Archive pour février, 2012

Les textes chantés au Hellfest: comment comprendre l’expression: « les mots ont un sens »?

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , , , , , , , , on 22 février 2012 by Darth Manu

J’évoquais dans mon billet précédent la propension des anti hellfest à tout ramener au sens littéral des paroles des groupes de métal qui développent un imaginaire satanique et/ou occulte et /ou fantastique, pour verrouiller tout débat avec des défenseurs du festival.

« Les mots ont un sens », disent-ils. Ce n’est pas faux, et ils en ont même plusieurs. Mais en quel sens prendre cette proposition justement, et comment dévoiler la signification véritable des paroles des groupes de metal? Faut-il s’en tenir au sens littéral, au risque de niveller les intentions et le discours réel de chaque artiste, ou remettre en contexte et dégager plusieurs niveaux de sens, et plusieurs types d’usages de ce que Nicolas Walzer a appelé l »imaginaire satanique » dans son livre Satan profane?

Tout le monde a entendu parler du sens commun et du sens figuré. Ce ne sont pas les seuls. On pourrait citer également le sens dénotatif et le sens connotatif:

« En linguistique, le sens ou signifié dénotatif, la dénotation, s’oppose au sens ou signifié connotatif, la connotation.

  • La dénotation désigne le sens littéral d’un terme que l’on peut définir (et trouver dans le dictionnaire).
  • La connotation désigne tous les éléments de sens qui peuvent s’ajouter à ce sens littéral.

Le champ de la connotation est difficile à définir car il recouvre tous les sens indirects, subjectifs, culturels, implicites et autres qui font que le sens d’un signe se réduit rarement à ce sens littéral. Définir la connotation est si difficile qu’on en arrive parfois à la définir par défaut comme tout ce qui, dans le sens d’un mot, ne relève pas de la dénotation1.

Par exemple, si on s’intéresse au mot flic, le sens dénotatif est le même que celui de policier. Mais à ce sens s’ajoutent des connotations péjoratives et familières.

Un même mot ou symbole pourra donc avoir des connotations différentes en fonction du contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi, la couleur blanche connote[réf. nécessaire] la pureté et le mariage pour un Européen, le deuil pour un Extrême-Oriental ; tandis que la svastika, si elle est vue par un Indien comme un symbole religieux hindouiste (représentant l’énergie positive), ne peut pas être vue par un occidental sans lui faire penser au nazisme (ici utilisée comme énergie destructrice).

L’opposition entre dénotation et connotation entretient des rapports complexes avec l’opposition entre sens propre et sens figuré » (article Wikipedia connotation et dénotation).

La svastika est un exemple particulièrement intéressant, dans la mesure où elle montre bien comment  une dénotation apparemment limpide, la croix gammée,  peut avoir la signification qu’elle prend complètement transformée par les connotations, suivant le contexte culturel dans lequel elle est perçue.

A la lueur de cette distinction entre dénotation et connotation, on pourrait proposer la relecture suivante de la polémique sur le Hellfest: les groupes dont la présence est critiquée par les anti Hellfest utilisent une dénotation commune, qui est la référence à un imaginaire satanique, ou occulte, etc. Les pro Hellfest soulignent que si la dénotation est comparable, la connotation n’est pas nécessairement la même entre les plus extrêmes de ces groupes et les plus flokloriques, voire entre l’ensemble de ces groupes et celle que prennent les paroles de leurs chansons dans le contexte de l’enseignement de l’Eglise catholique.

Quelques exemples:

– Connotation « religieuse »: 

 » Glorification of the black god
In the shape of a black goat – The dark lord himself
Presiding over the revelry..
Demons, witches, and spirits of Darkness await
And watch with pleasure on the succumbed virgins
And innocent souls.. Soon to be sacrificed
The only light is the gleam of the torches from the inverted women wombs
And the fire from the cauldron, in which human fat is being boiled
The air is filled with diabolical laughter and screams
Spells are whirling, and the smell of hell is spreading all around
The appearance of spirits of Darkness from the heart of Hell
A necromantical union brought forth to haunt the night
 The christians fled like pigs, overwhelmed with fear
Except glimpses of the moon surrounded by stars
Clouds block the nocturnal light, as the earth trembles
Under hooved feet accompaigned by..
The beating of skins under the blackened sky

Noone dares to tread the mountain on this night

They watch with enlarged eyes, in fear from afar
 As the lightning joins the perverted dance at the bare mountain » (Glorification of the black god », Marduk).

Les membres de Marduk n’ont jamais caché leur satanisme théiste (cf. mon article sur le blasphème pour quelques sources).

– Connotation métaphorique:

 « Highway to Hell

livin’ easy
lovin’ free
season ticket on a one way ride
askin’ nothin’
leave me be
takin’ everythin’ in my stride
don’t need reason
don’t need rhyme
ain’t nothin’ that I’d rather do
goin’ down
party time
my friends are gonna be there too
I’m on the highway to hell
on the highway to hell
highway to hell
I’m on the highway to hell

no stop signs
speed limit
nobody’s gonna slow me down
like a wheel
gonna spin it
nobody’s gonna mess me around
hey satan
payin’ my dues
playin’ in a rockin’ band
hey mumma
look at me
I’m on the way to the promised land
I’m on the highway to hell
highway to hell
I’m on the highway to hell
highway to hell
don’t stop me

I’m on the highway to hell
on the highway to hell
highway to hell
I’m on the highway to hell
(highway to hell) I’m on the highway to hell
(highway to hell) highway to hell x2
(highway to hell)
and I’m goin’ down
all the way
 I’m on the highway to hell » (AC/DC, Highway to Hell).

L’artiste n’évoque pas un culte personnel à Satan, ni même une quelconque forme de religiosité satanique. Le champ lexical du diable et de l’enfer renverrait à une relecture métaphorique du  périple du groupe en bus, de concerts en concerts:

 » http://www.lyricinterpretations.com/look…
Here are several interpretations from the above website:
Bon’s telling about how he’s just gonna enjoy life to the fullest ’cause he’s goin’ to hell anyway. 
The song is a metaphor for the band’s tour in America. They said the constant riding on the bus was like taking the highway to hell. 
anonymous November 14th, 2006 02:12AM
Highway to hell was the nickname for the canning highway in australia. It runs from where lead singer bon scott lived in fremantle and ends at the pub called « the raffles », which was a big rock and roll drinking hole in the ’70s. As the canning highway gets close to the pub, it dips down into a steep decline: « no stop signs…..Speed limit….Nobody gonna slow me down ». So many people were killed by driving fast over that intersection at the top of the hill on the way to a good night out, that it was called the highway to hell, so when bon was saying « im on the highway to hell » it meant he was doing the nightly or weekly pilgrimage down the canning highway to the raffles bar and rock and drink with his mates: « aint nothing I would rather do. Going down, party time, my friends are gonna be there too. 
anonymous September 15th, 2007 02:47AM 
I think it is both based on the non-stop tour in America and the highway in Australia where Bon died. »  (source).

– Connotation parodique:

 » 666 Packs

We have a deal with Satan
A contract signed in Hell
We sacrifice a virgin
He makes our record sell

SATAN! – To Antichrist we pray
EVIL! – To hit the charts one day

666 Packs – Seven days of death and pain
Satan – Thirteen hours blood will rain
666 Packs – Nine black bats will eat your brain
Satan – Good with numbers? Join our cult

We have the baddest evil
Come buy our merchandise
 A plastic skull, a T-Shirt
That says « I shit on Christ »

SATAN! – is thrashing to the beat
EVIL! – on seven days of week

On stage we slaughter poultry
In songs we slaughter man
Black masses, guts and torture
We do the worst we can

SATAN! EVIL! – on blood and gore we feast
 SATAN! – I am your Judas Priest » (« 666 Pack », Tankard).

