes de morceaux chantés au Hellfest. Certains métalleux ont écrit ces textes parce qu’ils étaient sincèrement blessés par le contre-témoignage de chrétiens qu’ils ont connus personnellement, ou par telle actualité impliquant l’Eglise, ou tel fait historique, etc. Je ne vais pas m’établir en juge des blessures des uns et des autres. Par contre, en tant que chrétien, je recherche la paix civile et la justice. Qui pour moi n’est pas garantie par la priorisation de telle blessure personnelle, ou de tel type de blessure personnelle, sur tel autre, mais par la création d’un espace de dialogue où les victimes de ces blessures peuvent se rencontrer,échanger et apprendre à mieux se connaitre. S’il est vrai que les démarches de lobbying contre le hellfest ont permis un dialogue parfois approfondi entre les éléments les plus motivés et/ ou les plus modérés des deux bords, je pense que celui-ci n’est pas encore optimal, dans la mesure où il ne mobilise qu’un petit cercle de connaisseurs, et que pour le grand public, tant côté catholique que métalleux, les préjugés mutuels continuent à être plarisés par la polémique. C’est pourquoi je pense que la clé se trouvent dans un débat plus général sur les relations historiques et thématiques entre la musique metal et la religion christianisme, et les questions qui y sont liées: inculturation, effets d la musique sur la vie intérieure de l’auditeur, etc. Le Hellfest n’étant qu’un festival, certes, particulièrement populaire, parmi tant d’autres, ni particulièrement influent ni particulièrement positionné sur cette question.

Salon Beige, Hellfest, etc.

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , on 24 août 2012 by Darth Manu

Je viens de tomber par hasard (que voulez-vous, je ne lis pas l’un des plus gros blogs cathos: même dans la foi j’essaie de garder un certain sens critique) sur un billet de juin dernier du Salon Beige sur le Hellfest édition 2012.

Mais d’abord, une page de pub Wikipédia:

« Couramment, le terme amalgame désigne une combinaison de deux éléments différents. De là, il peut également désigner la confusion, souvent volontaire, de deux idées différentes. Plus simplement, faire un amalgame entre deux choses, c’est « rapprocher » ces deux choses sans qu’elles soient liées naturellement, et sans qu’il soit raisonnablement possible de les lier entre elles. C’est une technique de désinformation simple et efficace. Voir amalgame (communication). En sémantique, l’amalgame désigne une confusion d’ordre sémantique. » (Wikipédia, article « amalgame sémantique »)

Cette citation, que j’avais très innocemment lue avant d’aborder l’article du Salon Beige, en tête, venons-en à l’article de ce célèbre blog:

« Un mort au Hellfest Le WE dernier, le festival « fête de l’enfer » Hellfest a fait le plein à Clisson. Cela n’apparaît pas dans la presse, mais d’après nos informations, un décès a été enregistré sur le site samedi matin. Il s’agirait d’un homme, Mexicain, qui tenait un stand. Il serait mort officiellement des suites d’un cancer ou de nodules. Le bilan des interpellations pour trafic de drogue n’est pas connu. La Radio locale Alouette FMa annoncé 112 000 participants. Or le site ne peut accueillir « que » 35 000 personnes. Il ne s’agit donc pas de personnes, mais de places vendues.« 

Absolument horrifié que je suis à l’idée que cet héroïque blog anti « christianophobie » puisse être taxé de diffamation ou autre malveillance par tel ou tel « cathomou », « laïcard » ou « cathophobe », je ne puis m’empêcher de lui demander, en vue de mieux préparer les esprits les plus éclairés (c’est à dire les plus « ardents » des catholiques) à sa défense, quel rapport établit-il entre les trois paragraphes de cet article.

Un esprit beaucoup moins brillant que celui du rédacteur de l’ article du SB, tel que le mien, abruti que je suis par l’écoute de musiques trop bruyantes et violentes, pourrait penser après une première lecture superficielle q’un lien de causalité implicite relie ces trois parties, et que donc, une personne est morte au Hellfest, les satatistiques de consommation de drogue ne sont pas encore connues (ah ces junkies qui ne viennent pas se dénoncer spontanément aux orga et à la police…!), qu’il ya un flou entre le nombre de personnes effectivement présentes et le nombre de places vendues, et que l’on pourrait dès lors penser que le Hellfest gère mal l’entrée des festivaliers, que doncs il ne gère pas l’import éventuel de drogues diverses, et que par conséquent, on ne peut s’empêcher d’observer qu’il y a eu un mort.

Un tel raisonnement serait bien sûr complètement fantaisiste et contraire aux faits tels qu’ils sont actuellement connus:

– Sur le décès:

ce que j’ai pu trouver de plus précis est la mention d’un article de Radio Metal, ci-dessous:

« Nous sommes extrêmement tristes de vous annoncer qu’un homme qui travaillait sur l’extreme market est décédé à la suite d’un arrêt cardiaque. Ben Barbaud, le programmateur du festival, vient de nous confirmer cette information. Toutes nos pensées vont à la famille et aux proches de la victime de 37 ans qui est décédée, selon Ben, « avant l’ouverture du festival ».  » (source)

A priori rien à voir avec la polémique entre diverses organisations cathos et la direction du Hellfest, ni avec une quelconque responsabilité des organisateurs du festival. Bien sûr, si diverses personnes, opposées au Hellfest ou non, ont d’autres sources à proposer, notamment de source policère et judiaciare officielle, elles sont les binvenues. Mais en attendant, il n’ya dans ce fait divers rien qui permette de nourrir le débat, dans un sens ou dans l’autre, et tout ce qui nous est opportun de faire , à nous catholiques, est de prier pour le défunt et ses proches. Tout le reste, en absence d’éléments matériels, ne me parait que spéculations et rumeurs malsaines.

– Sur la consommation de drogue:

Etant personnellement présent au Hellfest, j’ai été témoin d’une grande consommation d’alcool. Par contre je n’ai pas été témoin de consommation de drogues. Je ne suis pas partout, je n’étais pas là pour ça et aucune organisation à cette échelle, quelque soit sa sévérité et sa rigueur, ne peut prétendre au risque zéro en la matière.

Pour ce qui est de la prévention, la direction du Hellfest a fait valoir les points suivants:

« Vu le monstre d’organisation que peut représenter un festival comme le Hellfest, il est évident que les big boss ne peuvent aussi gérer les actions de prévention et de sécurité. Pourtant, cet aspect n’est ni écarté, ni négligé car ils ont fait appel à des associations qui se chargent d’informer les festivaliers sur les différents risques, qu’ils soient d’ordre sexuel, de drogue, d’alcool ou même d’audition. Yoann Le Nevé, l’adjoint de Ben Barbaud, rappelle que « cela fait déjà plusieurs années que nous travaillons avec des associations telles que Take Care (collectif) ou Dico LSF. Nous leur mettons à disposition la place nécessaire afin qu’ils informent nos festivaliers. Cette année, avec le changement, ils seront en bordure du couloir d’entrée dans 2 stands de 10 m X 5 m. C’est un soulagement pour nous d’avoir à faire à des spécialistes vu l’importance qu’a pris notre festival. » Pas des moralisateurs Take Care est un collectif qui regroupe l’ANPAA 44 (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie), Avenir Santé et le SIS (Sida info service). « Notre rôle, tout au long du festival, n’est pas d’être des moralisateurs mais d’informer et échanger avec ceux qui le voudront pour réduire les risques liés aux drogues de toutes sortes mais aussi au sexe. Nous ne nous contenterons pas de rester au stand, mais nous déambulerons également sur le site du festival et sur le camping attenant », souligne Carine Soulard, déléguée régionale du SIS. Des préservatifs seront bien évidemment distribués, et des éthylotests seront disponibles particulièrement la dernière nuit, de dimanche à lundi, jusqu’à 3 h du matin. » (Ouest-France, Hellfest: la prévention sécurité n’est pas négligée au festival métal de Clisson)

Je n’ai pas personnellement fréquenté le stand de ces associations (il faut dire que je ne les ai pas cherchées non plus…). Par contre j’ai pu constaté l’important dispositif de police et de sécurité autour et à l’intérieur du festival. Si j’ai pu voir des personnes en très fort état d’hébriété, et que j’ai entendu ça et là des rumeurs de vols et de bagarre propre à tout festival de cette envergure (même chrétien) je n’ai pas eu d’échos d’acte mettant gravement en cause l’organisation du festival dans son ensemble. Là encore, si des personnes ont des éléments matériels à apporter une foi encore de source officielle, policière ou judiciaire de préférence, elles sont les bienvenues. Mais en les attendant, toute généralité montée sur la base de désordre supposés se produire au Hellfest ne me parait relever que de la rumeur et/ou de la spéculation, et, en tant que chrétien, je préfère la vérité établie par les faits aux affabulations de l’imagination.

– Sur la fréquentation du Hellfest:

D’après les articles que j’ai pu lire sur le Hellfest, le chiffre de 35 000 par jour relevait moins d’une limite stricte que d’une estimation:

« Nous avons fait en sorte d’accueillir 35 000 personnes par jour. Et au vu des préventes (NDLR : avoisinant les 20 000 pour le moment), ce sera 35 000 personnes par jour ».  (Radio Metal)

Dans les faits, cette évaluation déjà optimiste semble avoir été dépassée:

« Avec une moyenne de 37000 personnes par jour, le Hellfest 2012 fait mieux que les Eurockéennes de Belfort ou que Rock en seine à Paris, entre autres. » (L’Alsace, « le Hellfest âsse dans la catégorie des poids lourds »)

Et s’il est vrai que le pass 3 jours est l’offre la plus séduisante pour n’importe quel festivalier normalement constitué, il n’en reste pas moins que le festival ouvre ses portes du jeudi soir au lundi matin, et, qu’à la mi-juin, pour beaucoup de personnes, il n’est pas possible de choisir cette option, pour des raisons scolaires ou professionnelles, voire familiales, et qu’elles sont donc obliggées de ne rester qu’un ou deux jours (sachant que le pass trois jours coute le même pris que deux billets un jour, à quelques euros près). Et de fait, moi qui suis resté l’intégralité du festival, j’ai pu constater plusieurs vas et viens de tentes.

Ce chiffre de 112 000 avancé par le Salon Beige ne me choque nullement. A vrai dire, et même s’il y avait pas mal de queue le jeudi soir pour accéder au camping et le vendredi matin pour écouter les premiers concerts (et dans une moindre mesure, pour accéder aux douches à certaines heures) je me suis beaucoup moins senti compréssé au Hellfest qe lors dès JMJ de Madrid l’été dernier, en particulier le samedi à l’aéroport (sérieusement, rien que les queues au Mc Do, avec les gars qui arrivaient derrière et qui donnaient à ceux qui étaient devant 10 tickets « menus du pélerin », j’ai failli une fois faire un  malaise… Mais les JMJ c’était aussi bien sympa, malgré la foule et la chaleur…).

Bien sûr, si la encore des blogueurs catholiques ont des preuves matérielles concernant une éventuelle surcharge de l’accueil au Hellfest, eu égard à la réglementation en matière de sécurité, ils sont bien sûrs les bienvenus, mais en attendant, je préfère m’en tenir à mon souvenir, qui est beaucoup plus positif.

En conclusion, si le Salon Beige a bien sûr parfaitement le droit d’émettre des opinions sur tel ou tel fait produit au Hellfest, ne serait-il pas souhaitable de les séparer clairement, en leur attribuant des billets distincts? Car à lire comme ça l’article, une âme malveillante pourrait être tentée de penser que le SB regroupe des rumeurs et des incidents disparates, sans preuve d’une responsabilité directe des organisateurs du Hellfest dans tel ou tel d’entre eux, pour substituer à l’absence de problèmes graves effectivement constatés lors du festival des insinuations, dans un  but de propagande contre celui-ci. Je n’affirme rien pour ma part:je ne connais pas l’auteur du billet et je ne sais rien de ses intentions.  Je trouve simplement que l’article manque singulièrement de clarté. Et je cite en début d’article une définition de l’amalgame pour montrer que juxtaposer des faits sans expliciter leur lien suffit à rendre suspect de celui-ci, à mon sens. C’es pourquoi mieux vaut distinguer par des billets distincts des éléments disparates.

Ah oui, et quand en plus de rapporter tel ou tel fait, ou tel ou tel bruit entendu, on l’accompagne de quelques paragraphes explicatifs, voire d’une démonstration, c’est toujours plus clair que de suggérer, ou de paraitre suggérer…

Personnellement, j’ai fait dans mon précédent billet le compte-rendu de ma présence à ce festival, qui m’a laissé un souvenir bien plus positif. Cetains s’y retrouveront, d’autres non. Mais de grâce, argumentons sur des faits et des souvenirs concrets, et non sur des rumeurs et des spéculations!

A bon entendeur Salut!

(Prochain billet normalement sur les Pussy Riot… teasing de ouf)

To Hell and Back: relecture de mon Hellfest 2012

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , , , , on 17 août 2012 by Darth Manu

Dimanche 17 juin 2012, lors de la messe de 11 heures à l’Eglise Notre Dame, à Clisson, le Père Henry, curé de la paroisse, a énuméré diverses intentions de prières, pour les confirmants, etc. L’une de ces intentions concernait les festivaliers: il s’agissait de prier pour qu’ils rentrent bien chez eux, sains et saufs de corps, mais également d’esprit. Et lorsque je lui ai souhaité un bon dimanche à la sortie de la célébration, il n’a pas manqué de me répondre: « bon dimanche… et bon retour! »

C’est sous cet angle du retour que je souhaiterais aborder ce compte-rendu de l’édition 2012 du Hellfest. Avoir fait l’expérience de ce festival sur toute sa durée, contrairement à l’année dernière où je n’avais pu être présent que le dimanche à partir de 13 heures, qu’est-ce que cela a changé en moi, quels souvenirs, quelle empreinte a-t-il déposés en moi, quels sont les fruits que j’en reccueille, bons ou mauvais, dans ma vie ?

Il pourra sembler curieux que je publie ce compte-rendu plus de deux mois après mon retour. Je voulais dans un premier temps, il est vrai, l’écrire dans la foulée. Des contraintes professionnelles m’ont dans un premier temps dissuadé de le faire. Puis, à la réflexion, il m’a paru préférable de laisser mûrir l’écriture de ce billet, afin de ruminer les traces que le Hellfest a pu laisser en moi, et répondre, à froid, à cette question que le Père Henry posait implicitement: « Au dela des plaisirs procurés par l’ambiance festive, la musique, l’amitié, les déguisements, l’alcool parfois, qu’est-ce que ce festival fait à mon âme? ».

Après deux mois de retour à ma vie quotidienne, et un temps de retraite de cinq jours, où j’ai confié parmi d’autres cette question au Seigneur, je suis d’avis de dire: rien, ni en bien, ni en mal.

Pourtant, si j’ai commencé la partie musicale de ce festival par un groupe chrétien (Betraying The Martyrs), j’ai passé l’essentiel des trois jours sous l’immense chapiteau qui abritait les scènes The Temple (dédiée au black metal) et The Altar (consacrée au death). A ce titre, j’ai assisté à la prestation de beaucoup des groupes « polémiques »: Merrimack, Taake (pas de croix gammée ni de discours islamophobes… une croix inversée, ceci dit), Necros Christos, Behemoth, Endstille, Cannibal Corpse (j’ai loupé Dimmu Borgir par contre: c’était tout à la fin, dans la nuit de dimance à lundi, et j’étais trop crevé)…  J’ai vu aussi une partie du concert de King Diamond, sur le Main Stage 2, si mon souvenir est bon.

Bien que je connaisse les paroles et le discours provocants de certains de ces groupes, je n’ai eu à aucun moment le sentiment de participer à un rassemblement qui avait pour objet d’attaquer ou de salir ma foi. J’avais au contraire le sentiment que ce qui reliait les spectateurs, très divers pour avoir écouté certains d’entre eux ou discuté avec d’autres, était la musique. Et pourtant, mon identité de catholique était clairement visible aux yeux de tous: par dessus un t-shirt de metal, j’arborais sur ma poitrine le crucifix des dernières JMJ, assez imposant. J’ai bien senti quelques regards loucher sur ma poitrine (surtout le vendredi: je portais en dessous un t-shirt dont l’illustration renvoyait clairement au black metal, ce qui créait un effet de contraste assez saisissant), mais personne ne m’a fait de remarques, ne s’est moqué de moi, ni ne m’a créé de problèmes d’une quelconque manière. Et pourtant, une fois encore, je rappelle que j’ai passé l’essentiel de mon temps au pied de la scène consacrée au black metal, la plus susceptible donc en théorie de rassembler des individus irrationnellement hostiles au christianisme. Le dimanche matin, alors que je me rendais à la messe, j’ai demandé mon chemin au barman d’un café. Quand il m’a entendu demander où était l’Eglise, il a regardé, les yeux écarquillées, mon crucifix sur le t_shirt d’Opeth que je portais. Ce fut la réaction la plus visible à laquelle j’ai assisté, et celle qui m’a le plus amusé.

