A propos de certaines réactions de catholiques à l’initiative du Temple Satanique de Minneapolis

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J’ai partagé vendredi matin sur la page Facebook de la Conférence Catholique des Baptisé.e.s Francophones, dont j’ai intégré l’an dernier l’équipe de modération, un article d’un journal américain qui relatait l’initiative du Temple Satanique de Minneapolis que je mentionnais dans mon précédent article. J’indiquais dans le chapô que je considérais cette action comme « une très bonne surprise ».

Ce partage a suscité quasi immédiatement une série de commentaires indignés, de la part d’un groupe de lecteurs finalement assez peu nombreux mais très vindicatifs.

Certaines de ces réactions illustrent à mon sens le triste état intellectuel et moral dans lequel se trouve aujourd’hui une partie de l’Eglise en France: de celui qui sans rire, de manière cuistre et indécente, rapproche la promotion que j’ai faite d’une campagne de solidarité envers une population victime de discriminations, voire d’agressions physiques, de la notion de « mal radical » d’Hannah Arendt, à celui qui dit en gros que c’est normal que des satanistes veuillent protéger des terroristes.

D’autres réactions exprimaient une surprise beaucoup plus respectable. Ainsi, une personne qui m’a été présentée comme très ouverte d’esprit et un pilier de la première heure de la CCBF, a envoyé un mail à l’adresse de cette dernière, en se disant « sidérée »et en demandant des explications. Je reproduis ci-dessous les deux messages que je lui ai adressés en retour, auxquels elle a répondu d’une manière apaisée et à mon sens tout à fait recevable:

« Bonjour,

Je suis la personne qui a partagé l’initiative du Satanic Temple sur la page de la CCBF.

Quelques éléments de contexte:

1) Le Satanic Temple n’est pas à proprement parler un culte sataniste. IL ne croit pas en l’existence de Satan, et est essentiellement un groupe d’athées enclins au second degré, qui milite en faveur de plus de libertés individuelles, et qui a lancé des actions en faveurs des « droits reproductifs », du mariage gay etc.

Leurs « principes », ni originaux, ni choquants, sont les suivants:

  • One should strive to act with compassion and empathy towards all creatures in accordance with reason.
  • The struggle for justice is an ongoing and necessary pursuit that should prevail over laws and institutions.
  • One’s body is inviolable, subject to one’s own will alone.
  • The freedoms of others should be respected, including the freedom to offend. To willfully and unjustly encroach upon the freedoms of another is to forgo your own.
  • Beliefs should conform to our best scientific understanding of the world. We should take care never to distort scientific facts to fit our beliefs.
  • People are fallible. If we make a mistake, we should do our best to rectify it and resolve any harm that may have been caused.
  • Every tenet is a guiding principle designed to inspire nobility in action and thought. The spirit of compassion, wisdom, and justice should always prevail over the written or spoken word

En tant que catholique, je n’approuve pas particulièrement leur choix d’imagerie et la plupart de leurs provocations médiatiques, mais malgré leur nom, il est évident à mes yeux qu’ils ne constituent pas une menace sociale, ni spirituelle. Et pour tout dire, ils me font mille fois moins peur que le Salon Beige, Civitas, ou même certains évêques.

2) Quand bien même ils seraient plus que ce qu’ils apparaissent (ce dont, une fois encore, je doute fortement) l’article partagé ne portait pas sur leur engagement en général, mais sur une action en particulier, la proposition d’accompagner des musulmans dans leurs trajets, dont j’ai vraiment bien du mal à voir en quoi elle ne serait pas louable, a fortiori de la part de personnes dont on aurait pu croire qu’elles entretiendraient les pires préjugés sur le « fanatisme » religieux.

3) Vous vous dites sidérée. Je le respecte, le prends en compte pour mes contributions ultérieures, et suis prêt à en discuter plus avant avec vous. Je reconnais que j’aurais sans doute dû discuter avec les autres modérateurs avant de publier cet article. J’ai également conscience que nous sommes toutes et tous particulièrement tendus cette semaine, moi le premier.