 » We have the baddest evil
Come buy our merchandise
 A plastic skull, a T-Shirt
 That says « I shit on Christ »

On lit clairement dans ce couplet, outre le clin d’oeil à Judas Priest à la fin du chant, que la référence à Satan n’ y est pas plus sincère que celle au Christ dans Golgotà Picnic ou dans Dogma, et que les musiciens tournent ici en ridicule la référence à l’imaginaire satanique dans le metal, en montrant le caractère de cliché et l’aspect mercantile de ce type de paroles.

La juxtaposition des paroles de Marduk et de Tankard montre bien comment, à partir d’une dénotation identique, la référence au satanisme, le jeu des connotations aboutit à une signification radicalement inverse: chez Marduk, un effort de promotion du satanisme comme une religion « sérieuse », une profession de foi. Chez Tankard, une parodie caustique, quasiment un « blasphème » contre le satanisme.

Cela n’a pas empêché les Yeux Ouverts l’an dernier de mettre ces mêmes paroles de Tankard, qui jouait l’an dernier au Hellfest, dans le même sac que celles des groupes satanistes:

 » Bonjour,
Prendre tout cela avec humour ? Désolé, je ne peux pas. 
Tankard : http://www.parolesabc.com/paroles/parole_tankard/666-packs_fr.html » (source).

Pour les anti hellfest, que ce soient Les Yeux Ouverts, le Collectif, ou Civitas, qui « argumentent » leur position en citant pêle mêle des références à l’imaginaire sataniques dans toutes sortes de groupes de metal, juxtaposées sans aucun effort de prise de connaissance et d’analyse du contexte, il est clair que quand il s’agit de cette musique: sens dénotatif = sens connotatif.  Et pourtant, quand il s’agit de la référence au Christ dans certains oeuvres contemporaines, il sont tout à fait capables de voir le sens connotatif, et de crier au loup dès qu’ils ont l’impression que l’Eglise est parodiée ou ridiculée, même légèrement (ainsi cette fameuse campagne de pub avec le Christ). De même qu’ils n’oublient pas d’éclairer le sens dénotatif du texte par la connotation que lui donne l’exégèse catholique, lorsqu’ils prient à partir de certains passages très durs des Psaumes, par exemple dans le cadre de la liturgie des heures. Non seulement leur argumentation n’est pas sérieuse sur le plan intellectuel, mais elle est contradictoire avec leurs autres prises de positions.

Curieusement, Les Yeux Ouverts a évoqué récemment le sens connotatif, d’une manière qui prétendait renforcer sa position alors qu’elle la mine dans les faits:

« Dans les billets consacrés au rock sur mon blog, il en a été question assez longuement : mélodie, harmonie, ryhtme.
 A prendre aussi en compte l’ambiance musicale des concerts ( son et effets spéciaux), les textes, les thèmatiques, les pochettes…« 

 L’interprétation musicale, l’ambiance, les textes, tout cela en effet constitue des éléments de sens qui participent au sens connotatif de la prestation des groupes invités au Hellfest, et qui sont donc des éléments de signification qui sont susceptibles de modifier le sens littéral, dénotatif des paroles du groupe, éventuellement d’inspiration sataniste, anti chrétienne, néo-païenne, etc. Raison de plus d’éviter de croire informer sur le festival en juxtaposant des paroles de chansons et des extraits d’interviews, sans analyse des groupes au cas par cas, sans avoir assisté à leurs concerts ni écouté de manière approfondie leur musique.

Car il suffit parfois d’un rien pour qu’une représentation transforme complètement la connotation des paroles, et même que l’ambiance recherchée ostensiblement aboutisse à un résultat très différent de celui affiché, beaucoup moins glauque souvent.

Le récit que Pneumatis a fait l’an dernier de son après-midi au Hellfest est à ce titre très éclairant, pour qui ne se contente pas de n’en retenir que son impression sur Therion:

 » Et c’est comme ça, par exemple, que j’ai pris un pied énorme à écouter un groupe que j’aurais certainement boudé du seul fait de son nom : Anathema. Forcément, ce ne sera pas du gout de tout le monde, mais punaise qu’est-ce qu’ils m’ont pris aux tripes. Une émotion extraordinaire. Vraiment quelque chose de fort.« 

Pour avoir été présent avec lui, je me rappelle qu’il avait décrit sur le moment cette musique comme faisant remonter hors de lui tout ce qui était source de souffrance et de noirceur, dans une sorte d’action purificatrice. Et cela, bien que le groupe s’appelle: « Anathema ». Ce qui rejoint l’exprérience de la plupart des fans du groupe:

« Anathema are personally one of my favourite bands. Musically they pack so much depth and emotion into their songs that one really cannot help but fall headlong into their dream-laden poetic craft. They are one of those bands that one can turn to for comfort and to ease pain. A solitary listen helps you through the bad times; Anathema can be uplifting, depressing, cathartic and even soul searching » (interview dans Mtuk Metal ‘Zine).

Se contenter de lire des interviews et des paroles de groupes ne suffit pas à se faire une idée exacte de l’impact réel du metal sur les auditeurs. Il faut aussi écouter la musique. Ce que le Collectif et les Yeux Ouverts ne font manifestement pas, lacune qui les prive de toute crédibilité auprès des métalleux et du grand public.

Dans le même ordre d’idée, Dark Tranquillity, le groupe que nous sommes allés voir avec Pneumatis et quelques autres après Therion, utilisait une mise en scène qui tentait de créer une ambiance inquiétante, fantastique, avec force effets de lumières. Et pourtant, tout cela était annulé par le gentil sourire du chanteur, le plaisir manifeste qu’il prenait à jouer, et partager avec un auditoire heureux:

 » L’autre, Dark Tranquillity, je me suis juste emmerdé, pour le dire poliment. Ceci dit, malgré la morbidité de fond, notamment dans la mise en scène avec ses mélanges de thèmes sur la foi et sur les démons, j’ai quand même noté une incroyable relation entre le chanteur et son public, quelque chose d’assez fascinant. Lui, le grand sourire permanent, on aurait dit qu’il avait envie d’embrasser son public à chaque instant comme si ce dernier venait de lui sauver la vie. Et le public marchait à fond dans son énergie… à part moi, assis par terre en attendant que ça se passe. Concernant la mise en scène, on était clairement dans une démarche esthétique, pas forcément de mon gout, mais qui se comprend et qui n’avait rien de rituel ni de sataniste à proprement parlé ».

 Si tous ces groupes qui développent un imaginaire satanique ou fantastique utilisent bien une dénotation commune, à laquelle les anti hellfest reviennent sans arrêt avec entêtement, on constate donc à partir de ces exemples la complexité et la richesse des déplacements de sens que des connotations différentes peuvent entraîner. Les « mots ont un sens » dénotatif, certes, mais cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas être complètement transformé par le contexte, voire inversé. Ce renversement de sens peut venir du texte même, du registre utilisé et des effets de styles, comme pour Tankard. Il peut venir également de l’ambiance créée par la musique, qui peut-^tre, ou non, plus positive que les paroles. Enfin, l’intention réelle de l’artiste qui transparait de son visage sur scène (par exemple, partager le plaisir musical dans le cas de Dark Tranquillity) est encore une connotation qui peut bouleverser le registre initial des paroles (qui, rappelons-le, ne sont souvent pas compréhensibles lors des concerts).