Si je fais la balance des plaisirs et des frustrations que le Hellfest m’a apporté, je rangerais immédaitement dans le premier groupe le plaisir des découvertes musicales (je n’aime pas les provocations de Taake, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans mon billet Metal et Islam, mais musicalement, qu’est-ce que c’est bien). Egalement, assister à la prestation d’un groupe sur scène permet de découvrir son jeu scénique, l’ambiance qu’il cherche à créer, le rapport qu’il cherche à établir avec son public, d’une manière qui n’est pas perceptible à la seule écoute des albums. Comme Gwenn Coudert l’écrit dans son livre Black Metal et art contemporain (Editions du Camion blanc) sur lequel j’aurais l’occasion de revenir dans un futur billet qui lui sera consacré:

« Le live est le théatre de l’expression black metal. Ce contexte particulier engendre une interprétation distncte de la musique mais aussi un travail qui va bien plus loin que celui qui incombe à la composition d’un morceau. Le concert, c’est aussi la sphère où se joue l’interaction du groupe avec son public et ça n’est pas une donnée à prendre à la légère. Si beaucoup de gens attendent leurs titres favoris au cours d’un live, de nombreux individus découvrent également un groupe par l’intermédiaire de la scène.

Le concert est le lieu d’échange entre le groupe et son public et permet à celui-ci de se rencontrer et de renforcer ses liens. […]

Le black metal exprime sur scène toute sa puissance et ses leaders profitent de leur position en hauteur pour jouer les orateurs et couvrir le public de leurs cris. La scène est alors le socle de l’oeuvre black metal elle-même mise en mouvement par le jeu des éclairages. » (p. 115 et 117)

A noter que si le chanteur se fait orateur, ses paroles sont quasiment incompréhensibles sur scène. C’est donc la forme même de l’acte oratoire qui se trouve ici magnifiée, par la musique et la mise en scène, comme performance artistique, et non le contenu du discours, inaudible pour ceux qui n’auraient pas lu au préalable les pochettes, de même que les logos sont illisibles ou presque pour ceux qui n’ont pas l’habitude des groupes.

Autres plaisirs: la joie des festivaliers qui profitent pleinement de trois jours qu’ils ont attendu toute l’année et dont ils entendent profiter plainement. Joie également d’être réunis au sein de la communauté des métalleux, alors que nous faisons trop souvent figure de marginaux aux yeux de beaucoup de nos contemporains, bien que la plupart d’entre nous soyons normalement inséré dans la société. Enfin, j’ai été heureux de revoir « Etienne web » le vendredi et le samedi soir, et d’assister avec lui à plusieurs concerts. Le dimanche, j’ai pu faire la connaissance IRL, de deux autres de mes lecteurs: mon confrère blogueur Larsen, et Gwenn Coudert, chroniqueuse à Soil Chronicles et auteure d’un livre que je viens de citer.

Du côté des frustrations: essentiellement le fait d’avoir été tout seul au Hellfest, la plupart des personnes que j’y connaissais déjà n’ayant pu y être présentes cette année, pour des raisons diverses. J’y ai certes retrouvé le soir Etienne, et j’ai fait des connaissances le dimanche. Mais ma tente était isolée. Si je suis heureux des découvertes musicales que j’ai faites, et d’avoir vécu un Helfest de bout en bout, il importe de souligner que ce festival est en son âme une activité communautaire, festive: on y va en famille ou entre amis, pour faire la fête et oublier les problèmes de la vie quotidienne, hors de notre petit monde quotidien et de ses repères normés.

A ce titre, le Hellfest s’apparente moins à une « fête de l’enfer » qu’à un carnaval: les gens s’y déguisent, y boivent beaucoup, y dorment peu, se livrent à toutes sortes de paroles et de comportements excessifs. Non pas parce que ce festival leur fait embrasser leur « côté obscur », mais parce qu’il les divertit, les abstrait de leurs problèmes l’espace de trois jours, pour les placer dans un lieu différent, sous une apparence différente, avec un comportement différent, et au sein d’une communauté différente. L’espace d’un long week end, ils oublient les règles de notre société, pour faire comme s’ils étaient immortels. Non pas qu’ils rejettent ces règles, mais qu’ils s’en éloignent le temps de décharger toute leur frustration, leur fatigue et leur angoisse (notez que là je parle du défoulement d’une fête, pas de l’effet cathartique d’une oeuvre d’art, sur laquelle je reviendrai prochainement dans la suite de mon billet black metal et catharsis).

A propos du Carnaval, on peut rappeler que malgré ses origines païennes et les comportements licencieux très au delà de ce que l’on peut observer au Hellfest, fut davantage « sur le terrain » canalisé que combattu par l’Eglise, malgré une opposition de principe:

« Histoire du Carnaval en France.[…] Durant tout le Moyen âge, c’est l’Église elle-même qui mène le carnaval. Les bizarres fêtes des Fous (de Noël à l’Épiphanie), et de l’Âne, celle des Innocents, la procession du Renard à Paris, celle du Hareng à Reims, auxquelles participaient prêtres et chanoines, n’étaient guère que des saturnales burlesques et obscènes qui se perpétuèrent en dépit des interdictions de plusieurs conciles (notamment celui d’Auxerre, 578) jusqu’au XVIe siècle. Commencées aux derniers jours de décembre, les réjouissances populaires se prolongeaient sous divers noms presque jusqu’à Pâques. A la fête du Roi de la fève, succédaient celles des jours gras et de carême-prenant, celle des Brandons, celle de la mi-carême (Epiphanie, Carême).

Les jours gras. Précédant immédiatement le mercredi des Cendres, les jours gras, le mardi gras surtout, furent à toutes les époques la période la plus joyeuse et la plus bruyante du carnaval. Alors seulement, on pouvait se masquer en plein jour, et le peuple usait largement d’un privilège réservé longtemps aux seuls gentilshommes. Les divertissements carnavalesques n’ont jamais beaucoup varié. Repas solide où figurent comme pièce de résistance une oie ou un dindon, comme accessoires obligés les traditionnelles crêpes, larges beuveries, mascarades sillonnant les villes à grands fracas, bals échevelés; cavalcades et momons en plus pour les bourgeois et pour les nobles qui se distinguent par le luxe de leurs travestissements mais non par le raffinement de leurs plaisanteries. Même le plus grand plaisir des princes est de se mêler au populaire. Henri III courait les rues de Paris, costumé en Pantalon vénitien et s’amusait fort à battre les passants et à jeter dans la boue les chaperons des femmes. On ne s’en étonnait guère; c’étaient les moeurs du temps.

Les vieilles femmes osaient à peine quitter leurs maisons de peur des attrapes du mardi gras. On plaquait sur leurs manteaux noirs des empreintes de craie figurant des rats et des souris, on attachait à leurs robes des torchons sales. Nous ne parlerons des obscénités étalées en public, et des facéties grasses, que pour rappeler qu’elles étaient un des traits les plus caractéristiques des saturnales. Les théâtres ont conservé longtemps la tradition de jouer les pièces les plus licencieuses dans les derniers jours du carnaval, et la Comédie-Française elle-même représentait le Don Japhet d’Arménie, de Scarron. Voilà, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le fonds commun des amusements des jours gras » (Imago Mundi, « Le Carnaval).

Pourtant, contrairement au Hellfest, très cadré et bien organisé, les carnavals donnèrent lieu à toutes sortes d’excès qui leur valu une hostilité durable des autorités:

« Police du carnaval. De très bonne heure, les licences du carnaval attirèrent l’attention du pouvoir. Une foule d’abus, de désordres, même de crimes, se commettaient sous le masque, quand cela ne débouchait pas sur un bain de sang comme celui auquel donna lieu le carnaval de Romans (Drôme) en 1580 (Emmanuel Leroy Ladurie, Le Carnaval de Romans, Gallimard, 1979) . Charlemagne voulut bannir les mascarades de son empire. Il n’y réussit pas et, pendant tout le Moyen âge, le carnaval, adopté et protégé par l’Église, étala en plein jour ses fantaisies les plus grossières et les plus monstrueuses. Le 9 mars 1399, Charles VI, rappelant d’autres ordonnances qui ont été perdues, défendit

« que nul ne portast faux visages ne embrunchiez et que interposeement, par personnes incongneues, aucun ne batist ou injuriant, ne feist batre ne injurier autres personnes ». A partir du XVe siècle, les parlements commencèrent à sévir; mais la fréquence même de leurs arrêts peut inspirer quelques doutes sur leur efficacité. Nous citerons les principaux. Le 14 décembre 1509, le parlement de Paris défend de faire et de vendre des masques, de porter des masques, de jouer au jeu de momon en masques ou avec d’autres déguisements, à peine de prison et d’amende (Id. Clermont, 27 décembre 1509). Le 26 avril 1514, arrêté portant que les masques et faux visages seront brûlés en public, avec défense d’en porter sous peine de confiscation. Les 26-27 novembre 1535, 9 mars 1539, 2-14 janvier 1562, 8 janvier 1575, 4 février  1592, défense d’aller en masques dans les rues de Paris avec des joueurs d’instruments, à peine d’être punis comme perturbateurs du repos public.

Une ordonnance royale du 9 novembre 1720, et une ordonnance de police du 5 février 1746, interdirent aux masques de porter des bâtons et des épées ou d’en faire porter par les laquais. Des ordonnances de police du 6 décembre 1737 et du 11 décembre 1742, défendirent aux jeunes gens et tapageurs de nuit d’entrer de force dans tous les lieux où il y a des bals et de la musique (c’était, comme on l’a vu plus haut, l’usage en temps de carnaval), de violenter les traiteurs, leurs femmes et enfants et d’obliger les violons à jouer toute la nuit.

Le carnaval fut interdit de 1790 à 1798. A partir de cette époque, la police a publié tous les ans au moment du carnaval une ordonnance conçue toujours à peu près dans les mêmes termes. Visant la loi des 16-24 août 1790, l’arrêté des consuls du 12 messidor an VIII, celui du 3 brumaire an IX, les lois du 7 août 1850 et 10 juin 1853, les art. 259, 330, 471, 475 et 479 du C. pén., elle interdit à tous les masques de se montrer sur la voie publique avec des armes ou bâtons, de se masquer avant 10 heures du matin et après 6 heures du soir, de prendre des déguisements de nature à troubler l’ordre public ou à blesser la décence et les moeurs, de porter aucun insigne, aucun costume ecclésiastique ou religieux, d’apostropher qui que ce soit par des invectives, des mots grossiers ou provocations injurieuses, de s’arrêter pour tenir des discours indécents et provoquer les passants par gestes ou paroles contraires à la morale, de jeter dans les maisons, dans les voitures et sur les personnes des objets ou substances pouvant causer des blessures, endommager ou salir les vêtements, de promener ou brûler des mannequins dans les rues et places publiques » (id.).

Quand on le compare à tous ces débordements, qui ont une présence dans notre culture bien ancrée tout au long de son histoire, et une origine païenne évidente, le Hellfest parait bien sage et raisonnable. On s’explique donc assez peu que certains puissent y voir la tête de pont d’une contreculture vouée à subvertir les valeurs chrétiennes de notre société et à avoir un impact « révolutionnaire » sur elle.

Concernant cette thématique du divertissement , j’ai eu lors du festival, mais hors de son enceinte, une expérience spirituelle qui m’a paru très éclairante. Le dimanche matin, ayant largement surévalué mon temps de marche, je suis arrivé à l’église avec une heure d’avance sur l’horaire de la messe. Je l’ai consacrée à prier. Cela faisait un bon moment que je n’avait pas pris un temps d’oraison d’une heure, et ce fut une très belle expérience, pleine de fruits spirituelles, à mon avis, paradoxalement, mon meilleur souvenir du festival. Pour être honnête, l’émotion spirituelle dépassait de loin en profondeur celle esthétique que j’ai ressenti lors de l’écoute des groupes présents au Hellfest. En comparaison, cette dernière n’apportait que peu à mon âme, ni en bien certes, ni (d’ailleurs) en mal. C’est-à-dire que si je n’ai pas retrouvé une émotion de cette profondeur et de cette qualité à mon retour au Hellfest, je n’ai pas non plus éprouvé de gêne, ni pendant ma prière, ni de retour au festival, ni lors de ma relecture en retraite, quand aux prestations auxquelles j’avais assisté. Je connais les paroles et l’antichristianisme primaire de certains groupes, et je suis bien sûr d’avis que l’on peut discuter les points d’accrocs thématiques et historiques entre le metal et l’Eglise, qui héritent d’une tension déjà présente dans l’histoire du rock. Mais c’est un enjeu que je distingue de ce qui se joue dans le débat du Hellfest, où les discours hostiles de certains groupes, ne m’apparaissent pas magnifiés, mais au contraire neutralisés, sous la forme du divertissement. J’assistais à ce festival après trois ans d’expérience de cette polémique, je voyais la représentation de groupes dont je savais qu’il n’apprécient pas particulièrement le christianisme ou qu’ils s’intéressent à l’occultisme ou au satanisme, et pourtant je n’arrivais pas à faire le lien entre ce que je voyais et entendais, et tous ces débats ue nous autres cathos menont entre nous nous. Parce que ce que ces groupes faisaient devant moi, ce n’était pas haranguer une foule christianophobe, mais délivrer une performance artistique. Et ils se succédaient sur scène, non chrétiens, anti chrétiens, et chrétiens (Betraying the Martyrs, August burns red…), réunis non pas par une idéologie commune, mais par la musique. Et réciproquement, les saluts et appaudissements du public manifeste un asseniment à une esthétique, et non à une tribune pour ou conre le christianisme. Les chroniqueurs de magazines spécialisés qui ont fait un compte rendu du Hellfest ont vu et Betraying the Martyrs et Merrimack, et apprécié souvent les deux, malgré le caractère mutuellement contradictoire de leur discours sur le christianisme, parce que ce n’était pas leurs idées qu’ils sont venus écouter, mais leur musique.

Si je dois définir ce que j’ai ressenti lors du Hellfest, et suite à celui-ci, en termes de discernement spirituel, je me réfèrerai au principe et fondement des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola:

« Principe et Fondement

L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé.

D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin.

Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et qui ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. » (Source: Province de France des Jésuites).

A relire mon expérience de ces trois jours, je ne les vois en eux-mêmes ni comme une « aide » à sauver mon âme, ni comme un « obstacle » à cette fin. Je rattacherais très nettement cette expérience à la proposition suivante: « en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre arbitre et qui ne lui est pas défendu ». Etant entendu que « se rendre indifférent » ne signifie pas nécessairement « renoncer » mais savoir prendre ses distances avec toute fascination excessive éventuelle qui engloutirait notre vie et notre liberté, je dirai qu’en tant que divertissement essentiellement, il ne me parait pas opportun de condamner le Hellfest dans sa globalité, mais d’appeler chacun à discerner au cas par ces sur son expérience.

Pour certains, il constituera une aide au salut: par tel concert dont la beauté ouvrira l’âme du festivalier à une certaine intuition de la transcendance divine, par telle amitié ou rencontre qui lui fera éprouver concrètement la charité…

Pour d’autres, il constituera un obstacle, du fait d’une fascination excessive pour tel ou tel aspect musical ou thématique de l’expérience qu’il propose, ou de l’abus de boisson, ou d’un désir de fuir le monde et sa réalité trop terne (éventuellement aussi telle expérience « occulte »).

Pour d’autres encore, ces aspects positifs et négatifes sont vécus de manière mêlée et il appartient alors à la conscience de les démêler prudemment.

Pour beaucoup je pense, il est pur divertissement, ni bon ni mauvais pour l’âme en soi: trois jours d’oubli du monde, eux-mêmes rapidement oubliés dans les soucis de la vie professionnell et familiale…

Mais à tel catholique qui s’inquiéterait de la juste attitude à prendre face au Hellfest, en cohérence avec notre foi, je ne dirai pas, sur la base de ma propre expérience,  qu’il s’agit d’approuver ni de condamner en bloc (d’autant que la lutte contre le Hellfest, si elle peut être une aide pour l’âme du fait d’une certaine expérience de l’Eglise, du rappel de son message, peut aussi devenir un obstacle, du fait des émotions obscures (colère, arrogance) qu’elle favorise et de l’obsession du « combat » décelable chez certains: mais chacun discerne en son âme et conscience), mais d’aller se faire sa propre opinion de visu, et de relire cette expérience, pour voir ce qu’elle a déposé dans son âme.

