Archive pour culture

Les trois bougies d’Inner Light

Posted in Actualité et perspectives du black metal, Christianisme et culture with tags , , , , , , , , , , , on 14 décembre 2013 by Darth Manu

Godkiller – The Rebirth of the Middle Ages
La nostalgie d’un Moyen-Age largement fantasmé: point de convergence significatif entre ces « ennemis culturels » que seraient les catholiques et black metalleux engagés politiquement?

Aujourd’hui, le présent blog fête ses trois ans.

Je l’ai créé le 14 décembre 2010 sur un coup de tête, sans trop savoir si j’allais le faire durer ni même oser le diffuser sur ma page FB et mon compte twitter.

Il s’agissait d’approfondir la question des relations entre musique black metal et foi, que j’avais déjà abordée plusieurs fois sur mon précédent blog Aigreurs administratives (version 1.0), mais qui méritait à mon avis un traitement et un affichage spécifiques. Ce blog, qui devait être une expérience ponctuelle (et, croyais-je, beaucoup trop ambitieuse pour mes moyens propres) est rapidement devenu mon principal lieu d’expression, au profit duquel je délaissais en quelques semaines, et pour longtemps, Aigreurs administrative.

Deux ans plus tard, mon identité numérique reposait clairement sur une spécialisation en lien avec les rapports entre culture et foi, et plus spécifiquement entre « contre-culture » metal et foi. Je n’étais plus complètement anonyme et isolé, mais était connu, au moins de nom, dans le petit cercle des catholiques blogueurs et twittos, et en particulier de ceux gravitant plus ou moins vers son centre politique (en gros, le habitués dela FASM). J’avais été nominé (quoiqu’arrivé bon dernier, au premier Prix Pélerin du blog catho, j’avais été convié à un colloqu organisé par le Diocèse de Lyon sur la musique metal, etc.

Mais comme beaucoup d’autres, j’étais en train de me laisser aspirer par la polémique autour du mariage pour les personnes de même sexe et des études de genre. Frustré de me pas pouvoir les aborder autrement que sous formes de digressions, dans des billets centrés sur la culture metal, j’ai rouvert une nouvelle version d’Aigreurs administratives, chez un nouvel hébergeur. Là encore, ce ne devait être qu’un blog d’appoint. Là encore, c’st devenu mon moyen d’expression privilégié, qui m’a progressivement conduit à prendre parti pour la loi Taubira et les études de genre, contre la Manif pour tous et ses dérivés.

Il peut donc sembler incongru de fêter cette troisième année, qui a marqué un très fort ralentissement dans l’activité de publication d’Inner Light.

Il m’a été en effet particulièrement difficile d e publier sur un blog qui réfléchit sur la foi -alors que la manière dont je vis et conçois la mienne a été profondément transformée par un polémique qui a déchiré beaucoup de catholiques, avec forme de violence culturelle et symbolique dont les conséquences sont à mon avis encore à venir pour l’Eglise et ses rapports au monde contemporain- et sur la culture (alors que la découverte des études de genre, et au travers d’elles des études culturelles, m’obligeait à repenser en profondeur les présupposés sur les quels j fonctionnais jusqu’alors).

Au terme de cette année, je pense avoir suffisamment digéré ces bouleversements pour recommencer la réflexion qui est l’objet de ce blog. J’ai pu prendre suffisamment de recul pour publier mon bilan de ces nombreux mois de Manif pour tous, qui a eu la bonne fortune d’être relayé sur twitter par des blogueurs extrêmement influents (Embruns, Eolas), puis d’être repris sur Rue 89 (ironie: le plus gros pic de fréquentation d’Inner Light est intervenu pendant sa plus longue période d’inactivité). J’ai également suffisamment approfondi, me semble-t-il, ma réflexion sur le fait culturel pour commencer à formuler une réflexion sur les points qui me gênaient ces derniers mois.

Je les dévoilerai progressivement, mais je commencerai en janvier par un billet qui précisera le cadre méthodologique et conceptuel dans lequel j’essaie désormais de penser (à mon niveau il est vrai limité d’amateur autodidacte) les relations culturelles entre black metal et christianisme.  J’y emprunterai entre autre une partie de la réflexion de l’intellectuel marxiste Antonio Gramsci sur le concept d’hégémonie culturelle (avant cela, je présenterai la pensée de cet auteur, en lien avec un autre sujet que le metal, sur Aigreurs administratives, en début de semaine prochaine).

En gros, la question que tentera de poser ce billet sera celle des fluctuations d’origine social, culturelles et politiques, qui au fil du temps et des époques change le contenu et les enjeux des rapports entre metal et christianisme. L’une des limites d mes précédents billets était à mon sens d’envisager de façon trop abstraite les rapports entre chrétiens et metalleux, comme deux blocs minoritaires, mais opposés, au milieu des quels les chrétiens metalleux étaient pris, et que j’analysai d’une manière sans doute un peu trop détachée des évolutions sociales et culturelles. Lorsque le metal est né, le christianisme conservait encore dans de nombreux pays une position d’hégémonie culturelle, sociale t politique qui a beaucoup reculé depuis. Inversement, le metal se voulait une musique d marginaux, de rebelles, une contre-culture. Même sous ses formes les plus extrêmes, telles que le black metal, il est aujourd’hui diffusé dans toutes les catégories de la population occidentale (y compris chez les cadres en costard cravate, y compris chez les cathos les plus intransigeants vis à vis de notre époque). Il ne s’agit pas pour moi, contrairement à certains de mes lecteurs critiques envers un certain festival, d’y voir les effets d’une ‘guerre culturelle », mais de penser l’historicité de la culture: comment les éléments les plus porteurs de sens et d’innovation des contre-cultures les plus agressives et les plus élitistes deviennent des composantes à part entière de la culture dominante (on a vu l’été dernier , aux réactions à l’arrestation de Varg Vikernes, combien le souvenir du « black metal inner circle  » avait du mal à faire encore peur pour de vrai, y compris dans les sphères médiatiques, et combien les accusations portées contre lui ont vite rencontré le scepticisme et la dérision). Pourquoi par exemple une musique telle que le black metal, qui s’est voulu « antichrétienne » et nihiliste par excellence, peut aussi bien avoir ses bacs dédiés à la FNAC qu’être défendue aussi bien par des « gauchistes » que des messieurs « tout le monde » que par des représentants des sphères cathos les plus réactionnaires (je pense par exemple à Ambroise qui avait publié deux billets sur Inner Light et qui milite chez les Hommen, l’Action Française et le Printemps Français, et publie des tribunes chez Nouvelles de France  sous l nom d’Athanase Ducayla Sur un registre moins extrémiste politiquement, je pense à cette photographie, publiée fièrement par la Manif pour Tous sur son site, d’un metalleux qui portait un T Shirt du groupe de power metal Manowar, et tenait à la main un drapeau « Un papa, Une maman!). Alors qu’on voit bien que les catholiques, même modérés sont capable de mobilisations extrêmement impressionnantes, aussi bien quantitativement que dans la variété et l’inventivité des modes de contestations, que dans la durée, pour défendre ce qu’ils considèrent être leurs fondamentaux culturels. Quand on compare l’ampleur de la Manif pour tous à la mobilisation tellement plus limitée (quoique ni petite, ni dénuée de significations culturelles t politiques) contre le Hellfest, on voit combien le metal, même le black metal, n’est plus vraiment perçu comme une menace contre ces fondamentaux (je le mesure aussi à l’accueil beaucoup plus tiède, voire glacial, de la part de certains catholiques, à mes billets sur Aigreurs administratives, comparés à ceux d’Inner Light). Inversement, beaucoup de black metalleux parmi les plus extrémistes et contestataires et situés à l’extrême-droite semblent délaisser de plus en plus le combat contre le christianisme, pour se recentrer contre l’Islam et le multiculturalisme. Quitte à s’allier avec des cathos à l’occasion (par exemple, le bloc identitaires semble avoir beaucoup de metalleux dans ses rangs, et fait partie des appuis les plus importants du Printemps français, des Antigones, etc.). J’essaierai aussi de voir si le concept d’intersectionnalité (la situation des minorités des minorités: par exemple la féministe voilée qui est minoritaire et au regard du féminisme, et au regard de l’Islam), qui ne vient pas de Gramsci mais des études de genre, et que j’ai évoqué en troisième parti d’un billet récent sur Aigreurs administratives, peut être opérationnel pour penser la situation des croyants metalleux (qu’ils soient cathos, protestants, musulmans, etc.).

Je développerai plus avant, et de manière plus précisément argumentée et illustrée, ces questions dans mon prochain billet sur ce blog. D’ici là, joyeuses fêtes de fin d’année, bonne montée vers Noël à ceux pour qui cette fête à un sens, et à en janvier! 🙂

Le traitement médiatique de l’arrestation de Varg Vikernes et ses enseignements

Posted in Actualité et perspectives du black metal with tags , , , , , , , , , , , , , on 20 juillet 2013 by Darth Manu

Aske - Burzum

Donc, deux jours après le début de sa garde à vue, et sans que celle-ci ait atteint la durée maximale de 96 heures, Varg Vikernes a été relâché  (et a depuis commencé sur son blog le récit en plusieurs parties de l’arrestation et la garde à vue). Si aucune association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste n’a été mise en évidence, il sera cependant probablement poursuivi pour incitation à la haine raciale devant le tribunal correctionnel de Paris.

Rien n’est surprenant dans cette issue:

– concernant l’accusation d’incitation à la haine raciale: tout ceux qui ont ne serait-ce qu’un tout petit peu suivi l’histoire du groupe Burzum et de son unique membre connaissent bien le racisme et l’antisémitisme explicites et sans cesse rabâchés de ce dernier. On se souvient que l’an dernier, Radio metal a préféré censurer sur plusieurs points une interview qu’il lui a accordée, plutôt que de la publier, comme d’habitude, intégralement, en raison de nombreuses déclarations antisémites susceptibles d’engager la responsabilité légale du webzine.

– concernant la levée de la garde à vue et des soupçons de terrorisme: dès les premières dépêches, les faits reprochés paraissaient très minces. Dès le début, lesjournalistes ont rappelé que l’achat de 4 armes à feu par Marie Cachet, la compagne de Vikernes, qui semble avoir été l’élément déclencheur décisif de la garde à vue, était légal, puisqu’elle dispose d’un permis de port d’arme. Interrogé sur l’opération, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, a reconnu dès le premier jour que l’arrestation était de nature essentiellement préventive:

« « Cet individu, proche de la mouvance néonazie constituait donc une menace potentielle pour la société, comme l’atteste la violence de ses propos interceptés notamment sur le Web », affirme la Place Beauvau. Plus tard dans l’après-midi, M. Valls, tout en reconnaissant qu’il n’y a pour le moment « ni cible, ni projet identifié », a justifié cette décision par la nécessité, face au terrorisme, « d’agir avant, et non pas après ». » (Le Monde, « Valls justifie l’arrestation préventive du Norvégien Vikernes »).

Enfin, la nature des armes trouvées au domicile de Varg Vikernes, des 22 long rifle essentiellement, semble peu compatible avec un massacre du type de celui commis par Breivik en 2011, et beaucoup plus avec la pratique de la chasse mise en avant par le couple. Jacques Raillane / Abou-Djaffar, ancien des services secrets et un commentateur très informé des milieux et des problématiques du contre-terrorisme, exprimait dès mardi son profond scepticisme:

Si, compte-tenu des antécédents de Varg Vikernes, on comprend aisément qu’il soit surveillé, et que ses récents posts de blog sur le déraillement de Brétigny, couplés à un achat d’armes important, suscitent quelques inquiétudes, surtout à quelques jours du second anniversaire du massacre commis par Breivik en Norvège, on peut en effet s’interrogersur le caractère brutal et médiatique du mode d’intervention choisi. Peut-être lié au besoin de redorer le blason de la DCRI, fortement terni par l’affaire Merah?

An fond, je n’en sais rien, n’étant pas moi-même spécialiste, ni de près, ni de loin, du contre-terrorisme, et tout cette histoire relève au fond du fait divers très anecdotique.

Ce qui est plus intéressant, c’est le traitement médiatique qui en a été fait, et ce qu’il révèle de l’évolution de la réception du black metal par le grand public, un quart de siècle après son apparition, et 21 ans après les méfaits du black metal inner circle norvégien, auxquels Varg Vikernes a tant et si célèbrement contribué.

Tout au long de la journée de mrdi, et alors que la nouvelle de sa garde à vue se répandait sur les réseaux sociaux, j’ai vu pluieurs de mes contacts metalleux commencer à anticiper un backlash médiatique sur la communauté metalleuse dans son ensemble.

Ainsi, un de mes contacts facebook écrivait sur sa page:

« Métalleux, métalleuses, Brace yourselves, Commentaires are coming, avec la mise en examen de Varg, le Metal va s’en prendre des caisses et des violentes ! ahahahahah c’est bon, l’année prochaine on repasse sur M6, c’est fini les traitements de faveurs du petit journal ! XD »

Et, avec une inquiétude plus tangible, le fondateur et responsable du webzine Radio Metal:

Or, force est de constater que malgré des erreurs factuelles (Varg Vikernes « disciple » de Breivik, entre autres), les amalgames ont été quasiment inexistants. En fait, en parcourant les divers articles écrits sur cette affaire, les épithètes « néo-nazi » et « compatriote de Breivik » semblent plus significatif pour les journalistes, pour comprendre l’arrestation, que le statut de « star » du black metal de Vikernes, même s’il est également évoqué.

Radio Metal a compilé une petite revue de presse du traitement médiatique de l’affaire, avec le commentaire suivant:

« On aurait pu croire que, sous le coup de l’émotion, de nombreux médias généralistes allaient traiter à la va-vite l’objet éminemment complexe qu’est Varg en faisant, on l’a déjà vu à de nombreuses reprises par le passé, un amalgame facile entre « metal » et « extrémisme ». Pourtant, et c’est à signaler, malgré quelques approximations factuelles concernant l’idéologie de Varg (notamment son rapport à Anders Breivik) les grands médias ont souvent fait le travail en allant à la pêche aux infos – des infos précises parfois issues de médias spécialisés comme le nôtre – dans le but d’informer au mieux leur lectorat respectif.

France TV Info, Le Monde, BFM etc. : beaucoup de médias ont tenté de faire le portrait de Varg et je n’ai à ce jour pas constaté d’amalgames douteux assimilant « black metal » à « néo-nazi », « metal » à « dangerosité » ou les habituels poncifs que les fans de metal subissent constamment ! Mais n’hésitez pas à partager vos impressions en commentaires si vous avez lu/vu des propos de journalistes sur l’affaire Vikernes qui vous ont choqué ou si votre ressenti global, concernant le travail journalistique des grands médias sur cette affaire, est tout simplement différent de mon opinion (plutôt positive).« 

De mon côté, j’ai remarqué que les grands médias sont aller solliciter, outre des spécialistes des droites radicales (Jean-Yves Camus, Stéphane François, etc.), des experts de niveau universitaire, qui connaissent le sujet d’asez prêt (Alexis Mombelet, Nicolas Walzer). Parcontre, il ne m’a pas semblé que tous ces pseudos experts que certains catholiques, de droite comme de gauche, ont longtemps porté aux nues, et qui se sont spécialisés dans une dénonciation apocalyptique et outrancière du metal et des idéologies supposées en constituer le coeur: Jacky Cordonnier, le Père Benoit Domergue, Paul Ariès, etc. On ne nous a ps ressorti non plus la tarte à la crème du rapport de la MIVILUDES sur le satanisme.

Pour expliquer cette modération à l’encontre du metal, si nouvelle chez les grands médias français, on peut, avec Radio Metal, émettre l’hypothèse que la polémique récurrente du Hellfest et le succès populaire de ce festival, maintenant l’un des poids lourds français, ont favorisé une meilleure connaissance du metal par le grand public, et une acceptation croissante de ses valeurs et de son esthétique, et ont constitué un accélérateur de son intégration:

« D’ailleurs, en France, parler du metal dans les médias généralistes signifie souvent répondre à des questions où l’on est très vite obligé de défendre l’image négative du genre en dissertant sur les minorités extrémistes comme Varg Vikernes dont le discours haineux est, évidemment et heureusement, dénoncé par la très grande majorité du public metal. Dans cette optique, c’est dans la façon de parler du metal au grand public – véritable lutte pour l’image et la crédibilité du mouvement au sens large – que se situe l’une des vraies réussites du Hellfest. En effet, Ben Barbaud et ses acolytes sont parvenus à remporter, au fil du temps, un combat moral et politique situé bien au-delà de la musique et c’est peut-être avant tout en cela que la réussite du Hellfest est exceptionnelle. Les attaques anti-Hellfest en provenance des conservateurs (Christine Boutin, Philippe de Villiers…) ayant finalement été totalement décrédibilisées par des émissions comme Le Petit Journal (Canal +) qui n’ont jamais hésité à railler leurs discours extrémistes en valorisant même le festival de l’Enfer par l’humour ! »

Ironiquement, à force de ramener le metal et le Hellfest sur le terrain de l’actualité et de pousser les journalistes et l’opinion publique à s’y intéresser, ses opposants les plus irréductibles ont peut-être bien contribué à favoriser une connaissance plus étendue et nuancée de cette musique et de ce milieu. Bien malgré eux, ils auraient peut-être contribué à cette banalisation du metal extrême qu’ils semblent tant redouter.

Autre explication possible: le black metal a un quart de siècle. Le monde a vieilli, et les gamins qui se faisaient confisquer leurs CDs sont devenus grands, et pour certains, journalistes (je me souviens avoir discuté, à l’issue de la table ronde sur le metal organisée par le diocèse de Lyon en novembre dernier, avec un journaliste de Rue 89 Lyon qui se définissait lui-même comme metalleux. Les amateurs de black metal ne sont plus depuis longtemps une petite minorité de marginaux ou de précurseur, mais une composante à part entière du « grand public ». J’observe d’ailleurs une certaine porosité de la presse metal et de celle plus mainstream, puisque l’auteur d’un article sur Varg Vikernes publié cette semaine sur le Huffington Post est Maxime Bourdier, également membre de l’équipe de rédaction de Metallian, l’un des magazines de référence en France sur le metal extrême.