Même dans le cas de groupes effectivement satanistes comme Marduk, et explicites dans leurs paroles comme dans leur mise en scène, un autre déplacement de sens est encore possible:

 « Le lecteur apporte lui-même ses propres connotations: il apporte aux textes sa propre expérience et ses autres lectures, en déplace les significations grâce à son imaginaire » (Espace français .com, La dénotation et la connotation).

  De même que l’auditeur ou le spectateur, dirais-je.

Une svastika prend une certaine signification dans un contexte européen, et un autre radicalement différent en contexte hindou. D’ une manière analogue, on pourrait dire qu’un concert de Marduk, mis en scène de la même façon, avec les mêmes paroles, aurait une certaine signification dans le cadre d’une messe noire, où chaque participant aurait un livret avec les paroles, une autre signification lors du Hellfest, au milieu de groupes beaucoup moins engagés religieusement, dans un contexte festif où personne n’entend clairement les paroles et où la bière coule à flot, et encore un autre dans une assemblée de musiciens, qui seraient beaucoup plus attentifs à la performance musiclae qu’aux paroles ou à la mise en scène.   De même que si on transposait la liturgie d’une messe catholique sur une estrade du Hellfest au milieu d’un public éméché, sa signification pour les specteurs serait sans doute profondément différente qu’au sein d’une église (et pour le coup sans doute proche du blasphème).

Alors certes, le Hellfest invite des groupes antichrétiens, parmi d’autres. Mais au lieu de se contenter de citer leurs paroles, pour aller ensuite directement à la conclusion: « le Hellfest est un festival christianophobe », il convient, d’une part, d’aborder la question de l’interprétation de leur paroles, non pas seulement de manière littérale, « fondamentaliste » pourais-je dire si j’étais taquin, mais d’en faire une approche « historico-critique », en faisant l’inventaire de l’ensemble des connotations qui transforme ou non le sens littéral chez tel ou tel groupe. Ce qui suppose, au dela de leurs paroles et des titres de leurs chansons, de prendre connaissance de la pensée réelle des musiciens, de mener une véritable analyse littéraire des effets de styles qui au sein d’un texte peuvent complètement déplacer, transfigurer, relativiser voire inverser la référence à l’imaginaire satanique ou occulte, d’écouter leur musique, d’aller à leurs concerts, de comprendre leur mode de pensée et d’expression artistique. Un travail de longue haleine, et tout le contraire des copier-coller vite faits du Collectif.

Même lorsqu’un groupe s’avère réellement antichrétien, cela ne démontre nullement que la structure qui l’accueille est anti chrétienne. Le Hellfest a invité plusieurs fois des groupes chrétiens. Je l’ai souligné, parce que cela indique bien à mon sens que ses organisateurs n’ont pas d’animosité particulière contre le chrétiens. pour autant, cela n’en fait pas un festival de musique chrétienne comme le Holyfest. Inversement, ce n’est pas parce qu’il invite des groupes satanistes qu’il devient un festival de musiques satanique. Les groupes sont présents, certes, mais la connotation que leur donne leur présence au Hellfest diffère de celle qu’ils auraient dans un rassemblement religieux ou politique. L’atmosphère printanière, la bonne humeur générale, les déguisements, la bière, tout cela neutralise l’imagerie morbide et donne à l’essentiel des trois journées des allures de carnaval bon enfant.

En ce sens, Pneumatis a choisi d’intituler le compte-rendu de sa présence à la soit-disant « fête de l’enfer »: « Un dimanche à la campagne », et il écrivait:

 » Alors d’abord, sans grande surprise, j’ai trouvé l’ambiance super : ça m’a rappelé mes années d’étudiant. C’est très sensoriel, en fait. Sur fond sonore de basses permanentes, marcher dans cette foule festive, en faisant craquer les gobelets de bière vide sous ses sandales et en respirant cette odeur enivrante d’herbe fraichement coupée… j’avais un peu l’impression de rentrer à la maison ; dans le sens de revenir quelques 15 années en arrière. Moi qui aie toujours regretté d’être né trop tard pour Woodstock, je ne pouvais me sentir que chez moi.

 Concernant les concerts, j’ai soudain pris la mesure de l’incroyable absurdité de nos débats autour des paroles de chanson… Il suffit de voir les musicos sur scène et leur public : d’une, on ne comprend rien à ce qu’ils chantent (enfin moi, en tout cas) et de deux, j’avais franchement l’impression que personne n’en avait rien à cirer, de toute façon. Tout le monde est là pour la musique, et je me suis soudain mis à penser qu’avec le tapage qu’on a fait sur le Hellfest, on devrait sans doute un peu plus se soucier d’autres concerts, d’autres styles de chansons dans lesquels la violence est nettement plus affirmée (suivez mon regard). En bref, j’ai compris à quel point nos revendications, quelques légitime qu’elles aient été, étaient à des années lumières des motivations qui attirent ici les amateurs de métal. Tu sais, c’est un peu comme si des gens se rendaient dans le plus grand restaurant du pays une fois par an pour y déguster des plats exceptionnels qu’ils n’ont jamais l’occasion de déguster par ailleurs, et que, toi qui n’y vas pas, venais leur parler de fermer le restaurant parce que la faïence dans la cuisine te choque. On a toujours de bonnes raisons d’être choqués par de la faïence (si si, moi en tout cas, j’en ai des tas) mais c’est pour illustrer l’incongruité (vachement facile à prononcer) que cela représente pour le type qui vient déguster. Au minimum, on comprend l’incompréhension« .

 Moi-même, je dois dire que je me suis demandé en juin dernier lors du festival si je n’en faisais pas trop au niveau des paroles de certains groupes, tellement tous ces débats que nous menons entre cathos sont complètement déconnectés de la réalité vécue du festival.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas s’intéresser à l’importance de l’imaginaire satanique dans le metal, ni ignorer les groupes explicitement satanistes ou blasphématoires. Mais le Hellfest n’est pas le bon angle pour ouvrir ce débat, parce que cela parasite le débat sur la dénotation satanique, et la connotation antichrétienne ou sataniste qu’elle prend chez certains groupes, avec d’autres connotations propres au festival, qui sont beaucoup plus festives et détachées des rancoeurs de certains musiciens contre le christianisme. La plupart des festivaliers ne comprennent pas la polémique, parce que les cathos antihellfest imposent une certaine connotation pour l’interprétation du sens du festival, qui est contraire à celle qu’ils expérimentent pour eux-mêmes chaque année, et refusent de prendre en compte leur témoignage.

Pour poser de manière pertinente la question des rapports entre metal et christianisme, il faut donc resituer le débat dans la perspective de l’ensemble de l’histoire du metal, en étant attentif à la totalité des variations de sens apportées à l’imaginaire religieux dans le metal, ce qui suppose une étude approffondie des différents courants musicaux et des différents groupes, et une bonne connaissance musicale et personnelle du milieu. Faire l’inventaire des connotations chrétiennes et antichrétiennes, c’est le travail que je me propose de faire sur ce blog depuis sa création. Et cela est indissociable d’une approche ouverte du terrain, qui n’impose pas une grille d’interprétation préétablie, mais qui accepte le dialogue avec les metalleux, et la possibilité de se laisser soi même déplacer par leur témoignage. L’analyse ne doit pas se construire sur des généralisations à partir d’une poignée de similitudes, notamment dans la dénotation occulte ou satanique, mais sur une recherche au cas par cas sur chaque groupe: Pneumatis cite dans son billet Judas Priest, Anathema, Dark Tranquillity et Therion. Là où la méthode du Collectif nous donnerait à penser que tous ces groupes sont bonnet blanc et blanc bonnet, on voit que l’expérience musiale et personnelle qu’il a retiré de chacun d’entre eux était très hétérogène, voire radicalement inverse si l’on compare les exemples de Therion et Anathema.