Pour ma part, en tant que catholique et métalleux, qui ai vécu en personne une après_midi et une soirée du Hellfest 2011, et la totalité du Hellfest 2012, j’appliquerai volontiers à la mise en cohérence de cette expérience à ma foi ce que nous dit aujourd’hui l’Eglise du carnaval, ancêtre autrement plus turbulant et réellement subversif des festivals de metal, et des festivals en général (le Hellfest ne précède pas le Carême, mais il annonce les congés d’été, qui peuvent être en partie pour certains, comme c’est le cas pour moi un temps de désert et de relecture):

« C’est un temps de divertissement, de réjouissance qui répond au besoin d’oublier les soucis de la vie de tous les jours avant la période austère du Carême. Il distrait l’individu de ses préoccupations et de son existence bien réglée. C’est actuellement le sens du carnaval. C’est le symbole même de la fête populaire.

Fête du péché, ou fête du pardon ?

Carnaval vient du latin carne vale, ce qui signifie « adieu à la chair ». Dès le milieu du deuxième siècle, les Romains ont observé une jeûne de 40 jours, qui est précédé par une courte saison de fêtes, costumes et réjouissances. C’est l’occasion pour les chrétiens de se rappeller avant quarante jours de pénitence que « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche d’un homme qui le rend impur. Mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui le rend impur. » (Matt 15, 16-17).

Ainsi, quand la langue française incite à flatter une dernière fois sa panse avec le Mardi Gras, celle de Shakespeare invite à se confesser juste avant le début du Carême avec le Shrove Tuesday (du verbe to shrive : confesser et absoudre). Alors, pourquoi ne pas aller se confesser pour bien finir Mardi Gras ?«  (Catholique.org).

A propos de la vidéo: « Du Death Metal à Jésus Christ »

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , on 8 juin 2012 by Darth Manu

Le Collectif Provocs Hellfest ça suffit a rappelé récemment  l’existence d’un témoignage, posté sur DailyMotion et Youtube, qui émane d’un ancien amateur de metal extrême, dont l’expérience largement atypique de cette musique semble avoir été l’occasion de grandes souffrances psychiques et spirituelles, et qui s’est par la suite converti au christianisme, ce qui lui a permis de trouver une forme de paix intérieure.

Il se trouve que je connais cette vidéo depuis l’été 2009, lorsque j’ai pris connaissance de la polémique autour du Hellfest. J’ai alors été profondément  troublé par la manière dont son titre  semblait monter en épingle un témoignage magnifique, mais isolé, pour stigmatiser une communauté toute entière. Cela n’a pas été pour rien dans ma décision l’année d’après de m’engager dans ce débat, et je lui ai consacré sur mon précédent blog, Aigreurs Administratives, le tout premier article que j’ai écrit sur le métal. Ce billet est intitulé: « Du metal à Jeus Christ au metal ( à Jésus Christ) » et a été publié le samedi 20 février 2010. Je le reproduis ci-dessous:

 » « Du death metal à Jésus Christ« : j’ai découvert ce témoignage en surfant sur Google l’été dernier, lorsque la polémique autour du Hellfest commençait à retomber. Il m’a laissé une impression très mitigée.

En tant que chrétien, je me réjouis évidemment de cette conversion, de la Grâce qui a été faite à ce jeune homme, qui a découvert l’amour que Dieu lui porte et qui y a puisé la force de renoncer à tout ce qui était source de souffrance pour lui et qui brouillait ses relations avec se proches, l’enfermait dans une forme de mensonge permanent à lui-même et à autrui. C’est un très beau témoignage, au travers duquel je perçois très nettement l’action de l’Esprit Saint.

Par contre, l’usage qui semble en être fait sur un certain nombre de sites cathos me trouble profondément. S’il est certain que la musique metal n’est nullement étrangère à plusieurs comportements nuisibles à ses émules (alcoolisme, scarifications, discours hostiles au christianisme) et à autrui (provocations gratuites, une poignée de faits divers largement médiatisés), c’est à mon sens de façon incidente et ne met pas en cause sa nature, ni sa finalité.

En sens contraire en effet on peut évoquer le témoignage de jeunes que l’écoute du metal a détournés de leurs pulsions auto-destructrices. Le père Robert Culat, dans son livre L’Age du metal (Editions du Camion Blanc, septembre 2007), en cite plusieurs:

« Le metal m’aide à purger mon agressivité.L’écoute du Death metal m’apaise ». (p. 187)

« Personnellement le metal me renforce, me régénère, il me permet de ne pas sombrer dans une dépression en voyant dans quel monde nous vivons ». (p. 188)

« Cette musique m’a servi d’exutoire à l’époque où j’avais besoin de défouler une violence contenue qui aurait pu déboucher sur des actes autrement rédhibitoires ». (p. 189)

Et si je puis me permettre d’apporter mon propre témoignage, je ne suis pas d’accord du tout non plus pour décrire le metal comme une musique par nature source de colère et de souffrance.

Il est vrai que lorsque j’ai commencé à écouter du metal (surtout du heavy et du black), je sortais de l’adolescence et me suis détourné de mon éducation chrétienne et de ma foi par des attitudes et des opinions néfastes et courantes chez certains métalleux. Il est tout aussi vrai que lorsque je suis retourné dans l’Eglise, j’ai arrêté d’écouter pendant plusieurs années des groupes de metal, et j’ai essayé de faire une croix sur cette période de ma vie.

Et j’en ai ressenti de la souffrance. J’avais l’impression de me couper d’une certaine forme de beauté dont l’expérience m’avait été donnée. Je n’arrivais pas à faire le lien entre ce que je concevais comme mon devoir de chrétien et le souvenir que je gardais de mes amis métalleux. J’avais l’impression d’être écartelé entre deux vérités dont j’avais été témoin, aussi incontournables l’une que l’autre et pourtant apparemment incompatibles.

J’ai recommencé à écouter du metal, en choisissant des groupes chrétiens pas trop méchants comme Stryper. Puis je suis passé au unblack metal, avec des groupes comme Antestor. J’ai découvert que des chrétiens essayaient de réconcilier leur passion du metal avec leur foi, comme les groupes de metal chrétien, comme le père Culat, comme les membres du groupe facebook « Je suis chrétien, j’écoute du metal et ce n’est pas contradictoire ».

J’essaie actuellement de faire oeuvre de discernement à la façon ignatienne, en prêtant attention à ce que le metal me fait, aux mouvements qu’il suscite dans mon coeur. Et malgré tout ce que certains peuvent dire sur l’incompatibilité apparente entre les ambiances nihilistes et désespérées propres au black metal et la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, je rejoins le témoignage cité plus haut qui mentionnait l’influence apaisante du death metal. En donnant une structure (si déstructurante soit-elle par rapport aux styles musicaux plus répandus) et un rythme (parfois à la limite du supportable mais évocateur et rempli de signifiants) à des angoisses et des fantasmes jusqu’alors non formulés, le metal extrême les exorcise et leur donne de la beauté, une source de significations potentiellement positives et créatrices d’espoir dans la vie et l’âme de l’amateur de black metal que je suis. Et si personnellement je ne suis pas musicien, cette beauté qui surgit dans leur vie, là où ils voyaient peut-être un peu trop de laideur, incite les amateurs de cette musique qui jouent d’un instrument à créer plutôt que détruire.

Je n’ai pas fini mon discernement, mais ce point où j’en suis me paraissait suffisamment important pour le partager avec vous.

Pour finir, je voudrais vous fournir une dernière piste de réflexion: l’aumônerie de ma paroisse, où je suis animateur, a organisé la projection du film D’une seule voix, qui montre la tournée en France d’un orchestre composé d’iraeliens juifs et arabes, et de palestiniens. On y trouve des musiciens de hip hop, style parfois aussi contesté que le metal. Tout le monde a trouvé ce film très beau, très proche du message de l’Evangile. Et bien le groupe israélien Orphaned Land, qui a certes développé une identité très singulière, mais qui est parti du death metal, ne cesse au fil de ses albums de chercher à promouvoir la paix entre chrétiens, juifs et musulmans, et revendique avec fierté son succès auprès des jeunes palestiniens.

Où est la différence? »

Hellfest, Holyfest… et pourquoi pas les deux?

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , on 6 juin 2012 by Darth Manu

Pas très motivé par la nullité de la plupart des actions récentes contre le Hellfest, je me suis concentré sur d’autres sujets dans mes derniers articles (la seconde partie de ma réflexion sur la catharsis devrait être publiée d’ici lundi prochain, soit dit en passant). C’est pourquoi je n’ai parlé ni de la pétition d’Avenir de la Culture, pompée à 99% sur d’autres sites et dont les arrières-pensées politiques paraissent si douteuses que même le Collectif Provocs Hellfest Ca Suffit a déconseillé de la signer, ni de l’action en justice de l’AGRIF et de l’article récent de l’Humanité (dont les cathos anti-Hellfest se sont moqués, notamment dans Nouvelles de France) qui ont en commun de faire un amalgame simpliste entre imagerie guerrière et apologie du nazisme.

Je reprends cependant aujourd’hui la plume à propos de cette polémique, suite à un échange ce matin sur Twitter avec le collectif Culture et Foi, qui a porté à mon attention un nouvel angle d’attaque des catholiques hostiles au Hellfest: opposer ce dernier au Holyfest, festival de musique chrétienne dont la première édition est prévue le 30 juin et le 1er juillet prochains à Arradon, dans le Morbihan. Par exemple:

 » Vous êtes « Holyfest » ou « Hellfest » ?
 Anne Kerjean , le 21 avril 2012 à 18:20 
Lu sur le site du Holyfest : 
HolyFest est un festival jeune de musique chrétienne ouvert à tous,
qui se déroulera du 30 juin au 1 juillet 2012. À l’initiative, un groupe
de jeunes du diocèse de Vannes qui, épaulés par leur évêque, a voulu
répondre à l’appel de Benoît XVI à l’évangélisation. Comme têtes d’affiches cette année, Glorious et LZ7 vont faire vibrer
le campus du Vincin, où se déroule l’événement ! En plus de ces deux
groupes, 2 artistes tenus secrets pour le moment complèteront la fête !
Et le côté spirituel ne sera pas mis de côté pour autant : rencontres,
débats, messe, adoration, etc. seront organisés pendant toute la durée
du festival. Des intervenants de qualité, des artistes qui déchirent, du
matériel de pro, une ambiance de dingue et même un DJ en live à minuit,
rien n’est mis de côté.

« Je ne suis pas fan, mais l’idée est bonne… » (a.k) » (Chrétienté-info)

 Côté défenseurs du Hellfest, certains se sont également emballés:

 » HolyFest, pour concurrencer le Hellfest… navrant….

Après Christine Boutin, après les messes en parallèle au Hellfest pour empêcher Satan de revenir sur Terre, voici le HolyFest !

T’es jeune ? t’es catho ? tu aimes le rock chrétien ? tu aimes faire des randonnées à genoux ? Saint Jacques est un objectif pour toi ? Alors le Holy Fest est pour toi !!! Et c’est dans le Morbihan…. “À l’initiative, un groupe de jeunes du diocèse de Vannes qui, épaulés par leur évêque, a voulu répondre à l’appel de Benoît XVI à l’évangélisation.” »(Nantes Secteur Ouest)

 Autant dire que cette façon de mettre en concurrence ces deux festivals m’ENERVE profondément. Voici pourquoi:

1) Le nom ne dit pas tout: 

Ce n’est pas parce qu’un festival s’appelle  « Hellfest » qu’il vise à choquer les chrétiens. D’une part, « Hell » a des connotations plus étendues, eet pour certaines plus neutres, que le seul Enfer chrétien. D’autre part, on peut y voir de manière beaucoup plus plausible un simple clin d’oeil potache à la réputation « sulfureuse » du rock puis du metal.

Et inversement, ce n’est pas parce que le nom « Holyfest » évoque le Hellfest que la visée des organisateurs est nécessairement de créer une réponse chrétienne à ce dernier. Au contraire, ils s’en défendent explicitement sur leur page facebook:

 » Julien Hl: un site anti hellfest (provocs hellfest, ça suffit pour le citer) fait la promo du holyfest. question : adhérez vous aux propos tenu par ce genre de site, ainsi qu’à leurs demandes de censures par pétition?
2 juin, 11:22 · J’aime

HolyFest: HolyFest n’est pas le porte parole d’une cause ou d’un mouvement, nous ne sommes pas un lobby ou un groupe de pression nous n’avons donc pas à prendre position. Notre seul souhait est de proposer un festival de musiques chrétiennes actuelles de qualité. Nous nous construisons en proposition et non en adhésion ou en opposition.
dimanche, à 19:04 · J’aime

Julien Hl: genre quelques soient ceux qui vous font de la pub faut pas cracher dans la soupe…… -_-‘
Hier, à 13:51 · J’aime

HolyFest: Le site Provocs HellFest a publié de son plein gré un article sur notre festival. Cela ne signifie en rien que le festival s’inscrit dans la lignée des critiques faites par ce site sur le HellFest. Aucun rapprochement, comparaison ou opposition ne doivent être effectués.
il y a 21 heures · » (page facebook du Holyfest).

 Sans doute les catholiques si prompts à la « riposte » seraient bien inspirés de vérifier leurs sources avec la même rigueur et la même honnêteté qu’ils demandent aux médias, dès lors qu’il s’agit de l’Eglise, et auraient pu par exemple tout simplement demander aux organisateurs du Holyfest de préciser leurs intentions, au lieu de les faire séance tenante les porte-étendarts d’une croisade qui n’est pas nécessairement la leur.

2) Comparer ce qui est comparable: 

Faire connaitre une initiative telle que le Holyfest, qui vise à réconcilier culture contemporaine et foi chrétienne, cela me parait excellent. Par contre, en profiter pour faire des comparaisons irréfléchies et partisanes ne peut selon moi que fausser l’image de ce festival auprès de l’un de ses coeurs de cibles: les jeunes qui aiment la musique, sont intéressés par le christianisme mais hésitent à faire le premier pas, et risquer de les e détourner:

– les finalités respectives du Hellfest et du Holyfest ne sont clairement pas les mêmes: le Holyfest a un objectif d’évangélisation, et n’invite que des groupes chrétiens. Le Hellfest se veut purement à visées musicales, et non seulement ne se limite pas aux groupes « christianophobes », mais invite également ceux qui pronent la tolérance et le dialogue avec les religions (Orphaned Land l’an dernier), mais également, et depuis plusieurs années, des groupes chrétiens, comme je le montrais dans un article précédent.

– Leur rayonnement culturel est sans rapport: le Holyfest accueille trois groupes, le Hellfest trois fois cinquante groupes. Le premier invite des groupes respectables, qui arrivent à créer une bonne ambiance delouange et de prière lors des rassemblements chrétiens du genre FRAT ou JMJ, comme Glorious. Le second accueille des groupes qui ont tourné des pages essentielles de l’histoire du rock et de ses dérivés, ainsi Ozzy osbourne, Lynyrd Skynyrd, Judas Priest, Scorpions, Slayer, … J’aime bien Glorious, j’ai assisté récemment à un de ses concerts à Cergy avec mon groupe d’aumônerie, dont j’ai gardé un bon souvenir. Maisen terme de virtusosité technique et d’innovation musicale, il semble très en dessous de beaucoup de groupes conviés au Hellfest. Opposer le Holyfest au Hellfest ne peut qu’être défavorable au premier, ne serait-ce que du fait de la différence de moyens et de niveau musical, et donner l’impression que pour les catholiques, la musique n’est que le prétexte à une forme d’entrisme idéologique et n’est jugée que sur ses seuls paroles, sans recherche de profondeur musicale ou de créativité artistique. Faire de l’art un prétexte, ce n’est pas le but du Holyfest, mais l’utilisation polémique qui en est faite par certains lui en donne l’apparence, et sape ses efforts d’évangélisation…

-Les registres musicaux ne sont pas les mêmes: si le Holyfest était un festival de metal chrétien, on pourrait encore discuter, mais il se focalise surtout pour l’instant sur la pop- louange, qui n’a pas grand chose à voir musicalement avec le metal. Opposer le Holyfest au Hellfest, c’est donner l’impression qu’une sensibilité religieuse chrétienne, tournée vers des musiques plus sucrées, s’opposerait à une sensibilité musicale plus virile, intrinsèquement anti chrétienne, ce qui est une caricature et du débat autour du Hellfest, et du christianisme, dont la plupart des anti-hellfest se sont toujours défendus, et qui ne peut qu’aller contre une perception plus favorable de notre foi dans la culture contemporaine.

