Archive pour communautarisme

« Guerre culturelle », communautés et rapports de pouvoir 1/2

Posted in Christianisme et culture with tags , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , on 19 mars 2013 by Darth Manu

Mayhem - Grand Declaration of War

Je repousse une fois de plus, provisoirement, mes brouillons de billets en cours, pour livrer quelques réflexions générales sur les affrontements de pouvoirs entre communautés, sous l’angle culturel, à partir de la lecture d’un impressionnant dossier sur le sexisme chez les « geeks », écrit par la « gameuse » féministe Mar_Lard pour le blog Genre!, et des tweets qui suivent dont elle est l’auteure, et qui répondent à certaines critiques de sa démarche:

Je ne vais dans ce billet, pas plus que dans  celui qui lui fera suite,  ni commenter sa critique de la culture geek, étant loin d’être spécialiste des exemples qu’elle donne, ni m’étendre, sur le fond du moins, sur la question du féminisme et du mouvement LGBT  (j’en parlerai longuement, mais sans juger dans un sens ou dans l’autre leur combat), qu’il m’arrive d’évoquer sur mon autre blog, mais sur lesquels j’ai un regard très extérieur. Je précise également que si je dresse un parallèle entre deux combats très différents et souvents opposés, je ne mets pas sur le même plan toutes les oppressions qu’ils dénoncent… J’ai pour seule ambition dans les lignes qui suivent d’exposer les réflexions que je tire, pour « mon combat » à moi qui concerne les relations entre les communautés métalleuse(s) et chrétienne(s) et les enjeux culturels et sociaux qui y sont liés, de la lecture de son article et de ses tweets, de la polémique qui y est liée, et de ce que cela m’apprend sur les conflits de pouvoir  dans le contexte de la culture… Pour cela, dans le présent article, je traiterai de la notion de guerre  culturelle, à partir des exemples opposés de la conception proposée par les catholiques engagés contre « la culture de mort », et de celle théorisée par les militants féministes et LGBT, et des pratiques qui ont été développées de part et d’autres pour la mener, puis, dans un second billet, je développerai une crtique de son caractère aporétique, voire contradictoire à son objet qui est, dans les deux cas, la lutte contre l’oppression par le dominant du dominé, puis tenterai d’expliciter ce qui constitue mon éthique personnelle de la coexistence et du dialogue (qui n’implique pas de renoncer à ce combat mais de poser un certain regard sur lui)…

1) sur les notions de « communauté » et d' »oppression »:

Les milieux catholiques opposés au mariage pour les personnes de même sexe et les militants pro mariage pour tous, au delà de leurs vastes et semble-t-il insurmontables divergences culturelles, politiques et philosophiques, ont en commun une intuition commune: celle du pouvoir insidieusement normatif de la culture dominante, qui fait tenir pour « évidents » et « de bon sens » des discours et des usages éminemment critiquables sur les plans historique, philosophique, et parfois moral.

Les catholiques, comme je le rappelai dans un article récent, parleront volontiers, à la suite du pape Jean-Paul II, de « culture de mort », et de « structures de péché »:

« Comment a-t-on pu en arriver à une telle situation? Il faut prendre en considération de multiples facteurs. A l’arrière-plan, il y a une crise profonde de la culture qui engendre le scepticisme sur les fondements mêmes du savoir et de l’éthique, et qui rend toujours plus difficile la perception claire du sens de l’homme, de ses droits et de ses devoirs. 

[…] 12. En réalité, si de nombreux et graves aspects de la problématique sociale actuelle peuvent de quelque manière expliquer le climat d’incertitude morale diffuse et parfois atténuer chez les individus la responsabilité personnelle, il n’en est pas moins vrai que nous sommes face à une réalité plus vaste, que l’on peut considérer comme une véritable structure de péché, caractérisée par la prépondérance d’une culture contraire à la solidarité, qui se présente dans de nombreux cas comme une réelle « culture de mort ». Celle-ci est activement encouragée par de forts courants culturels, économiques et politiques, porteurs d’une certaine conception utilitariste de la société.

En envisageant les choses de ce point de vue, on peut, d’une certaine manière, parler d’une guerre des puissants contre les faibles […]. » (Encyclique Evangelium Vitae, 11 et 12).

Certains catholiques (dont les membres du Collectif Provocs Hellfest qui sont, au moins pour certains, des activistes d’ICHTUS) à partir de là n’hésitent pas à parler d’une « guerre culturelle »:

« La guerre culturelle est pourtant une réalité, un moyen détourné et moderne de mener une guerre de conquête classique, ou encore une lutte idéologique, mais en passant par les cœurs et les émotions avant de passer par les territoires.

