Archive pour blasphème

Du «droit au blasphème»…

Posted in Christianisme et culture with tags , , , , , , , , , , , , , , , , on 23 septembre 2012 by Darth Manu

Entre la condamnation des Pussy Riot cet été, et ces dernières semaines les polémiques autour de ce qui a été présenté comme un film américain qui caricature le vie du prophète Mohammed et de la dernière couverture provocante de Charlie Hebdo sur l’Islam, on entend fréquemment ces temps derniers l’expression « droit au blasphème », pour la défendre ou pour la réfuter:

« Le blasphème est un droit

 La réalité, c’est qu’en France, dans notre République, et il n’y a aucune raison que cela change, le blasphème est un droit. Je dirais même plus que, face à la connerie des intégristes qui veulent museler tout rapport critique avec la religion, il est un devoir.

 Aussi, les interventions de Jean-Marc Ayrault et de Laurent Fabius sur la question, avant même la publication du numéro de « Charlie », sont tout proprement indignes de notre République.

 […] Mais de quel droit le gouvernement s’offusque-t-il de la pleine jouissance de la liberté d’expression et de la presse en France ? Quel scandale !

 Ces réactions rappellent en substance la position inacceptable qu’avait eue Jacques Chirac en son temps, quand « Charlie » avait publié les caricatures danoises, affirmant :

 « Les provocations manifestes susceptibles d’attiser dangereusement les passions. Tout ce qui peut blesser les convictions d’autrui, en particulier les convictions religieuses, doit être évité. La liberté d’expression doit s’exercer dans un esprit de responsabilité. »

 Très laïque, ce Monsieur Chirac, qui avait déjà fêté en grande pompe en 1996 la très laïque elle aussi célébration des 1500 ans du baptême de Clovis. » («  »Charlie Hebdo » caricature Mahomet: le blasphème n’est pas un droit, c’est un devoir! », par Yves Delahaye, Nouvel observateur « Le + »)

« Mais l’expression « droit au blasphème » ne semble guère opportune. D »abord parce qu’elle reprend à son compte l’idée même de blasphème – notion ignorée par la loi, laquelle ne sanctionne que des délits définis en dehors de toute référence religieuse (injures, diffamation, propagation de fausses nouvelles, etc.). Ensuite parce qu’elle introduit subrepticement l’idée qu’on pourrait revendiquer spécifiquement un tel « droit au blasphème ». Or on ne peut que revendiquer la liberté d’expression, laquelle s’exerce sans autorisation, sans avoir à se référer à un droit explicite précis, dans le silence de la loi, et n’est encadrée explicitement que par des interdits – tout ce qui n’est pas expressément interdit par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » (« Y a-t-il un « droit au blasphème »? » Mezetulle, le blog-revue de Catherine Kintzler).

Comme la seconde citation y fait allusion,  la juxtaposition des mots « droit » et « blasphème » est paradoxale. D’une part, effectivement, parce qu’on relie ainsi une notion juridique, le « droit » et une notion religieuse, le « blasphème ». Ensuite parce que la première a habituellement une connotation positive, et la seconde une connotation négative. Enfin, parce que le terme de « droit » exprime quelque chose d’inhérent à l’être de chacun, quelque chose qui peut se déduire de sa nature ou de son essence, alors que le blasphème implique un certain mode de rapport à quelque chose qui se réclame du divin, et donc au Tout Autre. Le premier se vit d’abord sur le mode de l’être: « je suis… et donc j’ai droit à … » et de l’immédiateté « le droit ne m’est pas concédé mais est indissociable de mon être, de ma dignité » et le second sur le mode de la relation: « je dis ceci de Dieu, du Prophète, de la Vierge Marie, … » et sur celui de la réaction: « je me révolte… ».

Donc, première remarque, la revendication du « droit au blasphème » présente dans ses propres termes une tension interne. Reste à savoir si celle-ci est l’expression d’une contradiction insurmontable, qui fait de cette revendication un non-sens, ou si elle est susceptible d’être féconde.

Seconde remarque: la contradiction interne exprimée par l’expression « droit au blasphème » est  une chose, les différentes intentions, les différentes connotations portées dans l’usage par les uns et les autres une autre chose encore. Et ces deux réalités, le sens dénotatif paradoxal de cette association, et le caractère pluriel des connotations dévoilées par les différentes interprétations, en général polémiques, dont elle est l’objet, une fois mises en regard, rendent plus complexe encore une approche sereine et exhaustive des débats enflammés (parfois littéralement) que notre objet de réflexion suscite.

En parcourant les réactions aux différentes polémiques suscités par des blasphèmes, je ne puis m’empêcher de remarque que, non seulement elles suscitent des réactions très divergentes, mais que, de façon récurrente, un même média ou une même personne réagit de manière très différente à un blasphème, suivant son contexte. Par exemple, sur Twitter:

« @Netchys  Pourquoi @CecileDuflot la femme-ado n’a-t-elle pas apporté son soutien a #CharlieHebdo comme avec les #PussyRiot ?#jeposelaquestion @EELV« 

D’un côté, nous avons des féministes certes militantes, qui opère une manifestation artistique, certes influencée par l’actionnisme viennois, qui n’emballe pas la sensibilité de tout un chacun, dans une église, certes de manière impromptue et blasphématoire, dans une perspective politique, certes très contestataire, dans un pays dont les gouvernants ne font pas non plus l’unanimité dans la conception qu’ils proposent d’un « démocratie ».J’aurai compris qu’elles prennent quelques semaines, à la rigueur quelques mois, pour exhibitionnisme ou outrage ou tel autre délit de droit commun qu’elles ont accomplis ouvertement. Je m’inquiète d’une condamnation à deux ans de camps (certes très légérement plus douce que de la prison ferme) pour ce que le Président russe a ouvertement présenté comme un délit de blasphème.

De l’autre côté, nous avons un journal, qui a certes fait l’expérience d’un incendie de ses locaux, apparemment par des islamistes, qui lui a valu cependant une grande vague de soutien, qui blasphème dans un pays qui protège la liberté d’expression, où ses cibles sont minoritaires et font l’objet d’une hostilité selon moi plus grande et largement partagée que le christianisme en France et à fortiori en Russie, juste après qu’une vidéo sur Youtube, elle-même blasphématoire, ait certes créé le buzz, mais ait surtout donné un prétexte à des djihadistes pour tuer une centaine de personnes dans les pays à majorité musulmane.

Alors certes cette différence d’attitude de Cécile Duflot pose une question, à laquelle je répondrai pour ma part de manière bien différente de ce que @Nechtys suggère, et sans doute de façon plus proche du choix de la ministre en cause.

De manière plus nuancée, le Père Grosjean nous propose l’approche suivante (son confrère et co blogueur l’abbé Seguin vient d’ailleurs de publier un article assez équilibré à ce sujet sur Padreblog):

« @abbegrosjean Aucune violence contre #charliehebdo ne serait admissible. Cela n’empêche pas de questionner leur volonté de provoquer gratuitement« 

Certes, une apologie publique du blasphème ne peut que susciter des questions de la part des chrétiens, comme de toute personne qui s’engage dans une démarche de foi. Mais alors que nous réagissons au blasphème, quel qu’il soit, je pense que celui-ci, dans un mouvement inverse, nous questionne également.

Tout d’abord, suivant les situations et les personnes, si le blasphème se présente tout d’abord comme une insulte au Divin, et dans toutes les religions, comme un péché grave, il n’a pas toujours la même signification, ni la même gravité, suivant les auteurs et les contextes.

Quelques exemples théoriques:

– La personne qui a souffert de manière apparemment injuste, et qui se révolte contre les épreuves que Dieu lui a fait subir, et son silence apparent (Job par exemple).

– La personne qui est victime d’un contre-témoignage de la part d’un croyant, et qui par son blasphème exprime sa réprobation de celui-ci.

– La personne qui va blasphèmer par jeu et/ou conformisme, sans mesurer la signification de ses actes.

– La personne  qui est politiquement engagée contre un sytéme de gouvernement culturellement ou idéologiquement associé à une religion, et qui espère en attaquent la seconde toucher le premier.