3) Ne pas privilégier les oppositions artificielles au détriment des passerelles:

Cette opposition théorique entre les deux festivals semble présupposer que l’on doit choisir entre les deux. Mais plusieurs métalleux qui participent au Hellfest se sont montrés très tôt intéressés par le Holyfest, comme la page facebook de ce dernier en témoigne:

 » Julien H: moi je vais au hellfest, et j’ai envie de vous dire bravo! enfin une forme de contestation intelligente! au lieu de critiquer bêtement vous faites votre propre festival avec votre musique, très bien ça ^_^ on va finir par s’entendre 😉
2 février, 12:18 · J’aime · 15

Lou Tou: Moi j’aimerai faire les 2 HellFest et HolyFest !!!! On peut être catho et metalleux !!!
6 février, 15:49 · J’aime · 4

Julien H: bon après selon la tenue pour le hellfest (on a parfois du très très lourd) éviter de mettre la même pour le holyfest….. ou alors le holyfest avec un t-shirt hellfest et inversement…juste pour le fun :p
6 février, 20:47 · J’aime · 2

Maxime P: Exactement on peut être catho et métalleux (je le suis mêm si je suis plus hard rock style guns n’ roses) Et il ne faut pas faire l’amalgame des contestations de certains intégristes avec l’Eglise !!
6 février, 22:57 · J’aime · 1

Lou T: Pour ceux que sa interesse j’ai fondé un groupe facebook sur le metal chrétien (ouvert à tous chrétien ou non) https://www.facebook.com/groups/112597992121331/
Vive le métal chrétien!!!!!
Parce que le métal chrétien est une exellente manière pour les chrétiens amateur…
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7 février, 12:40 · J’aime · 2

Émeline L: trop envie d’y aller!!!
8 février, 18:54 · J’aime · 1

Kévin K: Je trouve complètement idiot de considérer ce genre de festival comme étant une sorte de réponse au Hellfest. D’après ce que j’ai pu voir, le Holyfest affiche clairement sa volonté de proposer des groupes/artistes à vocation Chrétienne (mêm…
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10 février, 18:01 · J’aime

HolyFest: Notre festival ne s’oppose à rien ni personne : nous proposons juste notre musique !
11 février, 10:28 · J’aime · 1 » (page facebook du Holyfest).

 Le Holyfest est une passerelle possible avec la musique populaire. L’opposer d’emblée à l’un des festivals les plus importants de celle-ci, c’est en faire un repoussoir pour ceux-là mêmes qu’il souhaite amener à porter un regard plus favorable sur le christianisme.

 Surtout, il est remarquable de constater l’évolution comparée des métalleux envers le christianisme, et des catholiques envers le metal. Il fut un temps où les groupes de metal chrétiens étaient ostracisés sur certaines scènes metal: en témoignent par exemple les déboires d’Antestor avec le label Cacophonous Records, ou encore l’annulation par Enslaved, plus récemment, d’un concert prévu avec le groupe Slechtvalk sous la pression de certains fans. Et pourtant, ils sont de nos jours de mieux en mieux acceptés et intégrés au sein du metal mainstream. Certains sont invités au Hellfest… Et rien que pour cette année, il me vient spontanément en tête plusieurs chroniques très positives d’albums de groupes ouvertement chrétiens sur des sites importants de metal mainstream: ainsi concernant Betraying The Martyrs (deathcore), Theocracy (power metal) ou encore A Hill To Die Upon (death/black metal).

Alors que comme en témoignent cette polémique, et les nombreuses initiatives lancées cette année contre le Hellfest, de nombreux catholiques choissement la crispation et la confrontation plutôt que de profiter de ces ouvertures, et préfèrent concevoir la culture comme un champ de bataille plutôt que comme le lieu d’un dialogue, à rebours de cette belle initiative que le Holyfest demeure, se définir en opposition à une culture non chrétienne plutôt qu’en proposition d’une culture chrétienne…

Il ne fait pas de doute que face à la déchristianisation de notre société, il est primordial de dialoguer avec nos contemporains et de les informer, afin qu’ils aient une vision plus  exacte et juste du christianisme et de l’Eglise. Il ressort pourtant de ce billet, et notamment du fait que beaucoup de metalleux semble de mieux en mieux disposés envers le christianisme qu’il y a quelques années, en sens inverse notre propre évolution par rapport à la culure contemporaine,  qu’en nous mettant à leur écoute, nous avons égelement beaucoup à gagner en terme d’enseignements et de remises en questions.

En attendant, je souhaite une édition plein de succès, et sans incidents, aussi bien au Hellfest (où je serai présent sur toute sa durée dans une dizaine de jours) qu’au Holyfest (auquel je ne pourrai malheureusement pas assister cette année)!!! 🙂

Y a-t-il un scandale du Hellfest? (cc @abbegrosjean )

Posted in Hellfest with tags , , , , , on 12 avril 2012 by Darth Manu

 

Pas très fier d’avoir publié un billet au ton polémique un Mercredi des Cendres, j’avais décidé de faire Carême de billets sur le Hellfest. Nous sommes désormais dans le temps de Pâques, et bien que celui-ci se prête encore moins dans son esprit aux joutes internautes enflammées, deux points d’actualité m’obligent à revenir sur ce débat:

1) Les billets du Collectif pour un Festival Respectueux de Tous sur le groupe de black metal Taake, invité cette année au Hellfest, bien que le chanteur ait suscité récemment la polémique en Norvège par des propos insultants pour l’Islam, et ait pour habitude d’arborer en concert une croix gammée sur la poitrine.

2) Une intervention de l’Abbé Grosjean sur Europe 1 (et les échanges subséquents que j’ai eu avec lui sur le sujet sur Twitter) où il donne une large diffusion aux positions qu’il partage avec le Collectif.

J’ai décidé de faire de ce billet une synthèse de mes réponses aux arguments des catholiques critiques envers le Hellfest.

Pour éviter tout malentendu je tiens à préciser que bien que je ne connaisse pas vraiment personnellement l’Abbé Grosjean (bien que nous sommes croisés à l’occasion, aux dernières JMJ et dans un rassemblement de blogueurs cathos), je suis paroissien du diocèse où il est prêtre, et qu’à ce titre, j’ai probablement un certain nombre d’amis en commun avec lui, et que je lui suis très reconnaissant du dévouement avec lequel il exerce son ministère, d’après les échos que j’en ai entendu. J’ai également apprécié l’honne^teté et le courage dont il a fait preuve lors de la polémique sur la pièce de Castellucci cet automne. Tout ça pour dire que nos différences d’opinions sur le Hellfest ne lui valent aucune hostilité personnelle de ma part, et qu’il n’est pas non plus un « intégriste », ni un « menteur », contrairement à ce que j’ai pu lire à l’occasion en certains endroits.

Pour faire bonne mesure, j’ajoute que si je suis souvent dur avec le Collectif dans mes billets, et que je comprenne qu’ils en retirent un certain agacement, pour ne pas dire un agacement certain, je ne les considère pas comme des « extrémistes » et que j’observe des différences importantes, notemment dans la forme plus modérée, avec celles menées en parallèle par Civitas (qui les a d’ailleurs magistralement zappé sur la question l’an dernier). Ce qui ne retire rien au fait que je regrette profondément leurs a priori et le fait que leur méthode d’analyse du Hellfest et du metal contribue généralement par ses lacunes (amalgames, citations wikipedia détournées, incohérences…) à donner à leurs lecteurs les moins informés une vision extrêmement déformée des deux.

1) Le Hellfest: un festival anti chrétien?

a) christiancore et black metal

Comme je le signale dans mon billet sur la présence de groupes chrétiens à l’affiche du Hellfest 2012, pour moi, les critères de programmation du Hellfest ne sont ni religieux ni idéologiques, mais artistiques: le Hellfest invite les groupes qui montent ou qui font parler d’eux, dans les registres musicaux de sa compétence. J’en veux pour preuve, la présence, au côté de groupes aux thématiques satanistes ou néo-païennes, actuellement majoritaires dans le sous-registre du black metal, celles de groupes explicitement chrétiens dans celui du metalcore (August burns red, Betraying the martyrs), dont la composante chrétienne est de plus en plus populaire aux Etats Unis notemment.

Contrairement à l’interprétation proposée par un membre du Collectif dans une interview accordée à Paris-Match, il semble douteux que ces groupes soient invités pour servir d’alibi: plusieurs d’entre eux étaient déjà programmés en 2009 avant le retrait de Coca-Cola des sponsors et le début « sérieux » de la polémique.

Le vrai débat ne porte donc pas tant à mon avis sur le Hellfest en lui-même, qui se contente d’inviter les groupes qui « marchent », et qui est un festival de metal parmi beaucoup d’autres (sonisphère, Wacken, Copenhell…)que sur la prégnance de certaines thématiques d’allure anti chrétienne dans certains styles (le black metal, et dans une moindre mesure, le death metal, en particulier…). Le Père Grosjean, dans un billet ancien, rappelait qu’il ne s’agissait pas de polémiquer sur le metal mais de faire respecter la loi par un festival bien précis. Je pense au contraire qu’il est plus légitime de discuter les inspirations et les formes d’expression du metal dans son ensemble que de se focaliser sur un festival: sinon cela revient à traiter les symptômes et non les causes.

b) connotation et dénotation: ne pas niveller le sens

Encore convient-il de se doter d’une grille d’analyse opératoire. Comme je l’expliquais dans un précédent billet, se contenter de citer des textes de groupes présents au festival qui relèvent des champs sémantiques et lexicaux de la violence, du satanisme, du paganisme, de l’occultisme, e l’anti-christianisme, ne permet pas de cerner le message réel des auteurs, qui est conditionné par beaucoup de paramètres.

Ainsi je rappelais que le sens dénotatif explicite du texte, aussi noir, révolté et morbide qu’il puisse apparaitre au néophyte, est susceptible d’être altéré par toutes sortes de connotations, qui peuvent résider dans les figures de style contenues dans les paroles, dans la mise en scène, dans la musicalité, dans l’expression même qui se lit sur le visage des musiciens lorsqu’ils jouent sur scène, dans le contexte de la représentation et ce que les auditeurs viennent y chercher. Et je citais l’exemple de Pneumatis, considérablement moins choqué l’an dernier par la prestation de Dark Tranquillity que par celle de Therion, bien qu’il y ait assisté juste après, et malgré une musique beaucoup plus violente (death mélodique vs opéra metal) et une mise en scène plus explicitement morbide.

Restituer l’esprit véritable des groupes invités au Hellfest, et celui de ce festival, demande donc un travail de précision qui suppose de ne pas plaquer une grille de lecture préétablie sur les phénomènes observés et de  prendre le temps de fréquenter la musique elle-même, sur CD et en concerts. Un travail que le Collectif, malgré l’authentique bonne volonté de ses membres, et une débauche de copier-coller qui peut impressionner le lecteur mal informé, ne fait pas jusqu’ici (à part l’article d’Etienneweb sur GNR qui est tout à fait intéressant). Quelques exemples: une citation non sourcée de l’article wikipedia sur Blue Oyster Cult, détournée de son sens initial pour faire passer une filiation musicale pour une filiation idéologique, un article délirant qui vise à démontrer les liens supposés entre metal et Nouvelle Droite sur le « fondement » du choix de pseudonyme d’un musicien (et cela  après avoir présenté le Hellfest dans un article précédent comme « la vitrine culturelle de l’esprit de gauche »: merci la cohérence!), leur présentation d’une collaboration ponctuelle entre Eminem et Marylin Manson comme la preuve d’une « connexion avec le rap »: apparemment quelque chose de très mal pour eux. Pourquoi? Mystère (le Collectif: arrière base des vrais « True Metalleux »? 😉 )…

c) art et morale: un critère de discernement insuffisant

Mais voilà que l’Abbé Grosjean m’oppose sur Twitter une objection assez forte en apparence:

 » certain que #Hellfest pourrait se tenir sans inviter ce genre de chanteur avec croix gammée par ex : 1.bp.blogspot.com/-JGwjoqyJ22Q/T… @Darth_Manu« 

Ca s’est sûr, de même que la littérature française du 20ème siècle aurait sûrement subsisté si Céline n’avait pas écrit Bagatelle pour un massacre et si Brasillach n’avait pas collaboré avec le régime nazi. Que Carl Schmitt n’avait pas besoin de soutenir le régime nazi pour être un philosophe politique de premier plan. Que les peintures du Caravage n’auraient pas moins embelli les églises italiennes s’il n’avait tué personne ni été mêlé à toutes sortes d’affaires criminelles.

Car devinez quoi? S’il est certain que l’importance d’une oeuvre d’art ne doit pas rendre aveugle sur les exactions éventuelles de son auteur, ces dernières n’annulent pas non plus cette importance. J’ai été horrifié  d’apprendre le comportement personnel de Roman Polanski, et écoeuré de l’indulgence de la justice suisse à son égard. Cela n’enlève rien à mon respect pour ses talents de réalisateur et son importance dans l’histoire du cinéma, et je n’exercerai pas de pression pour entraver le financement de ses films ou leur représentation.

On m’objectera qu’il ne prône pas la pédophilie dans ses films. Cela ne vaut pas pour certains des auteurs que je viens de citer, qui exposent clairement leurs convictions antisémites dans leurs oeuvres, et dont les plus ardents défenseurs se trouvent souvent au premier rang de ceux qui jouent les vierges effarouchées face au Hellfest.

Tout ça pour dire que les musiciens de Taake semblent être une belle brochette d’abrutis, mais que leur contribution  musicale au black metal est tout à fait excellente, et mérite d’être reconnue par les festivals en pointe dans le genre. De même que personnellement, je fais le choix d’écouter du black metal chrétien, mais que jamais je ne dirais que Sanctifica ou Elgibbor supplantent Mayhem ou Darkthrone ou Emperor, et que je ferai mémoire du talent de ces groupes sans qui le BM n’aurait pas existé, quand bien même je désapprouve leur discours et leur comportement.

Cette reconnaissance du talent musical malgré un comportement personnel et des textes condamnables, j’y vois un précédent dans l’Eglise, avec ce communiqué du Vatican:

 “À l’occasion du 40è anniversaire de la dissolution des Beatles, le Vatican a rendu hommage samedi aux quatre garçons dans le vent dans son hebdomadaire l’Osservatore Romano. Dans un article, le Vatican déclare qu’il pardonne aux Beatles pour leurs commentaires « sataniques » et notamment ceux de John Lennon qui déclarait en 1966 que son groupe était plus populaire que Jésus Christ. Le Vatican a également déclaré que les Beatles était « un joyau » de la musique. « Il est vrai que le groupe consommait de la drogue, qu’ils vivaient dans l’excès à cause de leur succès. Ils ont même dit qu’ils étaient plus connus que Jésus Christ et on fait passer d’autres messages mystérieux à connotation satanique. Ils n’ont peut-être pas été le meilleur exemple qui puisse être pour la jeunesse de l’époque, mais ils n’étaient pas les pires. Leurs belles mélodies ont changé le monde de la musique et continue encore aujourd’hui à donner du plaisir », écrit l’Église Catholique. John Lennon avait également déclaré lors de cette fameuse interview que la chrétienté finirait par disparaître. « Elle va s’éteindre et sombrer. Je n’ai même pas besoin de le prouver…Je ne sais pas qui du rock and roll ou de la chrétienté des disparaîtra le premier » avait-il affirmé, choquant le Vatican. Une page est donc tournée aujourd’hui et l’Eglise Catholique semble définitivement réconciliée avec les Beatles. Interviewé sur la chaîne américaine CNN, l’ancien batteur du groupe, Ringo Starr, qui vient de sortir un nouvel album intitulé « Y Not », a déclaré mardi qu’il se fichait du pardon du Vatican. « Ils ont déclaré à l’époque que nous étions sataniques et ils ont quand même réussi à nous pardonner ? Je pense qu’ils ont mieux à faire que de parler des Beatles », a-t-il expliqué” (Le Parisien).

Si l’Eglise estime que la contribution musicale des Beatles peut suffir à contre-balancer leur « satanisme », pour quoi ne pourrait-elle pas mener la même réflexion pour les groupes de black metal? Ou alors, c’est que le BM en tant que musique emballe peut-être moins les catholiques que les Beatles. Et on n’est plus dans une controverse idéologique mais dans une discussion sur les goûts musicaux des uns et des autres. Autant l’assumer une bonne fois pour toutes…

2)  Le Hellfest: un festival qui fait deux poids deux mesures?

a) Anal Cunt et Satanic Warmaster

L’un des arguments favoris du Collectif est de soutenir que l’orga du Hellfest fait preuve d’hypocrisie, puisqu’elle refuse de déprogrammer les groupes anti-chrétiens, mais qu’elle a déprogrammé l’an dernier deux groupes d’allure antisémites l’an dernier: Satanic Warmaster et Anal Cunt, ce qui tendrait en outre à montrer qu’il existe une discrimination sélective envers les chrétiens, dont les outrages qu’ils subissent de la part de certains groupes seraient présentés comme du « folklore », alors que les groupes qui s’attaquent à d’autres religions seraient sanctionnés immédiatement.

