Je vais me tenir éloigné de ce blog, et plus généralement d’internet, quelques jours, le temps de vivre un temps de retraite.
Qu’est-ce qu’une retraite? On peut défnir cette activité comme un temps de désert, au cours duquel le chrétien va prendre ses distances avec sa vie quotidienne, ses loisirs, son métier, ses distractions et ses soucis, ses proches, ses habitudes, pour se consacrer entièrement à la rencontre avec Dieu.
Concrètement, chaque jour d’une retraite alterne entre temps d’enseignement et temps de prière individuels (oraison à partir de passages de la Bible par exmple…) et communautaires (Eucharistie, offices des heures…). Elle se vit en communauté avec le groupe de retraitants, au sein d’un centre spirituel, d’une abbaye, d’un foyer de charité… Elle est l’occasion également de vivre le sacrement de réconciliation… Elle se vit en silence.
Un tel programme peut paraitre bien austère à ceux qui n’en n’ont pas fait l’expérience, ou il y a longtemps. Et il est vrai que pour ma part, je mets en général deux ou trois jours à complètement rentrer dans l’esprit de la retraite et à m’y sentir bien. C’est cependant un temps qui me transforme généralement bien plus en profondeur que les moments spirituels de ma vie “ordinaire”, et dont les fruits se font sentir tout au long de de l’année qui suit.
Je me suis posé pour principe il y a quelques années de vivre un temps de retraite chaque été. L’an dernier, j’ai dérogé à ce principe, en susbstituant la participation des JMJ à la mise en oeuvre de cette résolution. Ce qui fait que ma dernière retraite remonte à il y a deux ans.
Voici deux billets qu’elle m’a inspirés sur mon ancien blog, qui j’espère témoigneront des fruits que ces temps de désert ont apporté dans ma vie spirituelle et personnelle:
Le premier est intitulé “Redonner le gôut de la prière…” et a été publié le mercredi 24 novembre 2010:
““Et si la prière est si peu une réalité pour les jeunes catholiques pris dans leur ensemble, n’est-ce pas d’abord et surtout parce que les plus fervents d’entre eux ne savent pas donner le goût, le sens et l’importance de cette prière ? »
Cette question, posée par Edmond Prochain dans son blog, me travaille depuis hier.
Bon, comme je l’ai déjà exposé dans un billet précédent, l’habitude de prier ne m’est pas vraiment venue naturellement, et si j’arrive maintenant à y consacrer au moins deux temps par jour, ça n’a pas été sans rencontrer quelques difficultés.
Je pense que l’examen de ces dernières pourrait être utile pour faire sentir à ceux qui n’arrivent pas à prier ou qui n’en voient pas l’intérêt combien cette habitude à prendre est vitale pour l’équilibre de toute vie spirituelle.
Après avoir un peu tout plaqué de mon éducation catholique au sortir de l’adolescence, je suis revenu très progressivement à la Foi, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire sur ce blog. Et cette Foi qui grandissait en moi a longtemps été très intellectuelle, très abstraite.
Dieu a longtemps été un élément parmi d’autre de ma philosophie personnelle de l’existence. J’avais besoin de croire en lui pour justifer un certain nombre d’espoirs et d’opinions, mais je concevais davantage ma foi comme une idée régulatrice que comme une relation personnelle.
Autant dire que prier était pour moi une perte de temps, comparé à la lecture de tel ou tel ouvrage de philo ou de théologie qui me permettrait, pensais-je, de rentrer davantage dans la compréhension de son mystère.
A force de lire des ouvrages d’auteurs chrétiens, catholiques ou autres, j’ai quand même fini par remarquer l’importance donnée par ceux-ci à cette relation personnelle, vécue dans la prière et lavie sacramentelle.
Un certain nombre de difficultés personnelles m’ont par ailleurs motivé pour revenir à la messe du dimanche dans un premier temps, pour prendre l’initiative de me confesser dans un second temps.