Certains antihellfest prétendent que ce que je propose là est une forme de relativisme:

 » Pour le relativiste qui se respecte, la hiérarchisation ou même la simple comparaison sont forcément suspectes par les temps qui courent.
Au nom de ce relativisme s’érige un nouveau dogme dont le premier de ses commandements pourrait être  » Tout est égal et par conséquent rien n’a de sens ni de valeur objective : s’opposer à ce principe est innacceptable et doit donc être condamné. »
Veronèse et Picasso, Fauré et Jarre, la cathédrale Notre dame de Paris et la pyramide du louvre, Homère et René Char, Carpaux et Botéro , Molière et Castellucci, Chateaubriand et Breton, Black sabbath et Amstrong …pareils ! Egaux !
Méditons le mot de Camus dans l’homme révolté :
Le relativisme, fils naturel du libéralisme, se présente dans les beaux habits du représentant de la tolérance, de l’esprit d’ouverture, du consensus, de la liberté, du progrès…
Méditons le mot de Camus : « Rien n’étant vrai ou faux, laid ou beau, la règle désormais sera de se monter le plus efficace. Le monde ne sera plus alors partagé en juste et en injuste mais en maîtres et en esclaves » » (Collectif pour un festival respectueux de tous, « Le Hellfest, vitrine de l’esprit de gauche en matière de culture? » (sic)).

 Le grand reproche que l’on peut faire au relativisme, en effet, et au dela du caractère spécieux des exemples donnés par le Collectif, est d’aplanir les différences, de dire que tout se vaut. Mais lorsque le Collectif juxtapose toutes sortes de groupes, sur la seule base de leur référence commune à un imaginaire satanique, occulte ou bien tout simplement fantastique, sans faire l’effort d’analyser les différences de connotations, les déplacements de sens, que chacun de ces groupes fait subir à celle-ci, dans l’usage qu’il en fait, ne rentre-t-il pas lui-même dans ce type de démarche? Son jugement initial et pré-ordonné, suivant lequel les groupes invités au Hellfest seraient un phénomène parmi d’autre d’une « contre-culture » « révolutionnaire », qui vise à subvertir la présence du Beau, du Bien, du Vrai, dans notre culture, et ses racines chrétiennes, devient l’unique norme de sa démarche interprétative, qui dès lors ne va pas s’intéresser aux connotations nées de l’analyse litéraire des paroles, de la connaissance des parcours des musiciens, de l’atmosphère réelle des concerts, sauf quand çela va dans son sens. Son intuition première du Hellfest prédomine contre toute recherche de terrain, toute mise en contexte, tout témoignage contradictoire. Elle dispense de l’effort de prendre connaissance de la musique dans le détail. Elle s’alimente d’informations superficielles glanées ça et là (ainsi, comme je le rappelais dans mon billet précédent, le Collectif mentionne la censure dont Cannibal Corpse a été l’objet dans divers pays, parce que ça l’arrange, mais il se garde bien de mentionner qu’elle a depuis levée dans la plupart des cas). Elle estime n’avoir pas besoin du surcroit d’information et de réflexion apportés par la contradiction constructive et le dialogue (d’où la fermeture des commentaires sur le site du Collectif et sa manie de ne pas répondre aux réponses à ses interventions sur d’autres blogs, comme le mien).

Restaurer les nuances des significations en fonction du contexte n’est pas du relativisme, sinon tous les chercheurs en sciences humaines, tous les littéraires, tous les éxégètes catholiques, et le pape lui-même, lorsqu’il s’associe à la recherche historico-critique sur les Ecritures, seraient des relativistes.

Par contre le Collectif, lorsqu’il élève son opinion a priori comme norme ultime d’interprétation du metal et du Hellfest, ainsi que je viens de le montrer, entre dans une démarche qui lui est analogue, puisqu’il subordonne la vérité du metal, qui ne peut se dévoiler qu’au fil d’une enquête minutieuse de terrain et du dialogue avec les métalleux, spectateurs et musiciens, à la relativité du point de vue qu’il en a…

Hellfest: la tentation du complot

Posted in Christianisme et culture, Hellfest with tags , , , , , on 15 février 2012 by Darth Manu

 

J’évoque fréquemment la mentalité de citadelle assiégé traduite par nombre d’actions de lobbying menées par certains catholiques, et cristallisée tout particulièrement autour du concept douteux de « christianophobie ».

Mon par ailleurs (sincèrement) estimé lecteur Les Yeux Ouverts vient de m’en fournir une expression particulièrement marquante, dans la séquence de commentaires suivantes, postée à la suite d’un de mes précédents billets:

Les Yeux Ouverts:

« […] La nature païenne du black metal a en effet pour fondement le refus ou la haine de Dieu exprimés synthétiquement par cette expression “Non serviam” qui ne date pas de 1968 et dont la nouvelle droite n’est pas la seule expression révolutionnaire (cf par exemple le laïcisme exprimé tout récemment par le candidat socialiste à l’élection présidentielle, le libéralisme exprimé par le maçonnisme, le mondialisme matérialiste ou encore le relativisme ). Un titre comme “Black metal, Révolution et Anti christianisme” est plus approprié.
On ne méditera jamais assez ces propos des promoteurs du hellfest ” le black metal est par nature sataniste” et ” on ne déprogramme pas les groupes anti-chrétiens” ( allusion à l’annulation de Anal Cunt l’année dernière plaisantant avec les victimes de la shoah)
 La programmation du hellfest 2012 est révélatrice une fois encore de cet esprit black metal qui par ailleurs n’est pas l’exclusivité de cette tendance« .

Darth Manu:

« […] Je pense que tu mélanges là beaucoup de discours très hétérogènes.Par exemple, le différentialisme de la Nouvelle Droite, aussi bien que la fascination pour le néo paganisme de certains groupes de metal, peuvent être lus comme des réactions au “mondialisme matérialiste” que ces courants ne cessent d’ailleurs de dénoncer, non sans éviter les clichés.Et ils n’ont strictement rien à voir, ni dans leur discours, ni dans leurs origines, avec le programme de François Hollande. Le fait que tous ces exemples semblent illustrer une certaine défiance apparente à l’encontre du christianisme ne suffit pas à mettre en évidence une idéologie commune […] ».

Les Yeux Ouverts:

 » […] Qiand je constaterai par ailleurs, aujourd’hui et en france, que le BM dénonce avec la même énergie, la même constance et la même violence les autres religions, la maçonnerie, le communisme, alors là je réviserai sans problème mon propos parce que cela signifiera alors que l’esprit de transgression ou de celui de totale liberté d’expression revendiqués par ce metal ne sont pas que des mots !

 Tu n’es pas sans méconnaître les sponsors politiques du hellfest , tous socialistes. Il se trouve que j’ai d’une part en main un courrier du conseil régional /hellfest et que je connais d’autre part l’initiative de ce même conseil régional/jeunesse : pass contraception et distribution gratuite de preservatif. Je ne mélange pas tout , bien au contraire ! »

 Je lis dans l’argumentation de LYO le paralogisme suivant:

Majeure: On trouve chez les groupes présents aux Hellfest, dans le programme du parti socialiste, dans la pensée de la Nouvelle Droite, dans la tradition maçonnique, des discours qui sont hostiles au christianisme et/ou contraires à son enseignement.