Côté catho, ça été très calme, ce qui n’a pas manqué de surprendre certains:

Pourtant, toute cette année a bien montré que l’actualité sociétale (mariage pour les personnes de même sexe, recherche sur les cellules souches…) écrasait, dans la cathosphère, tous les autres sujets ou presque, et en particulier les polémiques culturelles. Alors que les années précédentes, on a vu des campagnes très virulentes contre l’oeuvre « Piss Christ », divers pièces de théâtre, diverses séries télé, comme Inquisitio, cette année, on n’a quasiment rien vu de tel. Comme si, loin d’être une préoccupation centrale des catholiques, l’art « blasphématoire » était au fond un sujet bouche trou, destiné à faire entendre la voix des catholiques les plus revendicatifs en l’absence d’actualité sur les « vrais » sujets qui fâchent.

Même sur le Hellfest, l’année a été très calme, beaucoup plus que les précédentes (sans doute en grande partie du fait de l’actualité politique brûlante qui a mobilisé ailleurs l’énergie des cathos). Les deux polémiques les plus lourdes de l’année autour de ce festival, et de manière très relative, sont toutes deux sans rapport avec la nature de la musique qui y est jouée et l’identité des groupes qui y sont invités: la mobilisation de riverains contre les nuisances sonores du festival, et la saisie de viande avarié sur le stand d’un des restaurateurs sous-traités par le Hellfest.

Concernant la garde à vue de Varg Vikernes, j’ai juste remarqué un article du Collectif Provocs Hellfest ça suffit! qui citait une interview de Stéphane François sur Varg Vikernes et le NSBM, pour renvoyer sur un de leur propre article, qui établissait un lien entre le black metal dans son ensemble et l’idéologie de la Nouvelle Droite. Très mal à propos à mon sens, puisque ce politologue a lui-même réfuté, dans d’autres publications, l’amalgame qu’ils tentent de lui attribuer, comme je le signalais dans un billet que je consacrais aux liens entre une minorité de groupes de metal à la marge et certaines initiatives de la droite néo-païenne:

« la scène europaïenne s’est intéressée sérieusement au Black Metal àpartir des faits divers morbides dont les groupes radicaux de cette scène se sont rendus coupables : meurtres, cannibalisme, incendies de dizaines d’églises, violation de sépultures. En effet, depuis le début des années quatre-vingt-dix, cette scène musicale a souvent défrayé la
chronique par les crimes et les incendies perpétrés par des musiciens de cette scène ou par leurs fans. Des disques de groupes de cette scène furent saisis par la police, comme par exemple en Allemagne. Toutefois, malgré ces dérives nous ne pouvons pas suivre les textes délirants de Paul Ariès et du Père Benoît Domergue dans leur description apocalyptique de ce milieu musical car la majorité de ces groupes sont apolitiques et non violents, même s’ils utilisent un satanisme, souvent de façade. Par ailleurs, cette musique est née au milieu des années quatre-vingt absente de la violence postérieure qui caractérisera certaines de ses dérives » (Les paganismes de la Nouvelle-Droite, thèse de doctorat soutenue par Stéphane François le 29 septembre 2005 à l’Université Lille II, sous la direction de Christian-Marie Wallon-Leducq, p.192).

En fait, l’inquiétude exprimée mardi par beaucoup de metalleux (y compris de black metalleux), face au risque d’être amalgamés avec Vikernes, montre que loin d’être au coeur du milieu et de la musique metal, les idéologies violentes qui ont en partie accompagné la genèse de certains courants se séparent progressivement de celui-ci. on observe avec le black metal ce qu’on a constaté avant lui, pour d’autres courants musicaux, ou plus largements artistiques, contestataires. Mieux ils sont connus, et plus ils sont reconnus. Plus ils sont reconnus, et plus ils s’intègrent au paysage culturel au sens large. Ils se répandent, se partagent davantage, et perdent de leur radicalité. Bien loin de subvertir la culture, ils sont phagocytés par elle (les réactions de la communauté metalleuse cette semaine, oscillant entre sarcasmes envers Varg Vikernes et refus des amalgames, témoignent que l’écoute assidue de Burzum n’implique nullement une adhésion aux thèses politiques, religieuses et historiques de son auteur. Assez paradoxalement, alors que la grande majorité des metalleux détestent sa « pensée », ses positions politiques lui ont par contre valu une appréciation très élogieuse en 2011 de la part d’un blog intégriste particulièrement mobilisé contre le Hellfest: comme quoi le rapport triple entre musique, idéologie et religion est finalement plus complexe et pluriel qu’on ne le dit souvent).

Aussi bien la revendication, longtemps (et abusivement à mon sens) présentée comme indissociable du black metal , d’une musique qui devrait, sous peine de se perdre, être celle du mal, que le combat de certains chrétiens contre la culture « sataniste semblent devenir avec le temps des combats d’arrière-garde, à l’obsolescence programmé à moyen terme. La question qui commence à se poser est plutôt celle d’un black metal, dont l’intégration par la culture mainstream est désormais en bonne voie, qui arriverait à mettre en cohérence cette évolution avec la radicalité et la violence de son esthétique. il s’agit peut-être désormais de moins s’épancher ad nauseam sur ce qu’il combat ou serait supposé combattre (le christianisme etc.), mais sur la partie positive (paradoxalement il est vrai pour une musique si négative) de son message: ce qu’il dit de l’homme, de la souffrance, du monde, de la nature etc…. et de la musique en elle-même).

Avec toute les difficultés (abstraction, élitisme…) qu’il y a à théoriser l’apport artistique au sens le plus large de d’expressions de l’art populaire, et les résistances que ce type de tentatives entraine fréquemment, comme en témoigne la publication d’un manifeste en faveur d’une théorisation plus grande du black metal, publié par un membre du groupe Liturgy:

« Une violente controverse a récemment secoué la scène déjà tumultueuse du black metal, suite à la parution d’un manifeste, Transcendental Black Metal. Son auteur, Hunter Hunt-Hendrix, compositeur et chanteur d’un groupe brooklynien (Liturgy) y redéfinissait les contours, la nature et la destinée de cette musique, en des termes clairement philosophiques, et à grands renforts d’emprunts à Nietzsche et à Hegel.

Plus précisément, il y décrivait deux moments dans l’histoire de cette musique, en théorisant la nécessité du passage de l’un à l’autre. Le premier – correspondant à la naissance du genre et à son développement, essentiellement en Scandinavie – y était décrit comme « atrophié, nihiliste, lunaire » en raison de ses thématiques et de sa tonalité. Le caractère statique de ce premier moment est, pour Hunt-Hendrix, insatisfaisant, et doit conduire à un dépassement, une négation nietzschéenne du nihilisme. Ce deuxième moment – à savoir, l’émergence d’un black metal américain hybride, intégrant d’autres genres musicaux et développant une rythmique légèrement distincte – se caractérise par l’affirmation, la plénitude ; des valeurs solaires, en somme3. Ce deuxième temps, qui est aussi la forme aboutie de ce genre, sa fin, inclut implicitement l’œuvre de Hunt-Hendrix et de son groupe Liturgy.

Or, au sein de l’univers relativement fermé et discret du black metal, la simple mise en ligne de ce texte a provoqué un petit cataclysme, qui s’est notamment manifesté sur le web. Tandis que ce discours philosophique exposait Liturgy à un plus large public, lui valant notamment l’intérêt du New-Yorker ou de Art Times, les réactions violentes de fans de metal ont fusé. Jugé pédant ou déplacé par certains, illégitime par d’autres – en s’ouvrant à d’autres genres musicaux, Liturgy aurait perdu le droit de formuler un quelconque discours sur le black metal – le manifeste donne lieu à plusieurs lettres ouvertes dirigées contre ce « traître » qui a voulu se faire le chantre d’une cause qui n’est pas la sienne. […]

A notre sens, l’accueil réservé à ce manifeste au sein de la scène metal est un indice de la méfiance générale des cultures populaires à l’égard de toute forme de théorisation. Préférant rester à l’abri du regard du grand nombre, et refusant d’être traduites dans des termes « sérieux », ces sous-cultures gardent leurs distances avec la théorie. Mais ce faisant, elles maintiennent le fossé séparant les arts « nobles » ou savants des arts populaires, se constituant volontairement comme un objet négligeable pour les universitaires – ou tout juste digne de l’intérêt de l’ethnologue attiré par l’exotisme d’une culture étrangère. Elles se cantonnent volontairement dans le domaine de l’expression viscérale d’émotions propres à une certaine catégorie de la population – simple symptôme d’un phénomène que la sociologie se donnera pour objet d’expliquer.

Pourtant, comme le souligne Hunt-Hendrix lui-même, « les musiques populaires pourraient se permettre d’être un peu plus prétentieuses ». Car s’enfermant dans la catégorie des musiques qui ne se théorisent pas, elles masquent leur intérêt esthétique propre, et dissimulent le fait qu’à leur manière, elles constituent une forme de pensée sensible, enfermant des positionnements métaphysiques et éthiques, des points de vue sur le monde. Elles se donnent à voir comme des simples phénomènes anthropologiques, outils de reconnaissance au sein de groupes tribaux, masquant tout ce qu’elles donnent à penser sur le plan esthétique.

Le texte de Hunt-Hendrix aura au moins eu ce mérite-là. Renouant avec la tradition des manifestes artistiques qui ont fleuri au début du siècle dernier, le musicien adopte une posture qui consiste à penser sa place au sein d’une histoire de l’art, à situer son geste artistique au sein de cette histoire, et à justifier, de manière théorique, la nécessité de ce geste. Ce faisant, le chanteur contribue à amenuiser le fossé existant entre arts « nobles » et arts populaires, acte pour lequel on ne saura trop lui témoigner notre reconnaissance. » (Un manifeste pour le black metal : quand les musiques populaires se théorisent, par Églantine de Boissieu et Catherine Guesde, Sens public, 9 janvier 2012)

« Christians Against Black Metal »: le retour de la vengeance de la mort qui tue!

Posted in Christianisme et culture, Regard chrétien sur les influences ésotériques, satanistes et païennes du black metal, Unblack Metal with tags , , , , , , , , , , , , on 28 Mai 2013 by Darth Manu

christians against black metal

J’ai été pas mal absent de ce blog ces derniers mois, du fait, d’une part, d’un alourdissement de ma charge de travail qui devrait se résoudre dans les prochaines semaines, et d’autre part parce que le débat sur le « mariage pour tous » m’a beaucoup préoccupé, pour les raisons que j’ai exprimées sur Aigreurs administratives, et ne m’a pas laissé beaucoup de temps ni de disponibilité d’esprit pour écrire sur le black metal (ni même pour en écouter 😦  ). Ce court billet, sur un sujet relativement anecdotique, se veut donc un coup d’envoi, en attendant que je finisse mes brouillons en court (un billet sur black metal et santé en réponse à un article publié par Etienneweb sur le site du Collectif Provocs Hellfest, un sur la place qu’il convient de donner à mon sens à l’imaginaire sataniste dans l’évaluation du rayonnement culturel du black metal, un sur la fonction du « morbide » dans ce même courant musical, et la suite de mon avant-dernier billet, sur la « guerre culturelle »). Venons-en maintenant au sujet du jour: un de mes contacts facebook a signalé sur son mur la page suivante (Correctif du 5/07/2013: un commentateur me signale qu’il s’agirait d’un fake):

« Christians Against Black Metal. BAN this sick form of « music »

Black Metal is a Perverse, Blasphemous type of music from Scandanavia. It degrades children into Homosexuals, Arsonists and Sodomites. It MUST be banned. »

Je passe rapidement sur l’usage abusif des majuscules, qui donne l’impression que l’auteur partage a minima avec ceux qu’il dénoncent un goût certain pour la dramatisation à l’excès et le spectaculaire, et sur sa fixation évidente (quoique d’actualité) sur l’homosexualité, qui monopolise pas moins de deux des trois conséquences supposées, sur nos chères têtes blondes, du black metal (on trouve quelques figures célèbres d’homosexuels dans le black metal: je pense notamment à l’ancien membre de Gorgoroth puis Godseed, Ghaal. Cependant, il me semble que le milieu du black metal, et plus généralement celui du metal, sont encore loin d’être « gay friendly« , et qu’il y aurait pour les chercheurs en études de genre matière à réflexion sur les stéréotypes sur l’homosexualité, et plus généralement sur la sexualité dans son ensemble, véhiculés par ces msuiques, leur iconographie, leurs textes, etc.).

Je voudrais faire trois remarques sur cette page, non pas parce qu’elle aurait une quelconque originalité qui aurait attiré mon attention, mais au contraire parce qu’elle me parait pour ainsi dire archétypique d’une méthode et d’une vision du monde que la quasi totalité des initiatives chrétiennes de dénonciation du metal ont en commun:

1) un rapport naïf, unilatéral et hégémonique au multiculturalisme:

– Pourquoi naïf? Ce qui frappe dans ce type d’initiative, c’est l’importance donnée à l’intuition fondatrice, qui devient le critère définitif de toute appréciation du sujet, de manière quasi dogmatique. Ainsi, des personnes qui ignoraient tout du metal, n’en ont jamais écouté, ne se sont jamais rendu à des concerts ou des festivals, ne fréquentent pas ou très rarement des métalleux, s’improvisent en quelques mois, voire quelques semaines, des spécialistes, capables d' »alerter » leurs concitoyens sur la « réalité » de cette musique, et d’en remonter aux metalleux les plus aguerris. Il y  là une forme de confiance absolue en son jugement propre et en sa vision du monde bien à soi qui ne me parait pas si commune, et me frappe de plus en plus au fil des années. Comme si tout phénomène s’offrait d’emblée en totalité à notre perception et à notre jugement. Comme si juger du bien et du mal était évident, sans contre-exemples, sans situations trompeuses, sans complexité des réalités observées. Comme si discerner se limitait à constater.

– Pourquoi unilatéral? Lorsqu’on voit des milliers de personnes s’enthousiasmer pour quelque chose qui nous choque et nous parait « contre nature », on pourrait prendre le temps d’essayer de comprendre ce qu’une personne rationnelle peut trouver à quelque chose qui nous parait si détestable, essayer de mieux le connaitre, d’en délimiter les niveaux de discours, de signification, les objectifs réels, l’impact esthétique, la genèse historique. D’essayer de trouver tout ce positif que tant de personnes puisent dans le négatif, de saisir comment elles peuvent prétendre trouver de la joie, voire un sens à leur vie dans l’exaltation apparente de la maladie, du désespoir et de la mort, par exemple. Quitte le cas échéant à en souligner les limites et les contradictions, ou les illusions, éventuelles, d’une manière d’autant plus précise qu’elle est informée et l’aboutissement d’un dialogue en profondeur.

L’auteur de la page qui nous occupe, ainsi que nombre de ses prédecesseurs, adopte clairement une démarche symétriquement inverse. Il montre ce qui le choque (ainsi une interview provocante de Dark Funeral) ou ce qu’il considère élever les âmes (ainsi des exemples de « vraie musique » à ses oreilles), et situe ainsi le gros du travail de comparaison, de hiérarchisation, de compréhension et de discernement du côté de ses contradicteurs. Le post suivant me parait à ce titre exemplaire:

« Y’all are saying that you’re open minded, decent folk. Well, go prove it and go to Church, tomorrow. Attend the Sunday service, and see if it’ll change your view on Christians.
Maybe then you’ll start understanding that we aren’t children raping , crusading monsters. A lot of bad things can be said about the things Black Metal has done in the past, too. And continues to do. »

On pourrait le prendre au mot et renverser sa remarque, en lui suggérant d’aller à des concerts et des festivals, et de discuter IRL avec des metalleux. Ce qui lui permettrait peut-être de constater qu’ils ne sont pas tous des pyromanes, des tueurs ni même haineux envers les chrétiens. Mais il ne semble même pas réaliser une seule seconde la possibilité de cette réciprocité. Parce qu’il ne se situe pas dans un rapport réciproque: il ne mène pas un dialogue, mais donne un enseignement.

– Pourquoi hégémonique? Précisément parce qu’il place la quête de la vérité du côté de ceux auxquels il s’adresse, et le contenu de celle-ci dans son discours propre. Ce faisant, il ne se positionne pas en tant que chercheur, ou même en temps que partisan (qui assumerait le caractère partial et inachevé de son point de vue, tout en l’admettant par là même) mais comme prédicateur. Il ne donne pas sa vérité (qu’il ne comprend pas l’engouement pour le black metal, que celui-ci le choque), mais la Vérité (que le black metal blasphèmerait contre le Saint Esprit, seul péché irrémissible pour les chrétiens, qu’il pervertirait les enfants, pour les transformer en homosexuels, pyromanes, ou encore sodomites, qu’il existe une vraie musique, avec laquelle il n’aurait aucun rapport, etc.). On comprend donc pourquoi il se soucie si peu de discerner la vérité (ou les vérités) du black metal: il vient lui apporter la Vérité. Il se considère comme un messager, plutôt que comme un chercheur. Les prophètes ont-ils étudié les ressorts économiques et sociaux des civilisations sont ils dénonçaient la corruption. Non, ils sont venus apporter non pas leur parole, leurs impressions subjectives, mais la Parole de Dieu qui leur a été confiée. Mais notre compréhension de ce que sont l’amour de Dieu et le blasphème rejoignent-elle celle de Dieu? En imitant la démarche des prophètes du premier testament,ne risquons-nous pas d’oublier ce qui nous en différencie: que nous n’avons pas de mandat explicite et donné d’avance contre telle ou telle situation de corruption? Et qu’étant nous aussi prophètes par notre baptème, mais de manière souvent plus invisible, plus quotidienne, ordinaire, cette parole de Dieu, nous avons à la chercher tout autant qu’à la prédire, et autant dans ce qui nous choque, et pourtant réjouit notre prochain, en cherchant à comprendre cette positivité apparement incompréhensible et paradoxale du négatif

2) un manque de perspective sur la diversité des cheminements et des points de vue individuels:

Que fait cette page? Elle alterne entre dénonciation et évangélisation: elle montre ce qui choque l’auteur dans le black metal, et ce qui le rend heureux dans le christianisme. Elle se veut un témoignage. En soi, c’est très bien. Ce qui me dérange ici, c’est la forme que prend ce témoignage, son caractère purement exemplaire et pour tout dire, subjectif. On a un peu l’impression que l’auteur pense que si ses lecteurs, et l’ensemble des black metalleux, voyaient comme s’ils étaient dans sa tête, s’ils écoutaient la musique comme il l’écoute et voyaient le metal comme il le voit, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes possible.Or, tout le monde n’est pas touché de la même manière par une même musique, que ce soit par rapport à d’autres auditeurs, ou bien suivant le moment de sa vie, et de son cheminement personnel. Certains chrétiens, de toutes sensibilités, sont touchés par le black metal. Ainsi le membre unique du groupe Elgibbor, à sa conversion, a renoncé à son satanisme passé, mais également à toutes ses addictions, mais a persévéré dans le black metal, parce que, à la lumière de sa conversion, il y a vu un moyen puissant d’évangélisation et de témoignage. Inversement, si j’en crois le « révérend » de l’Eglise de Satan Gavin Baddeley, dans son livre L’essort de Lucifer, Anton LaVey, le fondateur de cete dernière, n’aimait aucun groupe de metal, à l’exeption (si je me souviens bien, je n’ai pas le livre sous les yeux) de Mercyful Fate. Il ne suffit pas de dire que les paroles et l’iconographie du black metal sont souvent choquantes, que son son est violent et morbide, mais de faire la cartographie de ses auditeurs, de comprendre qui l’aime et pourquoi, ce que j’ai essayé de commencer dans quelques billets ( le plus approfondi ici), sans avoir encore thématisé cette idée de cartographie qui vient de me venir à l’esprit. Et en partant de ce public et de sa diversité, et non plus des seuls paroles, on commence à appréhender la diversité des personnes et des états intérieurs de vie , y compris pour pour certains profondément spirituels et chrétiens, avec lesquels cette musique a pour effet d’entrer en résonance, ce qui permet d’en dresser un portrait et une compréhension beaucoup plus nuancés que de prime abord.  Et de sortir d’une confrontation binaire des points de vue, entre « pros » et « antis » metal, pour commencer à appréhender les interactions complexes entre les cheminements individuels et les phénomènes culturels, ce qui permet par exemple de proposer des éléments de discernement du multiculturalisme qui ne tombent ni dans le relativisme ni dans la dénonciation, mais qui permettent, pour chaque intersection entre groupes culturels, de mettre en évidence des points de dialogue et de rencontre, voire d' »élevation » commune, et au contraire d’autres qui constituent des ruptures, des clôtures, ou des casus belli. C’est pourquoi je trouve si intéressant (goûts personnels mis à part) d’examiner de manière privilégiée le cas du black metal chrétien, qui, précisément parce qu’il est ouvertement paradoxal et apparemment contradictoire, permet de poser avec netteté et précision les enjeux, les tenants et les aboutissements de la révolte supposée du black metal contre le christianisme, et plus largement contre tout ce qui peut apparaitre comme des idéaux positifs faisant largement consensus dans nos sociétés.