– La personne qui, via le blasphème, se livre moins à une vision religieuse qu’à une spéculation à caractère auto-promotionnel.

– La personne qui associe une défense apparente de la foi, dans une démarche d’enseignement,  à des visées d’ordre profane, au point de contredire la première par les secondes.

– La personne qui méprise ou réprouve les valeurs portées par une religion.

La plupart de ces personnes (moins l’avant-dernière, à part pour une religion différente de la sienne) peuvent se retrouver à commettre ou célébrer tel ou tel blasphème: une croix plongée dans l’urine, une représentation du Christ couverte d’excréments, un concert de black metal insultant envers telle ou telle religion dans ses paroles et/ou sa mise en scène. Avec pourtant des glissements parfois important de sens, concernant la signification du blasphème en lui-même, et une gravité très variable de l’acte en lui-même.

Certains me répondront: « le pécheur doit être aimé, mais le péché doit être haï. Un blasphème est un blasphème, et doit être combattu pareillement, quel qu’il soit, et quel qu’en soit l’auteur! ».

Si tout blasphème, d’un point de vue strictement chrétien, est condamnable en lui-même, et constitue d’un point de vue sacramentel un péché grave, il me semble cependant que le Christ nous enseigne une manière un peu plus nuancée de les recevoir, qui distingue entre des cas de figure qui relève encore d’une certaine forme de recherche de Dieu, et d’autres qui constituent au contraire une rupture:

« 31 C’est pourquoi je vous dis : tout péché et tout blasphème sera pardonné aux hommes ; mais le blasphème contre l’Esprit ne sera pas pardonné aux hommes. 32 Et quiconque aura parlé, contre le fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais quiconque aura parlé contre l’Esprit Saint, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans celui qui est à venir.  » (Mat.12:31, source: Lecture de l’Evangile).

Bien loin de moi de prétendre définir le « blasphème contre l’Esprit Saint », et plus encore de dire si tel ou tel des exemples que j’ai cités en relève. Cependant, je relève dans ce passage, attribué par les premiers chrétiens à Jésus, et présent non seulement dans les évangiles canoniques mais également dans certains apocryphes, comme l’Evangile de Thomas, une distinction entre différents degrés de gravité du blasphème: certains, contre le Père ou le Fils, qui laissent ouverte la possibilité du pardon, et d’autres, contre le Saint Esprit, qui la ferment.

Une telle distinction m’évoque immédiatement un texte du Premier Testament qui m’a beaucoup marqué, et sur lequel je me suis déjà précédemment appuyé sur ce blog: le Livre de Job.

Dans ce livre, Dieu accepte la proposition du diable d’éprouver Job, un homme profondément pieux, mais comblé, tant dans ses possessions matérielles que par une famille nombreuse.

Ses possessions disparaissent. Sa femme et ses enfants meurent. Poussé à bout, il se révolte contre Dieu:

« 9.13 Dieu ne retire point sa colère; Sous lui s’inclinent les appuis de l’orgueil.

9.14 Et moi, comment lui répondre? Quelles paroles choisir?

9.15 Quand je serais juste, je ne répondrais pas; Je ne puis qu’implorer mon juge.

9.16 Et quand il m’exaucerait, si je l’invoque, Je ne croirais pas qu’il eût écouté ma voix,

9.17 Lui qui m’assaille comme par une tempête, Qui multiplie sans raison mes blessures,

9.18 Qui ne me laisse pas respirer, Qui me rassasie d’amertume.

9.19 Recourir à la force? Il est Tout Puissant. A la justice? Qui me fera comparaître?

9.20 Suis-je juste, ma bouche me condamnera; Suis-je innocent, il me déclarera coupable.

9.21 Innocent! Je le suis; mais je ne tiens pas à la vie, Je méprise mon existence.

9.22 Qu’importe après tout? Car, j’ose le dire, Il détruit l’innocent comme le coupable.

9.23 Si du moins le fléau donnait soudain la mort!… Mais il se rit des épreuves de l’innocent.

9.24 La terre est livrée aux mains de l’impie; Il voile la face des juges. Si ce n’est pas lui, qui est-ce donc?

9.25 Mes jours sont plus rapides qu’un courrier; Ils fuient sans avoir vu le bonheur;

9.26 Ils passent comme les navires de jonc, Comme l’aigle qui fond sur sa proie.

9.27 Si je dis: Je veux oublier mes souffrances, Laisser ma tristesse, reprendre courage,

9.28 Je suis effrayé de toutes mes douleurs. Je sais que tu ne me tiendras pas pour innocent.

9.29 Je serai jugé coupable; Pourquoi me fatiguer en vain?

9.30 Quand je me laverais dans la neige, Quand je purifierais mes mains avec du savon,

9.31 Tu me plongerais dans la fange, Et mes vêtements m’auraient en horreur.

9.32 Il n’est pas un homme comme moi, pour que je lui réponde, Pour que nous allions ensemble en justice.

9.33 Il n’y a pas entre nous d’arbitre, Qui pose sa main sur nous deux.

9.34 Qu’il retire sa verge de dessus moi, Que ses terreurs ne me troublent plus;

9.35 Alors je parlerai et je ne le craindrai pas. Autrement, je ne suis point à moi-même. » (Job, 9, 14-35)

Accablé, Job en vient à nier que Dieu est juste, ce qui me semble revenir à un blasphème.

Ses amis indignés tentent de lui faire retirer ses paroles, et s’attachent à lui démontrer en long, en large et en travers que Dieu est juste:

8.1   Bildad de Schuach prit la parole et dit:

8.2   Jusqu’à quand veux-tu discourir de la sorte, Et les paroles de ta bouche seront-elles un vent impétueux?

8.3   Dieu renverserait-il le droit? Le Tout Puissant renverserait-il la justice?

8.4   Si tes fils ont péché contre lui, Il les a livrés à leur péché.

8.5   Mais toi, si tu as recours à Dieu, Si tu implores le Tout Puissant;

8.6   Si tu es juste et droit, Certainement alors il veillera sur toi, Et rendra le bonheur à ton innocente demeure;

8.7   Ton ancienne prospérité semblera peu de chose, Celle qui t’est réservée sera bien plus grande. (Job, 8, 1-7)

Mais rien n’y fait, Job persiste dans sa révolte. Dieu finit par intervenir, et convaincre Job, non par des justifications, comme ses amis avant Lui, mais en lui manifestant son Être dans toute Son incommensurabilité, et toute Sa présence. Job se convertit à nouveau, et Dieu lui pardonne, mais est curieusement est beaucoup plus critique vis à vis de trois des quatre amis qui pourtant ne cessaient de le ramener à Lui:

« Après que l’Éternel eut adressé ces paroles à Job, il dit à Éliphaz de Théman: Ma colère est enflammée contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job.

42.8   Prenez maintenant sept taureaux et sept béliers, allez auprès de mon serviteur Job, et offrez pour vous un holocauste. Job, mon serviteur, priera pour vous, et c’est par égard pour lui seul que je ne vous traiterai pas selon votre folie; car vous n’avez pas parlé de moi avec droiture, comme l’a fait mon serviteur Job.