Mineure: Un Conseil Régional contrôlé par le PS subventionne le Hellfest,  dont les groupes invités se réclament parfois de courants musicaux qui présentent quelques affinités à la marge avec des thèses de la Nouvelle Droite, avec l’ésotérisme franc maçon ou encore avec l’occultisme.

Conclusion: Tout est lié.

Je consacre un article tout entier à ce paralogisme, parce qu’il me parait pointer l’un des aspects les plus gênants de la contestation anti Hellfest: ses affinités avec ce qu’Hannah Arendt parmi d’autres appelait « la mentalité du complot ».

Alain de Benoist, tout fondateur qu’il soit de la Nouvelle Droite, et indépendamment de l’hostilité que m’inspire l’essentiel de sa pensée, nous en livre une analyse intéressante dans un article intitulé: La psychologie du conspirationnisme:

« La première observation que l’on peut faire est que les théories du complot, alors même qu’elles ne cessent de parler de forces secrètes, de puissances invisibles, d’action souterraine, etc., proposent elles-mêmes un schéma qui, loin d’être opaque, se fonde au contraire sur le postulat d’une extraordinaire « transparence » de l’action historique. Celle-ci se trouve en effet ramenée d’emblée à une sorte de causalité mécanique et linéaire. Les événements sont produits mécaniquement par
des agents cachés, qui manipulent les hommes comme on appuie sur un bouton pour obtenir l’effet désiré. Ce trait caractéristique résulte à vrai dire de la nature même de la théorie. La « preuve » du complot réside dans son efficacité, et pour qu’il soit efficace il faut que les effets obtenus soient conformes aux intentions initiales. Paradoxalement, il y a dans cette conception une certaine inspiration rationaliste, bien qu’elle émane d’auteurs fréquemment antirationalistes. Elle postule une histoire rationnelle, caractérisée par des événements qu’il serait possible de rapporter à des causes uniques et à des actes volontaires déterminés. Xavier Rihoit remarque à ce propos que, « tissé de paradoxes, le conspirationnisme est le fait d’homme qui, d’une part, adhèrent à des vérités de foi, dogmatiques et inaccessibles à la raison, mais qui, d’autre part, ne cessent de vouloir rendre la réalité historique parfaitement transparente et les conduites humaines imparablement logiques » » (p. 3et 4).

 Cette causalité mécanique, je la retrouve dans la manière dont LYO ramasse les courants de pensée très disparates qu’il évoque ausein d’une même origine: « le refus ou la haine de Dieu ». Ce qui est très symptômatique selon moi de la façon dont de nombreux sites catholiques font l’inventaire minutieux de toutes les manifestations du recul du christianisme dans notre culture, de toutes les critiques de notre Eglise dont les médias se font l’écho, de toutes les oeuvres d’allure ne serait-ce que vaguement blasphématoire ou occultiste, de toutes les persécutions de chrétiens dans des pays aussi différents que la Chine ou le Pakistant, pour, ignorant magistralement la diversité des causes de tous ces phénomènes, et des formes qu’ils prennent, de gravité très hétérogène, les rassembler en une grande vague de fond, une cause unique, qu’ils nomment la « christianophobie ».

  » La théorie conspirationniste est donc avant tout une théorie antagoniste, voire négatrice du hasard et de l’aléa. Une expression typique de ce genre de littérature est précisément la formule : « Ce n’est pas un hasard si… » Non seulement toute occurrence simultanée peut être ainsi réinterprétée en termes de causalité, mais on aura aussi recours à des formes pathologiques, délirantes, de la pensée analogique. C’est ainsi que l’abbé Barruel explique la forme triangulaire de la lame de la guillotine, non par la plus grand efficacité du tranchant biseauté, mais par la volonté des révolutionnaires de donner au « couteau républicain » la forme du triangle maçonnique. Ce n’est pas un hasard, affirme dans le même esprit le dirigeant noir antisémite américain Louis Farrakhan, si les dollars portent sur leur revers un aigle surmonté de treize étoiles (correspondant aux treize Etats alliés dans la guerre d’Indépendance américaine) car, en reliant ces étoiles les unes aux autres, on obtient… l’étoile de David ! Raoul Girardet, de son côté, rapporte qu’au XIXe siècle, « une certaine presse antisémite dénoncera dans le creusement du métropolitain parisien une entreprise du complot juif visant à faire planer sur la capitale tout entière une menance permanente de destruction ». Or, la même idée est réapparue à date récente chez certains groupes extrémistes russes à propos du métro de Moscou, dont le tracé était censé reproduire des signes kabbalistiques. On constate donc une résurgence des thématiques. La négation du hasard permet ainsi d’accumuler des « preuves » qui n’en sont pas, au moyen de faits anodins réinterprétés comme autant de « marques diaboliques », c’est-à-dire de « signatures » attestant pour l’oeil exercé de la réalité du complot. « En ce sens, ajoute Xavier Rihoit, et c’est un autre paradoxe, les conspirationnistes, malgré leur traditionalisme déclaré, n’en font pas moins preuve d’une mentalité typiquement moderne : à l’instar des grandes idéologies, ils pensent que la réalité historique est intégralement déchiffrable et excluent ce dont la raison ne veut pas entendre parler : l’aléa, l’accident, l’exception, le hasard » » (p. 4 et 5).

 Si le conspirationnisme des antihellfest porte souvent sur des choses bien moins graves que certains des exemples évoqués ici, les exemple y abondent de ce refus si caractéristique du hasard.

Quelques exemples marquants:

 » Curieusement, on observe que le métal s’est créé, en 40 ans d’existence, des codes, des croyances, des symboliques, des rites, des icônes, un langage, des images, une rhétorique, des concerts-grands messes …bref un ensemble d’attitudes et de comportements communautaristes empreint de religiosité et dont il faut aller chercher le fondement dans cette double assertion révolutionnaire :  » fais ce que tu veux sera toute la loi » et  » vis pleinement ce que tu ressens en toi ». Ces 2 assertions de Anton Szandor LaVey (fondateur de l’Eglise de Satan en 1966) ont pour origine Aleyster Crowley, spécialiste de l’occultisme et de l’ésotérisme,[…]

 Pas étonnant de savoir que LaVey est proche de Ron Hubbard, fondateur de la Scientologie, et qu’il a fondée l’Église de Satan le jour de la Walpurgisnacht (fête germanique supposée magique).

 Pas vraiment surprenant donc de voir dans le show des Screams Awards Marilyn Manson ( nommé révérend de l’église de satan par Anton Lavey ) rendre hommage à Ozzy Ozbourne. Surnommé « le pape du metal » ,Ozzy Osbourne est l’auteur du titre « Mr Crowley » , est aussi connu pour le « Ozzfest » dont la version 2002 avait pour jaquette le dieu Pan.

 Pas étonnant non plus de voir ce même Manson en compagnie cette fois d’Eminem ! » (Hellfest: le temps des dinosaures?, sur le blog du Collectif Provocs Hellfest).

 « Curieusement », « Pas étonnant », « pas vraiment surprenant », « pas étonnant non plus »: cet article ne démontre rien du lien de causalité doctrinal qu’il évoque entre le satanisme d’inspiration thélémite, le metal, le Hellfest, et le rap (via Eminem). Il se contente de suggérer… et laisse l’imagination du lecteur finir le travail.