A partir du moment où j’ai commencé à prendre le rythme de la vie en paroisse, j’ai rapidement intégré un groupe de jeunes pros, participé à quelques préparations de messes, fait partie pour un temps assez court d’un groupe de partage d’évangile.
Pour la fréquentation des sacrements, j’étais donc en progrès considérable. Cette pratique, couplée aux échanges avec d’autres chrétiens pratiquants au sein du groupe jeunes pros, m’a aidé à appréhender Dieu comme une personne et non plus comme une superstructure idéologique de mon propre désir.
J’ai donc progressé très grandement en quelques années, tant dans le sérieux et la sincérité de mon engagement de catholique que dans la compréhension de l’enseignement de l’Eglise, qui ne m’est plus apparu comme une doctrine dont je devais apprendre toutes les subtilités dialectiques ou autres, mais comme une pratique vivante que j’approfondissais dans la vie liturgique et la fréquentation d’autres chrétiens. Je comprenais que, si la fréquentation des théologiens et des philosophes chrétiens est excellente en soi, elle ne mène à aucune compréhension de l’intérieur sans un minimum de relation personnelle à ce qui est quand même l’essentiel: Dieu.
Cela dit, la prière en solitaire restait un gros blocage. Quand le thème tombait lors des rencontres de mon groupe jeunes pros, ou quand mon confesseur abordait le sujet, ma réponse était: « Euh… ».
Je pense que ma difficulté principale résidait dans mon incapacité à percevoir les bénéfices concrets de la prière. J’avais l’expérience de certains effets de la Grâce dans des célébrations eucharistiques, ou au cours de confessions, ou dans des circonstances très précises et assez exceptionnelles de ma vie, dans des cadres très précis… Mais la prière, c’était un peu pour moi comme donner des coups d’épée dans l’eau… Pour moi, Dieu n’y répondait que dans des circonstances très particulières, ou alors à des personnes très très saintes, et de toute manière il savait avant nous ce qui se passait dans notre tête, alors je ne voyais pas l’intérêt de lui dire. Et également, j’étais un peu mal à l’aise devant l’importance que lui donnaient certaines personnes très dévotes, qui me paraissait un peu de la superstition…
La première retraite que j’ai effectuée dans le cadre de mon groupe jeunes pros, que mon aumônier a mise à profit pour nous expliquer les grands principes de l’oraison, a été pour moi une révélation dans tous les sens du terme.
Elle m’a permis de comprendre que prier n’était pas juste parler à Dieu dans l’espoir d’une réponse, mais lui consacrer du temps, pour mieux se laisser transformer de l’intérieur par l’Esprit Saint.
Jusqu’ici, je concevais la prière comme une activité qui restait à la surface de mon intériorité, où j’exposais celle-ci sans qu’elle change pour autant à quelqu’un qui la connaissait déjà. Vu comme ça, ce n’est pas très motivant.
Pour moi, prier, c’était parler à Dieu, soit de ce qui me passait par la tête, soit (pire) en récitant des textes appris par coeur, pendant un temps indéterminé et de façon un peu désordonnée ou sentimentale…
Ce que cette retraite m’a appris, c’est que la prière peut être méthodique, et qu’elle n’est pas toute entière dans le dialogue explicite, même s’il est essentiel d’y consacrer quelques minutes en début et en fin d’oraison, mais qu’elle est un temps fixe que je consacre à Dieu, auquel je me tiens (pas plus, pas moins), et au cours duquel, même s’il ne se passe rien, même si je m’ennuie, je permet à l’Esprit Saint de me transformer et de me conformer à la Volonté de Dieu. Ce temps me permet de suspendre momentanément toutes ces distractions de la vie quotidienne qui me font retomber sans arrêt dans le péché, qui ne se réduit pas, je le rappelle, à la faute morale, mais réside dans tout ce qui me coupe de Dieu…
La prière, d’une certaine manière, je la conçois comme un anti-péché, un antidote au péché (sans qu’elle ne puisse se substituer pour autant au sacrement de réconciliation). C’est un temps qui parfois va me donner une expérience concrète de l’amour de Dieu, et durant lequel parfois je vais m’ennuyer et regarder ma montre. Mais c’est un temps que je ne vais consacrer qu’à Dieu, et dont Il va profiter pour mettre les bouchées doubles dans la dispensation de cette Grâce qu’il me propose en permanence, mais à laquelle je me ferme le plus souvent, tout absorbé que je suis par tout ce qui détourne de Lui.