3) la figure imposée de l’enfance en péril:

C’est sans doûte la conjonction avec les « manif pour tous » qui m’y fait penser, mais je suis frappé par cette récurrence de la figure de « l’enfance en danger » chez les pourfendeurs des « contre cultures ». L’enfant, objet malléable à merci, aussi exposé aux influences culturelles « extérieures » qu’il semble bardé de défenses très difficilement pénétrables contre l’enseignement de ses parents et de ses enseignants, serait perverti au jour le jour par le metal, les jeux vidéos, les séries trop violentes, etc. Ainsi dans notre exemple, il risquerait au contact du black metal de développer des prédispositions « perverses » pour les incendies volontaires et la sexualité anale. Je ne dis pas que certains divertissement culturels n’ont aucun impact, et il est tout à fait du ressort des éducateurs de développer chez ceux dont ils ont la charge une conscience claire de ce qui est bien et de ce qui est mal, et le goût du beau et du vrai. Et au préalable, de se former soi-même à ces enjeux. Cela dit, cela semble une curieuse façon de mettre au centre le bien des jeunes générations, que d’accueillir avec méfiance tout ce qui semble nouveau et inhabituel. Eduquer au beau et au vrai, c’est aussi s’éduquer soi-même avec les enfants (ou les adolescents) et découvrir de nouvelles formes de beauté et de nouvelles perspectives sur la vérité et le bien. Non pas que tout est acceptable (et on peut s’interrogerselon moi légitimement sur le « photoréalisme » de certains FPS, sur l’hypersexualisation d’icônes de dessins animés, de bandes dessinées, ou de jeux vidéos). Mais je pense qu’au souci parfaitement légitime de préserver les enfants d’influences nocives peuvent se mêler un certain nombre d’injonctions de nature sociale et comportementale, qui viseraient à valoriser les loisirs qui sont dominants dans leur groupe d’appartenance, et à les dissuader de pratiquer ceux qui y apparaissent dissonnant: ainsi certains vont valoriser des activités « saines » telles que le théâtre, certains sports, la danse, sur les jeux vidéos, les jeux de rôle. D’autres vont suggérer à leur enfant de faire du piano ou de la guitare électrique plutôt que de la basse ou de la guitare électrique. Je caricature un peu, mais je pense que nous sommes tous tentés de valoriser des modèles qui ne sont pas seulement de nature morale, mais qui s’inscrivent dans des rapports sociaux liés à l’habitude et à la perception des rapports de pouvoir dans la société (quelles activités sont associées à la réussite, à une meilleure intégration et quelles autres semblent liées à des formes de marginalités, voire de révolte?). Or, que nous enseigne souvent notre propre histoire: qu’il est dans la nature même de ces normes d’évoluer, instituant leur propre obsolescence à force de répétition et de décalage avec les besoins de chaque génération: ainsi les jeux vidéos, les dessins animés japonais ou le metal lui-même ne suscitent pas la même opprobe que pour la génération précédente, qui elle-même avait lutté pour faire accepter comme des divertissements « convenables » le rock et la lecture de bandes dessinées. Plutôt que de nous braquer, apprenons donc à anticiper ces déplacements, qui constituent des apports de chaque générations par rapport aux précédentes, et prenons conscience que, sans renoncer bien sûr à notre jugement d’éducateur adultes, ce dernier a tout à gagner à se laisser éduquer par les formes nouvelles de culture ou de contre-culture qui choque notre sensibilité, parfois parce qu’elles sont intrinsèquement contestable, mais souvent parce qu’elles annoncent quelque chose de nouveau qui nous parait étranger par rapport à nos valeurs, mais qui anticipe partiellement le génie futur des générations nouvelles. Et demandons si ce qui nous choque fait obstacle à notre perception du bien et du mal, ou bien à notre désir de reconduire sous forme d’injonction culturelle nos critères propres d’identification  à tel ou tel groupe et telle ou telle situation au sein d’une hiérarchie sociale.

Conclusion:

Je me suis un peu éloigné, dans ma troisième remarque, du black metal qui n’est plus si jeune, et dont les initiateurs sont quadragénaires et, pour nombre d’entre eux, eux-mêmes pères de famille (mais tout en m’étant efforcé de rester dans cette thématique enseignement – dialogue / enseignement-prédication). Ces trois brèves remarques avaient surtout pour objet de saisir, sans les approfondir ici-même, ce qui m’apparait de plus en plus comme des types psychologiques et sociaux cohérents de la dénonciation chrétienne des « contre-cultures ». Sans y réduire ou y enfermer tous les discours ni tous les arguments de cette dernière, je commence à me dire qu’une étude de la psychologie, de la sociologie, des cadres intellectuels et des représentations (pour ne pas dire des mythes) des groupes et des particuliers chrétiens qui luttent contre les différents avatars récents de la culture populaire serait, non seulement d’une lecture tout à fait passionnante, mais très intéressantes pour comprendre les positionnements proprement culturels et temporels qui interagissent, dans l’Eglise, avec ce dépôt de la foi qui unit ses membres, et qui conditionnent en partie la manière dont elle aborde, à une époque donnée, les combats qui sont les siens, et l’image qu’elle donne d’elle-même et de son message à la société profane. Ce qui a sans doute été fait par des gens beaucoup plus compétents que moi, mais dont je prends de plus en plus conscience de l’importance dans les enjeux d’évangélisation et de témoignage: qu’est-ce qui dans notre compréhension du Beau, du Bien et du Vrai, nous vient de l’esprit, et qu’est-ce qui nous vient des usages et des intéressements qui nous sont légués, socialement et culturellement, par notre époque, notre lieu de vie et notre milieu? L’opportunité de la question est évidente; le contenu de la répons sans doute moins…

To Hell and Back: relecture de mon Hellfest 2012

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , , , , on 17 août 2012 by Darth Manu

Dimanche 17 juin 2012, lors de la messe de 11 heures à l’Eglise Notre Dame, à Clisson, le Père Henry, curé de la paroisse, a énuméré diverses intentions de prières, pour les confirmants, etc. L’une de ces intentions concernait les festivaliers: il s’agissait de prier pour qu’ils rentrent bien chez eux, sains et saufs de corps, mais également d’esprit. Et lorsque je lui ai souhaité un bon dimanche à la sortie de la célébration, il n’a pas manqué de me répondre: « bon dimanche… et bon retour! »

C’est sous cet angle du retour que je souhaiterais aborder ce compte-rendu de l’édition 2012 du Hellfest. Avoir fait l’expérience de ce festival sur toute sa durée, contrairement à l’année dernière où je n’avais pu être présent que le dimanche à partir de 13 heures, qu’est-ce que cela a changé en moi, quels souvenirs, quelle empreinte a-t-il déposés en moi, quels sont les fruits que j’en reccueille, bons ou mauvais, dans ma vie ?

Il pourra sembler curieux que je publie ce compte-rendu plus de deux mois après mon retour. Je voulais dans un premier temps, il est vrai, l’écrire dans la foulée. Des contraintes professionnelles m’ont dans un premier temps dissuadé de le faire. Puis, à la réflexion, il m’a paru préférable de laisser mûrir l’écriture de ce billet, afin de ruminer les traces que le Hellfest a pu laisser en moi, et répondre, à froid, à cette question que le Père Henry posait implicitement: « Au dela des plaisirs procurés par l’ambiance festive, la musique, l’amitié, les déguisements, l’alcool parfois, qu’est-ce que ce festival fait à mon âme? ».

Après deux mois de retour à ma vie quotidienne, et un temps de retraite de cinq jours, où j’ai confié parmi d’autres cette question au Seigneur, je suis d’avis de dire: rien, ni en bien, ni en mal.

Pourtant, si j’ai commencé la partie musicale de ce festival par un groupe chrétien (Betraying The Martyrs), j’ai passé l’essentiel des trois jours sous l’immense chapiteau qui abritait les scènes The Temple (dédiée au black metal) et The Altar (consacrée au death). A ce titre, j’ai assisté à la prestation de beaucoup des groupes « polémiques »: Merrimack, Taake (pas de croix gammée ni de discours islamophobes… une croix inversée, ceci dit), Necros Christos, Behemoth, Endstille, Cannibal Corpse (j’ai loupé Dimmu Borgir par contre: c’était tout à la fin, dans la nuit de dimance à lundi, et j’étais trop crevé)…  J’ai vu aussi une partie du concert de King Diamond, sur le Main Stage 2, si mon souvenir est bon.

Bien que je connaisse les paroles et le discours provocants de certains de ces groupes, je n’ai eu à aucun moment le sentiment de participer à un rassemblement qui avait pour objet d’attaquer ou de salir ma foi. J’avais au contraire le sentiment que ce qui reliait les spectateurs, très divers pour avoir écouté certains d’entre eux ou discuté avec d’autres, était la musique. Et pourtant, mon identité de catholique était clairement visible aux yeux de tous: par dessus un t-shirt de metal, j’arborais sur ma poitrine le crucifix des dernières JMJ, assez imposant. J’ai bien senti quelques regards loucher sur ma poitrine (surtout le vendredi: je portais en dessous un t-shirt dont l’illustration renvoyait clairement au black metal, ce qui créait un effet de contraste assez saisissant), mais personne ne m’a fait de remarques, ne s’est moqué de moi, ni ne m’a créé de problèmes d’une quelconque manière. Et pourtant, une fois encore, je rappelle que j’ai passé l’essentiel de mon temps au pied de la scène consacrée au black metal, la plus susceptible donc en théorie de rassembler des individus irrationnellement hostiles au christianisme. Le dimanche matin, alors que je me rendais à la messe, j’ai demandé mon chemin au barman d’un café. Quand il m’a entendu demander où était l’Eglise, il a regardé, les yeux écarquillées, mon crucifix sur le t_shirt d’Opeth que je portais. Ce fut la réaction la plus visible à laquelle j’ai assisté, et celle qui m’a le plus amusé.

Si je fais la balance des plaisirs et des frustrations que le Hellfest m’a apporté, je rangerais immédaitement dans le premier groupe le plaisir des découvertes musicales (je n’aime pas les provocations de Taake, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’écrire dans mon billet Metal et Islam, mais musicalement, qu’est-ce que c’est bien). Egalement, assister à la prestation d’un groupe sur scène permet de découvrir son jeu scénique, l’ambiance qu’il cherche à créer, le rapport qu’il cherche à établir avec son public, d’une manière qui n’est pas perceptible à la seule écoute des albums. Comme Gwenn Coudert l’écrit dans son livre Black Metal et art contemporain (Editions du Camion blanc) sur lequel j’aurais l’occasion de revenir dans un futur billet qui lui sera consacré:

« Le live est le théatre de l’expression black metal. Ce contexte particulier engendre une interprétation distncte de la musique mais aussi un travail qui va bien plus loin que celui qui incombe à la composition d’un morceau. Le concert, c’est aussi la sphère où se joue l’interaction du groupe avec son public et ça n’est pas une donnée à prendre à la légère. Si beaucoup de gens attendent leurs titres favoris au cours d’un live, de nombreux individus découvrent également un groupe par l’intermédiaire de la scène.

Le concert est le lieu d’échange entre le groupe et son public et permet à celui-ci de se rencontrer et de renforcer ses liens. […]

Le black metal exprime sur scène toute sa puissance et ses leaders profitent de leur position en hauteur pour jouer les orateurs et couvrir le public de leurs cris. La scène est alors le socle de l’oeuvre black metal elle-même mise en mouvement par le jeu des éclairages. » (p. 115 et 117)

A noter que si le chanteur se fait orateur, ses paroles sont quasiment incompréhensibles sur scène. C’est donc la forme même de l’acte oratoire qui se trouve ici magnifiée, par la musique et la mise en scène, comme performance artistique, et non le contenu du discours, inaudible pour ceux qui n’auraient pas lu au préalable les pochettes, de même que les logos sont illisibles ou presque pour ceux qui n’ont pas l’habitude des groupes.

Autres plaisirs: la joie des festivaliers qui profitent pleinement de trois jours qu’ils ont attendu toute l’année et dont ils entendent profiter plainement. Joie également d’être réunis au sein de la communauté des métalleux, alors que nous faisons trop souvent figure de marginaux aux yeux de beaucoup de nos contemporains, bien que la plupart d’entre nous soyons normalement inséré dans la société. Enfin, j’ai été heureux de revoir « Etienne web » le vendredi et le samedi soir, et d’assister avec lui à plusieurs concerts. Le dimanche, j’ai pu faire la connaissance IRL, de deux autres de mes lecteurs: mon confrère blogueur Larsen, et Gwenn Coudert, chroniqueuse à Soil Chronicles et auteure d’un livre que je viens de citer.

Du côté des frustrations: essentiellement le fait d’avoir été tout seul au Hellfest, la plupart des personnes que j’y connaissais déjà n’ayant pu y être présentes cette année, pour des raisons diverses. J’y ai certes retrouvé le soir Etienne, et j’ai fait des connaissances le dimanche. Mais ma tente était isolée. Si je suis heureux des découvertes musicales que j’ai faites, et d’avoir vécu un Helfest de bout en bout, il importe de souligner que ce festival est en son âme une activité communautaire, festive: on y va en famille ou entre amis, pour faire la fête et oublier les problèmes de la vie quotidienne, hors de notre petit monde quotidien et de ses repères normés.

A ce titre, le Hellfest s’apparente moins à une « fête de l’enfer » qu’à un carnaval: les gens s’y déguisent, y boivent beaucoup, y dorment peu, se livrent à toutes sortes de paroles et de comportements excessifs. Non pas parce que ce festival leur fait embrasser leur « côté obscur », mais parce qu’il les divertit, les abstrait de leurs problèmes l’espace de trois jours, pour les placer dans un lieu différent, sous une apparence différente, avec un comportement différent, et au sein d’une communauté différente. L’espace d’un long week end, ils oublient les règles de notre société, pour faire comme s’ils étaient immortels. Non pas qu’ils rejettent ces règles, mais qu’ils s’en éloignent le temps de décharger toute leur frustration, leur fatigue et leur angoisse (notez que là je parle du défoulement d’une fête, pas de l’effet cathartique d’une oeuvre d’art, sur laquelle je reviendrai prochainement dans la suite de mon billet black metal et catharsis).

A propos du Carnaval, on peut rappeler que malgré ses origines païennes et les comportements licencieux très au delà de ce que l’on peut observer au Hellfest, fut davantage « sur le terrain » canalisé que combattu par l’Eglise, malgré une opposition de principe:

« Histoire du Carnaval en France.[…] Durant tout le Moyen âge, c’est l’Église elle-même qui mène le carnaval. Les bizarres fêtes des Fous (de Noël à l’Épiphanie), et de l’Âne, celle des Innocents, la procession du Renard à Paris, celle du Hareng à Reims, auxquelles participaient prêtres et chanoines, n’étaient guère que des saturnales burlesques et obscènes qui se perpétuèrent en dépit des interdictions de plusieurs conciles (notamment celui d’Auxerre, 578) jusqu’au XVIe siècle. Commencées aux derniers jours de décembre, les réjouissances populaires se prolongeaient sous divers noms presque jusqu’à Pâques. A la fête du Roi de la fève, succédaient celles des jours gras et de carême-prenant, celle des Brandons, celle de la mi-carême (Epiphanie, Carême).

Les jours gras. Précédant immédiatement le mercredi des Cendres, les jours gras, le mardi gras surtout, furent à toutes les époques la période la plus joyeuse et la plus bruyante du carnaval. Alors seulement, on pouvait se masquer en plein jour, et le peuple usait largement d’un privilège réservé longtemps aux seuls gentilshommes. Les divertissements carnavalesques n’ont jamais beaucoup varié. Repas solide où figurent comme pièce de résistance une oie ou un dindon, comme accessoires obligés les traditionnelles crêpes, larges beuveries, mascarades sillonnant les villes à grands fracas, bals échevelés; cavalcades et momons en plus pour les bourgeois et pour les nobles qui se distinguent par le luxe de leurs travestissements mais non par le raffinement de leurs plaisanteries. Même le plus grand plaisir des princes est de se mêler au populaire. Henri III courait les rues de Paris, costumé en Pantalon vénitien et s’amusait fort à battre les passants et à jeter dans la boue les chaperons des femmes. On ne s’en étonnait guère; c’étaient les moeurs du temps.