Plus anecdotique, mais vraiment trop fort: les mots utilisés l’an dernier par le Salon Beige pour relater la tentative (au demeurant stupide) de la direction du Hellfest, pour faire supprimer le blog du Collectif par son hébergeur:

 « Ils ont choisi le Vendredi Saint, ce n’est pas anodin

Le collectif contre le Hellfest a reçu ce jour un courrier de Barbaud Benjamin, Président de l’association HELLFEST PRODUCTIONS, dont voici un extrait :

« vous trouverez ci-joint le courrier qui vient d’être envoyé à votre hébergeur (afin de fermer le site…), qui je suis sûr ne restera pas sans réponse. Ensuite dans un second temps nous allons sans plus tarder communiquer et informer nos festivaliers de l’existence de vos différents blogs afin qu’ils puissent eux aussi vous exprimer leur exaspération et leur mécontentement. Nul doute que votre compte messagerie risque d’exploser… »

En attendant, la pétition contre les festivaliers de l’Enfer est toujours en ligne« .

 Il parait surtout évident que Ben Barbaud a profité de la vandalisation le jour même du Piss Christ et des réactions d’outrage qui ont fait suite pour contre attaquer, et qu’il n’a sans doute même pas réalisé la signification de la date pour les chrétiens. Mais ce « ce n’est pas anodin » suggère, hors de tout élément de preuve, et même de toute vraisemblance, qu’il a voulu rééditer consciemment le scandale de la Passion du Christ.

Reprenons le cours de l’analyse d’Alain de Benoist:

 « Le rejet de l’aléa entraîne une extraordinaire décontextualisation. Si l’événement ne saurait relever de l’imprévu, mais atteste au contraire de la réalité d’un plan qu’on peut interpréter comme une sorte de contre-ordre naturel, c’est que le cours des choses obéit à une logique qui lui est extérieure. La conspiration engendre les événements, mais n’est atteint par aucun d’eux. Elle explique l’histoire, mais elle se tient elle-même hors de l’histoire. Le complot se définit donc, non seulement par son ubiquité, mais par sa transhistoricité. A la limite, il existe en tous temps comme en tous lieux : l’histoire manipulée par les conspirateurs n’est que la réalisation d’un projet élaboré en dehors d’elle » (p.5).

 C’est cette décontextualisation qui empêche tout dialogue sérieux de s’établir avec les anti hellfest (et ce ne sont pourtant pas les métalleux de bonne volonté qui manquent, qu’ils soient cathos ou non). Les arguments glissent sur eux, et ils ne semblent retenir que ce qui contribue à leur cause. C’est ainsi qu’ils parviennent à réunir dans leurs tribunes des groupes dont l’esthétique, le rapport réel au christianisme et le discours général sont aussi différents que Black Sabbath, Blue Öyster Cult, Mötley Crüe, Judas Priest, Tankard ou les goupes de BM satanistes. Ils jugent sur les seules paroles, extraites de leur contexte. Et toute tentative d’éclairer ce dernier est purement et simplement ignorée. Ainsi, on retrouve dans l’un des billets du Collectif la phrase de Behemoth:  « À mon commandement, inondez les rues de Bethléem du sang des enfants ! », dont j’avais proposé une interprétation en contexte l’an dernier, par réaction à l’utilisation malhonnête qu’en avait fait Catholiques en Campagne en 2010. Sans aucune prise en compte, aucun retour argumenté de la part des antihellfest. J’ai pourtant porté à la connaissance de certains (je ne pense pas au Collectif ou à LYO en particulier sur ce point) ce billet. De même, j’avais cité la levée de la censure dont Cannibal Corpse a fait l’objet en Allemagne ou en Nouvelle Zélande comme un argument contre l’efficacité supposée de cette dernière dans une réponse à l’argumentaire déployé par le Collectif l’an dernier. Dans un billet récent, le Collectif cite cette censure dont a été victime Cannibal Corpse, sans indiquer qu’elle a depuis été levée. Et pourtant les gens du Collectif lisent mon blog, et y interviennent à l’occasion en commentaire. Quand j’ai cité les paroles de Cremation of holiness l’an dernier, c’était le lendemain sur leur blog, parce que pour le coup ça les arrangeait.

 » Il ne fait pas de doute que le succès des théories du complot provient avant tout de cette extraordinaire simplification qu’elles proposent, et c’est pourquoi la modernité, qui se caractérise notamment par une complexité de plus en plus grande des faits sociaux, constitue pour elles un terrain privilégié. Plus l’état du monde est complexe, plus la simplification radicale qu’apporte la théorie paraît salvatrice. Loin que leur caractère « total » suscite un légitime scepticisme, c’est au contraire ce caractère qui explique l’ampleur et la facilité de leur propagation. On voit par là quelles sont, pour leurs adeptes, les vertus de ce genre de théories. En expliquant, elles rassurent. Mais elles permettent aussi de faire une remarquable économie d’efforts. A quoi bon se livrer à une multitude d’enquêtes historiques, psychologiques, sociologiques pour tenter d’élucider le sens des événements et la nature du social, quand la théorie du complot permet de s’en tenir à une cause unique ? De même que la conspiration « explique » tout, à l’inverse tout « prouve » la conspiration : la multiplicité des effets est la marque même de l’unicité de la cause. A première vue, tout paraît compliqué, mais une fois la cause identifiée, tout devient prodigieusement simple ; il n’y a plus à chercher plus loin« .

 D’où la grande popularité chez les catholiques de ce type de sites de dénonciation: ils permettent d’expliquer de manière simple le recul culturel du christianisme (gentils cathos persécutés par les méchants christianophobes) et de paraitre évangéliser et témoigner à peu de frais. Riposter, dénoncer, faire « campagne », ç’est beaucoup plus facile que de dialoguer: ça évite d’écouter, de chercher à comprendre, à s’informer, à se mettre à la place du contradicteur, de se laisser décentrer par et pour lui, attitudes pourtant ô combien plus authentiquement évangéliques, et ça présente bien, ça permet de se donner un petit côté héroïque à peu de frais.

  » Toute la littérature conspirationniste est, par ailleurs, un discours de l’apparence. Elle repose sur l’idée que la réalité est tout autre chose que ce qui se laisse voir par le commun des mortels. On pourrait dire que le discours conspirationniste est éminemment « platonicien ». Il met en scène la « caverne » où se trouvent enfermés les naïfs et braque le projecteur sur l’« arrière-monde » où s’activent les « chefs
d’orchestre invisibles ». Ce dualisme est indispensable à la théorie. Il y a deux mondes : un monde immédiatement visible, le monde de la vie quotidienne, à la fois banal et compliqué, et il y a le monde de la coulisse, celui qui dirige le premier monde en « tirant les ficelles ». Le thème essentiel devient alors celui du codage et du décodage. Au conspirateur, qui s’emploie à dissimuler ses interventions, répond celui qui dévoile la conspiration parce qu’il sait en décoder les manifestations. L’adepte de la théorie du complot sait comment il faut décrypter. Il sait comment il faut « lire » l’histoire de l’humanité, comment il faut « traduire » ce qui s’observe en
surface, comment il faut faire pour déceler la cause cachée derrière l’événement apparent. Les événements ne sont donc pas à prendre au premier degré. Ils sont toujours autre chose que ce qu’ils paraissent être. Ils sont autant de preuves, d’indices ou de traces. Les naïfs peuvent bien s’y tromper, l’adepte de la théorie du complot, lui, a l’oeil plus exercé et plus perçant. C’est un peu, au fond, comme s’il faisait lui-même partie de la conspiration. Il combat certes l’action des grands initiés, mais il n’est pas moins initié qu’eux. Il lui faut donc se poser comme titulaire d’un savoir qui surplombe le savoir caché de ceux contre qui il se dresse. Prodigieux jeu de miroir, où transparaît le caractère proprement policier de la théorie et où le problème de l’origine de ce savoir dont se targue l’« inventeur » du complot n’est évidemment jamais posé« .