L’examen des faits me parait contredire cette analyse. Si nous en reprenons l’historique en effet, on observe quà partir d’un reproche apparemment similaire: le soupçon d’antisémitisme, les réactions du festival  et des festivaliers  ont été bien différentes. Satanic Warmaster, groupe de black metal réputé proche de la mouvance NSBM (National Socialist Black Metal) a été déprogrammé sous la pression de certains groupes invités et festivaliers. Ce qui a entrainé l’irritation de certains et un certain nombre de débats entre metalleux, mais sans levée de boucliers globale. Pour ce qui est d’Anal Cunt, il s’agit d’un groupe de grindcore qui n’est pas politisé, mais qui est adepte d’une espèce d’humour provocant de mauvais gout, comme son nom en témoigne. Certaines de ses chansons qui semblent ironiser sur ce qui peut parfois apparaitre à certains comme des outrances de l’anti nazisme, en en prenant le contre-pied ironique (ainsi « Hitler was a sensitive man ») ont été pointées par un catholique engagé contre le Hellfest (Les Yeux Ouverts) à une association d’anciens résistants et déportés. Celle-ci a en retour contacté la mairie de Clisson, qui a fait pression sur la direction du festival pour qu’Anal Cunt soit déprogrammé. Cette décision a suscité une très grande colère des métalleux. Même Radio Metal, partisan du dialogue avec les catholiques et qui a pris plusieurs fois parti contre l’abus des thématiques anti chrétiennes dans les paroles de certains groupes, l’a condamnée. Personnellement, après un temps d’indécision, je me suis également prononcé contre, pour des raisons que j’ai exposées dans un billet précédent.

Comment s’explique cette différence de réaction des festivaliers? Satanic Warmaster semble lié à des activistes politiques d’extrême-droite, et pouvoir potentiellement joindre le geste à la parole. Anal Cunt n’est violent que verbalement. Cen’est donc pas le fait qu’on semble s’attaquer à des juifs plutôt qu’à des chrétiens qui a rendu plus facile à avaler la suppression de Satanic Warmaster, mais le soupçon d’activisme politique. Les groupes qui attaquent le christianisme dans leurs paroles et qui sont invités au Hellfest, s’il est vrai que certains ont été condamnés dans leur jeunesse en Norvège pour des faits graves (mais en sont manifestement revenus depuis) ne sont pas des activistes politiques, juste des musiciens. Il est donc normal que les réactions suscitées par leur programmation soient moins vives que celles entrainées par la présence de groupes de NSBM, et il est faux de dire qu’il y a eu cette année là « deux poids deux mesures » de la part des organisateurs.

b) Taake

Le Collectif fonctionne complètement sur l’idée (au demeurant bien naïve et communautariste) que les chrétiens font lo’bjet d’une discrimination spécifique, et que les agressions contre d’autres groupes sont beaucoup moins bien tolérés. C’était donc dans sa logique de souligner la présence en 2012 au Hellfest d’un groupe qui a  suscité récemment la polémique en Norvège lors d’une manifestation culturelle de grande envergure (dont les organisateurs ont soit dit en passant tenu bon dans leur refus de le déprogrammer) en raison de certaines de ses paroles à connotation « islamophobe ». Dans l’espoir que pour un groupe hostile à l’islam, les réactions seraient beaucoup plus vives que pour des groupes anti-chrétiens.

Le manque de réactions de la communauté métalleuse (même si certains râlent un peu ça et là sur les forums), par opposition aux réactions contre Satanic Warmaster, démontre à mon avis le contraire. Là encore, il n’y a pas de discrimination en fonction du contenu des paroles, mais une attention portée à la présence ou non d’un activisme poltique réel derrière. Ce qui n’est pas le cas de Taake, à ma connaissance.

L’effet pervers de ces discours de catholiques hostiles au Hellfest, c’est qu’à force de se plaindre  que les chrétiens soient la cible privilégiées des textes de metal, ils finissent par donner de mauvaises idées à de mauvaises personnes. C’est-à-dire qu’au lieu de persuader les éléments les plus provocateurs du metal de traiter le christianisme comme les autres religions, ils vont au contraire les inciter à traiter les autres religions comme le christianisme, comme je le montrais récemment dans mon billet Metal et Islam, où je condamnais les propos tenus par Taake.

c) L’indignation sélective des catholiques mobilisés contre le Hellfest

Ce qui m’amuse dans cette polémique, c’est l’importance soudaine que revêtent les critiques contre l’Islam aux yeuxde certaines personnes;

Par exemple, quand je jette un coup d’oeil sur la blogroll du blog Les Yeux Ouverts, tenu par un des membres du Collectif, je remarque au hasard:  Nephtar et Nephtali, qui appelle de ses voeux l’interdiction de l’Islam, le Salon Beige, qui tente de faire porter sur l’Islam dans son ensemble la responsabilité des drames de Toulouse et Montauban, et, « last but not least« , une rubrique Islam qui mentionne deux sites: Islam clair et net, qui estime que « l’Islam se croit investi de la mission divine de conquérir le monde entier par tous les moyens », et La petite feuille verte, qui le réduit au djihadisme. E-Deo, qui soutient l’action du Collectif au point de faire figurer sur son site une bannière permanente avec un lien qui renvoie vers lui, a diffusé récemment, entre autres très nombreux exemples, une tribune intitulée: « L’Islam est le fascisme du XXIème siècle ».

Chaque fois que j’ai pu critiquer l’extremisme de ces sites, des interlocuteurs catholiques (dont un membre du Collectif) ne se sont pas privés de critiquer mon « manque de charité »  et de souci de « l’unité de l’Eglise ». Je reçois ces critiques et les prends en compte: la charité et l’unité de l’Eglise sont au coeur de ma foi. De même, je respecte leur liberté d’opinion et d’expression, et je ne cherche pas à faire pression sur leur hébergeur pour les faire censurer. Tout comme j’ai essayé de recevoir avec humilité le billet de l’abbé Grosjean en septembre dernier où il nous appelait à nous réjouir de la possible réintégration dans l’Eglise de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X, qui est pourtant à Taake, en matière de relations effectives avec l’extrême-droite et les milieux « islamophobes », ce que la vodka frappée est à la grenadine.

En ces périodes d’élections, il ne se passe pas un jour sans que le catholique que je suis ne soit appelé par une personnalité influente dans l’Eglise à « discerner » mon engagement dans la Cité et à agir en « cohérence ». C’est pourquoi je « discerne » sur le Hellfest à partir de ma connaissance conjointe des milieux catholiques et métalleux, et, en « cohérence » avec ce que certains m’appellent à tolérer tous les jours de mla part de catholiques, je tiens à vous dire, mes chers Frères et Soeurs dans le Christ, que les provocations de mauvais goût de Taake, si je les condamne sur le principe, ne me font ni chaud ni froid, car elles ne sont précisément que ça, des provocations, sans activisme politique réel derrière. Je ne pourrais en dire autant de la plupart des noms que je viens de citer.

3) Le Hellfest: un mauvais usage des deniers publics?

a) Etre cohérent dans la dénonciation: la culture complètement subventionnée ou pas du tout

L’Abbé Grosjean m’a donné sur Twitter un autre argument:

 » @Darth_Manu j’ai demandé simplement qu’on fasse un effort sur la programmation ! Pour éviter ce qui relève de l’offense subventionnée !« 

 Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans un billet publié à l’occasion de la polémique autour du Golgota Picnic, je suis sur le principe contre la restrictions des subventions publiques à des oeuvres d’art en raison de leur contenu. Je comprends qu’on puisse être contre le principe d’une culture subventionnée: mais pour moi, soit on subventionne toutes les oeuvres, soit on n’en suventionne aucune: et je ne me souviens pas que les catholiques aient crâché sur le subventionnement public des « hommes et des dieux », sans lesquels ce film n’aurait probablement pas vu le jour.

Alors on me dit que l’insulte ne saurait profiter des deniers publics. Mais en matière d’art, qui décide de ce qui relève ou non de l’insulte? Les Chants de Maldoror ont des pages tout aussi trash que la plupart des textes de groupes présents au Hellfest, et il s’agit pourtant d’un chef d’oeuvre reconnu de la littérature française. Doit-on interdire son enseignement dans les établissements publics? Et n’y a-t-il pas un dangereux précédent, à demander que l’autorité publique s’immisce dans le jugement d’une oeuvre d’art? Une association féministe ou de défense des droits des homosexuels pourrait estimer que telle ou telle oeuvre catholique offense des onvictions et des droits reconnus par beaucoup, et obtenir le retriat des financements sur cette base. Et voilà comment on nourri le politiquement correct.

Franchement, dans le cas du Hellfest, le remède proposé par l’Abbé Grosjean semble pire que le mal. 

 b) les retombées économiques du Hellfest vs son cout

Un autre des chevaux de bataille favoris du Collectif: le coût du Hellfest pour les collectivités territoriales. 

Mais le Collectif ne se borne qu’à énumérer les subventions des collectivités et autres aides financières (emplois aidés) sans mettre en regard l’étude détaillé de l’apport du festival, en terme de notoriété internationale, de tourisme, et de retombées économiques pour le commerce local (et quand il le fait, c’est, de manière bien peu cohérente, pour dénoncer « le règne du fric »).

Il chipote également sur le nombre de personnes effectivement présentes au festival chaque année, de manière bien chicanière, puisqu’il est certain que le festival écoule chaque année l’ensemble des entrées, et chaque année un peu plus tôt.

En fait, il existe un organisme dont c’est le travail d’évaluer les conséquences du Hellfest sur la gestion des deniers publics, et c’est la Chambre Régionale des Comptes de Loire-Atlantique. Elle le fera tôt ou tard, comme pour tout organisme bénéficiant de la générosité publique, et on aura alors des éléments tangibles et vérifiés sur lesquels discuter. En attendant tout ce que j’ai pu lire sur le sujet de la part du Collectif n’est à mes yeux que spéculations peu convaincantes et partisanes. 

c)déficit de communication, déficit d’évangélisation?

Au final, on peut aussi se demander ce que coûte à l’Eglise l’action du Collectif. Comme on le voit régulièrement sur divers forums et blogs depuis 2008, les pressions d’associations chrétiennes attisent la rancoeur de nombreux metalleux contre les chrétiens. J’ai même trouvé un article d’un journal égyptien, pourtant bien placé pour savoir ce qu’est une persécution religieuse véritable, qui a directement comparé l’action des catholiques opposés au Hellfest avec les persécutions des islamistes au PMO. 

A contrario, le livre du Père Culat, L’Age du Metal, qui présente le bilan d’un dialogue qui s’étend sur de nombreuses années avec le milieu u metal, a rencontré un énorme succès, et a fortement adouci le regard de beaucoup de metalleux sur l’Eglise catholique et le christianisme en général. Mon propre travail, lui-même bien accuilli pour l’instant, alors que le black metal chrétien n’a pendant très longtemps rencontré qu’hilarité et hostilité ouverte, en bénéficie.

Un témoignage lu dans les commentaires de mon blog, qui devrait inciter à mon avis les catholiques qui appuient l’action du Collectif à comprendre que celle-ci est contre-productive, et que d’autres voies permettent de manière beaucoup plus efficaces de combattre l’antichristianisme parfois présent dans le metal:

 » J’ai voulu me faire débaptiser il y a quelques années quand ce collectif ordurier est apparu, pensant bêtement que c’était représentatif des catholiques en général. Je n’en ai plus envie depuis que je connais ce blog, toi et le père Culat. J’ai même remis ma médaille ahah ^^ C’est symbolique mais c’est un signe je pense que certains sont dans l’erreur depuis le début et s’enterrent bien profond » (Larsen).

 Le vrai scandale

Les plus perspicaces d’entre vous l’auront peut-être deviné, ma réponse à la question que je pose en titre de ce billet est… OUI, il y a bien un scandale du Hellfest!!!

En fait, il y en a même plusieurs. En voici trois, par ordre croissant d’importance:

– Le scandale de ma foi blessée: 

L’article que Pèlerin-Info m’a consacré la semaine dernière, dans le cadre du Prix du blog catho 2012, décrit bien à quel point la polémique du Hellfest m’a atteint dans mon unité de chrétien et de métalleux, quand j’en ai rpis connaissance en 2009. Ce que je n’ai pas dit au journaliste qui m’a interviewé, par contre, c’est que pendant une période assez longue (plusieurs mois) j’ai perdu mes habitudes de fréquentation du Sacrement de Réconciliation.  Pourquoi? Parce que cette polémique, par la caricature qu’elle donnait d’un monde que je connais bien, et ses procès d’intention abusifs, a déçu temporairement ma confiance dans l’Eglise, quoique pas dans les paroissiens et les prêtres que je connaissaient, tous très dévoués. Toute la première moitié de l’année 2009, j’ai souffert de voir l’Eglise caricaturée par les médias, à propos de l’affaire de Recife, de la levée de l’excommunication des évèques de la FSSPX, des propos du pape sur le préservatif, des scandales de pédophilie… Et à l’entrée de la seconde moitiée de cette année 2009, j’ai vu de nombreux représentants de cette Eglise avoir exactement la même attitude avec ceux qu’ils n’arrivaient pas à comprendre. Comment continuer à écouter tous ces beaux discours sur la beauté d’aimer son prochain, de se laisser déplacer, si c’est pour voir que quand l’autre est vraiment autre, les catholiques ne réagissent pas mieux que tout le monde? Travailler à établir des ponts et un dialogue entre catholiques et métalleux m’a aidé à reconstruire cette confiance perdue en l’Eglise.

– Le scandale du refus du dialogue:

Que des catholiques soient blessés et scandalisés par les textes et les propos de certains groupes, je le comprends tout à fait. Ce que je conçois moins, c’est l’attitude qu’ont eu de nombreux catholiques envers ceux qui essayaient de discuter et d’apaiser la situation. Le Père Culat s’est fait insulter sur plusieurs sites, certains hors de la communion de l’Eglise, mais d’autres non. Le Père Pierre Binsinger, également prêtre et métalleux, et invité par Famille Chrétienne à témoigner en faveur du Hellfest en 2010, a lui aussi eu sa part de procès d’intention et d’outrages dans les commentaires, et tout ça au nom du respect.  Ma lectrice « Marie/Marie du Hellfest » a participé pendant plusieurs années à une discussion sur le forum La Cité Catholique, où elle est venu proposer une démarche de dialogue, pleine d’humilité et de désir de vérité. Si les administrateurs et plusieurs membres l’ont très bien accueillie, d’autres ont multiplié les insinuations, les remarques arrogantes et les procès d’intention à son égard. Et pour tant le dialogue n’a rien d’impossible. Quand j’étais au JMJ, une personne de mon groupe s’est félicité devant moi des initiatives contre le Hellfest. Il connaissait ma position, mais il ne semblait pas se douter qu’un autre jeune du groupe, avec qui il semblait avoir de bonnes relations, était un métalleux qui se rend au Hellfest chaque fois qu’il peut se permettre. Et beaucoup de jeunes catholiques, en aumônerie, aux JMJ, sont de fervent metalleux couumiers des concerts et des festivals comme le Hellfest. Comme quoi l’esprit du Hellfest n’est pas si négatif, puisque de nombreux chrétiens animés d’une vraie foi et d’un vrai dévouement contribuent à sa nature et son essence.

– Le scandale du repli:

Ce que je vais dire là ne vise pas l’Abbé Grosjean (pas plus que le précédent paragraphe, qui décrit des abus dont il a lui-même souffert cet automne), ni même le Collectif. Mais je pense qu’il y a des catholiques qui jouent les indignés mais qu’au fond l’existence du Hellfest arrange secrètement, et qui seraint bien déçus s’il venait à disparaitre. Un festival sataniste qui a pignon sur rue, c’est bien pratique. D’une part, si l’oeuvre du Diable est si outrancièrement manifeste, n’est-ce pas finalement rassurant, comme une preuve indirecte de l’existence de Dieu? D’autre part, cela tend à prouver l’existence d’un complot contre les chrétiens et l’Eglise, une « christianophobie » active et « révolutionnaire », qui dispense de chercher des causes plus profondes à la déchristianisation (et potentiellement plus porteuses pour nous de remises en question) et justifie des phénomènes de repli, voire de communautarisme. Et pourtant, le Hellfest, j’y étais l’an dernier, j’y serai à nouveau cette année, et je témoigne que c’est un festival de musique et pas grand chose d’autre. Et toute cette polémque est à mes yeux une farce.

Les textes chantés au Hellfest: comment comprendre l’expression: « les mots ont un sens »?

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 22 février 2012 by Darth Manu

J’évoquais dans mon billet précédent la propension des anti hellfest à tout ramener au sens littéral des paroles des groupes de métal qui développent un imaginaire satanique et/ou occulte et /ou fantastique, pour verrouiller tout débat avec des défenseurs du festival.