Je dois cependant vous dire que je suis moi-même, à titre individuel, extrêmement peiné et choqué par le levée de bouclier de ce matin, dans laquelle votre réaction semble s’inscrire. L’information principale, c’était que des personnes ayant certaines convictions affirmaient, avec des actions concrètes à la clé, leur solidarité envers des personnes ayant des convictions antinomiques. Le lecteurs de la CCBF auraient pu se dire: « ah tiens, bonne idée. Si on tentait un truc dans ce genre, dans une perspective chrétienne » ou encore:: « ah, si même les satanistes s’y mettent, il est peut-être temps pour nous, chrétiens, de faire véritablement quelque chose ». Mais non, les réactions ont été quasiment uniformément: « Ah, mon Dieu, des satanistes, quelle horreur! Qu’est-ce que ça cache? » Je comprends que l’étiquette sataniste provoque, mais , et comme je l’écrivais ce matin, le fait qu’une étiquette, même de très mauvais goût, occulte à ce point dans l’esprit des catholiques français le caractère positif d’une action dont je ne vois pas comment on peut remettre en cause l’utilité, quelles que soient les arrières-pensées hypothétiques que tel ou tel serait tenté d’attribuer à ses auteurs, me rend profondément triste et pessimiste quant à la capacité de notre Eglise, et plus largement de la société française, à dépasser ses tensions et à surmonter les tentations de la violence et du repli.

Pardonnez-moi pour cette franchise, mais comme je vous l’ai dit, je suis-moi-même assez tendu aujourd’hui.

Si ce qui est à mes yeux une grave incompréhension monte en puissance, et si la CCBF doit reculer, je le comprendrai et le respecterai. Mais je le regretterai profondément.

Je reste à votre disposition pour des éclaircissements complémentaires.

Cordialement, »

« Je viens de tomber sur cet article d’une paroisse protestante américaine sur le sujet, qui me paraît bien exprimer l’état d’esprit dans lequel j’ai fait ce post:

Par ailleurs, il semble que le chapitre de Minneapolis du Temple satanique se soit fait taper sur les doigts par son échelon national, sans doute du fait de l’exposition médiatique , et ait dû retirer le post. Je trouve ça un peu dommage, d’autant que quelques musulmans américains sur les réseaux sociaux semblaient sincèrement touchés. »
J’ai conscience que toute cette polémique est absolument dérisoire et anecdotique au regard de ce que traverse notre pays depuis une semaine. Comme je me sens absolument impuissant au regard des problèmes autrement plus graves qui sont soulevés, cette histoire me permet du moins de m’occuper l’esprit.
Elle révèle à mon sens combien la lecture que fait l’Eglise du satanisme organisé, dont l’existence est finalement très récente (1966 pour ce qui concerne l’Eglise de Satan, l’organisation sataniste la plus célèbre) relève plus du fantasme (avec parfois des arrières-pensées idéologiques) que d’une connaissance véritable et sérieuse de la réalité de ces mouvements. Et, comme souvent avec les fantasmes, cela conduit trop souvent à la paralysie du discernement moral des catholiques, pas la meilleure manière à mon avis de se prémunir de l’action supposée du « Prince des mensonges », et certainement pas une manière saine (ni sainte) d’aborder la question du mal dans notre société et notre temps.
Je voulais déjà aborder cette question début 2013. Les débats sur le mariage pour les personnes de même sexe et les études de genre sont passés par là et m’ont accaparé. Je viens de voir qu’une synthèse universitaire qui semble sérieuse vient de paraître en anglais sur la question du satanisme. Si elle est bien faite, j’en rendrai probablement compte dans un prochain billet sur ce blog.
Addendum: Lucien Greaves (alias Doug Mesner), le fondateur et leader du Satanic Temple, vient de publier une tribune qui explique pourquoi il a demandé au chapitre de Minneapolis de retirer sa proposition. Autant je comprends (et soupçonnais) le problème de logistique que soulevait l’initiative telle qu’elle était formulée, autant la remplacer par une campagne sur les réseaux sociaux du type #voyageavecmoi m’aurait semblé préférable à cette suppression pure et simple. Mais tant les arguments employés par cette tribune que la proposition initiale font apparaître ces satanistes sous un jour beaucoup plus humain que beaucoup de catholiques. Et pour nous chrétiens, cela pose effectivement problème. Mais le genre de problème qui devrait impliquer, plutôt que des hurlements d’indignation ou des procès d’intention, une bonne dose d’auto-critique et de remise en question.

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