42.9   Éliphaz de Théman, Bildad de Schuach, et Tsophar de Naama allèrent et firent comme l’Éternel leur avait dit: et l’Éternel eut égard à la prière de Job. » (Job, 42, 7-9)

Pourquoi cette colère, contre ceux qui avaient reproché à Job son blasphème et exigé son repentir? Sans être exégète, et en faisant sûrement des contresens importants, je le comprends de la manière suivante:

Au plus profond de sa révolte, Job ne cesse de maintenir la relation à Dieu, de le chercher, de l’interpeller, de chercher à restaurer sa foi. Il renvoie à la figure de ses amis l’existence du Mal, dans toute sa radicalité et sa quotidienneté, mais c’est parce qu’il ne peut plus se contenter d’une foi fragile et illusoire, qui fait de ce dernier une possibilité abstraite, minime et lointaine. Il veut davantage: une foi qui dépasse l’épreuve immédiate du Mal, qui la transcende, qui endure au travers lui. Alors que ses trois premiers contradicteurs se contentent d’une foi superficielle, n’hésitent pas à dire du mal des justes en proie au malheur pour ne pas ébranler leur conception confortable de la Parole de Dieu, et sont tellement occupés à justifier ce dernier, pour ne pas douter, qu’il en finissent par oublier leur relation à Lui, tellement ils évacuent la radicalité de Sa présence au sein même d’un monde pécheur, et c’est pourquoi ils finissent par ne plus rien avoir à dire face au témoignage de Job. Parfois, nous catholiques qui cherchons légitimement à défendre l’enseignement moral de l’Eglise, avons parfois tendance à minimiser les épreuves que subissent les divorcés-remariés et les homosexuels dans l’Eglise, ou encore certaines femmes face à une grossesse non-désirée, pour rendre plus rationnelle, plus simple, notre adhésion à celui-ci.  Sans doute gagnerions-nous à méditer le Livre de Job, pour trouver des mots plus convaincants, et moins blessants ou condescendants que ceux que nous employons parfois.

Pour revenir à la question du blasphème, nous voyons donc qu’un même acte blasphématoire peut exprimer derrière l’insulte aussi bien un réel mépris q’une forme paradoxal de désir d’être plus près de Dieu, par delà la souffrance et la réalité évidente du Mal. Un blasphème qui refuse le pardon, ou un autre blasphème qui le recherche de manière contradictoire. Dans les deux cas c’est mal, c’est un péché, mais qui n’appelle pas la même réponse nécessairement de notre part: la condamnation pure et simple dans le cas du mépris, l’écoute et la remise en question de notre propre relation à Dieu et du témoignage que nous en donnons dans le second cas.

Et quand je vois les débats enflammés en 2011 sur l’interprétation du Piss Christ ou de la pièce de Castellucci, je me dis qu’il n’est pas si facile que ça de faire la différence.

C’est pourquoi je suis contre un traitement englobant, autre qu’au cas par cas,  des oeuvres blasphématoires, ou d’apparence blasphématoire, et une réaction qui reposerait systématiquement sur le lobbying et la contestation (et a fortiori sur l’interdiction pure et simple de l’oeuvre en cause). Je pense que le blasphème, n’est certes pas un droit, parce qu’un droit touche à ma propre dignité, et que le blasphème est une interpellation d’autrui, dans certains aspects qui touchent à sa propre dignité. On n’a pas de droit sur la dignité d’autrui. Par contre, il peut exprimer une souffrance ou une interrogation, et je crois qu’il y a un droit à exprimer une souffrance, même de manière verbalement violente ou blessante. Et qu’il est du devoir d’un chrétien, de discerner ce qu’il y a derrière un blasphème apparent, avant d’en condamner l’auteur, et de vérifier s’il ne se cache pas derrière l’expression d’un désir de conversion, et éventuellement une remise en cause d’une expression par nous peuple de Dieu encore trop imparfaite, voire à contresens, de Sa Parole. Car la souffrance et la révolte sont elles mêmes l’expression d’une dignité blessée, et il n’y a pas non plus de droit à faire taire l’expression d’une dignité.

Le blasphème est avant tout une parole qui nous interpelle, parfois pour clore la discussion, s’il n’est qu’une insulte gratuite, mais souvent aussi dans l’attente de réponse, tel Job qui provoque Dieu pour finalement le pousser à répondre. Et si éprouver Dieu est un péché (et même l’une des trois tentations auxquelles Jésus résiste dans le désert), nous ne pouvons pas ne pas répondre à cette parole de violence par une parole de douceur.

Ce qui pour moi rend le dialogue avec les formes d’art blasphématoires incontournables, et prioritaire sur toute démarche de lobbying qui pourrait l’entraver et radicaliser  la révolte de « blasphémateurs » jusque là « en recherche ». Ce dialogue enlevant par ailleurs leurs excuses à ceux des  amateurs de « droit au blasphème » (à mon avis souvent beaucoup plus minoritaires qu’on ne le croit) qui sont animés d’une haine authentique de la foi et des valeurs qu’elle porte et qui refusent eux-mêmes le dialogue, ou qui exploite cyniquement les opportunités commerciales liées à la polémique,et les démasquant, y compris aux yeux des non croyants.

Les groupes de black metal poursuivis pour blasphème en Pologne

Posted in Christianisme et culture with tags , , , , , , , , , , , , , , on 30 mars 2012 by Darth Manu

Aussi bien dans le cadre de la polémique contre le Hellfest que dans celui des manifestations contre les pièces de Castelluci ou de Garcia, on a vu cette année des catholiques s’émouvoir de la difficulté d’entraver légalement la tenue de ces manifestations culturelles qui semblent promouvoir ouvertement le blasphème, qui est par définition source de souffrance et inacceptable pour tout chrétien.

Pour donner un peu de perspective à ce débat, je propose de faire retour ensemble sur un exemple de réaction dans un cadre légal à des oeuvres d’art blasphématoires dans un pays qui dispose d’une loi anti-blasphème: je veux parler des poursuites intentées en Pologne à des groupes de black metal qui présentent des thématiques ouvertement sataniques et hostiles au christianisme.

L’article §196 du Code Pénal polonais indique:

« Quiconque offense les convictions religieuses de quelqu’un d’autre ou insulte en public un objet de culte ou un lieu de cérémonie religieuse s’expose à une limitation de ses libertés et à une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans d’emprisonnement ferme. » (Radio Metal, « Behemoth sur le bûcher de l’inquisition »).

Parmi plusieurs exemples de groupes musicaux ou autres qui ont renoncé à se produire en Pologne ou ont connu des difficultés judiciaires du fait de cette loi, je m’attarderai sur ceux particulièrement significatifs des groupes de black metal Gorgoroth et Behemoth.

1) Gorgoroth:

Gorgoroth est un groupe de black metal norvégien, fondé  en 1992, mais qui reste longtemps dans l’ombre des grands du Black Metal Inner Circle, et qui ne commence à être connu qu’après la sortie de son deuxième album en 1996.

Ce groupe se distingue entre autres choses par son expression particulièrement virulente des thématiques satanistes et antichrétiennes propre à beaucoup de groupes de black metal, et les mises en scène grand guignolesques et blasphématoires de ses concerts.

Ainsi, le 1er février 2004 à Cracovie en Pologne:

« Gorgoroth a fait sensation le 1er février dernier à Cracovie (Pologne).
 Lors d’un concert filmé en vue de la réalisation de son 1er DVD les norvégiens, qui avaient promis à leurs fans polonais un show spécial, ont effectivement sorti la grosse artillerie : présence de 2 femmes et de 2 hommes nus, cagoulés (tant et si bien qu’une des nanas s’est évanouie…), ensanglantés et crucifiés sur d’immenses croix en bois, de têtes et d’abats de moutons piqués sur des barbelés, de nombreux symboles sataniques… Les musiciens, qui étaient eux aussi entièrement recouverts de sang, ont littéralement terrifié les cameramen, les organisateurs du concert, et bien évidemment choqué les habitants du pays du Pape, qui ont également eu l’opportunité de découvrir ce spectacle funeste, celui-ci étant diffusé sur une chaîne nationale. Pendant le concert, personne n’a pris la responsabilité de stopper la prestation de peur de devoir faire face à une émeute provoquée par le public. Gorgoroth est maintenant accusé d’avoir enfreint l’article 196 du Code pénal polonais relatif aus offenses religieuses et de maltraitance sur animaux. Le combo risque donc jusqu’à 5 ans de prison, et les bandes live ont pour l’instant été confisquées.  » (Centerblog).