« Les mots ont un sens », disent-ils. Ce n’est pas faux, et ils en ont même plusieurs. Mais en quel sens prendre cette proposition justement, et comment dévoiler la signification véritable des paroles des groupes de metal? Faut-il s’en tenir au sens littéral, au risque de niveller les intentions et le discours réel de chaque artiste, ou remettre en contexte et dégager plusieurs niveaux de sens, et plusieurs types d’usages de ce que Nicolas Walzer a appelé l »imaginaire satanique » dans son livre Satan profane?

Tout le monde a entendu parler du sens commun et du sens figuré. Ce ne sont pas les seuls. On pourrait citer également le sens dénotatif et le sens connotatif:

« En linguistique, le sens ou signifié dénotatif, la dénotation, s’oppose au sens ou signifié connotatif, la connotation.

  • La dénotation désigne le sens littéral d’un terme que l’on peut définir (et trouver dans le dictionnaire).
  • La connotation désigne tous les éléments de sens qui peuvent s’ajouter à ce sens littéral.

Le champ de la connotation est difficile à définir car il recouvre tous les sens indirects, subjectifs, culturels, implicites et autres qui font que le sens d’un signe se réduit rarement à ce sens littéral. Définir la connotation est si difficile qu’on en arrive parfois à la définir par défaut comme tout ce qui, dans le sens d’un mot, ne relève pas de la dénotation1.

Par exemple, si on s’intéresse au mot flic, le sens dénotatif est le même que celui de policier. Mais à ce sens s’ajoutent des connotations péjoratives et familières.

Un même mot ou symbole pourra donc avoir des connotations différentes en fonction du contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi, la couleur blanche connote[réf. nécessaire] la pureté et le mariage pour un Européen, le deuil pour un Extrême-Oriental ; tandis que la svastika, si elle est vue par un Indien comme un symbole religieux hindouiste (représentant l’énergie positive), ne peut pas être vue par un occidental sans lui faire penser au nazisme (ici utilisée comme énergie destructrice).

L’opposition entre dénotation et connotation entretient des rapports complexes avec l’opposition entre sens propre et sens figuré » (article Wikipedia connotation et dénotation).

La svastika est un exemple particulièrement intéressant, dans la mesure où elle montre bien comment  une dénotation apparemment limpide, la croix gammée,  peut avoir la signification qu’elle prend complètement transformée par les connotations, suivant le contexte culturel dans lequel elle est perçue.

A la lueur de cette distinction entre dénotation et connotation, on pourrait proposer la relecture suivante de la polémique sur le Hellfest: les groupes dont la présence est critiquée par les anti Hellfest utilisent une dénotation commune, qui est la référence à un imaginaire satanique, ou occulte, etc. Les pro Hellfest soulignent que si la dénotation est comparable, la connotation n’est pas nécessairement la même entre les plus extrêmes de ces groupes et les plus flokloriques, voire entre l’ensemble de ces groupes et celle que prennent les paroles de leurs chansons dans le contexte de l’enseignement de l’Eglise catholique.

Quelques exemples:

– Connotation « religieuse »: 

 » Glorification of the black god
In the shape of a black goat – The dark lord himself
Presiding over the revelry..
Demons, witches, and spirits of Darkness await
And watch with pleasure on the succumbed virgins
And innocent souls.. Soon to be sacrificed
The only light is the gleam of the torches from the inverted women wombs
And the fire from the cauldron, in which human fat is being boiled
The air is filled with diabolical laughter and screams
Spells are whirling, and the smell of hell is spreading all around
The appearance of spirits of Darkness from the heart of Hell
A necromantical union brought forth to haunt the night
 The christians fled like pigs, overwhelmed with fear
Except glimpses of the moon surrounded by stars
Clouds block the nocturnal light, as the earth trembles
Under hooved feet accompaigned by..
The beating of skins under the blackened sky

Noone dares to tread the mountain on this night

They watch with enlarged eyes, in fear from afar
 As the lightning joins the perverted dance at the bare mountain » (Glorification of the black god », Marduk).

Les membres de Marduk n’ont jamais caché leur satanisme théiste (cf. mon article sur le blasphème pour quelques sources).

– Connotation métaphorique:

 « Highway to Hell

livin’ easy
lovin’ free
season ticket on a one way ride
askin’ nothin’
leave me be
takin’ everythin’ in my stride
don’t need reason
don’t need rhyme
ain’t nothin’ that I’d rather do
goin’ down
party time
my friends are gonna be there too
I’m on the highway to hell
on the highway to hell
highway to hell
I’m on the highway to hell

no stop signs
speed limit
nobody’s gonna slow me down
like a wheel
gonna spin it
nobody’s gonna mess me around
hey satan
payin’ my dues
playin’ in a rockin’ band
hey mumma
look at me
I’m on the way to the promised land
I’m on the highway to hell
highway to hell
I’m on the highway to hell
highway to hell
don’t stop me

I’m on the highway to hell
on the highway to hell
highway to hell
I’m on the highway to hell
(highway to hell) I’m on the highway to hell
(highway to hell) highway to hell x2
(highway to hell)
and I’m goin’ down
all the way
 I’m on the highway to hell » (AC/DC, Highway to Hell).

L’artiste n’évoque pas un culte personnel à Satan, ni même une quelconque forme de religiosité satanique. Le champ lexical du diable et de l’enfer renverrait à une relecture métaphorique du  périple du groupe en bus, de concerts en concerts:

 » http://www.lyricinterpretations.com/look…
Here are several interpretations from the above website:
Bon’s telling about how he’s just gonna enjoy life to the fullest ’cause he’s goin’ to hell anyway. 
The song is a metaphor for the band’s tour in America. They said the constant riding on the bus was like taking the highway to hell. 
anonymous November 14th, 2006 02:12AM
Highway to hell was the nickname for the canning highway in australia. It runs from where lead singer bon scott lived in fremantle and ends at the pub called « the raffles », which was a big rock and roll drinking hole in the ’70s. As the canning highway gets close to the pub, it dips down into a steep decline: « no stop signs…..Speed limit….Nobody gonna slow me down ». So many people were killed by driving fast over that intersection at the top of the hill on the way to a good night out, that it was called the highway to hell, so when bon was saying « im on the highway to hell » it meant he was doing the nightly or weekly pilgrimage down the canning highway to the raffles bar and rock and drink with his mates: « aint nothing I would rather do. Going down, party time, my friends are gonna be there too. 
anonymous September 15th, 2007 02:47AM 
I think it is both based on the non-stop tour in America and the highway in Australia where Bon died. »  (source).

– Connotation parodique:

 » 666 Packs

We have a deal with Satan
A contract signed in Hell
We sacrifice a virgin
He makes our record sell

SATAN! – To Antichrist we pray
EVIL! – To hit the charts one day

666 Packs – Seven days of death and pain
Satan – Thirteen hours blood will rain
666 Packs – Nine black bats will eat your brain
Satan – Good with numbers? Join our cult

We have the baddest evil
Come buy our merchandise
 A plastic skull, a T-Shirt
That says « I shit on Christ »

SATAN! – is thrashing to the beat
EVIL! – on seven days of week

On stage we slaughter poultry
In songs we slaughter man
Black masses, guts and torture
We do the worst we can

SATAN! EVIL! – on blood and gore we feast
 SATAN! – I am your Judas Priest » (« 666 Pack », Tankard).

 » We have the baddest evil
Come buy our merchandise
 A plastic skull, a T-Shirt
 That says « I shit on Christ »

On lit clairement dans ce couplet, outre le clin d’oeil à Judas Priest à la fin du chant, que la référence à Satan n’ y est pas plus sincère que celle au Christ dans Golgotà Picnic ou dans Dogma, et que les musiciens tournent ici en ridicule la référence à l’imaginaire satanique dans le metal, en montrant le caractère de cliché et l’aspect mercantile de ce type de paroles.

La juxtaposition des paroles de Marduk et de Tankard montre bien comment, à partir d’une dénotation identique, la référence au satanisme, le jeu des connotations aboutit à une signification radicalement inverse: chez Marduk, un effort de promotion du satanisme comme une religion « sérieuse », une profession de foi. Chez Tankard, une parodie caustique, quasiment un « blasphème » contre le satanisme.

Cela n’a pas empêché les Yeux Ouverts l’an dernier de mettre ces mêmes paroles de Tankard, qui jouait l’an dernier au Hellfest, dans le même sac que celles des groupes satanistes:

 » Bonjour,
Prendre tout cela avec humour ? Désolé, je ne peux pas. 
Tankard : http://www.parolesabc.com/paroles/parole_tankard/666-packs_fr.html » (source).

Pour les anti hellfest, que ce soient Les Yeux Ouverts, le Collectif, ou Civitas, qui « argumentent » leur position en citant pêle mêle des références à l’imaginaire sataniques dans toutes sortes de groupes de metal, juxtaposées sans aucun effort de prise de connaissance et d’analyse du contexte, il est clair que quand il s’agit de cette musique: sens dénotatif = sens connotatif.  Et pourtant, quand il s’agit de la référence au Christ dans certains oeuvres contemporaines, il sont tout à fait capables de voir le sens connotatif, et de crier au loup dès qu’ils ont l’impression que l’Eglise est parodiée ou ridiculée, même légèrement (ainsi cette fameuse campagne de pub avec le Christ). De même qu’ils n’oublient pas d’éclairer le sens dénotatif du texte par la connotation que lui donne l’exégèse catholique, lorsqu’ils prient à partir de certains passages très durs des Psaumes, par exemple dans le cadre de la liturgie des heures. Non seulement leur argumentation n’est pas sérieuse sur le plan intellectuel, mais elle est contradictoire avec leurs autres prises de positions.

Curieusement, Les Yeux Ouverts a évoqué récemment le sens connotatif, d’une manière qui prétendait renforcer sa position alors qu’elle la mine dans les faits:

« Dans les billets consacrés au rock sur mon blog, il en a été question assez longuement : mélodie, harmonie, ryhtme.
 A prendre aussi en compte l’ambiance musicale des concerts ( son et effets spéciaux), les textes, les thèmatiques, les pochettes…« 

 L’interprétation musicale, l’ambiance, les textes, tout cela en effet constitue des éléments de sens qui participent au sens connotatif de la prestation des groupes invités au Hellfest, et qui sont donc des éléments de signification qui sont susceptibles de modifier le sens littéral, dénotatif des paroles du groupe, éventuellement d’inspiration sataniste, anti chrétienne, néo-païenne, etc. Raison de plus d’éviter de croire informer sur le festival en juxtaposant des paroles de chansons et des extraits d’interviews, sans analyse des groupes au cas par cas, sans avoir assisté à leurs concerts ni écouté de manière approfondie leur musique.

Car il suffit parfois d’un rien pour qu’une représentation transforme complètement la connotation des paroles, et même que l’ambiance recherchée ostensiblement aboutisse à un résultat très différent de celui affiché, beaucoup moins glauque souvent.

Le récit que Pneumatis a fait l’an dernier de son après-midi au Hellfest est à ce titre très éclairant, pour qui ne se contente pas de n’en retenir que son impression sur Therion:

 » Et c’est comme ça, par exemple, que j’ai pris un pied énorme à écouter un groupe que j’aurais certainement boudé du seul fait de son nom : Anathema. Forcément, ce ne sera pas du gout de tout le monde, mais punaise qu’est-ce qu’ils m’ont pris aux tripes. Une émotion extraordinaire. Vraiment quelque chose de fort.« 

Pour avoir été présent avec lui, je me rappelle qu’il avait décrit sur le moment cette musique comme faisant remonter hors de lui tout ce qui était source de souffrance et de noirceur, dans une sorte d’action purificatrice. Et cela, bien que le groupe s’appelle: « Anathema ». Ce qui rejoint l’exprérience de la plupart des fans du groupe:

« Anathema are personally one of my favourite bands. Musically they pack so much depth and emotion into their songs that one really cannot help but fall headlong into their dream-laden poetic craft. They are one of those bands that one can turn to for comfort and to ease pain. A solitary listen helps you through the bad times; Anathema can be uplifting, depressing, cathartic and even soul searching » (interview dans Mtuk Metal ‘Zine).

Se contenter de lire des interviews et des paroles de groupes ne suffit pas à se faire une idée exacte de l’impact réel du metal sur les auditeurs. Il faut aussi écouter la musique. Ce que le Collectif et les Yeux Ouverts ne font manifestement pas, lacune qui les prive de toute crédibilité auprès des métalleux et du grand public.

Dans le même ordre d’idée, Dark Tranquillity, le groupe que nous sommes allés voir avec Pneumatis et quelques autres après Therion, utilisait une mise en scène qui tentait de créer une ambiance inquiétante, fantastique, avec force effets de lumières. Et pourtant, tout cela était annulé par le gentil sourire du chanteur, le plaisir manifeste qu’il prenait à jouer, et partager avec un auditoire heureux:

 » L’autre, Dark Tranquillity, je me suis juste emmerdé, pour le dire poliment. Ceci dit, malgré la morbidité de fond, notamment dans la mise en scène avec ses mélanges de thèmes sur la foi et sur les démons, j’ai quand même noté une incroyable relation entre le chanteur et son public, quelque chose d’assez fascinant. Lui, le grand sourire permanent, on aurait dit qu’il avait envie d’embrasser son public à chaque instant comme si ce dernier venait de lui sauver la vie. Et le public marchait à fond dans son énergie… à part moi, assis par terre en attendant que ça se passe. Concernant la mise en scène, on était clairement dans une démarche esthétique, pas forcément de mon gout, mais qui se comprend et qui n’avait rien de rituel ni de sataniste à proprement parlé ».

 Si tous ces groupes qui développent un imaginaire satanique ou fantastique utilisent bien une dénotation commune, à laquelle les anti hellfest reviennent sans arrêt avec entêtement, on constate donc à partir de ces exemples la complexité et la richesse des déplacements de sens que des connotations différentes peuvent entraîner. Les « mots ont un sens » dénotatif, certes, mais cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas être complètement transformé par le contexte, voire inversé. Ce renversement de sens peut venir du texte même, du registre utilisé et des effets de styles, comme pour Tankard. Il peut venir également de l’ambiance créée par la musique, qui peut-^tre, ou non, plus positive que les paroles. Enfin, l’intention réelle de l’artiste qui transparait de son visage sur scène (par exemple, partager le plaisir musical dans le cas de Dark Tranquillity) est encore une connotation qui peut bouleverser le registre initial des paroles (qui, rappelons-le, ne sont souvent pas compréhensibles lors des concerts).

Même dans le cas de groupes effectivement satanistes comme Marduk, et explicites dans leurs paroles comme dans leur mise en scène, un autre déplacement de sens est encore possible:

 « Le lecteur apporte lui-même ses propres connotations: il apporte aux textes sa propre expérience et ses autres lectures, en déplace les significations grâce à son imaginaire » (Espace français .com, La dénotation et la connotation).

  De même que l’auditeur ou le spectateur, dirais-je.

Une svastika prend une certaine signification dans un contexte européen, et un autre radicalement différent en contexte hindou. D’ une manière analogue, on pourrait dire qu’un concert de Marduk, mis en scène de la même façon, avec les mêmes paroles, aurait une certaine signification dans le cadre d’une messe noire, où chaque participant aurait un livret avec les paroles, une autre signification lors du Hellfest, au milieu de groupes beaucoup moins engagés religieusement, dans un contexte festif où personne n’entend clairement les paroles et où la bière coule à flot, et encore un autre dans une assemblée de musiciens, qui seraient beaucoup plus attentifs à la performance musiclae qu’aux paroles ou à la mise en scène.   De même que si on transposait la liturgie d’une messe catholique sur une estrade du Hellfest au milieu d’un public éméché, sa signification pour les specteurs serait sans doute profondément différente qu’au sein d’une église (et pour le coup sans doute proche du blasphème).

Alors certes, le Hellfest invite des groupes antichrétiens, parmi d’autres. Mais au lieu de se contenter de citer leurs paroles, pour aller ensuite directement à la conclusion: « le Hellfest est un festival christianophobe », il convient, d’une part, d’aborder la question de l’interprétation de leur paroles, non pas seulement de manière littérale, « fondamentaliste » pourais-je dire si j’étais taquin, mais d’en faire une approche « historico-critique », en faisant l’inventaire de l’ensemble des connotations qui transforme ou non le sens littéral chez tel ou tel groupe. Ce qui suppose, au dela de leurs paroles et des titres de leurs chansons, de prendre connaissance de la pensée réelle des musiciens, de mener une véritable analyse littéraire des effets de styles qui au sein d’un texte peuvent complètement déplacer, transfigurer, relativiser voire inverser la référence à l’imaginaire satanique ou occulte, d’écouter leur musique, d’aller à leurs concerts, de comprendre leur mode de pensée et d’expression artistique. Un travail de longue haleine, et tout le contraire des copier-coller vite faits du Collectif.