Voici la définition qu’en donnait le général Arnaud de Foïard [4] au cours des années 1980 : « La guerre culturelle est un moyen de domination et de conquête par perversion de l’équilibre culturel de l’adversaire. Certes, de tous temps et plus particulièrement en Orient, les affrontements humains s’accompagnèrent d’actions de dégradation du moral de l’adversaire, mais la guerre culturelle revêt une toute autre ampleur et trouve son efficacité en dehors du choc des armes. Il s’agit d’un moyen de combat des temps modernes, qui agit sur la perception qu’ont les individus du monde et de la société dans lesquels ils vivent, afin de créer des courants d’opinion et d’orienter les comportements individuels et collectifs vers la déstructuration interne et le rejet de cette société. Le but de la guerre culturelle est la conquête pacifique du pouvoir politique par la prise de contrôle des esprits des citoyens ».Cette méthode d’agression a été mise en place à sa plus grande échelle par l’URSS, du temps de sa puissance. Mais aujourd’hui que son appareil militaire, politique et idéologique s’est effondré, les ravages de la guerre culturelle se font encore sentir. L’adage qui veut que « morte la bête, mort le venin », ne s’applique hélas ici qu’imparfaitement, et bien imprudent serait celui qui sous-estimerait la capacité de nuisance que conserve encore le poison de la guerre culturelle.[…]

C’est une œuvre de discorde systématique, un travail volontairement dévastateur dont les conséquences sont considérables.

La première d’entre elles est la perte des repères, et le rejet du passé et des héritages. Dans les pays occidentaux, cela s’est traduit par une forte déchristianisation, un flou des identités de plus en plus accentué, une dislocation du lien social, l’oubli du sens du réel, et pour finir, le développement d’un individualisme de plus en plus massif.

La guerre culturelle inaugure par ailleurs la formation de sous-cultures (culture de masse, culture de la nouveauté, culture du plaisir), qui produisent des « sous-hommes ».

Au final, la subversion de la société civile déstabilise complètement la société politique. Un sentiment de culpabilité, de haine de soi, de son pays, de son passé, engendre de la méfiance et le rejet des corps et des organisations. La famille, l’Etat, l’entreprise, l’Eglise sont les victimes de cette défiance instillée peu à peu. L’homme ainsi coupé de tout ce qui lui donnait sens un profond se retrouve pour finir seul, oppressé par un sentiment de détresse dont il ne peut se défaire.

On comprend alors aisément qu’une société ainsi contaminée devienne une proie beaucoup plus accessible pour un totalitarisme qui se présente comme la solution aux maux qu’il a lui-même engendrés. Et si l’Union Soviétique ne parvint pas intégralement à ses fins vis-à-vis du monde occidental, nul ne pourra contester que le schéma de subversion que nous venons d’évoquer corresponde exactement à la débâcle culturelle qu’a connue la seconde moitié du XXème siècle.[…]

Les chrétiens ne peuvent se contenter d’être des témoins ou des consommateurs culturels. Il leur faut devenir des acteurs complets, pour prendre des responsabilités dans les réseaux et les relais de la culture, et pourquoi pas, participer à l’émergence des nouvelles formes de la culture, et les faire prospérer.

Il ne faut pas se contenter de conserver, de faire mémoire, de se plonger dans ce qui fut, de nous réfugier dans le révolu ; il faut faire en sorte que ce qui vient du passé reprenne vie, et délivre aujourd’hui la vérité pleine de dynamisme dont les hommes d’aujourd’hui ont cruellement soif.

Entendons-nous bien pour finir : le but à poursuivre n’est pas de prendre le pouvoir culturel afin de manipuler les intelligences, les personnes et les sociétés, mais pour restaurer une vraie culture qui libère et qui élève, une culture qui rapproche de Dieu. Les deux réalités définies plus haut sous le terme de « culture » doivent donc être converties. Il y a un climat à reconstituer dans la société même, et cela au service des personnes et de leur vie intérieure. La société doit servir les cœurs et les âmes, la culture doit servir la culture.

Restons aussi bien conscients que la guerre culturelle, d’une certaine façon, n’aura jamais de fin, parce que la lutte des idées continuera toujours. La vérité devra toujours être défendue, soutenue, et illustrée contre le mensonge. Le venin de la subversion marxiste n’est pas mort, mais au moins n’y a-t-il plus de glandes venimeuses pour le produire. Ne croyons pas pour autant que l’esprit de Révolution en tant que tel soit éteint : il restera au contraire toujours à l’œuvre. » (ICHTUS, dossier « les enjeux de la culture »).

Les féministes et militants LGBT, pour un certain nombre d’entre eux, se réfèreront volontiers aux travaux de recherche universitaire récentes en sociologie, en anthropologie, en neurologie, en philosophie, en histoire, en littérature, en linguistique et ailleurs pour mettre en évidence le caractère construit d’un certain nombre de normes sociales tenues communément pour naturelle, par exemple la différence des sexes ou encore « l’hétérosexualité obligatoire »:

« Le corps est le lieu où se cristallise des rapports sociaux de
sexe, des représentations, des pratiques. Toutes les sociétés
tendent à vouloir finalement socialiser ce corps en lui donnant des orientations pour être conforme à ce qu’elles en entendent. Une des règles principales autour desquels les individus organisent le vécu de leur corps est celle de la différence des sexes. Rappelons que c’est une des grandes règles sur laquelle repose l’organisation sociale de la plupart des sociétés (Héritier, 1996). Notre corps sexué, parce que nous naissons avec des caractères sexuels primaires, selon que nous sommes homme ou femme,
ferait l’objet d’un processus de genrisation et, deviendrait ainsi un corps genré.