On peut dire que le groupe avait assez mal choisi le pays où enregistrer son dvd. Il semble cependant que les suites judiciaires de cette affaire leur furent plus favorables que prévu:

« On February 1, 2004, during a concert being recorded for a DVD in Kraków, Poland, the band displayed sheep heads on stakes, a bloodbath of 80 litres of sheep’s blood, Satanic symbols, and four naked crucified models on stage. A police investigation took place with allegations of religious offence (which is prosecutable under Polish law) and cruelty to animals.[27] Though these charges were considered, the band was not charged as it was ruled that they were unaware of the fact that what they were doing was illegal, although the concert organiser was eventually fined 10000zł in 2007 as he knew about it and neither informed the band that it was against the law nor intervened.[28] The whole controversy led to the band being dropped from the roster of the Nuclear Blast Tour and the footage of the concert being confiscated by the police.[29] » (Wikipédia « Black Mass Krakow 2004« sources en norvégien que je n’ai pu vérifier pour l’instant, ne parlant pas cette langue).

Le dvd est quand même sorti finalement:

 » Black Mass Krakow 2004 is a live concert DVD by Norwegian black metal band, Gorgoroth. It was released on June 9th in Europe and on July 8th in the US » ( Wikipédia « Black Mass Krakow 2004 » ).

2) Behemoth:

Le cas de Behemoth est assez différent de celui de Gorgoroth, et beaucoup plus significatif, puisqu’il s’agit d’un groupe polonais, dont on peut supposer qu’il connait mieux les lois de son pays qu’un groupe norvégien comme Gorgoroth…

En septembre 2007, lors d’un concert à Sopot, Nergal, le chanteur du groupe, déchire publiquement une Bible. Il semble que ce soit un geste qu’il pratique couramment lors des représentations de Behemoth, mais, manque de chance, un membre du Comité de Défense contre les Sectes, Ryszard Nowak, assiste ce jour là au concert, et décide par la suite d’attaquer le groupe sur la base de l’article   §196.

L’affaire se règle dans un premier temps de la manière suivante:

«  Le groupe répond à cette accusation de la manière suivante : « un concert de Behemoth est un concert de Behemoth. Les fans savent à quoi s’attendre, savent de quels thèmes traitent nos paroles et connaissent notre philosophie. Il est plutôt surprenant qu’une personne vienne nous voir à nos concerts et ensuite se sente offensée par ce que nous faisons sur scène. Si elle vient à nos concerts, alors c’est ce qu’elle cherche. Nous ne cherchons pas à agresser quiconque, pas même la religion avec laquelle nous avons grandi.».

Le tribunal va donner raison au groupe. Ce type de plainte nécessite au moins deux plaignants pour être valide. Ryszard Nowak étant seul à porter plainte, le procès débouchera sur un non-lieu. Tout aurait pu s’arrêter là mais, suite à ce revers mal accepté, Nowak multiplie les annonce publiques, dans lesquelles il traite le groupe – et plus particulièrement Nergal – de criminel. Nergal décide alors de contre-attaquer en assignant Nowak en justice pour diffamation.

La justice lui donne raison et Nowak se voit obligé de présenter publiquement ses excuses ainsi que de verser 3000 zloty (environ 800€) de dommages et intérêts. Nergal décide de ne pas garder l’argent et le reverse à un chenil » (Radio Metal, id.).

 Mais en janvier 2010, quatre membres du parti politique au pouvoir, Loi et Justice, le parti chrétien-démocrate en Pologne, décident d’appuyer la plainte de Nowak, ce qui la rend recevable sur le plan juridique. Avec le résultat suivant:

« Dans le procès dans lequel Adam Darski, leader de Behemoth sous le nom de Nergal, le verdict a été rendu : Nergal est innocent des faits tels qu’on les lui a reproché. Le juge Krzysztof Wieckowski a statué hier que le fait qu’il ait déchiré une Bible au cours d’un de ses concerts à Gdynia, en Pologne, en avril 2007, est « une forme d’art » en rapport avec le style de son groupe et que le tribunal n’a aucune intention de limiter la liberté d’expression ou le droit de critiquer la religion. Les membres du public ont témoigné que leurs sentiments religieux n’avaient pas été heurtés, même s’ils étaient chrétiens » (Radio Metal, Behemoth déchire la Bible: c’est de l’art).

 Lors de la procédure, Radio Metal a eu la bonne idée d’interviewer Krzysztof Kowalik, professeur de théologie  à l’Université de Gdansk et expert auprès du tribunal pour cette affaire:

 » […] Venons en au sujet qui nous intéresse : le procès entre Nergal, le chanteur de Behemoth et le parti politique « Prawo i Sprawiedliwosc ». Pouvez vous nous expliquer dans quel cadre vous avez été appelé à témoigner lors du premier procès ? 

Cette participation s’est faite par hasard. J’ai été chargé par le Recteur de l’académie de travailler à l’ouverture d’une nouvelle filière nommée « Science des Religions ». C’est probablement la raison pour laquelle mon nom à commencé à circuler dans certaines sphères. Le procureur du parquet de Gdansk m’a demandé une expertise lors du procès entamé par Ryszard Nowak du Comité pour la Défense contre les Sectes. Le but de l’expertise était de déterminer si, oui ou non, chaque exemplaire de la Bible est un objet de vénération religieuse pour les chrétiens catholiques. J’ai répondu à cette question en m’appuyant sur mes connaissances en la matière ainsi que sur un questionnaire envoyé à des théologiens catholiques, des prêtres et des exégètes. Il ne m’a pas été demandé si Nergal était coupable. L’objet était plutôt de savoir si la plainte était reçevable.
Quelle peine encourt Nergal ?

Je ne sais pas (ndlr : l’entretien s’est déroulé avant la première audience du second procès). Je ne suis ni juge, ni juré. Personnellement, je vois ces évènements différemment. Dans la société pluraliste d’aujourd’hui, des évènements analogues seront amenés à se reproduire. Si toutes les institutions, évènements de la vie courante et politiciens sont soumis à de vives critiques et en soumettent en retour, on peut se demander au nom de quoi l’Église devrait encore être épargnée. Il ne faut pas oublier qu’elle a sa part de responsabilité dans l’éloignement de ses fidèles. Beaucoup de personnes ont été touchées et déçues par les scandales sexuels impliquant des représentants officiels de l’Eglise. Ces scandales ont profondément entaché l’image de l’Eglise Catholique et l’obligation de bienveillance qu’elle prône est apparue aux yeux de certains comme une hypocrisie. En Pologne, les gens commencent doucement à critiquer ce qui leur déplait dans le fonctionnement de l’Eglise, après plusieurs années où il était impossible et interdit de la contredire ouvertement. Je pense que Nergal représente d’une certaine manière cette critique que de nombreux concitoyens n’osent toujours pas formuler. Malheureusement les conséquences de son geste, vraisemblablement non mesurées, lui ont échappé. Il est évident que la forme de cette critique n’est ni acceptable, ni efficace. La question ne se pose pas. Il apparaît clair cependant que Nergal a critiqué l’Eglise Catholique et déchiré cette Bible dans un contexte particulier. La Bible est un texte sacré pour les catholiques, mais aussi pour les protestants et les orthodoxes par exemple. La Bible ne mérite pas d’être traitée de cette façon. Cependant, Nergal est le seul à pouvoir se permettre d’attaquer aussi violemment l’Eglise en temps qu’institution. C’est pourquoi je pense qu’il faut que Nergal tire une leçon de son acte, mais il ne faut pas qu’il soit condamné. Evidemment, les politiciens du « Prawo i Sprawiedliwo?? » ne sont pas encore prêts pour ça. Ils attendent une lourde condamnation à l’encontre de Nergal dans l’espoir de récupérer des voix et un soutien financier de la part de l’Eglise Catholique en vue des prochaines élections. Il ne faut pas non plus oublier que la hiérarchie ecclésiale ne s’est pas prononcée sur cette affaire.
Quel a été votre sentiment lors du verdict du premier procès?

Bien sûr, cela m’a soulagé. J’ai trouvé assez inconfortable d’être impliqué dans cette affaire. J’ai aussi trouvé dommage que ce procès n’aie pas débouché sur un débat plus général concernant la place de la religion dans la société moderne polonaise et plus particulièrement dans les lieux publics.  […] 
Le groupe Behemoth a déchiré des Bibles sur scène lors d’autres concerts il y a deux ans. Comment expliquez-vous que seule la Pologne ait cherché à assigner le groupe en Justice ?