Même lorsqu’un groupe s’avère réellement antichrétien, cela ne démontre nullement que la structure qui l’accueille est anti chrétienne. Le Hellfest a invité plusieurs fois des groupes chrétiens. Je l’ai souligné, parce que cela indique bien à mon sens que ses organisateurs n’ont pas d’animosité particulière contre le chrétiens. pour autant, cela n’en fait pas un festival de musique chrétienne comme le Holyfest. Inversement, ce n’est pas parce qu’il invite des groupes satanistes qu’il devient un festival de musiques satanique. Les groupes sont présents, certes, mais la connotation que leur donne leur présence au Hellfest diffère de celle qu’ils auraient dans un rassemblement religieux ou politique. L’atmosphère printanière, la bonne humeur générale, les déguisements, la bière, tout cela neutralise l’imagerie morbide et donne à l’essentiel des trois journées des allures de carnaval bon enfant.

En ce sens, Pneumatis a choisi d’intituler le compte-rendu de sa présence à la soit-disant « fête de l’enfer »: « Un dimanche à la campagne », et il écrivait:

 » Alors d’abord, sans grande surprise, j’ai trouvé l’ambiance super : ça m’a rappelé mes années d’étudiant. C’est très sensoriel, en fait. Sur fond sonore de basses permanentes, marcher dans cette foule festive, en faisant craquer les gobelets de bière vide sous ses sandales et en respirant cette odeur enivrante d’herbe fraichement coupée… j’avais un peu l’impression de rentrer à la maison ; dans le sens de revenir quelques 15 années en arrière. Moi qui aie toujours regretté d’être né trop tard pour Woodstock, je ne pouvais me sentir que chez moi.

 Concernant les concerts, j’ai soudain pris la mesure de l’incroyable absurdité de nos débats autour des paroles de chanson… Il suffit de voir les musicos sur scène et leur public : d’une, on ne comprend rien à ce qu’ils chantent (enfin moi, en tout cas) et de deux, j’avais franchement l’impression que personne n’en avait rien à cirer, de toute façon. Tout le monde est là pour la musique, et je me suis soudain mis à penser qu’avec le tapage qu’on a fait sur le Hellfest, on devrait sans doute un peu plus se soucier d’autres concerts, d’autres styles de chansons dans lesquels la violence est nettement plus affirmée (suivez mon regard). En bref, j’ai compris à quel point nos revendications, quelques légitime qu’elles aient été, étaient à des années lumières des motivations qui attirent ici les amateurs de métal. Tu sais, c’est un peu comme si des gens se rendaient dans le plus grand restaurant du pays une fois par an pour y déguster des plats exceptionnels qu’ils n’ont jamais l’occasion de déguster par ailleurs, et que, toi qui n’y vas pas, venais leur parler de fermer le restaurant parce que la faïence dans la cuisine te choque. On a toujours de bonnes raisons d’être choqués par de la faïence (si si, moi en tout cas, j’en ai des tas) mais c’est pour illustrer l’incongruité (vachement facile à prononcer) que cela représente pour le type qui vient déguster. Au minimum, on comprend l’incompréhension« .

 Moi-même, je dois dire que je me suis demandé en juin dernier lors du festival si je n’en faisais pas trop au niveau des paroles de certains groupes, tellement tous ces débats que nous menons entre cathos sont complètement déconnectés de la réalité vécue du festival.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas s’intéresser à l’importance de l’imaginaire satanique dans le metal, ni ignorer les groupes explicitement satanistes ou blasphématoires. Mais le Hellfest n’est pas le bon angle pour ouvrir ce débat, parce que cela parasite le débat sur la dénotation satanique, et la connotation antichrétienne ou sataniste qu’elle prend chez certains groupes, avec d’autres connotations propres au festival, qui sont beaucoup plus festives et détachées des rancoeurs de certains musiciens contre le christianisme. La plupart des festivaliers ne comprennent pas la polémique, parce que les cathos antihellfest imposent une certaine connotation pour l’interprétation du sens du festival, qui est contraire à celle qu’ils expérimentent pour eux-mêmes chaque année, et refusent de prendre en compte leur témoignage.

Pour poser de manière pertinente la question des rapports entre metal et christianisme, il faut donc resituer le débat dans la perspective de l’ensemble de l’histoire du metal, en étant attentif à la totalité des variations de sens apportées à l’imaginaire religieux dans le metal, ce qui suppose une étude approffondie des différents courants musicaux et des différents groupes, et une bonne connaissance musicale et personnelle du milieu. Faire l’inventaire des connotations chrétiennes et antichrétiennes, c’est le travail que je me propose de faire sur ce blog depuis sa création. Et cela est indissociable d’une approche ouverte du terrain, qui n’impose pas une grille d’interprétation préétablie, mais qui accepte le dialogue avec les metalleux, et la possibilité de se laisser soi même déplacer par leur témoignage. L’analyse ne doit pas se construire sur des généralisations à partir d’une poignée de similitudes, notamment dans la dénotation occulte ou satanique, mais sur une recherche au cas par cas sur chaque groupe: Pneumatis cite dans son billet Judas Priest, Anathema, Dark Tranquillity et Therion. Là où la méthode du Collectif nous donnerait à penser que tous ces groupes sont bonnet blanc et blanc bonnet, on voit que l’expérience musiale et personnelle qu’il a retiré de chacun d’entre eux était très hétérogène, voire radicalement inverse si l’on compare les exemples de Therion et Anathema.

Certains antihellfest prétendent que ce que je propose là est une forme de relativisme:

 » Pour le relativiste qui se respecte, la hiérarchisation ou même la simple comparaison sont forcément suspectes par les temps qui courent.
Au nom de ce relativisme s’érige un nouveau dogme dont le premier de ses commandements pourrait être  » Tout est égal et par conséquent rien n’a de sens ni de valeur objective : s’opposer à ce principe est innacceptable et doit donc être condamné. »
Veronèse et Picasso, Fauré et Jarre, la cathédrale Notre dame de Paris et la pyramide du louvre, Homère et René Char, Carpaux et Botéro , Molière et Castellucci, Chateaubriand et Breton, Black sabbath et Amstrong …pareils ! Egaux !
Méditons le mot de Camus dans l’homme révolté :
Le relativisme, fils naturel du libéralisme, se présente dans les beaux habits du représentant de la tolérance, de l’esprit d’ouverture, du consensus, de la liberté, du progrès…
Méditons le mot de Camus : « Rien n’étant vrai ou faux, laid ou beau, la règle désormais sera de se monter le plus efficace. Le monde ne sera plus alors partagé en juste et en injuste mais en maîtres et en esclaves » » (Collectif pour un festival respectueux de tous, « Le Hellfest, vitrine de l’esprit de gauche en matière de culture? » (sic)).

 Le grand reproche que l’on peut faire au relativisme, en effet, et au dela du caractère spécieux des exemples donnés par le Collectif, est d’aplanir les différences, de dire que tout se vaut. Mais lorsque le Collectif juxtapose toutes sortes de groupes, sur la seule base de leur référence commune à un imaginaire satanique, occulte ou bien tout simplement fantastique, sans faire l’effort d’analyser les différences de connotations, les déplacements de sens, que chacun de ces groupes fait subir à celle-ci, dans l’usage qu’il en fait, ne rentre-t-il pas lui-même dans ce type de démarche? Son jugement initial et pré-ordonné, suivant lequel les groupes invités au Hellfest seraient un phénomène parmi d’autre d’une « contre-culture » « révolutionnaire », qui vise à subvertir la présence du Beau, du Bien, du Vrai, dans notre culture, et ses racines chrétiennes, devient l’unique norme de sa démarche interprétative, qui dès lors ne va pas s’intéresser aux connotations nées de l’analyse litéraire des paroles, de la connaissance des parcours des musiciens, de l’atmosphère réelle des concerts, sauf quand çela va dans son sens. Son intuition première du Hellfest prédomine contre toute recherche de terrain, toute mise en contexte, tout témoignage contradictoire. Elle dispense de l’effort de prendre connaissance de la musique dans le détail. Elle s’alimente d’informations superficielles glanées ça et là (ainsi, comme je le rappelais dans mon billet précédent, le Collectif mentionne la censure dont Cannibal Corpse a été l’objet dans divers pays, parce que ça l’arrange, mais il se garde bien de mentionner qu’elle a depuis levée dans la plupart des cas). Elle estime n’avoir pas besoin du surcroit d’information et de réflexion apportés par la contradiction constructive et le dialogue (d’où la fermeture des commentaires sur le site du Collectif et sa manie de ne pas répondre aux réponses à ses interventions sur d’autres blogs, comme le mien).

Restaurer les nuances des significations en fonction du contexte n’est pas du relativisme, sinon tous les chercheurs en sciences humaines, tous les littéraires, tous les éxégètes catholiques, et le pape lui-même, lorsqu’il s’associe à la recherche historico-critique sur les Ecritures, seraient des relativistes.

Par contre le Collectif, lorsqu’il élève son opinion a priori comme norme ultime d’interprétation du metal et du Hellfest, ainsi que je viens de le montrer, entre dans une démarche qui lui est analogue, puisqu’il subordonne la vérité du metal, qui ne peut se dévoiler qu’au fil d’une enquête minutieuse de terrain et du dialogue avec les métalleux, spectateurs et musiciens, à la relativité du point de vue qu’il en a…

Hellfest: la tentation du complot

Posted in Christianisme et culture, Hellfest with tags , , , , , on 15 février 2012 by Darth Manu

 

J’évoque fréquemment la mentalité de citadelle assiégé traduite par nombre d’actions de lobbying menées par certains catholiques, et cristallisée tout particulièrement autour du concept douteux de « christianophobie ».

Mon par ailleurs (sincèrement) estimé lecteur Les Yeux Ouverts vient de m’en fournir une expression particulièrement marquante, dans la séquence de commentaires suivantes, postée à la suite d’un de mes précédents billets:

Les Yeux Ouverts:

« […] La nature païenne du black metal a en effet pour fondement le refus ou la haine de Dieu exprimés synthétiquement par cette expression “Non serviam” qui ne date pas de 1968 et dont la nouvelle droite n’est pas la seule expression révolutionnaire (cf par exemple le laïcisme exprimé tout récemment par le candidat socialiste à l’élection présidentielle, le libéralisme exprimé par le maçonnisme, le mondialisme matérialiste ou encore le relativisme ). Un titre comme “Black metal, Révolution et Anti christianisme” est plus approprié.
On ne méditera jamais assez ces propos des promoteurs du hellfest ” le black metal est par nature sataniste” et ” on ne déprogramme pas les groupes anti-chrétiens” ( allusion à l’annulation de Anal Cunt l’année dernière plaisantant avec les victimes de la shoah)
 La programmation du hellfest 2012 est révélatrice une fois encore de cet esprit black metal qui par ailleurs n’est pas l’exclusivité de cette tendance« .

Darth Manu:

« […] Je pense que tu mélanges là beaucoup de discours très hétérogènes.Par exemple, le différentialisme de la Nouvelle Droite, aussi bien que la fascination pour le néo paganisme de certains groupes de metal, peuvent être lus comme des réactions au “mondialisme matérialiste” que ces courants ne cessent d’ailleurs de dénoncer, non sans éviter les clichés.Et ils n’ont strictement rien à voir, ni dans leur discours, ni dans leurs origines, avec le programme de François Hollande. Le fait que tous ces exemples semblent illustrer une certaine défiance apparente à l’encontre du christianisme ne suffit pas à mettre en évidence une idéologie commune […] ».

Les Yeux Ouverts:

 » […] Qiand je constaterai par ailleurs, aujourd’hui et en france, que le BM dénonce avec la même énergie, la même constance et la même violence les autres religions, la maçonnerie, le communisme, alors là je réviserai sans problème mon propos parce que cela signifiera alors que l’esprit de transgression ou de celui de totale liberté d’expression revendiqués par ce metal ne sont pas que des mots !

 Tu n’es pas sans méconnaître les sponsors politiques du hellfest , tous socialistes. Il se trouve que j’ai d’une part en main un courrier du conseil régional /hellfest et que je connais d’autre part l’initiative de ce même conseil régional/jeunesse : pass contraception et distribution gratuite de preservatif. Je ne mélange pas tout , bien au contraire ! »

 Je lis dans l’argumentation de LYO le paralogisme suivant:

Majeure: On trouve chez les groupes présents aux Hellfest, dans le programme du parti socialiste, dans la pensée de la Nouvelle Droite, dans la tradition maçonnique, des discours qui sont hostiles au christianisme et/ou contraires à son enseignement.

Mineure: Un Conseil Régional contrôlé par le PS subventionne le Hellfest,  dont les groupes invités se réclament parfois de courants musicaux qui présentent quelques affinités à la marge avec des thèses de la Nouvelle Droite, avec l’ésotérisme franc maçon ou encore avec l’occultisme.

Conclusion: Tout est lié.

Je consacre un article tout entier à ce paralogisme, parce qu’il me parait pointer l’un des aspects les plus gênants de la contestation anti Hellfest: ses affinités avec ce qu’Hannah Arendt parmi d’autres appelait « la mentalité du complot ».

Alain de Benoist, tout fondateur qu’il soit de la Nouvelle Droite, et indépendamment de l’hostilité que m’inspire l’essentiel de sa pensée, nous en livre une analyse intéressante dans un article intitulé: La psychologie du conspirationnisme:

« La première observation que l’on peut faire est que les théories du complot, alors même qu’elles ne cessent de parler de forces secrètes, de puissances invisibles, d’action souterraine, etc., proposent elles-mêmes un schéma qui, loin d’être opaque, se fonde au contraire sur le postulat d’une extraordinaire « transparence » de l’action historique. Celle-ci se trouve en effet ramenée d’emblée à une sorte de causalité mécanique et linéaire. Les événements sont produits mécaniquement par
des agents cachés, qui manipulent les hommes comme on appuie sur un bouton pour obtenir l’effet désiré. Ce trait caractéristique résulte à vrai dire de la nature même de la théorie. La « preuve » du complot réside dans son efficacité, et pour qu’il soit efficace il faut que les effets obtenus soient conformes aux intentions initiales. Paradoxalement, il y a dans cette conception une certaine inspiration rationaliste, bien qu’elle émane d’auteurs fréquemment antirationalistes. Elle postule une histoire rationnelle, caractérisée par des événements qu’il serait possible de rapporter à des causes uniques et à des actes volontaires déterminés. Xavier Rihoit remarque à ce propos que, « tissé de paradoxes, le conspirationnisme est le fait d’homme qui, d’une part, adhèrent à des vérités de foi, dogmatiques et inaccessibles à la raison, mais qui, d’autre part, ne cessent de vouloir rendre la réalité historique parfaitement transparente et les conduites humaines imparablement logiques » » (p. 3et 4).

 Cette causalité mécanique, je la retrouve dans la manière dont LYO ramasse les courants de pensée très disparates qu’il évoque ausein d’une même origine: « le refus ou la haine de Dieu ». Ce qui est très symptômatique selon moi de la façon dont de nombreux sites catholiques font l’inventaire minutieux de toutes les manifestations du recul du christianisme dans notre culture, de toutes les critiques de notre Eglise dont les médias se font l’écho, de toutes les oeuvres d’allure ne serait-ce que vaguement blasphématoire ou occultiste, de toutes les persécutions de chrétiens dans des pays aussi différents que la Chine ou le Pakistant, pour, ignorant magistralement la diversité des causes de tous ces phénomènes, et des formes qu’ils prennent, de gravité très hétérogène, les rassembler en une grande vague de fond, une cause unique, qu’ils nomment la « christianophobie ».

  » La théorie conspirationniste est donc avant tout une théorie antagoniste, voire négatrice du hasard et de l’aléa. Une expression typique de ce genre de littérature est précisément la formule : « Ce n’est pas un hasard si… » Non seulement toute occurrence simultanée peut être ainsi réinterprétée en termes de causalité, mais on aura aussi recours à des formes pathologiques, délirantes, de la pensée analogique. C’est ainsi que l’abbé Barruel explique la forme triangulaire de la lame de la guillotine, non par la plus grand efficacité du tranchant biseauté, mais par la volonté des révolutionnaires de donner au « couteau républicain » la forme du triangle maçonnique. Ce n’est pas un hasard, affirme dans le même esprit le dirigeant noir antisémite américain Louis Farrakhan, si les dollars portent sur leur revers un aigle surmonté de treize étoiles (correspondant aux treize Etats alliés dans la guerre d’Indépendance américaine) car, en reliant ces étoiles les unes aux autres, on obtient… l’étoile de David ! Raoul Girardet, de son côté, rapporte qu’au XIXe siècle, « une certaine presse antisémite dénoncera dans le creusement du métropolitain parisien une entreprise du complot juif visant à faire planer sur la capitale tout entière une menance permanente de destruction ». Or, la même idée est réapparue à date récente chez certains groupes extrémistes russes à propos du métro de Moscou, dont le tracé était censé reproduire des signes kabbalistiques. On constate donc une résurgence des thématiques. La négation du hasard permet ainsi d’accumuler des « preuves » qui n’en sont pas, au moyen de faits anodins réinterprétés comme autant de « marques diaboliques », c’est-à-dire de « signatures » attestant pour l’oeil exercé de la réalité du complot. « En ce sens, ajoute Xavier Rihoit, et c’est un autre paradoxe, les conspirationnistes, malgré leur traditionalisme déclaré, n’en font pas moins preuve d’une mentalité typiquement moderne : à l’instar des grandes idéologies, ils pensent que la réalité historique est intégralement déchiffrable et excluent ce dont la raison ne veut pas entendre parler : l’aléa, l’accident, l’exception, le hasard » » (p. 4 et 5).