Et comme c’est en forgeant qu’on devient forgeron, la difficulté suivante, qui consiste à prendre une habitude de prière chaque semaine ou chaque jour, j’ai mis quelques années à la surmonter, mais à force de retraites, de pélerinages et d’accompagnement, je suis en train de la vaincre.
Voici donc, cher catholique qui ne prie pas, tout ce qui es à ta portée… Ce temps régulier consacré à Dieu, qui lui donne l’opportunité de faire grandir Sa Présence et Son Amour en toi, de rendre non plus abstrait, mais concret, vivant et personnel le lien qui Vous unit. Entre autres bénéfices, il a pour effet que tu ne retrouves plus à la messe ou dans les rassemblements un juge face auquel tu as secrètement honte de tout ce qui t’a éloigné de lui depuis la dernière fois que tu as mis les pieds dans une église, mais un proche, un ami ou un parent, que tu es joyeux de revoir, même si tu as parfois des choses à te faire pardonner…
En ce sens, tu dois trouver le goût de la prière pour retrouver celui de Dieu…”
E le second, “Que Ta Volonté soit faite”, remonte au mercredi 22 décembre 2010 (accessoirement une semaine après l’ouverture d’Inner Light):
“”La prière est le sacrifice spirituel qui a supprimé les anciens sacrifices».
Je suis tombé sur cette citation de Tertullien au hasard d’internet, alors que je cherchais un peu d’inspiration pour un billet.
Je n’en connais pas le contexte, mais elle me touche beaucoup. Elle rejoint ma conception de la prière comme donner mon temps à Dieu, mais me permet de l’approfondir.
Prier, c’est faire le sacrifice de mon temps, mais aussi, d’une manière plus intime, de ma volonté. Quand je me prépare à prier, ma volonté n’est généralement pas tournée toute entière vers Dieu. Je suis préoccupé, distrait ou réjoui par des évènements dans ma vie professionnelle, familiale, sentimentale, etc. Prendre le temps de la prière est souvent d’autant plus difficile que mes pensées ne sont pas tournées vers Dieu la plupart du temps.
Parfois cependant, je suis très motivé pour prier, non pas parce que je désire davantage une rencontre intime avec Dieu, mais parce que les évènements du monde débordent les cadres que j’ai fixé à ma vie, que je me sens dépassé par eux, et que j’éprouve le besoin d’appeler Dieu à l’aide. Je suis alors à l’image du psalmiste au début du psaume12:
» Vas-tu m’oublier ?
Combien de temps, Seigneur, vas-tu m’oublier,
combien de temps, me cacher ton visage ?
Combien de temps aurai-je l’âme en peine
et le cœur attristé chaque jour?
Combien de temps mon ennemi sera-t-il le plus fort ?Regarde, réponds-moi, Seigneur mon Dieu!
Donne la lumière à mes yeux,
garde-moi du sommeil de la mort;
que l’adversaire ne crie pas: » Victoire! »
que l’ennemi n’ait pas la joie de ma défaite!Moi, je prends appui sur ton amour;
que mon cœur ait la joie de ton salut!
Je chanterai le Seigneur pour le bien qu’il m’a fait » (TOB).Comme le psalmiste, mes problèmes m’obnubilent tellement que je doute de l’amour de Dieu, de son inclination à me comprendre et à m’aider. Je me place au centre et je conçois Dieu comme un au-delà dont peut-être viendra le Salut, et peut-être pas.