La réponse à cette question a déjà été partiellement donnée. Les accusateurs se réfèrent à l’article §196 du code pénal. Cet article n’est pas très précis. Il n’indique pas la limite à partir de laquelle une parole sort du cadre de la liberté d’expression pour entrer dans celui de l’offense à la croyance religieuse. Cette limite est particulièrement difficile à déterminer dans le cadre d’une expression artistique. L’article §196 est en quelque sorte une arme de défense contre des insultes et critiques extérieures. Il donne cependant l’impression que la séparation des pouvoirs entre l’Eglise et l’Etat n’existe pas vraiment en Pologne. Dans d’autres pays européens, cette séparation est beaucoup plus claire.
Pensez vous que les autres pays européens auraient dû réagir à ce blasphème ?

Je ne pense pas. Partout autour du monde, des personnes sont maltraitées, persécutées, tuées… Je pense que l’Eglise et l’Etat devraient collaborer et utiliser leur énergie pour venir en aide à ces personnes plutôt que de chercher à tout prix à protéger leurs symboles des artistes. Il ne faut pas oublier qu’au nom de Dieu, de la Croix et de la Bible, beaucoup de personnes ont étés persécutées par le passé. Il est peut-être temps pour eux de recentrer leur action autour de valeurs plus fondamentales.
Vous avez précédemment évoqué l’idée de man?uvre politique pour gagner les voix de l’électorat catholique. Pouvez-vous développer ce point ?

Vous savez, en Pologne, l’Eglise Catholique est très influente. Cela vient de notre histoire, c’est depuis longtemps un état de fait. Elle a gagné beaucoup d’influence au XIXème siècle lorsque des prélats de l’Église occupaient les plus hautes fonctions de l’État. Elle ne prend bien sûr plus directement part au pouvoir. Mais son autorité a été très forte et il valait mieux l’avoir de son côté que contre soi. Cette autorité se fait d’ailleurs encore sentir aujourd’hui. Les politiciens le savent et vont souvent chercher du soutien et des financements auprès de l’Eglise. « Prawo i Sprawiedliwosc » se positionne aujourd’hui comme un parti catholique, strict mais ne l’assume pas. Ils n’ont au final que peu de valeurs communes avec l’Eglise Catholique. Ils enchaînent les faux-pas et les déclarations vides de sens. « L’affaire Nergal » est d’une certaine façon, pour eux, un moyen de réaffirmer leur position et de regagner la confiance qu’une partie de l’électorat catholique ne leur accordait plus.
L’assignation en justice de Nergal émane directement du parti politique au pouvoir. En tant que français il m’est difficile d’imaginer le gouvernement interférer à ce point là dans des affaires ayant trait à la religion.

Pourquoi est-ce possible en Pologne ?

Certains diraient par volonté de justice. Personnellement, je ne pense pas. Le fond de cette histoire est politique. Si la situation avait été plus reluisante pour le gouvernement actuel et leur popularité plus haute, je ne pense pas qu’ils se seraient lancés dans ces poursuites. Pourquoi avoir attendu deux ans avant d’appuyer la déposition de Nowak ? Il leur aurait fallu si longtemps pour se rendre compte de la portée de l’acte perpétré par Nergal lors de concert ? Difficile à croire. Les interférences mutuelles des politiques dans le domaine de la religion et des membres du clergé dans le domaine de la politique sont en partie dues à un manque de clarté et de distinction dans les textes de loi. A cela se rajoute notre histoire spécifique déjà évoquée auparavant sur laquelle s’est bâtie notre identité. Est-ce pour autant normal en Pologne que l’Etat s’implique autant dans une affaire d’ordre religieux ? Je ne pense pas, mais pour beaucoup de Polonais, ce comportement de l’Etat est inconsciemment accepté et ne choque pas.
Vous avez dit lors du premier procès que « la Bible est un objet de culte religieux et doit, de fait, être traitée avec respect ». Pouvez-vous développer un peu cette opinion ? Pourquoi cet objet doit-il aussi être respecté par une personne non-catholique ?

Je voudrais commencer par vous rappeler un principe biblique : « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse ». Ce principe est très concret et universel. On ne doit pas se moquer ou blesser une personne, croyante ou non, sous prétexte de ne pas approuver son mode de vie et sa vision du monde. Suis-je meilleur que ceux que je n’aime pas ? Même si je ne me reconnaissais pas en Dieu, je n’aurais pas plus de raison d’endommager ou de détruire un objet de culte religieux en public. Cela me rappelle d’une certaine manière l’histoire des caricatures de Mahomet auxquelles, bien que non musulman, j’étais fortement opposé. Mais, même si je suis opposé et ne cautionne sous aucun prétexte ce qu’a fait Nergal, je ne pense pas que son comportement justifie une condamnation judiciaire. A ce sujet, j’aimerais souligner une différence entre les protestants et les catholiques. Les protestants pensent que la Bible contient la parole de Dieu mais que le livre, en temps qu’objet, n’incarne pas cette parole. Dieu ne vit que lorsque ces mots sont verbalisés, lus ou prêchés. Je pense que pour les protestants, l’acte de Nergal n’a pas de conséquence car en s’attaquant à l’objet, il n’attaque pas Dieu. Les chrétiens catholiques, en revanche, vénèrent leurs objets de culte comme sacrés (que ce soit l’Eglise, la Bible, la croix…). Toute attaque contre un de ces objets est de fait considérée comme une attaque envers Dieu. Sur ce point précis, je me retrouve plus dans la manière de penser des protestants car pour moi, il est inconcevable que Dieu s’incarne en un quelconque objet matériel.

 
Depuis le début de sa relation avec la pop star Doda, Nergal est omniprésent dans les médias polonais (magazines, tabloïds, télévision). Il n’est pas rare de voir dans le bus des vieilles dames lire les dernières frasques de leur relation ou de voir Nergal parler impunément de ses croyances à la télévision. N’est-ce pas paradoxal de vouloir tant exposer et donner la parole une personne qui semble tant gêner et que l’on pourrait considérer criminelle au regard de la loi polonaise?

Je pense que la société pluraliste polonaise est malgré tout plus ouverte que ce que les gens pensent. Nergal et Doda vivent dans un monde particulier auquel les médias se sont toujours intéressés et s’intéresseront toujours. Ces médias ne sont pas là pour informer ou refléter une quelconque vérité. Ils créent leur propre réalité et tentent de nous convaincre qu’il s’agit de « la vraie vie ». A travers des articles de journaux, j’ai pu collecter quelques informations sur Nergal. Mais ces quelques informations sont bien maigres et je n’ai pas le sentiment de bien cerner la personne. L’affaire politique actuelle n’est pas que négative pour lui, car elle lui permet aussi d’utiliser les médias à des fins personnelles. Je suppose cependant que l’émotion provoquée à court terme par les faits évoqués précédemment éclipse le débat soulevé par son acte et sa potentielle condamnation. J’attends maintenant le procès afin d’avoir plus d’éléments et être en mesure d’interpréter les évènements d’il y a deux ans. Je n’arrive toujours pas à savoir ce que Nergal veut vraiment dans cette affaire. Je ne pense pas que la manière dont il se présente et agit en concert reflète vraiment sa personnalité et la manière dont il vit. C’est plus sa représentation en tant que musicien. A mon avis, il souhaite, à travers ce geste, atteindre et choquer les gens en couplant l’agressivité musicale à une forme d’agressivité visuelle.


Nous arrivons à la fin de cet entretien. Voulez vous rajouter quelque chose avant que nous nous quittions? 

Après de nombreuses années de dictature et d’occupation, la Pologne s’adapte doucement à la société démocratique et libre. Ses règles peuvent paraitre archaïques mais il n’existe pas de démocratie en kit avec une « recette » à suivre. Il n’y a pas non plus d’autorité (institutionnelle ou humaine) qui ne se trompe jamais et ne prend jamais de mauvaises décisions. Pour que la démocratisation de la Pologne avance, il faut que cette autorité arrive à accepter la liberté de penser et la critique et ce, même quand cette critique est inadaptée et illégitime » ( Radio Metal, id. ).