Les vieilles femmes osaient à peine quitter leurs maisons de peur des attrapes du mardi gras. On plaquait sur leurs manteaux noirs des empreintes de craie figurant des rats et des souris, on attachait à leurs robes des torchons sales. Nous ne parlerons des obscénités étalées en public, et des facéties grasses, que pour rappeler qu’elles étaient un des traits les plus caractéristiques des saturnales. Les théâtres ont conservé longtemps la tradition de jouer les pièces les plus licencieuses dans les derniers jours du carnaval, et la Comédie-Française elle-même représentait le Don Japhet d’Arménie, de Scarron. Voilà, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le fonds commun des amusements des jours gras » (Imago Mundi, « Le Carnaval).

Pourtant, contrairement au Hellfest, très cadré et bien organisé, les carnavals donnèrent lieu à toutes sortes d’excès qui leur valu une hostilité durable des autorités:

« Police du carnaval. De très bonne heure, les licences du carnaval attirèrent l’attention du pouvoir. Une foule d’abus, de désordres, même de crimes, se commettaient sous le masque, quand cela ne débouchait pas sur un bain de sang comme celui auquel donna lieu le carnaval de Romans (Drôme) en 1580 (Emmanuel Leroy Ladurie, Le Carnaval de Romans, Gallimard, 1979) . Charlemagne voulut bannir les mascarades de son empire. Il n’y réussit pas et, pendant tout le Moyen âge, le carnaval, adopté et protégé par l’Église, étala en plein jour ses fantaisies les plus grossières et les plus monstrueuses. Le 9 mars 1399, Charles VI, rappelant d’autres ordonnances qui ont été perdues, défendit

« que nul ne portast faux visages ne embrunchiez et que interposeement, par personnes incongneues, aucun ne batist ou injuriant, ne feist batre ne injurier autres personnes ». A partir du XVe siècle, les parlements commencèrent à sévir; mais la fréquence même de leurs arrêts peut inspirer quelques doutes sur leur efficacité. Nous citerons les principaux. Le 14 décembre 1509, le parlement de Paris défend de faire et de vendre des masques, de porter des masques, de jouer au jeu de momon en masques ou avec d’autres déguisements, à peine de prison et d’amende (Id. Clermont, 27 décembre 1509). Le 26 avril 1514, arrêté portant que les masques et faux visages seront brûlés en public, avec défense d’en porter sous peine de confiscation. Les 26-27 novembre 1535, 9 mars 1539, 2-14 janvier 1562, 8 janvier 1575, 4 février  1592, défense d’aller en masques dans les rues de Paris avec des joueurs d’instruments, à peine d’être punis comme perturbateurs du repos public.

Une ordonnance royale du 9 novembre 1720, et une ordonnance de police du 5 février 1746, interdirent aux masques de porter des bâtons et des épées ou d’en faire porter par les laquais. Des ordonnances de police du 6 décembre 1737 et du 11 décembre 1742, défendirent aux jeunes gens et tapageurs de nuit d’entrer de force dans tous les lieux où il y a des bals et de la musique (c’était, comme on l’a vu plus haut, l’usage en temps de carnaval), de violenter les traiteurs, leurs femmes et enfants et d’obliger les violons à jouer toute la nuit.

Le carnaval fut interdit de 1790 à 1798. A partir de cette époque, la police a publié tous les ans au moment du carnaval une ordonnance conçue toujours à peu près dans les mêmes termes. Visant la loi des 16-24 août 1790, l’arrêté des consuls du 12 messidor an VIII, celui du 3 brumaire an IX, les lois du 7 août 1850 et 10 juin 1853, les art. 259, 330, 471, 475 et 479 du C. pén., elle interdit à tous les masques de se montrer sur la voie publique avec des armes ou bâtons, de se masquer avant 10 heures du matin et après 6 heures du soir, de prendre des déguisements de nature à troubler l’ordre public ou à blesser la décence et les moeurs, de porter aucun insigne, aucun costume ecclésiastique ou religieux, d’apostropher qui que ce soit par des invectives, des mots grossiers ou provocations injurieuses, de s’arrêter pour tenir des discours indécents et provoquer les passants par gestes ou paroles contraires à la morale, de jeter dans les maisons, dans les voitures et sur les personnes des objets ou substances pouvant causer des blessures, endommager ou salir les vêtements, de promener ou brûler des mannequins dans les rues et places publiques » (id.).

Quand on le compare à tous ces débordements, qui ont une présence dans notre culture bien ancrée tout au long de son histoire, et une origine païenne évidente, le Hellfest parait bien sage et raisonnable. On s’explique donc assez peu que certains puissent y voir la tête de pont d’une contreculture vouée à subvertir les valeurs chrétiennes de notre société et à avoir un impact « révolutionnaire » sur elle.

Concernant cette thématique du divertissement , j’ai eu lors du festival, mais hors de son enceinte, une expérience spirituelle qui m’a paru très éclairante. Le dimanche matin, ayant largement surévalué mon temps de marche, je suis arrivé à l’église avec une heure d’avance sur l’horaire de la messe. Je l’ai consacrée à prier. Cela faisait un bon moment que je n’avait pas pris un temps d’oraison d’une heure, et ce fut une très belle expérience, pleine de fruits spirituelles, à mon avis, paradoxalement, mon meilleur souvenir du festival. Pour être honnête, l’émotion spirituelle dépassait de loin en profondeur celle esthétique que j’ai ressenti lors de l’écoute des groupes présents au Hellfest. En comparaison, cette dernière n’apportait que peu à mon âme, ni en bien certes, ni (d’ailleurs) en mal. C’est-à-dire que si je n’ai pas retrouvé une émotion de cette profondeur et de cette qualité à mon retour au Hellfest, je n’ai pas non plus éprouvé de gêne, ni pendant ma prière, ni de retour au festival, ni lors de ma relecture en retraite, quand aux prestations auxquelles j’avais assisté. Je connais les paroles et l’antichristianisme primaire de certains groupes, et je suis bien sûr d’avis que l’on peut discuter les points d’accrocs thématiques et historiques entre le metal et l’Eglise, qui héritent d’une tension déjà présente dans l’histoire du rock. Mais c’est un enjeu que je distingue de ce qui se joue dans le débat du Hellfest, où les discours hostiles de certains groupes, ne m’apparaissent pas magnifiés, mais au contraire neutralisés, sous la forme du divertissement. J’assistais à ce festival après trois ans d’expérience de cette polémique, je voyais la représentation de groupes dont je savais qu’il n’apprécient pas particulièrement le christianisme ou qu’ils s’intéressent à l’occultisme ou au satanisme, et pourtant je n’arrivais pas à faire le lien entre ce que je voyais et entendais, et tous ces débats ue nous autres cathos menont entre nous nous. Parce que ce que ces groupes faisaient devant moi, ce n’était pas haranguer une foule christianophobe, mais délivrer une performance artistique. Et ils se succédaient sur scène, non chrétiens, anti chrétiens, et chrétiens (Betraying the Martyrs, August burns red…), réunis non pas par une idéologie commune, mais par la musique. Et réciproquement, les saluts et appaudissements du public manifeste un asseniment à une esthétique, et non à une tribune pour ou conre le christianisme. Les chroniqueurs de magazines spécialisés qui ont fait un compte rendu du Hellfest ont vu et Betraying the Martyrs et Merrimack, et apprécié souvent les deux, malgré le caractère mutuellement contradictoire de leur discours sur le christianisme, parce que ce n’était pas leurs idées qu’ils sont venus écouter, mais leur musique.

Si je dois définir ce que j’ai ressenti lors du Hellfest, et suite à celui-ci, en termes de discernement spirituel, je me réfèrerai au principe et fondement des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola:

« Principe et Fondement

L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé.

D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elles l’aident pour sa fin et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin.

Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et qui ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés. » (Source: Province de France des Jésuites).

A relire mon expérience de ces trois jours, je ne les vois en eux-mêmes ni comme une « aide » à sauver mon âme, ni comme un « obstacle » à cette fin. Je rattacherais très nettement cette expérience à la proposition suivante: « en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre arbitre et qui ne lui est pas défendu ». Etant entendu que « se rendre indifférent » ne signifie pas nécessairement « renoncer » mais savoir prendre ses distances avec toute fascination excessive éventuelle qui engloutirait notre vie et notre liberté, je dirai qu’en tant que divertissement essentiellement, il ne me parait pas opportun de condamner le Hellfest dans sa globalité, mais d’appeler chacun à discerner au cas par ces sur son expérience.

Pour certains, il constituera une aide au salut: par tel concert dont la beauté ouvrira l’âme du festivalier à une certaine intuition de la transcendance divine, par telle amitié ou rencontre qui lui fera éprouver concrètement la charité…

Pour d’autres, il constituera un obstacle, du fait d’une fascination excessive pour tel ou tel aspect musical ou thématique de l’expérience qu’il propose, ou de l’abus de boisson, ou d’un désir de fuir le monde et sa réalité trop terne (éventuellement aussi telle expérience « occulte »).

Pour d’autres encore, ces aspects positifs et négatifes sont vécus de manière mêlée et il appartient alors à la conscience de les démêler prudemment.

Pour beaucoup je pense, il est pur divertissement, ni bon ni mauvais pour l’âme en soi: trois jours d’oubli du monde, eux-mêmes rapidement oubliés dans les soucis de la vie professionnell et familiale…

Mais à tel catholique qui s’inquiéterait de la juste attitude à prendre face au Hellfest, en cohérence avec notre foi, je ne dirai pas, sur la base de ma propre expérience,  qu’il s’agit d’approuver ni de condamner en bloc (d’autant que la lutte contre le Hellfest, si elle peut être une aide pour l’âme du fait d’une certaine expérience de l’Eglise, du rappel de son message, peut aussi devenir un obstacle, du fait des émotions obscures (colère, arrogance) qu’elle favorise et de l’obsession du « combat » décelable chez certains: mais chacun discerne en son âme et conscience), mais d’aller se faire sa propre opinion de visu, et de relire cette expérience, pour voir ce qu’elle a déposé dans son âme.

Pour ma part, en tant que catholique et métalleux, qui ai vécu en personne une après_midi et une soirée du Hellfest 2011, et la totalité du Hellfest 2012, j’appliquerai volontiers à la mise en cohérence de cette expérience à ma foi ce que nous dit aujourd’hui l’Eglise du carnaval, ancêtre autrement plus turbulant et réellement subversif des festivals de metal, et des festivals en général (le Hellfest ne précède pas le Carême, mais il annonce les congés d’été, qui peuvent être en partie pour certains, comme c’est le cas pour moi un temps de désert et de relecture):

« C’est un temps de divertissement, de réjouissance qui répond au besoin d’oublier les soucis de la vie de tous les jours avant la période austère du Carême. Il distrait l’individu de ses préoccupations et de son existence bien réglée. C’est actuellement le sens du carnaval. C’est le symbole même de la fête populaire.

Fête du péché, ou fête du pardon ?

Carnaval vient du latin carne vale, ce qui signifie « adieu à la chair ». Dès le milieu du deuxième siècle, les Romains ont observé une jeûne de 40 jours, qui est précédé par une courte saison de fêtes, costumes et réjouissances. C’est l’occasion pour les chrétiens de se rappeller avant quarante jours de pénitence que « ce n’est pas ce qui entre dans la bouche d’un homme qui le rend impur. Mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui le rend impur. » (Matt 15, 16-17).

Ainsi, quand la langue française incite à flatter une dernière fois sa panse avec le Mardi Gras, celle de Shakespeare invite à se confesser juste avant le début du Carême avec le Shrove Tuesday (du verbe to shrive : confesser et absoudre). Alors, pourquoi ne pas aller se confesser pour bien finir Mardi Gras ?«  (Catholique.org).

Inquisitio à la question: une limonade douce-amère…

Posted in Christianisme et culture with tags , , , , , , , , , , , , , , on 4 juillet 2012 by Darth Manu

Après le théâtre, la photographie, et la musique, c’est la télévision qui devient le lieu de cette bataille qui semble s’être engagée dans la durée entre les catholiques et le monde de la culture.

La série de l’été Inquisitio est en effet vivement critiquée sur Internet en raison du portrait outrancier et historiquement faux qu’elle dresse de l’histoire de l’Eglise, en particulier de l’Inquisition et de Sainte Catherine de Sienne.

Comme le blogueur Charles Vaugirard, particulièrement engagé dans ce débat, l’écrit :

 » Le problème posé par cette « fiction » est profond. Elle nous présente une Eglise médiévale (1378) sombre, violente, perverse avec un cortège de prélats libidineux, corrompus, et une Sainte Inquisition cruelle, tuant et torturant systématiquement.

Le tableau est atroce. Il laisse paraître une Eglise où il n’y aurait rien de bon. L’Inquisition fait irrémédiablement penser à la Gestapo par l’antisémitisme de ses hommes, et la terreur qu’elle fait régner dans la société… et surtout dans les quartiers juifs. Quant au port de la rouelle par les Israélites, il évoque l’étoile jaune. Bref : nous avons là une atmosphère particulièrement anachronique où les chrétiens remplacent les nazis.

Nous n’avons pas le beau rôle…ça fait mal. Et la blessure est d’autant plus grave que l’Histoire n’est pas respectée.« 

L’originalité de cette polémique, c’est qu’elle n’a pas été initiée par l’aile « dure » du catholicisme, mais par les « modérés », les « cathos bisounours ». Et cela se voit dans son style et les moyens qu’elle utilise.

Ici, pas de pétitions aux élus ni à France 2, pas de polémiques sur l’utilisation de deniers publics pour financer une fiction d’allure anti chrétienne, pas d’appel à la manifestation et encore moins bien sûr de jets d’huile de vidange ou d’oeufs sur le personnel de France 2.

Plutôt que le lobbying, l’excitation des passions et le pur rapport de force, les angles d’attaques choisis ici sont d’une part l’humour, avec la création sur Twitter et Facebook du compte parodique Saturnin Napator, qui décrit les humeurs d’un Torquemada aux amphétamines, ou encore la réalisation d’une bande-annonce satirique d’Inquisition (reprise en début du présent billet), et d’autre part l’information, au travers notamment du site L’Inquisition pour les nuls, qui publie divers articles historiques sur l’Inquisition, Sainte Catherine de Sienne, etc.

Comme mon illustre confrère blogueur Edmond Prochain, qui compte parmi les personnes à l’origine de cette initiative,  le rappelle dans une interview accordée au Pèlerin:

 » A côté de notre parti pris de rigoler, avec des grosses blagues (« Qui a éteint la lumière ? Passez-moi un hérétique, je vais la rallumer ! »), nous avons eu envie de donner quelques éléments de compréhension sur cette période. Jean-Baptiste Maillard a fait appel à des historiens qui publient des contributions. Nous voulons éviter la réaction hystérique du type : « France 2 blasphème, brûlons leurs studios ! ». Notre objectif, c’est d’en rester à une réaction paisible et bon enfant. Si la série est blasphématoire, elle l’est surtout contre l’intelligence et le bon goût !« 

Cette tactique nouvelle n’est pas sans rappeler celle de « la limonade », que le blogueur Koz, qui participe d’ailleurs à cete action, opposait en octobre dernier au mode d’action particulièrement agressif de Civitas, lors des polémiques autour de deux pièces de théatre:

 » Si le christianisme ne suscite pas à une réaction différente de celle du monde et du tout-venant, alors à quoi bon ? Si être chrétien ne change rien, quel est ce christianisme que l’on défend ?

On pourrait tenter plutôt la fameuse stratégie de la limonade : noyer l’acidité du citron dans une boisson sucrée. Informer, dialoguer. Ridiculiser de piètres créateurs au propos sommaire. Mettre les rieurs avec nous. Être disponible devant le Théâtre du Rond-Point pour informer ceux qui le souhaitent ? Distribuer l’1visible aux abords ?

Pour cela, il faut de la coordination.

De vous à moi, je sens que ça vient. »

J’avais applaudi à cette proposition dans certains de mes précédents articles, et je me réjouis de ce que les catholiques modérée s’approprient le terrain culturel et émettent des propositions alternatives à celles de Civitas et consorts, qui dédramatisent les polémiques en les déplaçant, du registre de la confrontation et lobbying pur, à ceux de l’humour et de la pédagogie. Il y a là une idée à prolonger et à approfondir. J’ai d’ailleurs relayé la bande annonce parodique et le site sur l’Inquisition sur ma page Facebook, et j’ai accepté la demande d’ami de Saturnin Napator, que je suis également sur Twitter.

Si cette initiative est donc douce à mon palais,  il y subsiste néanmoins un arrière goût plus amer, qui m’empêche de la savourer pleinement. Elle pose de manière intéressante une question très pertinente, celle de l’équilibre à trouver entre la licence narrative avec la réalité des faits dans les oeuvres de fiction, et le respect d’une certaine mémoire de l’Histoire, qui humanise notre culture et garantit le respect et la bonne compréhension  des différentes traditions de pensées et croyances, et des personnes, qui composent notre société. Mais elle ne semble pas saisir celle-ci dans sa globalité, et tous ses tenants et aboutissants…

Il y a donc ce que j’aime dans cette initiative, et ce qui me met très légèrement mal à l’aise…

1) Ce que j’aime:  

– L’information historique sur l’Inquisition: 

Ca touche même à un vieux rêve. Quand je suis revenu à l’Eglise, l’Inquisition est l’une des premières questions que j’ai dû surmonter, par diverses lectures. Ca m’a valu des échanges assez violents avec des personnes qui n’acceptaient même pas qu’on puisse seulement remettre en contexte la réalité historique de l’Inquisition. Je dois dire que l’essentiel de ce que je croyais connaitre de cette dernière, l’apparence d’évidence qui la faisait participer dans mon esprit « des heures les plus sombres de notre Histoire », je la devais beaucoup moins à une quelconque information historique qu’au souvenir de diverses oeuvres de fiction qui l’utilisais comme ressort dramatique et comme allégorie de l’intolérance et de l’opression à des fins politiques, et que c’est sans doûte aussi le cas de la plupart des personnes qui croient dur comme fer qu’elle se résume à un instrument d’opression qui aurait fait pesé une chappe de plomb sur la presque totalité du Moyen Age (ce qui est extrêmement éloigné de la réalité des dates et de ses origines).