 De manière analogue, les antihellfest ont une « intuition » (quoique l’exemple que je mets en lien manifeste plus de bonne volonté que la moyenne). Ils ne connaissent pas, pour la plupart, grand chose au metal, n’en écoutent pas, l’avouent plus ou moins quand on les accule. Pourtant, ils se font fort d’en remontrer sur la question aux autres cathos qui étudient le metal depuis des années et en proposent une lecture plus nuancée (comme le Père Culat), aux universitaires (comme Nicolas Walzer), et aux métalleux eux-mêmes. Ils prétendent « réinformer » leurs lecteurs sur la question, alors qu’ils n’arrivent même pas, péniblement, à se constituer pour eux-même une information basique, qui soit juste et justifiée. Ils sont tellement sûrs d’avoir identifié la cause du phénomène, la « christianophobie » qu’ils glissent sur tout, qu’ils prennent rarement en compte les critiques, qu’ils sont persuadés de manière invincible de leur bon droit, qu’on a un peu l’impression de toujours leur répéter la même chose sans vrai retour.

 » Et ceci nous amène à un autre trait caractéristique des théories conspirationnistes. C’est qu’elles ne peuvent être réfutées. Dans la mesure même où elles prétendent tout « expliquer », ces théories rejettent d’emblée toute
contradiction, tout argument qu’on pourrait leur opposer, en y voyant, soit une preuve manifeste de la « naïveté » des contradicteurs, soit une simple manoeuvre des comploteurs visant à empêcher qu’ils soient démasqués. Toute contradiction, tout démenti devient alors une preuve supplémentaire de l’existence du complot. La dénégation, dûment instrumentalisée, se transforme en confirmation. Les thèses conspirationnistes, autrement dit, font un usage systématique du soupçon freudien : la dénégation confirme le symptôme. (Qui affirme avec force n’être pas intéressé par les choses du sexe confirme par là même combien il en est obsédé). L’organisation, la collectivité ou la catégorie de personnes accusée d’être au centre du complot se retrouve donc dans une situation de double bind des plus classiques : si elle avoue, c’est qu’elle est coupable ; si elle nie, c’est qu’elle est également coupable, et qu’elle cherche en plus à tromper son monde. Dans de telles conditions, la meilleure preuve de bonne volonté que puisse donner l’accusé consiste à reconnaître qu’il est
coupable. On reconnaît là le procédé psychologique caractéristique des procès de sorcellerie, prolongé à l’époque contemporaine, notamment, par les grands procès staliniens tels qu’Artur London les a décrits dans L’aveu ».

« Hell is hell », me disait encore ce matin sur facebook un catholique qui me reprochait de sous-estimer « la finesse des linguistes du Hellfest ». On pourra toujours expliquer à des antihellfest que le hellfest est avant tout un festival musical, faire l’historique des différents courants, remettre en contexte les paroles d’allure antichrétiennes. La plupart reviendront à telle ou tel parole hors contexte d’allure blasphématoire, et soit on continuera à argumenter avec eux, et ils nous soupçonnerons d’approuver tacitement le blasphème ou la « christianophobie », d’être leurs « alliés objectifs », soit on abandonnera, et ils auront le sentiment d’avoir démontré leur affaire. Et voilà comment le dialogue est plombé depuis plusieurs années, et s’enlise…

Je dois préciser, arrivé à la fin de ce parcours, que ce billet n’a pas pour but de pathologiser les antihellfest, de la même manière que les pourfendeurs de la « christianophobie » pathologisent par ce même terme toute critique du christianisme. J’estime parfaitement possible qu’on puisse trouver des arguments tout à fait recevables contre le Hellfest. J’ai discuté avec des catholiques critiques à l’encontre de ce festival ou du metal, et qui ne semblaient pas affectés par cette « mentalité du complot », comme Etienneweb ou le Chafouin. Et il arrive d’avoir des discussions vraiment intéressantes avec certains de ceux qui me semblent rentrer peu ou prou dans cette logique conspirationniste, ainsi les Yeux Ouverts. Rentrer dans ce type de conditionnement intellectuel n’est d’ailleurs pas incompatible, c’est évident, avec le fait par d’être réellement travaillé par l’Esprit et d’apporter un témoignage authentique de l’Evangile à nos contemporains. Enfin, les mêmes mécanismes sont à l’oeuvre chez des partisans de courant de pensées très différents (ils sont ainsi le pain quotidien des cathos progressistes de Golias, ou encore de différentes associations de défense de la laïcité) et même chez certains métalleux, comme le montrent un article de la Horde Noire semble-t-il désormais supprimé (évoqué dans cette interview en lien) qui voyait dans l’oeuvre du Père Culat une « infiltration » de l’Eglise catholique chez les métalleux, ou encore l’attitude de certains qui ont accusé le Collectif d’avoir monté de toute pièce la tentative de suppression du blog par la direction du Hellfest, que j’évoquais plus haut.

Et en effet, Alain de Benoist conclut son article de la manière suivante:

 « On a essayé de montrer ici que ce conspirationnisme met en jeu des
mécanismes psychologiques assez spécifiques. Ces mécanismes s’enracinent euxmêmes dans des traits permanents de l’esprit humain. C’est la raison pour laquelle il y a tout lieu de penser que les théories du complot réapparaîtront toujours sous une forme ou sous une autre. Si absurdes qu’elles puissent être, leur puissance mythique les dotera toujours d’une évidente capacité de séduction« .

 Simplement, et au delà de la bonne volonté de la plupart des catholiques concernés, je voulais signaler dans cet article que la contestation du Hellfest, née d’une indignation légitime dans son objet, quoique souvent mal informée, semble s’enfermer (enfer -mer)dans une logique conspirationniste, qui paralyse a priori tout débat, et menace de fausser le rapport de nombre de catholiques à la culture et à la société contemporaine. Et de tuer la nouvelle évangélisation dans l’oeuf…

Pour conclure, je ne résiste pas à la tentation de citer le « Collectif pour un festival respectueux de tous », qui cite lui-même l’évangile de Marc (comme quoi on a quand même quelques références communes):

« Que celles et ceux qui ont des oreilles entendent ! »  😉

L’usage des pseudonymes dans le black metal

Posted in La "philosophie" du black metal with tags , , , , , , , on 10 février 2012 by Darth Manu

Une polémique en cours entre différents blogs cathos à propos du pseudonymat sur internet (voir ici, ici, ici, ici, ici ou encore ici) m’a donné l’envie d’écrire ce billet, quoique le contexte n’ait pas grand chose (voire rien) à voir.

Il n’y a qu’à parcourir des pochettes d’album pour réaliser que beaucoup de musiciens de black metal ne signent pas leur musique de leur vrai nom:

 » Black metal artists also adopt pseudonyms, usually symbolizing dark values, such as Nocturno Culto, Gaahl, Abbath, and Silenoz » (article « Pseudonym », Wikipedia).

« La plupart des musiciens de black metal décident d’adopter des pseudonymes, souvent inspirés de personnages occultes ou imaginaires » (article « Black Metal », Wikipedia).

A la différence des pseudonymes utilisés par beaucoup d’internautes, les noms de scène des black metalleux n’ont généralement pas pour fonction de dissimuler leur identité. Pour reprendre les exemples donnés plus haut, cela prend quelques secondes sur n’importe quel moteur de recherche pour trouver les noms qui se dissimulent derrière: Nocturno Culto = Ted Skjellum, Gaahl = Kristian Eivind, Abbath = Olve Eikemo, Silenoz = Sven Alte Kopperud.