 Si je mets à part l’étrange idée que ce théologien semble avoir du rapport des catholiques aux objets sacrés, cet entretien a l’immense mérite de pointer l’enjeu à mon avis véritable de toutes ces manifestations contre le blasphème dans les oeuvres d’arts, en France comme en Pologne (malgré le contexte extrêmement différent de ces deux pays): l’évolution des rapports entre les catholiques et nos sociétés démocratiques occidentales.

En premier lieu, je retire de ces deux affaires que même lorsqu’il est prévu par la loi, le blasphème est une notion juridiquement trop floue et subjective (on a vu avec l’exemple de ce professeur de théologie, ou encore avec l’affaire Castellucci en France, que  les chrétiens eux-mêmes pouvaient avoir des divergences profondes sur la définition de ce qui constitue un blasphème) pour être véritablement applicable dans un Etat de droit:

« Poland’s religious insult law conflicts with international standards on freedom of expression, in large part because its vague wording does not identify the legal threshold for “offending religious feelings.” As one member of the Council of Europe’s Venice Commission remarked, “The religious feelings of the different members of one specific Church or confession are very diverse. The question is: whose level of religious sensibility should we treat as the average level—the
sensibility of a group of fundamentalist or tolerant members?” The decision to investigate an an alleged offense under Article 196 of the Penal Code is at the discretion of the prosecutor. Though there must be at least two “victims,” there is no requirement for individuals to submit complaints. In practice, the law appears to be applied mostly at the instigation of conservative Catholics. There are few cases
overall, and they usually result in acquittals when pursued to the end, but the legal process involved is itself a deterrent that encourages individuals, notably artists, to engage in self-censorship » ( The impact of blasphemy laws on human rights, a Freedom House special report: Poland ).

 Les rares bénéfices concrets de cette loi pour les catholiques ne proviennent donc pas d’une reconnaissance républicaine de l’inviolabilité du sacré, ni d’une prise de conscience de la population, mais de la peur. Il s’agit en fait d’une forme douce de terrorisme : si évangéliser consiste à témoigner, peut-on dire que nous sommes là dans une forme de témoignage chrétien, et si ce n’est pas le cas, n s’agit-il pas finalement d’opposer à l’Ennemi les armes de l’Ennemi, et de rééditer une autre forme de blasphème, d’autant plus grave et destructrice qu’elle est faite au nom de Dieu?

L’échec régulier des procédures engagées contre des oeuvres d’apparence blasphématoire, aussi bien en France où il n’y apas de loi contre le blasphème qu’en Pologne ou celle-ci existe, frustre les catholiques qui ont choisi de se focaliser sur ce type de procédures pour lutter contre la déchristianisation de nos sociétés, et radicalise leur rejet des fondements de ces dernières. Ils en viennent souvent, et semble-t-il en France de plus en plus, à considérer que la liberté d’expression, socle de la démocratie pluraliste, est à deux vitesses et vise à justifier le « relativisme moral » et la « christianophobie ». D’où le sentiment renouvelé d’une « christianophobie » ambiante et l’accroissement de ce type d’actions. Alors que c’est la tactique du procès qui semble en elle-même inadaptée à la lutte contre la déchristianisation.

Cette radicalisation attire en retour le ressentiment d’une partie de la société, qui a l’impression de voir la liberté d’expression confisquée par une minorité sur des bases subjectives et en vient à légitimer aux yeux de certains le blasphème comme l’expression d’un nécessaire combat politique. On le voit dans l’interview de  Kowalik, lorsqu’il évoque les critiques de plus en plus ouvertes contre l’Eglise au sein de la société polonaise, et les bénéfices médiatiques que Nergal a pu retirer de ses mésaventures judiciaires. On l’a vu également dans mon article metal et islam, avec le témoignage d’un des metalleux poursuivi au Maroc pour des raisons religieuses, où il expliquait que cette affaire (où il y avait pourtant eu condamnation des musiciens) avait en fait rendu le metal plus populaire et sympathique aux yeux de beaucoup de marocains, et contribuer à un désir croissant d’émancipation de la tutelle religieuse. On le voit encore dans la formulation adoptée par cet extrait du rapport de Freedom Report:

 » Moreover, the complaint mechanism and prosecutors’ practice of consulting theologians and other experts to determine the boundaries of the vaguely worded law effectively imposes the subjective views of a few on the rest of society« .

Bien loin de remédier à la « pastorale de l’enfouissement » des décennies précédentes, la mobilisation en France contre la « christianophobie » risque de marginaliser encore plus les catholiques et d’accélérer la déchristianisation de la société, comme je le remarquais déjà dans un précédent article. Il y a à mes yeux un véritable risque de « sectarisation » d’une partie des catholiques sur les prochaines générations, si cette tendance devenait majoritaire.

Deux exemples de ce qui me parait constituer des ambiguités inquiétantes, qui vont dans le sens d’une radicalisation (même si le premier des deux n’émane pas d’extrémistes) et d’une défiance accrue envers l’institution démocratique, dans le discours de catholiques mobilisés contre le blasphème:

1)

 » Islam et metal ? Nous avons lu le billet de inner light qui n’est pas la seule source sur le sujet. Une chose est certaine : le metal s’exprime en terre chrétienne, beaucoup moins en terre d’islam quand il n’est pas violemment réprimé » (Collectif Provocs Hellfest).

 A lire ce commentaire, on a un peu l’impression qu’au fond, si la France se transformait en Etat policier du type des dictatures islamistes, en remplaçant l »islam par le christianisme, mais en gardant la censure religieuse et les pressions sociales et institutionnlles, la situation ne serait pas plus mal. Je ne dis pas que c’est ce que pensent vraiment les membres du Collectif, je suis même persuadé du contraire, mais il y a là une manière, maladroite et non pas mal intentionnée, de présenter les choses qui pourraient rendre souhaitable aux yeux de certains jeunes catholiques une « violente répression ».

2) En novembre dernier, les « indignés catholiques » se félicitaient de la présence de musulmans à leur côtés, lors de leur manifestation contre la « christianophobie »:

 » On pourra juger l’information insolite sur ce blogue – elle a d’ailleurs déjà été signalée par des commentaires hier au soir –, mais Nouvelles de France donne une information qui n’est pas sans intérêt : un groupe musulman, Forsane Alizza, s’associe à la protestation des chrétiens contre la pièce blasphématoire Sur le concept du visage du fils de Dieu… Une information que je juge fort intéressante… » (Observatoire de la christianophobie, « Un groupe musulman s’associe à la protestation des chrétiens contre la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu » »).

 Forsane Alizza qui n’est autre que le groupe djihadiste dissous récemment par Claude Guéant. Ces associations catholiques, qui prétendent faire oeuvre de « vigilance » et de « réinformation », s’associent pour lutter contre une pièce dont le caractère blasphématoire reste très hypothétique avec des gens qui appelleraient très problablement de leurs voeux des persécutions effectives contre les chrétiens s’ils gagnaient un pouvoir quelconque. C’est comme si des associations juives avaient manifesté contre La Passion du Christ, du temps où ce film faisait scandale auprès de certains, au côté de néo-nazis. Tout cela montre le manque de discernement et de sérieux de ces mobilisations contre la « christianophobie » et leur caractère aisément manipulable. Mais aussi évoque des affinités potentielles dans la manière de concevoir le « combat culturel » avec les pires extrémistes religieux. S’il est certain que Civitas sous sa forme actuelle est très loin d’être aussi extrémiste que Forsane Alizza, on a constaté depuis les manifestations autour du Piss Christ il y a un an une radicalisation forte de son action, dans le sens d’une violence plus explicite, même si elle reste encore assez potache, et rien n’indique que cette radicalisation, l’insuccès aidant, ne sera pas prolongée par des groupes plus ouvertement belliqueux, de la même manière que l’Action Française, qui avant la première guerre mondiale était connue pour ce type d’actions relativement inoffensives, s’est fait doubler sur sa droite au cours de l’entre-deux guerres par des milices beaucoup plus menaçantes, dont bon nombre de membres venaient de ses rangs.