Que la sortie d’Inquisitio soit l’occasion d’ouvrir ce débat sur la réalité historique de l’Inquisition me parait être donc une excellente chose…

– Le ton employé: 

J’ai souvent reproché aux initiatives cathos sur le terrain culturel de dramatiser à l’extrême des oeuvres assez anecdotiques, voire confidentielles (Golgotà Picnic, sérieusement…). Les parents spirituels de Saturnin Napator prennent ici le contre-pied, en sélectionnant une oeuvre très diffusée (prime -time sur France 2 quand même), et en la décdramatisant pas l’humour et la mise en contexte historique. Il y a là de quoi séduire les personnes extérieures à l’Eglise, et intéresser les curieux:  personne n’aime découvrir s’être fait servir des salades sur l’Histoire, et tout le monde aime rire. Il y a là les germes d’une dialogue authentique entre catholiques et cultures contemporaine, qui s’apuie sur la confrontation des traits d’esprits et de la culture historique, et non sur celle des lobbies et des pétitions.

2) Ce qui me met très légèrement mal à l’aise: 

– la légèreté apparente apparente de la réflexion  sur la tension entre fiction et respect de l’Histoire:

Le réalisateur d’Inquisitio a donné un argument qui a paru  heurter mon estimé confrère blogueur Henry Le Barde, qu’il rapporte sur son compte Twitter:

 » Nicolas Cuche, réalisateur d’Inquisitio : « Le Moyen-Âge est une période fantasmée, qui s’écrit comme de la science-fiction. » Tout est dit.« 

Moi, je ne la trouve pas si mal, cette citation. Je trouve ce concept de « période fantasmée » toute à fait pertinente pour décrire les topoi de la fiction historique, dont les univers narratifs les plus célèbres, bien que présentant une vision complètement déformée de l’Histoire, ont engendré des oeuvres dont l’une où l’autre a pu enthousiasmer un jour ou l’autre chacun d’entre nous. Quand j’étais petit je regardais beaucoup de western, j’ai de gros doutes sur la fidélité de la plupart à l’Histoire, y compris à des évènements graves… Quand j’étais adolescent, je dévorais des romans de cape et d’épées comme ceux de Pardaillan ou d’Alexandre Dumas, qui présentaient pourtant une vision caricaturale des guerres de religions. Je sais que la vision du MoyenAge colportée par certains films de chevalerie ou d’heroic fantasy est fausse historiquement, largement « fantasmée », mais au fond je m’en fous, en tant que spectateur du moins. J’aime les westerns, j’aime les univers de capes et d’épées avec les intrigues des Médicis et des clercs corrompus, j’aime les représentations de la Grèce antique façon Xéna. Je sais que ces fictions sont à l’Histoire ce que la science-fiction est à la science, mais franchement, je n’accorde pas plus de réalité à l’Inquisition ou au duc de Guise façon capes et épées qu’à la téléportation ou au voyage dans le temps.

Un exemple précis auquel ce débat autour d’Inquisitio m’a immédiatement fait penser. J’ai trouvé le film Apocalypto, de Mel Gibson, tout à fait génial. Je suis au courant des fortes critiques  que des chercheurs spécialistes de l’Histoire amérindienne ont portées contre ce film, qui non seulement prend selon certains (pas tous cela dit, mais pour l’Inquisition aussi, on trouve des historiens très critiques) quelques libertés avec l’Histoire, mais dresse ouvertement le procès d’une civilisation toute entière. Concernant la réalité historique en elle-même, j’ai tendance à leur faire davantage confiance qu’à Mel Gibson. Je comprends leur irritation face à un film qui sous couvert de la fiction donne un visage moderne et esthétiquement séduisant à des gros clichés, et contrecarre leur travail d’information beaucoup moins visible et diffusé. Je trouve que les questions qu’ils posent sont légitimes, mais j’adore la contruction narrative et la réalisation de ce film, et je pense que ses qualités cinématographiques, sans occulter complètement ses côtés plus polémiques, font qu’il mérite d’être diffusé et d’être vu.

Dans un autre genre, je ne suis pas du tout fan de ce qui pourrait dans la série télévisée 24 H être interprété comme un apologie de la torture et une simplification outrancière des relations entre les USA et certains pays et groupes du Proche et Moyen Orient. J’adore cette série. Je connais l’argument suivant lequel la torture est un mécanisme scénaristique justifié par le cadre temporel de la série, et non par une idéologie. Le débat reste néanmoins légitime, mais en pensant ensemble les connotations artistiques et éthiques de la série, sans les hiérarchiser a priori.

Il n’en reste pas moins que les erreurs historiques et les « images d’Epinal » véhiculées par les fictions pèsent sur nos esprits, et participent d’une forme d’oubli de l’Histoire, qui peut être instrumentalisé, ou être cause de  malentendus et de conflits. Il y a une tension entre la licence narrative qui est le propre et le privilège de la fiction, qui a une légitimité artistique, et une certaine forme de devoir de mémoire de l’Histoire, qui a une légitimité éthique. Mais justement,  il s’agit d’une tension entre deux formes distinctes de légitimité, qui doit être pensée comme telle, sans trop céder à la facilit é de l’argument de la fiction, mais sans le réfuter complètement non plus, car il a ses mérites. Je trouve que les actions menées contre Inquisitio, aussi amusantes et bien fondées historiquement qu’elles soient, posent de façon un peu trop légère l’équation « série caricaturale sur le plan historique = navet » (notamment la page Facebook « Pour qu’Inquisitio devienne l’Etalon officiel du Nanar« ), et je trouve ça un peu dommage…

– Le « malaise » justement: 

Autant je comprends le débat (et même j’applaudis à l’initiative de cette « réinformation » sur l’Inquisition historique), autant la tentative très louable de dédramatisation entreprise par les auteurs de ces actions est encore un peu assombrie par quelques restes du vocabulaire et de la mentalité de « riposte ».

Ainsi, malgré toute l’estime personnelle et intellectuelle que je porte à Charles Vaugirard, je ne suis pas sûr que le titre  » Inquisitio : un profond malaise » rende pleinement justice à cette initiative dont il est lui-aussi l’un des auteurs. Les séries, les romans ou les films qui caricaturent gravement une réalité historique ou une population sont légion (et, n’en déplaise à un commentateur du billet de Charles, les films et les séries qui posent, à des degrés divers, l’équation « musulmans = fanatiques » ne me paraisent pas moins nombreuses que ceux qui nous présentent sous un mauvais jour, tant en France qu’aux USA). Cela ne traduit pas nécessairement une hostilité particulière contre le christianisme, l’islam, que sais-je encore… Par définition, un réalisateur ou un scénariste de télévision ou de cinéma n’est pas un historien. Son rôle n’est pas de donner une représentation exacte des faits historiques, mais de les intégrer dans une construction dramatique. L’Inquisition « diabolique » façon Michelet est en grande partie une image d’Epinal. C’est aussi un ressort dramatique fabuleux. L’univers de science-fiction (pour le coup) des romans de la gamme Warhammer 40 000 fonctionne en très grande partie sur une transposition dans l’espace des codes de ce Moyen-Age fantasmé également repris par Inquisitio. Je sais que cela ne correspond pas à la réalité historique. J’adore néanmoins cet univers. Saisir l’occasion offerte par la sortie d’Inquisitio pour mettre à mal les images d’Epinal sur l’Inquisition, c’est une idée excellent. Parler de profond malaise, c’est excessif à mon sens. Inquisitio fait ce que plein d’autres séries font sur de tout autres sujets (les Exeperts sur le fonctionnement de la police…) et tout le temps ou presque. Il se trouve que là ça touche à un point qui est sensible chez les cathos. Et cela ouvre une fois de plus cette tension entre licence artistique et honnêteté historique que j’évoquais. Mais c’est finalement une affaire assez banale, autour de laquelle on peut débatte légitimement, mais sans lui donner des proportions démesurées.

De même, si à chaque fois qu’une série prend un tant soit peu de libertés avec l’Histoire chrétienne, on doit avoir droit  comme aujourd’hui à un communiqué de circonstance de la CEF (malgré tout l’immense respect que j’ai par ailleurs pour son porte-parole et l’ensemble des évêques), je ne suis pas sûr que cette image d’Epinal d’une Eglise « inquisitoriale » sera d’autant plus facilement dissipée. Et cela contredit un peu les allures de rigolade et de dérision des initiatives citées plus haut.

Encore une fois, la tension entre la création artistique et la responsabilité morale et sociale existe, et il est légitime de la mettre en débat. Mais comme le disait en d’autre lieux, sur d’autres sujets, mon estimée lectrice Marie, que je salue au passage:

 » Bref, j’aimerai pouvoir rigoler d’un peu de tout sans être automatiquement taxée d’antiquelquechose. Et franchement, un peu d’autodérision ne ferait pas de mal à certains. »

C’est cet angle de l’humour et de la dérision qui caractérise le gros des réactions à Inquisitio, ce dont je suis heureux. Mais d’une manière analogue à ce que disais Marie àpropos d’ Anal Cunt, j’aime, quand je regarde une oeuvre de fiction, pouvoir savourer ses ressorts dramatiques et son scénario sans avoir à trop me préoccupper de ses éventuels contresens historiques ou scientifiques (au passage, je ne me fais pas d’illusion particulière sur les qualités artistiques d’Inquisitio, mais je pense que le débat est à poser pour toutes les oeuvres en bloc, indépendamment de leurs qualités propres)… Et autant je trouve que le débat est légitime, autant je préfèrerais qu’il soit le moins possible dramatisé (ce que font un peu trop à mon goût l’expression « profond malaise » dans le billet de Charles ou « je pleure et je m’indigne » dans le communiqué de la CEF). Car si à chaque fois qu’une oeuvre de fiction égratigne un tant soit peu une communauté, celle-ci doit se mobiliser, ne risque-t-on pas de verser dans ce que certains auteurs des initiatives contre Inquisitio dénonçaient dans une tribune du Monde, à propos des polémiques sur les pièces de théatre, et contre quoi ils tentent de lutter par leur présente action, au passage de manière largement fructueuse:

« La question qui se pose, au fond, est simple et essentielle: voulons-nous laisser notre société se scinder en plusieurs groupes qui s’ignorent et qui se craignent? » 

Pour conclure, j’apprécie bien des aspects de ces réactions catholiques à Inquisitio, leur humour et leur pédagogie notamment, et je remercie chaleureusement leurs auteurs. Elles constituent un immense progrès par rapport aux polémiques sur les pièces de théâtre, le Piss Christ, le Hellfest, etc., et m’ont très sincèrement bien fait sourire. Sans ces deux petites réserves que je viens d’évoquer, elles m’auraient sans nul doute beaucoup fait rire…

Et maintenant, et pour rester dans la thématique principale de mon blog, un peu de black metal, car la musique adoucit les m(o)eurtres (spéciale dédicace à Saturnin Napator):

Hellfest, Holyfest… et pourquoi pas les deux?

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , on 6 juin 2012 by Darth Manu

Pas très motivé par la nullité de la plupart des actions récentes contre le Hellfest, je me suis concentré sur d’autres sujets dans mes derniers articles (la seconde partie de ma réflexion sur la catharsis devrait être publiée d’ici lundi prochain, soit dit en passant). C’est pourquoi je n’ai parlé ni de la pétition d’Avenir de la Culture, pompée à 99% sur d’autres sites et dont les arrières-pensées politiques paraissent si douteuses que même le Collectif Provocs Hellfest Ca Suffit a déconseillé de la signer, ni de l’action en justice de l’AGRIF et de l’article récent de l’Humanité (dont les cathos anti-Hellfest se sont moqués, notamment dans Nouvelles de France) qui ont en commun de faire un amalgame simpliste entre imagerie guerrière et apologie du nazisme.

Je reprends cependant aujourd’hui la plume à propos de cette polémique, suite à un échange ce matin sur Twitter avec le collectif Culture et Foi, qui a porté à mon attention un nouvel angle d’attaque des catholiques hostiles au Hellfest: opposer ce dernier au Holyfest, festival de musique chrétienne dont la première édition est prévue le 30 juin et le 1er juillet prochains à Arradon, dans le Morbihan. Par exemple:

 » Vous êtes « Holyfest » ou « Hellfest » ?
 Anne Kerjean , le 21 avril 2012 à 18:20 
Lu sur le site du Holyfest : 
HolyFest est un festival jeune de musique chrétienne ouvert à tous,
qui se déroulera du 30 juin au 1 juillet 2012. À l’initiative, un groupe
de jeunes du diocèse de Vannes qui, épaulés par leur évêque, a voulu
répondre à l’appel de Benoît XVI à l’évangélisation. Comme têtes d’affiches cette année, Glorious et LZ7 vont faire vibrer
le campus du Vincin, où se déroule l’événement ! En plus de ces deux
groupes, 2 artistes tenus secrets pour le moment complèteront la fête !
Et le côté spirituel ne sera pas mis de côté pour autant : rencontres,
débats, messe, adoration, etc. seront organisés pendant toute la durée
du festival. Des intervenants de qualité, des artistes qui déchirent, du
matériel de pro, une ambiance de dingue et même un DJ en live à minuit,
rien n’est mis de côté.

« Je ne suis pas fan, mais l’idée est bonne… » (a.k) » (Chrétienté-info)

 Côté défenseurs du Hellfest, certains se sont également emballés:

 » HolyFest, pour concurrencer le Hellfest… navrant….

Après Christine Boutin, après les messes en parallèle au Hellfest pour empêcher Satan de revenir sur Terre, voici le HolyFest !

T’es jeune ? t’es catho ? tu aimes le rock chrétien ? tu aimes faire des randonnées à genoux ? Saint Jacques est un objectif pour toi ? Alors le Holy Fest est pour toi !!! Et c’est dans le Morbihan…. “À l’initiative, un groupe de jeunes du diocèse de Vannes qui, épaulés par leur évêque, a voulu répondre à l’appel de Benoît XVI à l’évangélisation.” »(Nantes Secteur Ouest)

 Autant dire que cette façon de mettre en concurrence ces deux festivals m’ENERVE profondément. Voici pourquoi:

1) Le nom ne dit pas tout: 

Ce n’est pas parce qu’un festival s’appelle  « Hellfest » qu’il vise à choquer les chrétiens. D’une part, « Hell » a des connotations plus étendues, eet pour certaines plus neutres, que le seul Enfer chrétien. D’autre part, on peut y voir de manière beaucoup plus plausible un simple clin d’oeil potache à la réputation « sulfureuse » du rock puis du metal.

Et inversement, ce n’est pas parce que le nom « Holyfest » évoque le Hellfest que la visée des organisateurs est nécessairement de créer une réponse chrétienne à ce dernier. Au contraire, ils s’en défendent explicitement sur leur page facebook:

 » Julien Hl: un site anti hellfest (provocs hellfest, ça suffit pour le citer) fait la promo du holyfest. question : adhérez vous aux propos tenu par ce genre de site, ainsi qu’à leurs demandes de censures par pétition?
2 juin, 11:22 · J’aime

HolyFest: HolyFest n’est pas le porte parole d’une cause ou d’un mouvement, nous ne sommes pas un lobby ou un groupe de pression nous n’avons donc pas à prendre position. Notre seul souhait est de proposer un festival de musiques chrétiennes actuelles de qualité. Nous nous construisons en proposition et non en adhésion ou en opposition.
dimanche, à 19:04 · J’aime

Julien Hl: genre quelques soient ceux qui vous font de la pub faut pas cracher dans la soupe…… -_-‘
Hier, à 13:51 · J’aime

HolyFest: Le site Provocs HellFest a publié de son plein gré un article sur notre festival. Cela ne signifie en rien que le festival s’inscrit dans la lignée des critiques faites par ce site sur le HellFest. Aucun rapprochement, comparaison ou opposition ne doivent être effectués.
il y a 21 heures · » (page facebook du Holyfest).

 Sans doute les catholiques si prompts à la « riposte » seraient bien inspirés de vérifier leurs sources avec la même rigueur et la même honnêteté qu’ils demandent aux médias, dès lors qu’il s’agit de l’Eglise, et auraient pu par exemple tout simplement demander aux organisateurs du Holyfest de préciser leurs intentions, au lieu de les faire séance tenante les porte-étendarts d’une croisade qui n’est pas nécessairement la leur.

2) Comparer ce qui est comparable: 

Faire connaitre une initiative telle que le Holyfest, qui vise à réconcilier culture contemporaine et foi chrétienne, cela me parait excellent. Par contre, en profiter pour faire des comparaisons irréfléchies et partisanes ne peut selon moi que fausser l’image de ce festival auprès de l’un de ses coeurs de cibles: les jeunes qui aiment la musique, sont intéressés par le christianisme mais hésitent à faire le premier pas, et risquer de les e détourner:

– les finalités respectives du Hellfest et du Holyfest ne sont clairement pas les mêmes: le Holyfest a un objectif d’évangélisation, et n’invite que des groupes chrétiens. Le Hellfest se veut purement à visées musicales, et non seulement ne se limite pas aux groupes « christianophobes », mais invite également ceux qui pronent la tolérance et le dialogue avec les religions (Orphaned Land l’an dernier), mais également, et depuis plusieurs années, des groupes chrétiens, comme je le montrais dans un article précédent.

– Leur rayonnement culturel est sans rapport: le Holyfest accueille trois groupes, le Hellfest trois fois cinquante groupes. Le premier invite des groupes respectables, qui arrivent à créer une bonne ambiance delouange et de prière lors des rassemblements chrétiens du genre FRAT ou JMJ, comme Glorious. Le second accueille des groupes qui ont tourné des pages essentielles de l’histoire du rock et de ses dérivés, ainsi Ozzy osbourne, Lynyrd Skynyrd, Judas Priest, Scorpions, Slayer, … J’aime bien Glorious, j’ai assisté récemment à un de ses concerts à Cergy avec mon groupe d’aumônerie, dont j’ai gardé un bon souvenir. Maisen terme de virtusosité technique et d’innovation musicale, il semble très en dessous de beaucoup de groupes conviés au Hellfest. Opposer le Holyfest au Hellfest ne peut qu’être défavorable au premier, ne serait-ce que du fait de la différence de moyens et de niveau musical, et donner l’impression que pour les catholiques, la musique n’est que le prétexte à une forme d’entrisme idéologique et n’est jugée que sur ses seuls paroles, sans recherche de profondeur musicale ou de créativité artistique. Faire de l’art un prétexte, ce n’est pas le but du Holyfest, mais l’utilisation polémique qui en est faite par certains lui en donne l’apparence, et sape ses efforts d’évangélisation…

-Les registres musicaux ne sont pas les mêmes: si le Holyfest était un festival de metal chrétien, on pourrait encore discuter, mais il se focalise surtout pour l’instant sur la pop- louange, qui n’a pas grand chose à voir musicalement avec le metal. Opposer le Holyfest au Hellfest, c’est donner l’impression qu’une sensibilité religieuse chrétienne, tournée vers des musiques plus sucrées, s’opposerait à une sensibilité musicale plus virile, intrinsèquement anti chrétienne, ce qui est une caricature et du débat autour du Hellfest, et du christianisme, dont la plupart des anti-hellfest se sont toujours défendus, et qui ne peut qu’aller contre une perception plus favorable de notre foi dans la culture contemporaine.