 Si le conspirationnisme des antihellfest porte souvent sur des choses bien moins graves que certains des exemples évoqués ici, les exemple y abondent de ce refus si caractéristique du hasard.

Quelques exemples marquants:

 » Curieusement, on observe que le métal s’est créé, en 40 ans d’existence, des codes, des croyances, des symboliques, des rites, des icônes, un langage, des images, une rhétorique, des concerts-grands messes …bref un ensemble d’attitudes et de comportements communautaristes empreint de religiosité et dont il faut aller chercher le fondement dans cette double assertion révolutionnaire :  » fais ce que tu veux sera toute la loi » et  » vis pleinement ce que tu ressens en toi ». Ces 2 assertions de Anton Szandor LaVey (fondateur de l’Eglise de Satan en 1966) ont pour origine Aleyster Crowley, spécialiste de l’occultisme et de l’ésotérisme,[…]

 Pas étonnant de savoir que LaVey est proche de Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie, et qu’il a fondée l’Église de Satan le jour de la Walpurgisnacht (fête germanique supposée magique).

 Pas vraiment surprenant donc de voir dans le show des Screams Awards Marilyn Manson ( nommé révérend de l’église de satan par Anton Lavey ) rendre hommage à Ozzy Ozbourne. Surnommé « le pape du metal » ,Ozzy Osbourne est l’auteur du titre « Mr Crowley » , est aussi connu pour le « Ozzfest » dont la version 2002 avait pour jaquette le dieu Pan.

 Pas étonnant non plus de voir ce même Manson en compagnie cette fois d’Eminem ! » (Hellfest: le temps des dinosaures?, sur le blog du Collectif Provocs Hellfest).

 « Curieusement », « Pas étonnant », « pas vraiment surprenant », « pas étonnant non plus »: cet article ne démontre rien du lien de causalité doctrinal qu’il évoque entre le satanisme d’inspiration thélémite, le metal, le Hellfest, et le rap (via Eminem). Il se contente de suggérer… et laisse l’imagination du lecteur finir le travail.

Plus anecdotique, mais vraiment trop fort: les mots utilisés l’an dernier par le Salon Beige pour relater la tentative (au demeurant stupide) de la direction du Hellfest, pour faire supprimer le blog du Collectif par son hébergeur:

 « Ils ont choisi le Vendredi Saint, ce n’est pas anodin

Le collectif contre le Hellfest a reçu ce jour un courrier de Barbaud Benjamin, Président de l’association HELLFEST PRODUCTIONS, dont voici un extrait :

« vous trouverez ci-joint le courrier qui vient d’être envoyé à votre hébergeur (afin de fermer le site…), qui je suis sûr ne restera pas sans réponse. Ensuite dans un second temps nous allons sans plus tarder communiquer et informer nos festivaliers de l’existence de vos différents blogs afin qu’ils puissent eux aussi vous exprimer leur exaspération et leur mécontentement. Nul doute que votre compte messagerie risque d’exploser… »

En attendant, la pétition contre les festivaliers de l’Enfer est toujours en ligne« .

 Il parait surtout évident que Ben Barbaud a profité de la vandalisation le jour même du Piss Christ et des réactions d’outrage qui ont fait suite pour contre attaquer, et qu’il n’a sans doute même pas réalisé la signification de la date pour les chrétiens. Mais ce « ce n’est pas anodin » suggère, hors de tout élément de preuve, et même de toute vraisemblance, qu’il a voulu rééditer consciemment le scandale de la Passion du Christ.

Reprenons le cours de l’analyse d’Alain de Benoist:

 « Le rejet de l’aléa entraîne une extraordinaire décontextualisation. Si l’événement ne saurait relever de l’imprévu, mais atteste au contraire de la réalité d’un plan qu’on peut interpréter comme une sorte de contre-ordre naturel, c’est que le cours des choses obéit à une logique qui lui est extérieure. La conspiration engendre les événements, mais n’est atteint par aucun d’eux. Elle explique l’histoire, mais elle se tient elle-même hors de l’histoire. Le complot se définit donc, non seulement par son ubiquité, mais par sa transhistoricité. A la limite, il existe en tous temps comme en tous lieux : l’histoire manipulée par les conspirateurs n’est que la réalisation d’un projet élaboré en dehors d’elle » (p.5).

 C’est cette décontextualisation qui empêche tout dialogue sérieux de s’établir avec les anti hellfest (et ce ne sont pourtant pas les métalleux de bonne volonté qui manquent, qu’ils soient cathos ou non). Les arguments glissent sur eux, et ils ne semblent retenir que ce qui contribue à leur cause. C’est ainsi qu’ils parviennent à réunir dans leurs tribunes des groupes dont l’esthétique, le rapport réel au christianisme et le discours général sont aussi différents que Black Sabbath, Blue Öyster Cult, Mötley Crüe, Judas Priest, Tankard ou les goupes de BM satanistes. Ils jugent sur les seules paroles, extraites de leur contexte. Et toute tentative d’éclairer ce dernier est purement et simplement ignorée. Ainsi, on retrouve dans l’un des billets du Collectif la phrase de Behemoth:  « À mon commandement, inondez les rues de Bethléem du sang des enfants ! », dont j’avais proposé une interprétation en contexte l’an dernier, par réaction à l’utilisation malhonnête qu’en avait fait Catholiques en Campagne en 2010. Sans aucune prise en compte, aucun retour argumenté de la part des antihellfest. J’ai pourtant porté à la connaissance de certains (je ne pense pas au Collectif ou à LYO en particulier sur ce point) ce billet. De même, j’avais cité la levée de la censure dont Cannibal Corpse a fait l’objet en Allemagne ou en Nouvelle Zélande comme un argument contre l’efficacité supposée de cette dernière dans une réponse à l’argumentaire déployé par le Collectif l’an dernier. Dans un billet récent, le Collectif cite cette censure dont a été victime Cannibal Corpse, sans indiquer qu’elle a depuis été levée. Et pourtant les gens du Collectif lisent mon blog, et y interviennent à l’occasion en commentaire. Quand j’ai cité les paroles de Cremation of holiness l’an dernier, c’était le lendemain sur leur blog, parce que pour le coup ça les arrangeait.

 » Il ne fait pas de doute que le succès des théories du complot provient avant tout de cette extraordinaire simplification qu’elles proposent, et c’est pourquoi la modernité, qui se caractérise notamment par une complexité de plus en plus grande des faits sociaux, constitue pour elles un terrain privilégié. Plus l’état du monde est complexe, plus la simplification radicale qu’apporte la théorie paraît salvatrice. Loin que leur caractère « total » suscite un légitime scepticisme, c’est au contraire ce caractère qui explique l’ampleur et la facilité de leur propagation. On voit par là quelles sont, pour leurs adeptes, les vertus de ce genre de théories. En expliquant, elles rassurent. Mais elles permettent aussi de faire une remarquable économie d’efforts. A quoi bon se livrer à une multitude d’enquêtes historiques, psychologiques, sociologiques pour tenter d’élucider le sens des événements et la nature du social, quand la théorie du complot permet de s’en tenir à une cause unique ? De même que la conspiration « explique » tout, à l’inverse tout « prouve » la conspiration : la multiplicité des effets est la marque même de l’unicité de la cause. A première vue, tout paraît compliqué, mais une fois la cause identifiée, tout devient prodigieusement simple ; il n’y a plus à chercher plus loin« .

 D’où la grande popularité chez les catholiques de ce type de sites de dénonciation: ils permettent d’expliquer de manière simple le recul culturel du christianisme (gentils cathos persécutés par les méchants christianophobes) et de paraitre évangéliser et témoigner à peu de frais. Riposter, dénoncer, faire « campagne », ç’est beaucoup plus facile que de dialoguer: ça évite d’écouter, de chercher à comprendre, à s’informer, à se mettre à la place du contradicteur, de se laisser décentrer par et pour lui, attitudes pourtant ô combien plus authentiquement évangéliques, et ça présente bien, ça permet de se donner un petit côté héroïque à peu de frais.

  » Toute la littérature conspirationniste est, par ailleurs, un discours de l’apparence. Elle repose sur l’idée que la réalité est tout autre chose que ce qui se laisse voir par le commun des mortels. On pourrait dire que le discours conspirationniste est éminemment « platonicien ». Il met en scène la « caverne » où se trouvent enfermés les naïfs et braque le projecteur sur l’« arrière-monde » où s’activent les « chefs
d’orchestre invisibles ». Ce dualisme est indispensable à la théorie. Il y a deux mondes : un monde immédiatement visible, le monde de la vie quotidienne, à la fois banal et compliqué, et il y a le monde de la coulisse, celui qui dirige le premier monde en « tirant les ficelles ». Le thème essentiel devient alors celui du codage et du décodage. Au conspirateur, qui s’emploie à dissimuler ses interventions, répond celui qui dévoile la conspiration parce qu’il sait en décoder les manifestations. L’adepte de la théorie du complot sait comment il faut décrypter. Il sait comment il faut « lire » l’histoire de l’humanité, comment il faut « traduire » ce qui s’observe en
surface, comment il faut faire pour déceler la cause cachée derrière l’événement apparent. Les événements ne sont donc pas à prendre au premier degré. Ils sont toujours autre chose que ce qu’ils paraissent être. Ils sont autant de preuves, d’indices ou de traces. Les naïfs peuvent bien s’y tromper, l’adepte de la théorie du complot, lui, a l’oeil plus exercé et plus perçant. C’est un peu, au fond, comme s’il faisait lui-même partie de la conspiration. Il combat certes l’action des grands initiés, mais il n’est pas moins initié qu’eux. Il lui faut donc se poser comme titulaire d’un savoir qui surplombe le savoir caché de ceux contre qui il se dresse. Prodigieux jeu de miroir, où transparaît le caractère proprement policier de la théorie et où le problème de l’origine de ce savoir dont se targue l’« inventeur » du complot n’est évidemment jamais posé« .

 De manière analogue, les antihellfest ont une « intuition » (quoique l’exemple que je mets en lien manifeste plus de bonne volonté que la moyenne). Ils ne connaissent pas, pour la plupart, grand chose au metal, n’en écoutent pas, l’avouent plus ou moins quand on les accule. Pourtant, ils se font fort d’en remontrer sur la question aux autres cathos qui étudient le metal depuis des années et en proposent une lecture plus nuancée (comme le Père Culat), aux universitaires (comme Nicolas Walzer), et aux métalleux eux-mêmes. Ils prétendent « réinformer » leurs lecteurs sur la question, alors qu’ils n’arrivent même pas, péniblement, à se constituer pour eux-même une information basique, qui soit juste et justifiée. Ils sont tellement sûrs d’avoir identifié la cause du phénomène, la « christianophobie » qu’ils glissent sur tout, qu’ils prennent rarement en compte les critiques, qu’ils sont persuadés de manière invincible de leur bon droit, qu’on a un peu l’impression de toujours leur répéter la même chose sans vrai retour.

 » Et ceci nous amène à un autre trait caractéristique des théories conspirationnistes. C’est qu’elles ne peuvent être réfutées. Dans la mesure même où elles prétendent tout « expliquer », ces théories rejettent d’emblée toute
contradiction, tout argument qu’on pourrait leur opposer, en y voyant, soit une preuve manifeste de la « naïveté » des contradicteurs, soit une simple manoeuvre des comploteurs visant à empêcher qu’ils soient démasqués. Toute contradiction, tout démenti devient alors une preuve supplémentaire de l’existence du complot. La dénégation, dûment instrumentalisée, se transforme en confirmation. Les thèses conspirationnistes, autrement dit, font un usage systématique du soupçon freudien : la dénégation confirme le symptôme. (Qui affirme avec force n’être pas intéressé par les choses du sexe confirme par là même combien il en est obsédé). L’organisation, la collectivité ou la catégorie de personnes accusée d’être au centre du complot se retrouve donc dans une situation de double bind des plus classiques : si elle avoue, c’est qu’elle est coupable ; si elle nie, c’est qu’elle est également coupable, et qu’elle cherche en plus à tromper son monde. Dans de telles conditions, la meilleure preuve de bonne volonté que puisse donner l’accusé consiste à reconnaître qu’il est
coupable. On reconnaît là le procédé psychologique caractéristique des procès de sorcellerie, prolongé à l’époque contemporaine, notamment, par les grands procès staliniens tels qu’Artur London les a décrits dans L’aveu ».

« Hell is hell », me disait encore ce matin sur facebook un catholique qui me reprochait de sous-estimer « la finesse des linguistes du Hellfest ». On pourra toujours expliquer à des antihellfest que le hellfest est avant tout un festival musical, faire l’historique des différents courants, remettre en contexte les paroles d’allure antichrétiennes. La plupart reviendront à telle ou tel parole hors contexte d’allure blasphématoire, et soit on continuera à argumenter avec eux, et ils nous soupçonnerons d’approuver tacitement le blasphème ou la « christianophobie », d’être leurs « alliés objectifs », soit on abandonnera, et ils auront le sentiment d’avoir démontré leur affaire. Et voilà comment le dialogue est plombé depuis plusieurs années, et s’enlise…

Je dois préciser, arrivé à la fin de ce parcours, que ce billet n’a pas pour but de pathologiser les antihellfest, de la même manière que les pourfendeurs de la « christianophobie » pathologisent par ce même terme toute critique du christianisme. J’estime parfaitement possible qu’on puisse trouver des arguments tout à fait recevables contre le Hellfest. J’ai discuté avec des catholiques critiques à l’encontre de ce festival ou du metal, et qui ne semblaient pas affectés par cette « mentalité du complot », comme Etienneweb ou le Chafouin. Et il arrive d’avoir des discussions vraiment intéressantes avec certains de ceux qui me semblent rentrer peu ou prou dans cette logique conspirationniste, ainsi les Yeux Ouverts. Rentrer dans ce type de conditionnement intellectuel n’est d’ailleurs pas incompatible, c’est évident, avec le fait par d’être réellement travaillé par l’Esprit et d’apporter un témoignage authentique de l’Evangile à nos contemporains. Enfin, les mêmes mécanismes sont à l’oeuvre chez des partisans de courant de pensées très différents (ils sont ainsi le pain quotidien des cathos progressistes de Golias, ou encore de différentes associations de défense de la laïcité) et même chez certains métalleux, comme le montrent un article de la Horde Noire semble-t-il désormais supprimé (évoqué dans cette interview en lien) qui voyait dans l’oeuvre du Père Culat une « infiltration » de l’Eglise catholique chez les métalleux, ou encore l’attitude de certains qui ont accusé le Collectif d’avoir monté de toute pièce la tentative de suppression du blog par la direction du Hellfest, que j’évoquais plus haut.

Et en effet, Alain de Benoist conclut son article de la manière suivante:

 « On a essayé de montrer ici que ce conspirationnisme met en jeu des
mécanismes psychologiques assez spécifiques. Ces mécanismes s’enracinent euxmêmes dans des traits permanents de l’esprit humain. C’est la raison pour laquelle il y a tout lieu de penser que les théories du complot réapparaîtront toujours sous une forme ou sous une autre. Si absurdes qu’elles puissent être, leur puissance mythique les dotera toujours d’une évidente capacité de séduction« .

 Simplement, et au delà de la bonne volonté de la plupart des catholiques concernés, je voulais signaler dans cet article que la contestation du Hellfest, née d’une indignation légitime dans son objet, quoique souvent mal informée, semble s’enfermer (enfer -mer)dans une logique conspirationniste, qui paralyse a priori tout débat, et menace de fausser le rapport de nombre de catholiques à la culture et à la société contemporaine. Et de tuer la nouvelle évangélisation dans l’oeuf…

Pour conclure, je ne résiste pas à la tentation de citer le « Collectif pour un festival respectueux de tous », qui cite lui-même l’évangile de Marc (comme quoi on a quand même quelques références communes):

« Que celles et ceux qui ont des oreilles entendent ! »  😉