Mais au cours du psaume, sans raison apparente, le psalmiste change de discours. Il commence par « Combien de temps vas-tu m’oublier », mais finit par « je chanterai le Seigneur pour le bien qu’il m’a fait ». Non pas parce que tous ses problèmes ont disparu comme par magie. Il disait: « combien de temps aurai-je l’âme en peine », mais ajoute bientôt: « moi je prends appui sur ton amour ». Il demande « donne la lumière à mes yeux », et cette lumière lui est donné. Il passe de cette « âme en peine » chagrinée par tous les obstacles à sa volonté propre, à la « joie du salut » après avoir pris appui sur l’amour de Dieu, et sur sa Volonté.
Il en va souvent de même dans ma prière. Je pars d’un problème qui m’obsède, ou d’une angoisse, et ma position change complètement au cours de la prière. Je considère ce qui me fait souci non plus du point de vue de ma volonté, mais de celle de Dieu, et non seulement le mal parait moins grand, mais je vois toutes les traces dans les évènements récents de l’amour de Dieu, là ou je me croyais abandonné, et je veux rendre Grâce.
Ainsi j’étais parti en retraite cet été avec le coeur soucieux, pour des raisons d’ordre privé. Au soir du deuxième jour, j’étais en larmes (pas pour des raisons objectivement graves, mais la solitude de la retraite a un peu accentué ma tendance naturelle à dramatiser), et je suppliais le Seigneur de faire quelque chose pour moi. Et mes problèmes ne se sont pas résolus pour autant immédiatement, mais j’ai été grandement réconforté par la prière, et à partir du troisième jour j’avais tout le temps envie de rire tellement j’étais heureux. Je ne dis pas que ça arrive lors de toutes les retraites de manière aussi spectaculaire (et souvent même cette action de l’Esprit Saint s’opère à mon insu, hors de toute gratification sensible), mais j’avais fait l’expérience d’une forme de sacrifice permis par la prière, celui de ma volonté: je ne voyais pas ma vie telle que je la voulais, mais telle que Dieu la veut. Et j’en sortais réconforté et ressourcé.
Un prêtre que je connais a coutume de dire que le « Que ta Volonté soit faite » est le plus beau passage du Notre Père. Depuis cet été, j’y pense souvent, et je comprends de plus en plus que le sacrifice implicite de ma volonté qui est formulé dans cette demande ne revient pas à mutiler mon désir et ma recherche du bonheur, mais à les accomplir, c’est-à-dire que je découvre concrètement que la Volonté de Dieu n’est pas seulement un Tout Autre abstrait, mais qu’elle a toujours pour objet mon amour et pour conséquence mon salut, mais pris dans une perspective plus vaste que je ne saurais l’imaginer. Et même si ma vie future sur terre, sur un plan purement matériel, devait n’être que souffrance et mort, je sais que Dieu est présent avec moi, et qu’il sème une à une les germes de mon bonheur futur et de celui de de mon prochain. Il suffit de se tenir attentif pour les voir et les faire fructifier.
Notre Père, que Ta Volonté soit faite.”
J’espère pouvoir vous faire partager les fruits de cette nouvelle retraite m’éclaireront pour mes prochains billets sur Inner Light, dont le propos sera cependant moins directement spirituel. Au programme de cet été: l’évalutation à froid de mon séjour au Hellfest, la suite de ma série sur “Black Metal et catharsis”, et les réflexions que m’aura inspirées la lecture du livre Black Metal et art contemporain: tout détruire en beauté, de Gwenn Coudert, que j’ai acheté il y a deux jours, et que je compte lire une fois retourné chez moi (pour l’instant, j’ai juste parcouru l’introduction par l’artiste contemporain Jean-Baptiste Farkas).
Bonne vacances à ceux qui en prennent, bon courage aux autres, et à bientôt! 🙂