3) Ne pas privilégier les oppositions artificielles au détriment des passerelles:

Cette opposition théorique entre les deux festivals semble présupposer que l’on doit choisir entre les deux. Mais plusieurs métalleux qui participent au Hellfest se sont montrés très tôt intéressés par le Holyfest, comme la page facebook de ce dernier en témoigne:

 » Julien H: moi je vais au hellfest, et j’ai envie de vous dire bravo! enfin une forme de contestation intelligente! au lieu de critiquer bêtement vous faites votre propre festival avec votre musique, très bien ça ^_^ on va finir par s’entendre 😉
2 février, 12:18 · J’aime · 15

Lou Tou: Moi j’aimerai faire les 2 HellFest et HolyFest !!!! On peut être catho et metalleux !!!
6 février, 15:49 · J’aime · 4

Julien H: bon après selon la tenue pour le hellfest (on a parfois du très très lourd) éviter de mettre la même pour le holyfest….. ou alors le holyfest avec un t-shirt hellfest et inversement…juste pour le fun :p
6 février, 20:47 · J’aime · 2

Maxime P: Exactement on peut être catho et métalleux (je le suis mêm si je suis plus hard rock style guns n’ roses) Et il ne faut pas faire l’amalgame des contestations de certains intégristes avec l’Eglise !!
6 février, 22:57 · J’aime · 1

Lou T: Pour ceux que sa interesse j’ai fondé un groupe facebook sur le metal chrétien (ouvert à tous chrétien ou non) https://www.facebook.com/groups/112597992121331/
Vive le métal chrétien!!!!!
Parce que le métal chrétien est une exellente manière pour les chrétiens amateur…
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7 février, 12:40 · J’aime · 2

Émeline L: trop envie d’y aller!!!
8 février, 18:54 · J’aime · 1

Kévin K: Je trouve complètement idiot de considérer ce genre de festival comme étant une sorte de réponse au Hellfest. D’après ce que j’ai pu voir, le Holyfest affiche clairement sa volonté de proposer des groupes/artistes à vocation Chrétienne (mêm…
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10 février, 18:01 · J’aime

HolyFest: Notre festival ne s’oppose à rien ni personne : nous proposons juste notre musique !
11 février, 10:28 · J’aime · 1 » (page facebook du Holyfest).

 Le Holyfest est une passerelle possible avec la musique populaire. L’opposer d’emblée à l’un des festivals les plus importants de celle-ci, c’est en faire un repoussoir pour ceux-là mêmes qu’il souhaite amener à porter un regard plus favorable sur le christianisme.

 Surtout, il est remarquable de constater l’évolution comparée des métalleux envers le christianisme, et des catholiques envers le metal. Il fut un temps où les groupes de metal chrétiens étaient ostracisés sur certaines scènes metal: en témoignent par exemple les déboires d’Antestor avec le label Cacophonous Records, ou encore l’annulation par Enslaved, plus récemment, d’un concert prévu avec le groupe Slechtvalk sous la pression de certains fans. Et pourtant, ils sont de nos jours de mieux en mieux acceptés et intégrés au sein du metal mainstream. Certains sont invités au Hellfest… Et rien que pour cette année, il me vient spontanément en tête plusieurs chroniques très positives d’albums de groupes ouvertement chrétiens sur des sites importants de metal mainstream: ainsi concernant Betraying The Martyrs (deathcore), Theocracy (power metal) ou encore A Hill To Die Upon (death/black metal).

Alors que comme en témoignent cette polémique, et les nombreuses initiatives lancées cette année contre le Hellfest, de nombreux catholiques choissement la crispation et la confrontation plutôt que de profiter de ces ouvertures, et préfèrent concevoir la culture comme un champ de bataille plutôt que comme le lieu d’un dialogue, à rebours de cette belle initiative que le Holyfest demeure, se définir en opposition à une culture non chrétienne plutôt qu’en proposition d’une culture chrétienne…

Il ne fait pas de doute que face à la déchristianisation de notre société, il est primordial de dialoguer avec nos contemporains et de les informer, afin qu’ils aient une vision plus  exacte et juste du christianisme et de l’Eglise. Il ressort pourtant de ce billet, et notamment du fait que beaucoup de metalleux semble de mieux en mieux disposés envers le christianisme qu’il y a quelques années, en sens inverse notre propre évolution par rapport à la culure contemporaine,  qu’en nous mettant à leur écoute, nous avons égelement beaucoup à gagner en terme d’enseignements et de remises en questions.

En attendant, je souhaite une édition plein de succès, et sans incidents, aussi bien au Hellfest (où je serai présent sur toute sa durée dans une dizaine de jours) qu’au Holyfest (auquel je ne pourrai malheureusement pas assister cette année)!!! 🙂

Les groupes de black metal poursuivis pour blasphème en Pologne

Posted in Christianisme et culture with tags , , , , , , , , , , , , , , on 30 mars 2012 by Darth Manu

Aussi bien dans le cadre de la polémique contre le Hellfest que dans celui des manifestations contre les pièces de Castelluci ou de Garcia, on a vu cette année des catholiques s’émouvoir de la difficulté d’entraver légalement la tenue de ces manifestations culturelles qui semblent promouvoir ouvertement le blasphème, qui est par définition source de souffrance et inacceptable pour tout chrétien.

Pour donner un peu de perspective à ce débat, je propose de faire retour ensemble sur un exemple de réaction dans un cadre légal à des oeuvres d’art blasphématoires dans un pays qui dispose d’une loi anti-blasphème: je veux parler des poursuites intentées en Pologne à des groupes de black metal qui présentent des thématiques ouvertement sataniques et hostiles au christianisme.

L’article §196 du Code Pénal polonais indique:

« Quiconque offense les convictions religieuses de quelqu’un d’autre ou insulte en public un objet de culte ou un lieu de cérémonie religieuse s’expose à une limitation de ses libertés et à une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement ferme. » (Radio Metal, « Behemoth sur le bûcher de l’inquisition »).

Parmi plusieurs exemples de groupes musicaux ou autres qui ont renoncé à se produire en Pologne ou ont connu des difficultés judiciaires du fait de cette loi, je m’attarderai sur ceux particulièrement significatifs des groupes de black metal Gorgoroth et Behemoth.

1) Gorgoroth:

Gorgoroth est un groupe de black metal norvégien, fondé  en 1992, mais qui reste longtemps dans l’ombre des grands du Black Metal Inner Circle, et qui ne commence à être connu qu’après la sortie de son deuxième album en 1996.

Ce groupe se distingue entre autres choses par son expression particulièrement virulente des thématiques satanistes et antichrétiennes propre à beaucoup de groupes de black metal, et les mises en scène grand guignolesques et blasphématoires de ses concerts.

Ainsi, le 1er février 2004 à Cracovie en Pologne:

« Gorgoroth a fait sensation le 1er février dernier à Cracovie (Pologne).
 Lors d’un concert filmé en vue de la réalisation de son 1er DVD les norvégiens, qui avaient promis à leurs fans polonais un show spécial, ont effectivement sorti la grosse artillerie : présence de 2 femmes et de 2 hommes nus, cagoulés (tant et si bien qu’une des nanas s’est évanouie…), ensanglantés et crucifiés sur d’immenses croix en bois, de têtes et d’abats de moutons piqués sur des barbelés, de nombreux symboles sataniques… Les musiciens, qui étaient eux aussi entièrement recouverts de sang, ont littéralement terrifié les cameramen, les organisateurs du concert, et bien évidemment choqué les habitants du pays du Pape, qui ont également eu l’opportunité de découvrir ce spectacle funeste, celui-ci étant diffusé sur une chaîne nationale. Pendant le concert, personne n’a pris la responsabilité de stopper la prestation de peur de devoir faire face à une émeute provoquée par le public. Gorgoroth est maintenant accusé d’avoir enfreint l’article 196 du Code pénal polonais relatif aus offenses religieuses et de maltraitance sur animaux. Le combo risque donc jusqu’à 5 ans de prison, et les bandes live ont pour l’instant été confisquées.  » (Centerblog).

On peut dire que le groupe avait assez mal choisi le pays où enregistrer son dvd. Il semble cependant que les suites judiciaires de cette affaire leur furent plus favorables que prévu:

« On February 1, 2004, during a concert being recorded for a DVD in Kraków, Poland, the band displayed sheep heads on stakes, a bloodbath of 80 litres of sheep’s blood, Satanic symbols, and four naked crucified models on stage. A police investigation took place with allegations of religious offence (which is prosecutable under Polish law) and cruelty to animals.[27] Though these charges were considered, the band was not charged as it was ruled that they were unaware of the fact that what they were doing was illegal, although the concert organiser was eventually fined 10000zł in 2007 as he knew about it and neither informed the band that it was against the law nor intervened.[28] The whole controversy led to the band being dropped from the roster of the Nuclear Blast Tour and the footage of the concert being confiscated by the police.[29] » (Wikipédia « Black Mass Krakow 2004« sources en norvégien que je n’ai pu vérifier pour l’instant, ne parlant pas cette langue).

Le dvd est quand même sorti finalement:

 » Black Mass Krakow 2004 is a live concert DVD by Norwegian black metal band, Gorgoroth. It was released on June 9th in Europe and on July 8th in the US » ( Wikipédia « Black Mass Krakow 2004 » ).

2) Behemoth:

Le cas de Behemoth est assez différent de celui de Gorgoroth, et beaucoup plus significatif, puisqu’il s’agit d’un groupe polonais, dont on peut supposer qu’il connait mieux les lois de son pays qu’un groupe norvégien comme Gorgoroth…

En septembre 2007, lors d’un concert à Sopot, Nergal, le chanteur du groupe, déchire publiquement une Bible. Il semble que ce soit un geste qu’il pratique couramment lors des représentations de Behemoth, mais, manque de chance, un membre du Comité de Défense contre les Sectes, Ryszard Nowak, assiste ce jour là au concert, et décide par la suite d’attaquer le groupe sur la base de l’article   §196.

L’affaire se règle dans un premier temps de la manière suivante:

«  Le groupe répond à cette accusation de la manière suivante : « un concert de Behemoth est un concert de Behemoth. Les fans savent à quoi s’attendre, savent de quels thèmes traitent nos paroles et connaissent notre philosophie. Il est plutôt surprenant qu’une personne vienne nous voir à nos concerts et ensuite se sente offensée par ce que nous faisons sur scène. Si elle vient à nos concerts, alors c’est ce qu’elle cherche. Nous ne cherchons pas à agresser quiconque, pas même la religion avec laquelle nous avons grandi.».

Le tribunal va donner raison au groupe. Ce type de plainte nécessite au moins deux plaignants pour être valide. Ryszard Nowak étant seul à porter plainte, le procès débouchera sur un non-lieu. Tout aurait pu s’arrêter là mais, suite à ce revers mal accepté, Nowak multiplie les annonce publiques, dans lesquelles il traite le groupe – et plus particulièrement Nergal – de criminel. Nergal décide alors de contre-attaquer en assignant Nowak en justice pour diffamation.

La justice lui donne raison et Nowak se voit obligé de présenter publiquement ses excuses ainsi que de verser 3000 zloty (environ 800€) de dommages et intérêts. Nergal décide de ne pas garder l’argent et le reverse à un chenil » (Radio Metal, id.).

 Mais en janvier 2010, quatre membres du parti politique au pouvoir, Loi et Justice, le parti chrétien-démocrate en Pologne, décident d’appuyer la plainte de Nowak, ce qui la rend recevable sur le plan juridique. Avec le résultat suivant:

« Dans le procès dans lequel Adam Darski, leader de Behemoth sous le nom de Nergal, le verdict a été rendu : Nergal est innocent des faits tels qu’on les lui a reproché. Le juge Krzysztof Wieckowski a statué hier que le fait qu’il ait déchiré une Bible au cours d’un de ses concerts à Gdynia, en Pologne, en avril 2007, est « une forme d’art » en rapport avec le style de son groupe et que le tribunal n’a aucune intention de limiter la liberté d’expression ou le droit de critiquer la religion. Les membres du public ont témoigné que leurs sentiments religieux n’avaient pas été heurtés, même s’ils étaient chrétiens » (Radio Metal, Behemoth déchire la Bible: c’est de l’art).

 Lors de la procédure, Radio Metal a eu la bonne idée d’interviewer Krzysztof Kowalik, professeur de théologie  à l’Université de Gdansk et expert auprès du tribunal pour cette affaire:

 » […] Venons en au sujet qui nous intéresse : le procès entre Nergal, le chanteur de Behemoth et le parti politique « Prawo i Sprawiedliwosc ». Pouvez vous nous expliquer dans quel cadre vous avez été appelé à témoigner lors du premier procès ? 

Cette participation s’est faite par hasard. J’ai été chargé par le Recteur de l’académie de travailler à l’ouverture d’une nouvelle filière nommée « Science des Religions ». C’est probablement la raison pour laquelle mon nom à commencé à circuler dans certaines sphères. Le procureur du parquet de Gdansk m’a demandé une expertise lors du procès entamé par Ryszard Nowak du Comité pour la Défense contre les Sectes. Le but de l’expertise était de déterminer si, oui ou non, chaque exemplaire de la Bible est un objet de vénération religieuse pour les chrétiens catholiques. J’ai répondu à cette question en m’appuyant sur mes connaissances en la matière ainsi que sur un questionnaire envoyé à des théologiens catholiques, des prêtres et des exégètes. Il ne m’a pas été demandé si Nergal était coupable. L’objet était plutôt de savoir si la plainte était reçevable.
Quelle peine encourt Nergal ?

Je ne sais pas (ndlr : l’entretien s’est déroulé avant la première audience du second procès). Je ne suis ni juge, ni juré. Personnellement, je vois ces évènements différemment. Dans la société pluraliste d’aujourd’hui, des évènements analogues seront amenés à se reproduire. Si toutes les institutions, évènements de la vie courante et politiciens sont soumis à de vives critiques et en soumettent en retour, on peut se demander au nom de quoi l’Église devrait encore être épargnée. Il ne faut pas oublier qu’elle a sa part de responsabilité dans l’éloignement de ses fidèles. Beaucoup de personnes ont été touchées et déçues par les scandales sexuels impliquant des représentants officiels de l’Eglise. Ces scandales ont profondément entaché l’image de l’Eglise Catholique et l’obligation de bienveillance qu’elle prône est apparue aux yeux de certains comme une hypocrisie. En Pologne, les gens commencent doucement à critiquer ce qui leur déplait dans le fonctionnement de l’Eglise, après plusieurs années où il était impossible et interdit de la contredire ouvertement. Je pense que Nergal représente d’une certaine manière cette critique que de nombreux concitoyens n’osent toujours pas formuler. Malheureusement les conséquences de son geste, vraisemblablement non mesurées, lui ont échappé. Il est évident que la forme de cette critique n’est ni acceptable, ni efficace. La question ne se pose pas. Il apparaît clair cependant que Nergal a critiqué l’Eglise Catholique et déchiré cette Bible dans un contexte particulier. La Bible est un texte sacré pour les catholiques, mais aussi pour les protestants et les orthodoxes par exemple. La Bible ne mérite pas d’être traitée de cette façon. Cependant, Nergal est le seul à pouvoir se permettre d’attaquer aussi violemment l’Eglise en temps qu’institution. C’est pourquoi je pense qu’il faut que Nergal tire une leçon de son acte, mais il ne faut pas qu’il soit condamné. Evidemment, les politiciens du « Prawo i Sprawiedliwo?? » ne sont pas encore prêts pour ça. Ils attendent une lourde condamnation à l’encontre de Nergal dans l’espoir de récupérer des voix et un soutien financier de la part de l’Eglise Catholique en vue des prochaines élections. Il ne faut pas non plus oublier que la hiérarchie ecclésiale ne s’est pas prononcée sur cette affaire.
Quel a été votre sentiment lors du verdict du premier procès?

Bien sûr, cela m’a soulagé. J’ai trouvé assez inconfortable d’être impliqué dans cette affaire. J’ai aussi trouvé dommage que ce procès n’aie pas débouché sur un débat plus général concernant la place de la religion dans la société moderne polonaise et plus particulièrement dans les lieux publics.  […] 
Le groupe Behemoth a déchiré des Bibles sur scène lors d’autres concerts il y a deux ans. Comment expliquez-vous que seule la Pologne ait cherché à assigner le groupe en Justice ?

La réponse à cette question a déjà été partiellement donnée. Les accusateurs se réfèrent à l’article §196 du code pénal. Cet article n’est pas très précis. Il n’indique pas la limite à partir de laquelle une parole sort du cadre de la liberté d’expression pour entrer dans celui de l’offense à la croyance religieuse. Cette limite est particulièrement difficile à déterminer dans le cadre d’une expression artistique. L’article §196 est en quelque sorte une arme de défense contre des insultes et critiques extérieures. Il donne cependant l’impression que la séparation des pouvoirs entre l’Eglise et l’Etat n’existe pas vraiment en Pologne. Dans d’autres pays européens, cette séparation est beaucoup plus claire.
Pensez vous que les autres pays européens auraient dû réagir à ce blasphème ?

Je ne pense pas. Partout autour du monde, des personnes sont maltraitées, persécutées, tuées… Je pense que l’Eglise et l’Etat devraient collaborer et utiliser leur énergie pour venir en aide à ces personnes plutôt que de chercher à tout prix à protéger leurs symboles des artistes. Il ne faut pas oublier qu’au nom de Dieu, de la Croix et de la Bible, beaucoup de personnes ont étés persécutées par le passé. Il est peut-être temps pour eux de recentrer leur action autour de valeurs plus fondamentales.
Vous avez précédemment évoqué l’idée de man?uvre politique pour gagner les voix de l’électorat catholique. Pouvez-vous développer ce point ?