Si ce risque reste très hypothétique, on voit que les manifestations contre la christianophobie n’entament en rien la déchristianisation de notre société (il n’y a qu’à voir l’avancée spectaculaire en quelques années des partisans de l’euthanasie) et marginalisent encore un peu plus les catholiques dans l’opinion par ses excès. Une fois encore, je ne pense pas que le divorce entre la culture contemporaine et les cathos se résorbera par la confrontation, mais par le dialogue et l’exemple. Pour me citer moi-même en effet:

 » Le problème n’est en effet pas la diffusion des oeuvres, mais l’inspiration qui les anime: croire qu’on peut créer du Beau en attaquant l’Eglise, qui annonce la source du Beau. Il ne s’agit donc pas de faire taire l’inspiration mais de la convertir, en déployant non pas des juristes, des politiques ou des pamphlétaires, mais des musiciens, des écrivains, des poètes. La bataille de la culture ne peut se gagner que par la culture, en comprenant l’inspiration qui anime cette culture en partie hostile au christianisme, pour mieux la déconstruire et la dépasser par une inspiration nouvelle. ce qui présuppose de ne pas la condamner a priori comme une pathologie, une “phobie” et de refuser toute qualité artistique réelle à ses oeuvres, mais de comprendre de l’intérieur la démarche des artistes qui sont animés par elle, de dialoguer avec eux. Ce qui peut permettre dans certains cas de retrouver les traces d’une inspiration chrétienne chez ceux-là mêmes qui prétendaient la combattre: ainsi une grande partie de l’univers mental de nombre de black metalleux est stucturé par l’influence de l’oeuvre catholique de Tolkien. Ce qui constitue des pistes pour proposer une version proprement chrétienne de la culture comtenporaine, et de dépasser tout ce qu’elle peut avoir d’hostile ou étranger au christianisme de prime abord. . .

Il s’agit de mener le combat culturel en participant à l’activité créatrice de la culture contemporaine, et non en restant à ses marges en la condamnant. A lutter contre la christianophobie, les catholiques finissent par n’avoir que des choses à combattre dans notre société et aucune à proposer. S’enfermer dans une posture d’auto défense permanente, sans rien donner qui puisse avoir du sens et de l’intérêt pour les membres de notre société déchristianisée, c’est nous condamner à court terme à ne plus du tout être entendus, voire à être combattus à vue, et à ne plus pouvoir transmettre l’évangile, ce qui est pourtant beaucoup plus au coeur de notre mission que la lutte contre la “christianophobie”« .

Discerner en chrétiens à l’épreuve des blasphèmes parfois présents dans le black metal

Posted in Regard chrétien sur les influences ésotériques, satanistes et païennes du black metal with tags , , , , , , , on 28 janvier 2011 by Darth Manu

(Disclaimer: je ne suis pas théologien et j’espère ne pas commettre trop d’erreurs dans mon exposé sur le blasphème).

Les paroles de beaucoup de groupes de black metal sont blasphématoires. Ceci au moins fait l’unanimité.

Quest-ce qu’un blasphème, cela dit, et quelles conséquences un black metalleux chrétien doit-il en tirer?

L’Eglise Catholique définit le blasphème de la manière suivante:

« 2161 Le deuxième commandement prescrit de respecter le nom du Seigneur. Le nom du Seigneur est saint.

2162 Le second commandement interdit tout usage inconvenant du Nom de Dieu. Le blasphème consiste à user du Nom de Dieu, de Jésus Christ, de la Vierge Marie et des saints d’une façon injurieuse » (Catéchisme de l’Eglise Catholique).

Le blasphème est un péché grave, au sens où il y a matière grave:

« Certains péchés sont toujours graves comme le meurtre, l’avortement, l’euthanasie, le blasphème, les péchés contre la pureté et la chasteté (non seulement les actes mais aussi le consentement les désirs impurs dans la mesure où on a pleinement consenti (cf Mt 5 ; 28) (ne pas confondre consentement et tentation)), l’omission de la messe le dimanche sans cause raisonnable, le spiritisme, communion et confession sacrilège, etc… »  (Source www.serviam.net).

Le Catéchisme de l’Eglise Catholique caractérise ainsi le péché:

« 1849Le péché est une faute contre la raison, la vérité, la conscience droite; il est un manquement à l’amour véritable, envers Dieu et envers le prochain, à cause d’un attachement pervers à certains biens. Il blesse la nature de l’homme et porte atteinte à la solidarité humaine. Il a été défini comme « une parole, un acte ou un désir contraires à la loi éternelle ». S. Augustin, Faust. 22, 27: PL 42, 418; S. Thomas d’A., s. th. 1-2, 71, 6.
1850 Le péché est une offense faite à Dieu: « Contre toi, toi seul, j’ai péché. Ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait » (Ps 51, 6). Le péché se dresse contre l’amour de Dieu pour nous et en détourne nos coeurs. Comme le péché premier, il est une désobéissance, une révolte contre Dieu, par la volonté de devenir « comme des dieux », connaissant et déterminant le bien et le mal (Gn 3, 5). Le péché est ainsi « amour de soi jusqu’au mépris de Dieu ». S. Augustin, civ. 14, 28. Par cette exaltation orgueilleuse de soi, le péché est diamétralement contraire à l’obéissance de Jésus qui accomplit le salut. Cf. Ph 2, 6-9. »

Le péché n’est pas synonyme de faute morale: la faute est dirigée contre autrui; le péché, lui, est toujours contre Dieu. Il est matérialisé par tous les actes que nous commettons qui atténuent en nous la relation à Dieu et à Son amour.

Il existe deux types de péchés: le péché véniel, qui diminue en nous la grâce sans la faire disparaitre, et le péché mortel, qui nous en coupe totalement.

Le péché mortel, pour être remis, nécessite de recevoir le sacrement de réconciliation.

Pour qu’il y ait péché mortel, trois éléments doivent être rassemblés: il faut qu’il y ait matière grave (c’est le cas pour le blasphème, comme nous l’avons vu), pleine conscience et propos délibéré.

Dansle cas des paroles et représentations blasphématoires dans le black metal, il parait évident d’après ce qui précède qu’il y a matière grave et propos délibéré. Le débat porte davantage sur la question de la pleine conscience. Le site www.serviam.net nous rappelle les termes généraux dans lesquels elle se pose:

« Rôle de la conscience

Les deux autres conditions (pleine connaissance et entier consentement (cf CEC n° 1859) montrent l’importance de la conscience dans l’acte du péché (cf CEC, n° 1776 et sq) ; C’est la conscience de l’homme qui en définitive porte le jugement moral sur ses actes (cf CEC 1776 et sq). D’où l’importance d’avoir une conscience droite (c’est-à-dire tournée vers le bien) et vraie (c’est-à-dire qui sache ce qui est conforme à la loi divine), (cf. tout le chapitre du CEC sur la conscience).
L’homme a le devoir de bien former sa conscience : un médecin qui refuserait de continuer ou perfectionner sa formation, même après l’obtention de son diplôme, ou qui se serait insuffisamment formé dans la période antécédente, porterait de graves responsabilités sur les fautes professionnelles commises dans l’exercice de son métier. De même tout homme qui néglige la formation de sa conscience, est responsable des fautes commises dans sa vie humaine et chrétienne.
La personne dont la conscience est bien formée, verra en fonction de la gravité des avertissements de celle-ci, ce qui est une faute grave ; et comme elle est bien formée cette gravité qu’elle perçoit sera effectivement ce qui est conforme à la réalité, c’est à dire à la loi divine ».

Je pense que cette question, pour ce qui concerne les groupes de black metal qui utilisent une thématique blasphématoire dans les paroles de leurs morceaux et la mise en scène de leurs concerts, doit être abordée sous deux angles:

1) La responsabilité des groupes de black metal « problématiques »:

Sur ce point, je pense que tout en restant ferme sur les principes, il convient de ne pas trop dramatiser.