Pourquoi un pseudonyme? Des membres du forum Ultimate Metal, dans un fil de discussion intitulé  black metal stage name, proposent les réponses suivantes:

– La tradition musicale:  « Tradition, mostly, I would say », « Artists in general have done it for very long », « And they’ve done it in thrash to, like hellcunt, angelripper, etc. ».

– Pour des raisons esthétiques:  « Plus, « Baragathron: satanic death battery » sounds more sinister than « Brian: underproduced tinny drums » », « Because they are awesome », « because « Jeff Whitehead » probably would not gain attention, notoriety, or even sales as much as « Wrest » », « It’s all part of the aesthetic. Why do early heavy metal musicians wear leather? It fits with the music. », « It’s kewl that’s why », « It’s a lot more kvlt and grim to be called Necrobutcher than Jørn Stubberud, especially if you’re wearing corpse paint », « To make them sound cool ».

– Pour quelques uns, parce que leur vrai nom apparait antinomique avec les valeurs dont ils se réclament: « Some black metal musicians chooses stage names as a rebellion against their Christian names, if they have one, or if their last name was Christiansen for example » .

J’émets une réserve sur ce dernier argument: si certains black metalleux ont en effet modifié ou dissimulé leur nom en raisons de ses consonnances chrétiennes, il semble que cela ait été de paire avec une motivation d’ordre esthétique. Pour prendre l’un des exemples les plus célèbres, Kristian Larsson Vikernes a changé légalement son nom en Varg Qvisling Larssøn Vikernes, mais il a en plus pris le pseudonyme de « Count Grishnackh », du nom d’un personnage du Seigneur des Anneaux.

S’il est vrai que le black metal est loin d’être le seul courant musical, ou même artistique de manière générale, à faire un usage intensif des noms de scène, le caractère quasi systématique de ce dernier, associé à des caractéristiques telles que le « look » black metalleux (corpse paints, cuir et clous, armes médiévales), la mise en scène des concerts, les illustrations de pochettes,  l’imaginaire fantastique que de manière plus générale tous ces éléments  convoquent ensemble, tendent à en faire non seulement une forme d’expression musicale parmi d’autres, mais une revendication d’un « art total », qui puise ses significations non seulement dans la musique, mais également dans toute sorte d’autres medias artistiques ou idéologiques. Certains artistes contemporains ne s’y sont pas trompé, et ont puisé dans ses thèmes et son imagerie une partie de leur propre inspiration:

 » La multiplication des références au black metal dans la production artistique contemporaine n’est ni accidentelle ni fortuite. Depuis sa naissance en Norvège au milieu des années 1980, le black metal veut être plus qu’un genre musical, et revendique le statut de mouvement esthétique et politique total, avec des ramifications dans les arts plastiques, la littérature, et l’idéologie (plusieurs groupes entretiennent des liens étroits avec le mouvement de l’écologie radicale ou deep ecology, version extrême, conservatrice et anti-humaniste de l’écologie politique). Son lexique esthétique, qui emprunte à la fois au répertoire classique du heavy metal, à l’expressionnisme et au romantisme allemands, et ses références appuyées aux paganismes et aux motifs littéraires de la catastrophe et de la mélancolie en font un matériau privilégié pour l’art contemporain.

La plupart du temps, les plasticiens se contentent de recycler ou de citer ce lexique visuel, laissant de côté la musique. Aussi, l’œuvre de Mickaël Sellam fait figure d’innovation, puisqu’elle combine réflexion plastique et création musicale. Sa pièce Black Metal Forever est une machine de chantier, une nacelle pouvant s’élever à seize mètres de haut et réinterprétée en adéquation avec le vocabulaire esthétique du Black Metal. Cette machine se déploie de façon inquiétante, produisant au passage sa propre bande son » (« Le black metal pris dans un devenir-machine », par Morgan Poyau, sur le blog The Creators project).

A la lumière de cette revendication, on comprend que l’omniprésence de la pseudonymie, chez les artistes de black metal, n’a pour  fonction principale ni de dissimuler l’identité réelle, ni de sonner bêtement « cool », mais de participer à la construction d’un monde imaginaire, où tout ce qui renvoie à la quotidienneté banale de nos vies disparait au profit d’une imagerie sombre, fantastique, effrayante ou mélancolique, qui s’inscrit souvent dans un discours anti chrétien ou néo païen, mais qui plus profondément, peut intégrer toutes sortes de thématiques ou d’idées qui puisent dans l’onirisme, la fantasy, la mythologie, etc. (et le fantastique chrétien, l’heroic fantasy chrétienne, ça existe, dans la littérature, au cinéma, etc. Alors pourquoi pas du black metal chrétien, soit dit en passant?).

A noter que les black metalleux, souvent pétris de contradictions comme j’ai déjà eu l’occasion de le montrer,  tout attirés qu’ils sont par cette aspiration au « sérieux » contenue dans leur musique, n’hésitent souvent pas à prendre leurs distances avec celui-ci, en le brisant par la dérision. Concernant l’usage des pseudonymes, les exemples abondent dans le fil de discussion d’Ultimate Metal cité plus haut, et culminent dans la référence aux générateurs automatiques de pseudonymes de black metal (au passage, sur mon vrai nom, ça donne: « immortal Earl Anazarel », et sur Darth Manu: « dark Atheling Mammon » ;)). Il existe d’ailleurs également des générateurs de titres de chansons de black metal aléatoires, preuve que la plupart des black metalleux ne sont pas dupes de l’extremisme affiché du milieu, et ont mis en place des mécanismes de distanciations par rapport à ses aspects les plus morbides. A ce titre, beaucoup d’entre eux (pas tous, certes) ont beaucoup plus les pieds sur terre et font preuve de beaucoup plus de bon sens et de recul par rapport à l’imagerie black metal que certains de leurs dénonciateurs les plus féroces (genre Jacky Cordonnier et consorts).

Si je puis me permettre de revenir en conclusion sur le débat qui agite la cathosphère et que je citais en début de billet, il me semble que ce petit excursus dans le black metal montre une fonction du pseudonyme qui est à mon avis beaucoup plus centrale que l’anonymat, qui a été bien perçue par certains des blogueurs que je mettais plus haut en lien, mais pas vraiment semble-t-il par l’Abbé Amar qui est à l’origine de la polémique: le pseudonyme permet de créer du sens, de donner aux propos, très courts et avec peu de contexte sur twitter, plus développés sur les blogs, un contexte, une profondeur, une certaine ambiance, et surtoutune sorte de préambule, de déclaration d’intentions. Le pseudonyme de « Koz », sur le blog « Koztoujours », m’en apprend plus sur sa personnalité que son identité véritable: Erwan Le Morhedec. De même que des pseudos comme « Les Yeux Ouverts », « Pneumatis » ou « Darth Manu » en disent plus sur le contenu et la finalité de nos blogs respectifs que nos véritables patronymes (et je connais le vrai nom de chacun des blogueurs que je viens de citer). Et ce qui est le contraire des polémiques stériles sur internet, auxquelles cet appel du Père Amar à la levée des pseudos chez les catholiques entend répondre, c’est bien que chacun, nous contribuions à créer du sens. Si les pseudos nous le permettent, pourquoi s’en priver? Après, c’est à chacun de discerner dans son for intérieur sur l’usage véritable qu’il fait de son pseudonyme…