Vous savez, en Pologne, l’Eglise Catholique est très influente. Cela vient de notre histoire, c’est depuis longtemps un état de fait. Elle a gagné beaucoup d’influence au XIXème siècle lorsque des prélats de l’Église occupaient les plus hautes fonctions de l’État. Elle ne prend bien sûr plus directement part au pouvoir. Mais son autorité a été très forte et il valait mieux l’avoir de son côté que contre soi. Cette autorité se fait d’ailleurs encore sentir aujourd’hui. Les politiciens le savent et vont souvent chercher du soutien et des financements auprès de l’Eglise. « Prawo i Sprawiedliwosc » se positionne aujourd’hui comme un parti catholique, strict mais ne l’assume pas. Ils n’ont au final que peu de valeurs communes avec l’Eglise Catholique. Ils enchaînent les faux-pas et les déclarations vides de sens. « L’affaire Nergal » est d’une certaine façon, pour eux, un moyen de réaffirmer leur position et de regagner la confiance qu’une partie de l’électorat catholique ne leur accordait plus.
L’assignation en justice de Nergal émane directement du parti politique au pouvoir. En tant que français il m’est difficile d’imaginer le gouvernement interférer à ce point là dans des affaires ayant trait à la religion.

Pourquoi est-ce possible en Pologne ?

Certains diraient par volonté de justice. Personnellement, je ne pense pas. Le fond de cette histoire est politique. Si la situation avait été plus reluisante pour le gouvernement actuel et leur popularité plus haute, je ne pense pas qu’ils se seraient lancés dans ces poursuites. Pourquoi avoir attendu deux ans avant d’appuyer la déposition de Nowak ? Il leur aurait fallu si longtemps pour se rendre compte de la portée de l’acte perpétré par Nergal lors de concert ? Difficile à croire. Les interférences mutuelles des politiques dans le domaine de la religion et des membres du clergé dans le domaine de la politique sont en partie dues à un manque de clarté et de distinction dans les textes de loi. A cela se rajoute notre histoire spécifique déjà évoquée auparavant sur laquelle s’est bâtie notre identité. Est-ce pour autant normal en Pologne que l’Etat s’implique autant dans une affaire d’ordre religieux ? Je ne pense pas, mais pour beaucoup de Polonais, ce comportement de l’Etat est inconsciemment accepté et ne choque pas.
Vous avez dit lors du premier procès que « la Bible est un objet de culte religieux et doit, de fait, être traitée avec respect ». Pouvez-vous développer un peu cette opinion ? Pourquoi cet objet doit-il aussi être respecté par une personne non-catholique ?

Je voudrais commencer par vous rappeler un principe biblique : « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse ». Ce principe est très concret et universel. On ne doit pas se moquer ou blesser une personne, croyante ou non, sous prétexte de ne pas approuver son mode de vie et sa vision du monde. Suis-je meilleur que ceux que je n’aime pas ? Même si je ne me reconnaissais pas en Dieu, je n’aurais pas plus de raison d’endommager ou de détruire un objet de culte religieux en public. Cela me rappelle d’une certaine manière l’histoire des caricatures de Mahomet auxquelles, bien que non musulman, j’étais fortement opposé. Mais, même si je suis opposé et ne cautionne sous aucun prétexte ce qu’a fait Nergal, je ne pense pas que son comportement justifie une condamnation judiciaire. A ce sujet, j’aimerais souligner une différence entre les protestants et les catholiques. Les protestants pensent que la Bible contient la parole de Dieu mais que le livre, en temps qu’objet, n’incarne pas cette parole. Dieu ne vit que lorsque ces mots sont verbalisés, lus ou prêchés. Je pense que pour les protestants, l’acte de Nergal n’a pas de conséquence car en s’attaquant à l’objet, il n’attaque pas Dieu. Les chrétiens catholiques, en revanche, vénèrent leurs objets de culte comme sacrés (que ce soit l’Eglise, la Bible, la croix…). Toute attaque contre un de ces objets est de fait considérée comme une attaque envers Dieu. Sur ce point précis, je me retrouve plus dans la manière de penser des protestants car pour moi, il est inconcevable que Dieu s’incarne en un quelconque objet matériel.

 
Depuis le début de sa relation avec la pop star Doda, Nergal est omniprésent dans les médias polonais (magazines, tabloïds, télévision). Il n’est pas rare de voir dans le bus des vieilles dames lire les dernières frasques de leur relation ou de voir Nergal parler impunément de ses croyances à la télévision. N’est-ce pas paradoxal de vouloir tant exposer et donner la parole une personne qui semble tant gêner et que l’on pourrait considérer criminelle au regard de la loi polonaise?

Je pense que la société pluraliste polonaise est malgré tout plus ouverte que ce que les gens pensent. Nergal et Doda vivent dans un monde particulier auquel les médias se sont toujours intéressés et s’intéresseront toujours. Ces médias ne sont pas là pour informer ou refléter une quelconque vérité. Ils créent leur propre réalité et tentent de nous convaincre qu’il s’agit de « la vraie vie ». A travers des articles de journaux, j’ai pu collecter quelques informations sur Nergal. Mais ces quelques informations sont bien maigres et je n’ai pas le sentiment de bien cerner la personne. L’affaire politique actuelle n’est pas que négative pour lui, car elle lui permet aussi d’utiliser les médias à des fins personnelles. Je suppose cependant que l’émotion provoquée à court terme par les faits évoqués précédemment éclipse le débat soulevé par son acte et sa potentielle condamnation. J’attends maintenant le procès afin d’avoir plus d’éléments et être en mesure d’interpréter les évènements d’il y a deux ans. Je n’arrive toujours pas à savoir ce que Nergal veut vraiment dans cette affaire. Je ne pense pas que la manière dont il se présente et agit en concert reflète vraiment sa personnalité et la manière dont il vit. C’est plus sa représentation en tant que musicien. A mon avis, il souhaite, à travers ce geste, atteindre et choquer les gens en couplant l’agressivité musicale à une forme d’agressivité visuelle.


Nous arrivons à la fin de cet entretien. Voulez vous rajouter quelque chose avant que nous nous quittions? 

Après de nombreuses années de dictature et d’occupation, la Pologne s’adapte doucement à la société démocratique et libre. Ses règles peuvent paraitre archaïques mais il n’existe pas de démocratie en kit avec une « recette » à suivre. Il n’y a pas non plus d’autorité (institutionnelle ou humaine) qui ne se trompe jamais et ne prend jamais de mauvaises décisions. Pour que la démocratisation de la Pologne avance, il faut que cette autorité arrive à accepter la liberté de penser et la critique et ce, même quand cette critique est inadaptée et illégitime » ( Radio Metal, id. ).

 Si je mets à part l’étrange idée que ce théologien semble avoir du rapport des catholiques aux objets sacrés, cet entretien a l’immense mérite de pointer l’enjeu à mon avis véritable de toutes ces manifestations contre le blasphème dans les oeuvres d’arts, en France comme en Pologne (malgré le contexte extrêmement différent de ces deux pays): l’évolution des rapports entre les catholiques et nos sociétés démocratiques occidentales.

En premier lieu, je retire de ces deux affaires que même lorsqu’il est prévu par la loi, le blasphème est une notion juridiquement trop floue et subjective (on a vu avec l’exemple de ce professeur de théologie, ou encore avec l’affaire Castellucci en France, que  les chrétiens eux-mêmes pouvaient avoir des divergences profondes sur la définition de ce qui constitue un blasphème) pour être véritablement applicable dans un Etat de droit:

« Poland’s religious insult law conflicts with international standards on freedom of expression, in large part because its vague wording does not identify the legal threshold for “offending religious feelings.” As one member of the Council of Europe’s Venice Commission remarked, “The religious feelings of the different members of one specific Church or confession are very diverse. The question is: whose level of religious sensibility should we treat as the average level—the
sensibility of a group of fundamentalist or tolerant members?” The decision to investigate an an alleged offense under Article 196 of the Penal Code is at the discretion of the prosecutor. Though there must be at least two “victims,” there is no requirement for individuals to submit complaints. In practice, the law appears to be applied mostly at the instigation of conservative Catholics. There are few cases
overall, and they usually result in acquittals when pursued to the end, but the legal process involved is itself a deterrent that encourages individuals, notably artists, to engage in self-censorship » ( The impact of blasphemy laws on human rights, a Freedom House special report: Poland ).

 Les rares bénéfices concrets de cette loi pour les catholiques ne proviennent donc pas d’une reconnaissance républicaine de l’inviolabilité du sacré, ni d’une prise de conscience de la population, mais de la peur. Il s’agit en fait d’une forme douce de terrorisme : si évangéliser consiste à témoigner, peut-on dire que nous sommes là dans une forme de témoignage chrétien, et si ce n’est pas le cas, n s’agit-il pas finalement d’opposer à l’Ennemi les armes de l’Ennemi, et de rééditer une autre forme de blasphème, d’autant plus grave et destructrice qu’elle est faite au nom de Dieu?

L’échec régulier des procédures engagées contre des oeuvres d’apparence blasphématoire, aussi bien en France où il n’y apas de loi contre le blasphème qu’en Pologne ou celle-ci existe, frustre les catholiques qui ont choisi de se focaliser sur ce type de procédures pour lutter contre la déchristianisation de nos sociétés, et radicalise leur rejet des fondements de ces dernières. Ils en viennent souvent, et semble-t-il en France de plus en plus, à considérer que la liberté d’expression, socle de la démocratie pluraliste, est à deux vitesses et vise à justifier le « relativisme moral » et la « christianophobie ». D’où le sentiment renouvelé d’une « christianophobie » ambiante et l’accroissement de ce type d’actions. Alors que c’est la tactique du procès qui semble en elle-même inadaptée à la lutte contre la déchristianisation.

Cette radicalisation attire en retour le ressentiment d’une partie de la société, qui a l’impression de voir la liberté d’expression confisquée par une minorité sur des bases subjectives et en vient à légitimer aux yeux de certains le blasphème comme l’expression d’un nécessaire combat politique. On le voit dans l’interview de  Kowalik, lorsqu’il évoque les critiques de plus en plus ouvertes contre l’Eglise au sein de la société polonaise, et les bénéfices médiatiques que Nergal a pu retirer de ses mésaventures judiciaires. On l’a vu également dans mon article metal et islam, avec le témoignage d’un des metalleux poursuivi au Maroc pour des raisons religieuses, où il expliquait que cette affaire (où il y avait pourtant eu condamnation des musiciens) avait en fait rendu le metal plus populaire et sympathique aux yeux de beaucoup de marocains, et contribuer à un désir croissant d’émancipation de la tutelle religieuse. On le voit encore dans la formulation adoptée par cet extrait du rapport de Freedom Report:

 » Moreover, the complaint mechanism and prosecutors’ practice of consulting theologians and other experts to determine the boundaries of the vaguely worded law effectively imposes the subjective views of a few on the rest of society« .

Bien loin de remédier à la « pastorale de l’enfouissement » des décennies précédentes, la mobilisation en France contre la « christianophobie » risque de marginaliser encore plus les catholiques et d’accélérer la déchristianisation de la société, comme je le remarquais déjà dans un précédent article. Il y a à mes yeux un véritable risque de « sectarisation » d’une partie des catholiques sur les prochaines générations, si cette tendance devenait majoritaire.

Deux exemples de ce qui me parait constituer des ambiguités inquiétantes, qui vont dans le sens d’une radicalisation (même si le premier des deux n’émane pas d’extrémistes) et d’une défiance accrue envers l’institution démocratique, dans le discours de catholiques mobilisés contre le blasphème:

1)

 » Islam et metal ? Nous avons lu le billet de inner light qui n’est pas la seule source sur le sujet. Une chose est certaine : le metal s’exprime en terre chrétienne, beaucoup moins en terre d’islam quand il n’est pas violemment réprimé » (Collectif Provocs Hellfest).

 A lire ce commentaire, on a un peu l’impression qu’au fond, si la France se transformait en Etat policier du type des dictatures islamistes, en remplaçant l »islam par le christianisme, mais en gardant la censure religieuse et les pressions sociales et institutionnlles, la situation ne serait pas plus mal. Je ne dis pas que c’est ce que pensent vraiment les membres du Collectif, je suis même persuadé du contraire, mais il y a là une manière, maladroite et non pas mal intentionnée, de présenter les choses qui pourraient rendre souhaitable aux yeux de certains jeunes catholiques une « violente répression ».

2) En novembre dernier, les « indignés catholiques » se félicitaient de la présence de musulmans à leur côtés, lors de leur manifestation contre la « christianophobie »:

 » On pourra juger l’information insolite sur ce blogue – elle a d’ailleurs déjà été signalée par des commentaires hier au soir –, mais Nouvelles de France donne une information qui n’est pas sans intérêt : un groupe musulman, Forsane Alizza, s’associe à la protestation des chrétiens contre la pièce blasphématoire Sur le concept du visage du fils de Dieu… Une information que je juge fort intéressante… » (Observatoire de la christianophobie, « Un groupe musulman s’associe à la protestation des chrétiens contre la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu » »).

 Forsane Alizza qui n’est autre que le groupe djihadiste dissous récemment par Claude Guéant. Ces associations catholiques, qui prétendent faire oeuvre de « vigilance » et de « réinformation », s’associent pour lutter contre une pièce dont le caractère blasphématoire reste très hypothétique avec des gens qui appelleraient très problablement de leurs voeux des persécutions effectives contre les chrétiens s’ils gagnaient un pouvoir quelconque. C’est comme si des associations juives avaient manifesté contre La Passion du Christ, du temps où ce film faisait scandale auprès de certains, au côté de néo-nazis. Tout cela montre le manque de discernement et de sérieux de ces mobilisations contre la « christianophobie » et leur caractère aisément manipulable. Mais aussi évoque des affinités potentielles dans la manière de concevoir le « combat culturel » avec les pires extrémistes religieux. S’il est certain que Civitas sous sa forme actuelle est très loin d’être aussi extrémiste que Forsane Alizza, on a constaté depuis les manifestations autour du Piss Christ il y a un an une radicalisation forte de son action, dans le sens d’une violence plus explicite, même si elle reste encore assez potache, et rien n’indique que cette radicalisation, l’insuccès aidant, ne sera pas prolongée par des groupes plus ouvertement belliqueux, de la même manière que l’Action Française, qui avant la première guerre mondiale était connue pour ce type d’actions relativement inoffensives, s’est fait doubler sur sa droite au cours de l’entre-deux guerres par des milices beaucoup plus menaçantes, dont bon nombre de membres venaient de ses rangs.

Si ce risque reste très hypothétique, on voit que les manifestations contre la christianophobie n’entament en rien la déchristianisation de notre société (il n’y a qu’à voir l’avancée spectaculaire en quelques années des partisans de l’euthanasie) et marginalisent encore un peu plus les catholiques dans l’opinion par ses excès. Une fois encore, je ne pense pas que le divorce entre la culture contemporaine et les cathos se résorbera par la confrontation, mais par le dialogue et l’exemple. Pour me citer moi-même en effet:

 » Le problème n’est en effet pas la diffusion des oeuvres, mais l’inspiration qui les anime: croire qu’on peut créer du Beau en attaquant l’Eglise, qui annonce la source du Beau. Il ne s’agit donc pas de faire taire l’inspiration mais de la convertir, en déployant non pas des juristes, des politiques ou des pamphlétaires, mais des musiciens, des écrivains, des poètes. La bataille de la culture ne peut se gagner que par la culture, en comprenant l’inspiration qui anime cette culture en partie hostile au christianisme, pour mieux la déconstruire et la dépasser par une inspiration nouvelle. ce qui présuppose de ne pas la condamner a priori comme une pathologie, une “phobie” et de refuser toute qualité artistique réelle à ses oeuvres, mais de comprendre de l’intérieur la démarche des artistes qui sont animés par elle, de dialoguer avec eux. Ce qui peut permettre dans certains cas de retrouver les traces d’une inspiration chrétienne chez ceux-là mêmes qui prétendaient la combattre: ainsi une grande partie de l’univers mental de nombre de black metalleux est stucturé par l’influence de l’oeuvre catholique de Tolkien. Ce qui constitue des pistes pour proposer une version proprement chrétienne de la culture comtenporaine, et de dépasser tout ce qu’elle peut avoir d’hostile ou étranger au christianisme de prime abord. . .

Il s’agit de mener le combat culturel en participant à l’activité créatrice de la culture contemporaine, et non en restant à ses marges en la condamnant. A lutter contre la christianophobie, les catholiques finissent par n’avoir que des choses à combattre dans notre société et aucune à proposer. S’enfermer dans une posture d’auto défense permanente, sans rien donner qui puisse avoir du sens et de l’intérêt pour les membres de notre société déchristianisée, c’est nous condamner à court terme à ne plus du tout être entendus, voire à être combattus à vue, et à ne plus pouvoir transmettre l’évangile, ce qui est pourtant beaucoup plus au coeur de notre mission que la lutte contre la “christianophobie”« .

« Christianophobie », christianofolie…?

Posted in Christianisme et culture with tags , , , , on 21 octobre 2011 by Darth Manu

Cet article sort un peu à première vue des thématiques propres à ce blog, mais les rejoint dans la mesure où il analyse un concept fondamental pour comprendre l’analyse que font certains milieux cathos du Hellfest.

La « christianophobie » est à la mode en ce moment. Civitas appelle à une manifestation contre elle le 29 octobre 2011, et multiplie les actions contre ses vecteurs supposés, ainsi la dernière en date… Ce qui suscite beaucoup d’enthousiasme chez de nombreux catholiques, mais également de fortes réticences, ainsi ici, ou , ou encore

Qu’est-ce que la « christianophobie » (ou la » cathophobie », juste un peu plus restrictive dans son objet)? Son étymologie suggère qu’il s’agit de la peur irraisonnée ou de la haine du christianisme. Ce serait un discours ou un comportement incitant à la haine et à la discrimination à l’encontre des chrétiens et de leurs valeurs, de même que l’homophobie à l’encontre des homosexuels, que la xénophobie à l’encontre des étrangers, etc.

Ce terme est très fréquemment invoqué, en ces temps de recul du christianisme et de polémiques contre l’Eglise, et on le trouve jusque dans la bouche du pape:

« Benoît XVI dénonce les persécutions des minorités chrétiennes dans le monde et, avec autant de vigueur, la «christianophobie» croissante en Europe, dans un message à l’occasion de la 44e journée mondiale de la paix qui sera célébrée le 1er janvier 2011.

Dans ce document rendu public jeudi par le Vatican, le pape exprime sa profonde préoccupation devant l’ «hostilité» et les préjugés» contre le christianisme sur le Vieux Continent, où il estime que le «laïcisme» est aussi dangereux que le fanatisme religieux ailleurs.