Certains groupes, tels que Gorgoroth, Marduk, Godseed,… confessent certes ouvertement des convictions satanistes, et le blasphème est une thématique omniprésente et essentielle dans leurs morceaux et l’imagerie de leurs albums et de leurs concerts. Ils définissent eux-même l’hostilité au christianisme et aux valeurs qu’il représente comme l’essence même de leur engagement musical et idéologique:

« CoC: Marduk are renowned for extreme Satanic lyrics; are the lyrics on _Panzer Division Marduk_ going to be in the same vein as on _Heaven Shall Burn…_ and your latest releases?

L: Yeah, they will, for sure. If the only supernatural Evil that ever existed on Earth was in the dark ages, in 1300 or something, then why would we be around doing what we do, if we didn’t believe that thing still exists? We’re looking at it from a different point of view, in a different century, but the lyrics regarding Marduk will always have a Satanic base, because that is what this band is really all about. It will be the same lyrics as always, but with a different touch, you could say. […] L: Just because you don’t believe that the trolls are running around in the forest anymore doesn’t really mean to me that there is no higher power. I believe in an [incomprehensible] divinity, a force so great our brains cannot get the whole picture, we can only see fractions of it. And it’s so powerful, you are -nothing-, you’re like a tiny little shit compared to that power, and that is what we believe in. That is our aim, with our lyrics, to hammer the last nail in the coffin of Christianity, and give praise to something which we feel is better » (Interview de Legion de Marduk par le site Chronicles of Chaos).

De telles positions, bien qu’elles n’aient rien d’illégal en soi du point de vue du droit français, sont bien sûr inacceptables pour tout chrétien, et il me parait être, à mon modeste avis, du devoir de tout croyant de les désapprouver et les combattre.

Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de discernement à opérer en parallèle sur les personnes et sur l’équation personnelle ou la vie intérieure qu’elles essaient de traduire par le satanisme. J’ai montré dans un précédent article que pour Nergal de Béhémoth, par exemple, le christianisme représentait l’hypocrisie et l’asservissement et le satanisme la liberté. Dans un autre article, un morceau d’Emperor illustrait combien le satanisme explicite laissait transparaitre un désir d’éternité et une certaine forme de nostalgie inconsciente de Dieu. Si l’adoption du satanisme comme philosophie ou religion personnelle n’est vraisemblablement pas sans conséquence sur l’évolution spirituelle et le jugement moral des black metalleux concernés, il n’en résulte pas nécessairement que le mal véhiculé par leur discours soit le reflet d’une inclination sincère et profonde pour ce dernier, ni d’une relation particulière avec Satan himself, dont l’Eglise catholique affirme certes l’existence personnelle.  On peut penser d’une manière qui me parait assez légitime que l’action de ce dernier est sans doute un peu plus subtile que soutenir unilatéralement tous les groupes qui se réclament de lui, et qu’elle peut être présente aussi, au moins en germe, dans les réactions de peur et de haine que ces provocations grossières suscitent trop souvent dans certains milieux chrétiens. D’où la nécessité de discerner derrière les propos de chacun les motivations et les sentiments réellement à l’oeuvre:

« Avoir un esprit large, ce n’est pas avoir un esprit libéral et laxiste, mais avoir un esprit qui prenne en compte toute la réalité et qui ne réduise pas la réalité à ce qu’il perçoit et à ce qu’il comprend. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Il y a du bien partout et en toutes choses. Il y a aussi du mal qui vient vicier ce bien mais sans pour autant le pervertir complètement. La réalité étant très complexe, il ne faut pas la réduire à des schémas simplistes. En d’autres termes, il faut bien étudier et se renseigner sur un sujet ou une personne, prendre en compte tous les éléments possibles, avant de porter un jugement et être prêt à le réformer dès que les informations nouvelles nous parviennent. Un esprit large est aussi un esprit qui ne se limite pas à son cadre de vie habituel, mais qui s’intéresse à tout. Pour élargir notre esprit, il faut un intelligence qui aime et qui vive dans l’instant présent en étant attentive à l’ensemble de la réalité » (Marc-Antoine Fontelle Construire la civilisation de l’Amour, « Méthode de réflexion de la doctrine sociale de l’Eglise, Editions Pierre Téqui, 1998)

Les black métalleux qui blasphèment abondamment dans leurs chansons ont une conception généralement erronnée du christianisme, qui assimile souvent son enseignement à un mal qu’ils ont constaté. Si leurs actes en eux-mêmes sont graves, ils ont donc rarement conscience de cette réalité, et au contraire croient combattre pour ce qui est juste. Ce qui signifie, d’une part, que leur âme n’est pas nécessairement coupée de la Grâce divine, d’autre part, qu’il peut demeurer une part de bien, par exemple de critique vraie de telle ou telle injustice ou hypocrisie ou d’expression d’un désir sincère d’élevation spirituelle, dissimulée en germe derrière le blasphème explicite. Leur discours, s’il est à rejeter dans son contenu littéral, doit donc faire l’objet d’un discernement systématique sur ses intentions et motivations réelles. Ce qui m’amène au deuxième point:

2) La responsabilité des black métalleux chrétiens (et des chrétiens en général):

Pour les black métalleux chrétiens, la question de la pleine conscience se pose un peu différemment. En tant que chrétiens, nous savons que nous avons le devoir de « bien former [notre] conscience ». Notre baptême nous engage à rejeter le péché, et Satan qui en est l’auteur. il ne nous est donc pas possible, me semble-t-il, ni de cautionner des blasphèmes en se réfugiant derrière les arguments de la licence artistique ou de l’ignorance de leurs auteurs, ni de rester silencieux face à tout discours qui tend à assimiler notre musique à l’expression de convictions satanistes.

Ce qui mène vers deux types d’actions: d’une part nous faire connaitre, pour mettre en évidence la possibilité de thématiques différentes et plus riches pour le black metal que celles empruntées au satanisme et au néo-paganisme, thématiques qui ne sont pas nécessairement explicitement chrétiennes ou prosélytes mais qui conribuent à séparer l’identité de ce courant du metal extrême de ses racines antichrétiennes. D’autre part déconstruire systématiquement l’idéologie revendiquée par certains black metalleux, par exemple ceux de la mouvance du « true black metal » , qui conduit à réduire l’expression musicale  du BM à la mise en forme artistique d’une opposition radicale aux valeurs chrétiennes, suivant le mot de Morgan de Marduk: « Black Metal is meant to be Satanic » (interview par Terrorizer), tant pour libérer le BM en lui-même de celle-ci que pour faire prendre conscience aux auteurs de la gravité de leurs actes. Ce qui suppose à mon avis de bien cerner aussi les apports éventuellement positifs de ces groupes, afin de bien distinger l’essence du BM des thématiques satanistes qui lui sont superposées.

C’est ce que j’essaie de faire sur ce blog. C’est également la démarche de beaucoup de groupes de BM chrétien, qui semble plus constructive que les polémiques déclenchées chaque année par les initiatives antihellfest qui s’attaquent finalement aux personnes sans analyser en profondeur les idées. Car il s’agit d’un combat sur le terrain des idées et des symboles, et non d’un rapport de force entre lobbies, comme « l’ennemi » lui-même le rappelle:

« –There will always be a problem with Christianity.

-Will there comme a time when there will be an actual conflict?

-No, I think Christianity will eventually end by itself. But when I say we are waging a war against Christianity, I mean a symbolic war. You can never go to war against Christianity. Of course, you could try, but it’d be pointless. You can only do it symbolically and awaken people’s mind. At least if 20,000 people buy our records they will be inspired to do something about it. Spreading the message is about as much you can do for the time being » (interview par Terrorizer de Morgan).

Remarque qui a le double mérite, antichristianisme mis à part, de très bien cerner le lieu et les enjeux réels de la polémique, et de dédramatiser les soit disant « appels au meurtres des chrétiens » et agissements répréhensibles devant la loi dénoncés par certains.