«Puisse l’Europe se réconcilier avec ses propres racines chrétiennes qui sont fondamentales pour comprendre son passé, son présent et son rôle futur dans l’Histoire», écrit Benoît XVI dans ce message intitulé «Liberté religieuse, chemin vers la paix». » (20 Minutes)

L’usage de ce terme est très fréquent sur la cathosphère. Il constitue une réaction au caractère biaisé du traitement par les médias de l’Eglise et du Pape, par exemple dans les polémiques qui ont marqué l’année 2009, sur l’avortement à Recife, la levée de l’excommunication des évêques intégristes, ou encore la petite phrase du Pape sur le préservatif. Il se nourrit de l’inquiétude suscitée par des phénomènes tels que le succès de produits culturels apparemment dirigés contre le christianisme, que ce soient le Code Da Vinci, la pièce de théâtre Golgotha Picnic, ou encore la présence de groupes ouvertement hostiles au christianisme dans un festival musical tel que le Hellfest. Il manifeste une forme de révolte contre les propos d’élus qui détournent la laïcité pour tenter de confiner l’expression religieuse à la sphère privée, ainsi ce maire qui a supprimé dans sa commune la crèche de Noël. De manière générale, il traduit la prise de conscience par les catholiques qu’ils sont en train de devenir une minorité, et exprime une tentative de renverser le cours des choses.

Cette prise de conscience que la foi catholique est de moins en moins estimée, voire de moins en moins tolérée, dans note société, est exacerbée par le spectacle de plus en plus effrayant que constitue le traitement des chrétiens par les autorités dans les pays où le christianisme est et à toujours été une minorité. Au Pakistan, les chrétiens sont emprisonnés ou condamnés à mort pour le moindre prétexte (ainsi Asia Bibi, qui est emprisonnée et qui encourt la pein de mort dans le cadre de la loi anti blasphème) alors qu’il semble qu’ils puissent être tués ou violés quasiment en toute impunité. En Egypte, le régime militaire opprime les coptes, et vient de briser dans le sang une manifestation. En Chine, le gouvernement tente d’asservir les évêques et les prêtres, et persécute ceux qui se refusent de ses plier à ses décisions.

Pris au piège de ce contexte angoissant, certains chrétiens choisissent le repli. J’ai ainsi pu rencontrer plusieurs jeunes, dans des rassemblements tels que le FRAT, qui me confiaient avoir peur de se dire chrétiens au collège ou au lycée. Mais la tendance dominante semble être à la riposte. Un réseau très dynamique de blogs, ainsi Le Salon Beige, Perepiscopus, L’Observatoire de la Christianophobie, ou encore Riposte Catholique, effectue chaque jour un veille très précise des différents actes de « christianophobie » qui semblent opprimer notre belle Eglise, ici ou ailleurs. Des manifestion sont organisées très régulièrement, contre le les kiss in, la « culture de mort », le Hellfest, la pièce de théatre Golgotha Picnic, le Piss Christ, le soutien apparent de la Mairie de Paris à une fête de fin de Ramadan, etc Des pétitions sont lancées par mail et sur internet. Lassée des compromissions apparentes des catholiques qui ont vécu le Concile et de l’enfouissement qui semble avoir été la politique de l’Eglise dans les décennies qui ont suivies, la nouvelle génération entend redonner à l’Eglise une place centrale dans notre société.

S’il est indéniable que l’Eglise souffre d’un déficit croissant d’image dans l’opinion, et qu’il est du devoir de tout catholique de ne pas y rester indifférent, le terme de « christianophobie » est-il adéquat pour décrire ce phénomène inquiétant avec précision et pertinence, ou est-il lui même une interprétation, sujette à des non dits et des arrières pensées politiques ou idéologiques, qui déforme ce qu’il entend désigner?

Dans un article intitulé « Antiphobie », le blogueur Philarète dénonçait il y aun an les mots en « -phobie », qui condamnent a priori le débat et pathologisent l’adversaire:

« Je suis tenté de l’expliquer en remarquant que ces vocables visent à disqualifier la possibilité même d’un débat. Ils ont une fonction neutralisante : les « phobies » ne sont pas des idées, mais des maladies (voire des infections, des pestes). Or derrière la peur du débat se cache généralement le désintérêt pour la vérité ou, s’agissant de débat de nature politique, au sens large, le scepticisme à l’égard de l’idée d’un bien à poursuivre ensemble, et donc à déterminer à travers la délibération collective. Le refus du débat relève donc d’une forme profonde de relativisme : non pas du relativisme superficiel qui fait dire « à chacun ses idées », mais du relativisme profond qui rend aveugle à l’intérêt d’une confrontation des points de vue, des analyses et des arguments, confrontation qui serait susceptible de faire apparaître que certains ont tort et d’autres raison.[..]

C’est ce type de configuration mentale que l’on peut repérer, mutatis mutandis, chez les propagateurs actuels des mots en « -phobe » et « -phobie » : culture de l’unanimité morale, pathologisation de la « dissidence » idéologique. Et, comme dans les périodes de notre histoire nationale où apparaît le culte fébrile de l’unanimité, le phénomène traduit sans doute la fragilité de notre état social. Il faut se sentir très fragile, en effet, pour craindre à ce point l’expression des points de vue divergents ».

En ce sens, l’usage du mot « christianophobie » ne se borne pas à décrire et à dénoncer une forme d’hostilité dominante au christianisme, mais va beaucoup plus loin, en interprétant cette dernière comme une démarche irrationnelle, « pathologique », de haine, plutôt que par exemple l’expression d’un malentendu, d’une méconnaissance, ou de critiques dignes d’être intégrées dans un débat raisonné. D’où la tautologie brandie par les adeptes de la lutte contre la « christianophobie »: la lutte est la dernière issue possible, celle qui est du devoir de tout chrétien, ce qui semble présupposer que le dialogue a déjà été tenté, et a abouti sur des points d’opposition indépassable, mais toute tentative de dialogue est en réalité bloquée d’emblée par le terme même de « christianophobie », qui impose l’idée que l’adversaire n’est pas dans une démarche suffisament rationnelle pour ête capable de dialogue, qu’il n’est qu’une maladie qu’on éradique, et non quelqu’un que l’on peut respecter et et avec qui on peut échangerd’une manière fructueuse pour tous. Les catholiques qui épousent cette lutte contre la christianophobie déplorent de ne pas ête écoutés, mais se ferment eux-mêmes à tout dialogue en enfermant leurs contradicteurs dans des mots qui nient leur individualité et leur capacité à les surprendre ou à dépasser leurs arguments: il y a les « christianophobes », les « traîtres », les « tièdes », les « bisounours », … Ils ne sont disposés à dialoguer qu’avec ceux qui partagent leurs présupposés. Et comme le dialogue présuppose un désaccord préalable, pas étonnant q’ils ne croient le plus souvent pas au dialogue.

S’il est indéniable que nombre de nos contemporains sont de plus en plus hostiles à l’Eglise et aux valeurs qu’elle défend il n’est pas sûr que le terme « phobie » décrive leur démarche avec justice et en vérité. La plupart des membres de ma famille, de mes amis, de mes collègues, ont approuvé en profondeur les campagnes médiatiques contre le Pape en 2009 et après. Ils sont pour l’avortement, pensent que le Concile Vatican 2 n’est pas allé assez loin, et estiment pour la plupart que la religion est source d’intolérance. ils sont du côté des kiss in et de la défense de la laïcité façon Charlie Hebdo. Certains d’entre considèrent qu’une oeuvre « blasphématoire » n’est pas très éloignée sémantiquement d’une oeuvre « intéressante », et d’autres écrivent sur leur blog des nouvelles qui n’ont pas grand chose à envier au Golgotha Picnic. Ils ne sont pas loin de me considérer comme un tradi, alors que sans être un « catho progressiste » au sens usuel du terme, je suis plutôt de gauche, parce que je vais à la messe tous les dimanches, suis animateur d’aumônerie, participe régulièrement à des retraites et des pélerinages, essaie d’avoir une vie de prière et sacramentelle régulière, et m’efforce de vivre en cohérence avec l’enseignement de l’Eglise, y compris sur les questions sociétales. Ils participent intimement de ce phénomène dénoncé aujourd’hui sous le nom de « christianophobie ». Et pourtant, beaucoup d’entre eux éprouvent de l’intérêt et même de la bienveillance envers mon parcours et mon témoignage, parce qu’en réalité, ils ne ha¨ssent pas vraiment l’Eglise, mais la connaissent mal, et sont alarmés par l’image d’intolérance véhiculée par les médias. Et ce qu’ils connaissent de moi leur procure une certaine forme de soulagement, voire de joie, parce que cela leur fait prendre conscience q’un catholique, ce n’est pas seulement quelqu’un qui condamne ou qui interdit, mais que nous avons aussi des expéiences positives à partager avec eux et à leur faire découvrir. Et peu à peu leur point de vue évolue, devient moins tranché, plus ouvert… Je refuse de désigner ces proches par un qualificatif aussi réducteur et insultant que celui de « christianophobe ».

On m’objectera que l’on peut détester le péché tout en aimant le pécheur, et que l’on peut condamner la « christianophobie » en général tout en restant ouvert à la diversité et aux nuances des parcours personnels. En effet, s’il est évident que beaucoup de personnes n’aiment pas l’Eglise parce qu’ils la connaissent mal, on peut considérer assez justement que le vecteur le plus efficace de cette ignorance est la saturation de la culture par toute sorte d’oeuvres ou de spectacles qui donnent une image fausse, voire outrageante, de l’Eglise et du christianisme. Le Code DaVinci, le Golgotha Picnic, voire les morceaux de certains artistes de metal sont des exemples récents. De manière analogue, peu de personnes ont réellement étudié l’histoire de l’Inquisition, mais beaucoup y voient une tendance profonde de l’Eglise, à force de la voir représentée au cinéma, dans la littérature, les bandes dessinées, etc.

Cependant, s’il est vrai que l’on ne saurait séparer totalement l’art de la morale, dans la mesure où il cherche à témoigner d’une certaine forme de transcendance, qui est celle de la Beauté, on ne saurait cependant le juger suivant ses normes. Le Bien et le Beau sont liés de manière ultime en Dieu, mais ils constituent des manifestations distinctes de sa Toute Puissance, qui orientent vers Elle par des chemins différents. L’art trouve sa validation dans la représentation du Beau, qui est lié au Bien et au Vrai, mais alors que le Bien se laisse relativement bien traduire par des normes, le propre du Beau est de se dérober à ces dernières, et les artistes n’ont de cesse de déconstruire les formes fixées par leurs prédecesseurs. Les normes que les classiques ont tenté par exemple de donner au théâtre n’ont pas résisté au temps, et les grandes pièces de théâtre des périodes suivantes sont celles qui se sont essayé à briser ces règles. Ou encore, le black metal traite de réalités mauvaises: la haine, la colère, le désespoir. Mais son succès ne réside pas dans la tentative de certains de ses créateurs de promouvoir de nouvelles normes similaires à celle de la morale dans leur forme mais contraires à elle dans leur contenu, à travers des idéologies telles que le satanisme, mais dans le sentiment esthétique qu’il procure, qui touche à des réalités présentes dans l’âme humaine, qui ont des aspects destructeurs, mais aussi créateurs: ainsi le désespoir peut-il mener au désir de rédemption et à la conversion. Condamner une oeuvre ou un courant culturel parce qu’il semble traiter du mal n’est donc pas opératoire, parce que même un artiste fou ou maudit peut toucher dans sa création à un sentiment ou une réalité qui dépasse son projet conscient, et mener à une élevation de l’âme, et que même un saint n’y arrivera pas s’il se borne à imiter les représentations déjà existantes de la beauté, et ne cherche pas au moins en partie à déconstrure ce qui a déjà été fait. Le Bien réside dans la soumission à des valeurs communes, et le Beau dans la création de nouvelles valeurs. Il n’est donc jamais complètement possible de juger l’un par l’autre.

Ce qui ne signifie pas qu’il n’y a pas un combat culturel à mener en défense du christianisme. Mais l’erreur de nos pourfendeurs de la christianophobie est de croire qu’il est à mener autour de la culture alors qu’il se gagnera par elle. Par exemple, avec tout le respect que j’ai pour nos évêques, je suis un peu déçu que certains d’entre eux aient affirmé que refuser que les deniers publics financent de telles oeuvres puisse être une réponse adéquate aux problèmes qu’elles soulèvent . Une oeuvre d’art, si ratée soit-elle, avant que sa diffusion ne soit facilitée par des subventions, prend sa source dans une inspiration créatrice, qui est elle-même l’expression de sentiments et d’états d’âme de l’artiste, qu’il vise à faire partager. Bonne ou mauvaise l’oeuvre d’art n’est pas une pathologie ou un virus à éradiquer, mais le témoignage de la vie intérieure d’une personne. Le caractère outrageant d’une oeuvre est un effet, et l’inspiration créatrice qui anime l’artiste, son « génie » (que celui-ci soit réel ou non), est la cause. Chercher à empêcher la représentation d’une oeuvre (ce qui est un peu quand même le but d’une protestation contre des subventions publiques), cela revient à traiter les symptômes sans traiter les causes, ce qui est comme chacun sait le contraire de l’action d’un bon médecin. L’art traduit l’esprit d’un époque: la censure victorienne n’a pu empêcher l’émergence d’une littérature décadente, ni l’attrait de nombreux artistes pour des sociétés occultes telles que la Golden Dawn. Beaucoup d’oeuvres ou de courants combattus par les associations catholiques sont nées de l’underground, ainsi le black metal, et y puisent une partie de leur identité artistique. Attaquer leur diffusion ne convertira pas l’inspiration qui les a fait naitre, mais les radicalisera. Plus grave, ces attaques incessantes de Civitas et autres sur le terrain culturel, mais par des méthodes politiques et juridiques, accréditent l’idée que le combat pour l’Eglise n’est pas tant un combat culturel mais d’un combat contre la culture.

Le problème n’est en effet pas la diffusion des oeuvres, mais l’inspiration qui les anime: croire qu’on peut créer du Beau en attaquant l’Eglise, qui annonce la source du Beau. Il ne s’agit donc pas de faire taire l’inspiration mais de la convertir, en déployant non pas des juristes, des politiques ou des pamphlétaires, mais des musiciens, des écrivains, des poètes. La bataille de la culture ne peut se gagner que par la culture, en comprenant l’inspiration qui anime cette culture en partie hostile au christianisme, pour mieux la déconstruire et la dépasser par une inspiration nouvelle. ce qui présuppose de ne pas la condamner a priori comme une pathologie, une « phobie » et de refuser toute qualité artistique réelle à ses oeuvres, mais de comprendre de l’intérieur la démarche des artistes qui sont animés par elle, de dialoguer avec eux. Ce qui peut permettre dans certains cas de retrouver les traces d’une inspiration chrétienne chez ceux-là mêmes qui prétendaient la combattre: ainsi une grande partie de l’univers mental de nombre de black metalleux est stucturé par l’influence de l’oeuvre catholique de Tolkien. Ce qui constitue des pistes pour proposer une version proprement chrétienne de la culture comtenporaine, et de dépasser tout ce qu’elle peut avoir d’hostile ou étranger au christianisme de prime abord. . .

Il s’agit de mener le combat culturel en participant à l’activité créatrice de la culture contemporaine, et non en restant à ses marges en la condamnant. A lutter contre la christianophobie, les catholiques finissent par n’avoir que des choses à combattre dans notre société et aucune à proposer. S’enfermer dans une posture d’auto défense permanente, sans rien donner qui puisse avoir du sens et de l’intérêt pour les membres de notre société déchristianisée, c’est nous condamner à court terme à ne plus du tout être entendus, voire à être combattus à vue, et à ne plus pouvoir transmettre l’évangile, ce qui est pourtant beaucoup plus au coeur de notre mission que la lutte contre la « christianophobie ».

A force de traiter la culture contemporaine comme une maladie plutôt que comme un terrain d’échange, de dialogue et de construction, nous nous marginalisons et augmentons le ressentiment à notre égard. Puisque les catholiques de « riposte » adorent les références à la situation des chrétiens du proche et moyen orient, ils pourraient en ce sens méditer cette mise en garde du député maronite libanais Farès Souhaid, dans une interview publiée dans le journal Iloubnan, sur des questions différentes dans un contexte différent, mais qui pointe une tentation analogue:

« L’église devrait se positionner comme une pièce essentielle de l’architecture des mouvements actuels. Alors que tout ce qu’on entend, c’est que les chrétiens ont peur. Aujourd’hui quand j’écoute les Chrétiens j’entends juste qu’ils ont peur de tout. On parle du droit de vote à 18 ans, ils répondent « démographie musulmane ». On leur parle d’Etat civil, ils répondent « atteinte à notre identité chrétienne ». Ils informent l’Occident de leurs craintes mais l’Occident ne peut rien pour cette peur: les puissances occidentales voient dans cette région arabe, à majorité musulmane, un formidable intérêt économique; les entreprises occidentales attendent de se lancer sur ces marchés. Tout ce que l’Occident peut faire pour les chrétiens c’est leur proposer des visas pour quitter la région. Finalement, ici au Liban, une partie des chrétiens apparaît comme une communauté qui ne s’occupe que de ses intérêts (est-ce que la crise régionale va avoir un impact sur le système bancaire libanais, est-ce que d’éventuels problèmes sécuritaires vont perturber nos loisirs), une autre partie vit dans la peur (en Syrie, en Egypte, au Liban aussi bien sûr). Une autre est opportuniste et attend de voir dans quelle direction le vent va tourner. Dans ces trois cas, les chrétiens sont en marge de ce qui se passe alors qu’ils devraient y prendre part pleinement » (Matinale chrétienne de La Vie du 21 octobre 2011).

 Les associations catholiques qui misent tout sur la lutte contre la « christianophobie » se font fort de restaurer un catholicisme plus authentique, mais comme elles ne sont préoccupées que des intérêts de la petite tendance de l’Eglise qu’elles représentent (quelles sont les propositions de Civitas ou du Salon Beige pour plus de justice sociale, contre l’exclusion, la pauvreté,  ou même pour leurs initiatives d’évangélisation?) et n’ont rien à offrir à une société qui ne pense pas comme elles et ne les aiment pas, elles sont condamnées à échouer. Gardons nous de nous laisser entrainer dans leur chute probable, et de substituer à l’enfouissement de l’autruche de nos parents celui du bunker qu’elles (im)(pro)posent, qui est séduisant pour tous les jeunes souvent frustrés par les préjugés dont ils sont souvent victimes en tant que chrétiens, mais qui n’aura pour conséquence vraisemblable que d’accélérer la déchristianisation de notre société. Les pères de l’Eglise apportèrent l’espérance et le pardon à leur contemporains. Et de manière étonamment inverse, Civitas et ses acolytes n’apportent que la peur de l’autre et les condamnations…