Dès la naissance la personne fait l’objet d’une sexualisation. On sexualise ces autres choses, qui ne sont plus biologiques, mais qui sont ces manières d’être, de penser en société selon entre autres une catégorisation sexuée. On donne finalement des caractéristiques sexuelles à du social et, cela s’inscrit dans le vécu de l’individu au quotidien. On renforce son appartenance au groupe masculin ou à celui féminin selon les modèles proposés par la sociétédans laquelle il vit. L’appropriation par la société a lieu, le corps est socialisé. Le genre féminin et le genre masculin, en tant que constructions sociales, sont nés. Les poupées aux petites filles et les camions aux garçons ! Il n’y a pas de doute le genre est un construit social qui s’est nourrit au creuset de différences sexuelles biologiques, posant ainsi le sexe biologique comme catégorie sociale, et qui s’en est servi comme alibis pour instaurer des inégalités sociales de sexe. Comme le souligne Marina Burakova-Lorgnier, le point de vue essentialiste cautionne cette
catégorisation selon le sexe et explique les différences genrées du fait de différences biologiques. En effet, le fait même de dire que nous naissons avec un corps sexué peut être pensé comme une construction sociale.

Face à cette attente de normativité de la part des sociétés, gare à ceux qui n’ont pas voulu choisir les voies des modèles proposés par celles-ci. Jugés déviants, ils ont bien souvent fait l’objet de stigmatisation, voire de mise à l’écart de la société où ils sont nés. » (« Corps et sociétés à l’épreuve du changement: du corps sexué au corps genré », Chrystelle Grenier-TorresSociologue, chercheure associée au laboratoire SSD-ADES,Pôle Grand Sud Ouest-Genre en Action, Bulletin « Genre en action » n°4).

L’essentialisation de contructions sociales (l’hétéronormativité ou le modèle cis genre, par exemple)est menée, de manière insidieuse, par l’éducation, par une certaine recherche universitaire (la scientifique féministe Anne Fausto-Sterling parle du rôle social normatif de la biologie, qui a longtemps construit deux sexes homogènes à partir de données biologiques parfois beaucoup plus diffuses: cf mon article sur les études de genre sur mon autre blog), mais aussi par la culture. Ainsi, dans le cas de la culture « geek », Mar_Lard montre comment le point de vue du mâle blanc hétéro cis genre est posé, tant dans les représentations culturelles en elles-mêmes que dans le discours porté sur elles par la communauté, comme un passage obligé, une forme de « vérité » obligatoire,  au point de rendre possibles et mêmes banals les pires phénomènes d’exclusion et de harcèlement.

Au delà de cette prise de conscience commune d’une « guerre culturelle », il est clair que ces deux visions présentent de vastes différences. La première présente le caractère normatif insidieux de la culture comme un phénomène historique récent (conséquence du communisme pour Ichtus) et la conséquence d’une volonté consciente (du moins à l’origine) de subversion, en vue d’une « révolution » des valeurs. La seconde le présente comme une propriété structurelle de toute société, la manière dont tout groupe dominant, va, le plus souvent inconsciemment, essentialiser les raisons contingentes de sa prise de pouvoir pour les rendre invisibles et incritiquables. La première va se présenter comme une restauration, celle de valeurs qui sont déjà connues, nous sont données de manière immuable et éternelle par l’Eglise, mais ont été subverties et rendues méconnaissables. La seconde va plutôt se ranger du côté de la subversion, non pas d’un ordre établi en tant qu’il est un ordre établi, mais parce qu’il apparait comme un instrument d’oppression des plus faibles par les plus forts. Enfin, il est clair qu’en terme de contenu, chacune tend à considérer comme bon ce que l’autre considère comme mauvais, mauvais ce qu’il considère comme bon, et « évident » ce que l’autre remet fondamentalement en cause: ainsi, pour les catholiques, la « complémentarité des sexes est une évidence pour la droite raison », et l’égalité « réelle » n’est pas une finalité en soi, ni même un objectif qui fait sens.

Au delà de ces très fortes divergences, restent en commun, outre le fait de la guerre culturelle elle-même, la revendication de la défense des plus faibles contre les plus forts, la conviction que « l’adversaire » n’est pas tant le désaccord de l’autre en lui-même que des pseudo évidences implantés de manière structurelle dans notre culture commune par des rapports de pouvoir qui rendent invisibles des formes d’oppression et d’injustice, et la conviction que cette guerre est un travail de longue haleine, sans doute toujours à renouveler:

 » Restons aussi bien conscients que la guerre culturelle, d’une certaine façon, n’aura jamais de fin, parce que la lutte des idées continuera toujours. La vérité devra toujours être défendue, soutenue, et illustrée contre le mensonge. Le venin de la subversion marxiste n’est pas mort, mais au moins n’y a-t-il plus de glandes venimeuses pour le produire. Ne croyons pas pour autant que l’esprit de Révolution en tant que tel soit éteint : il restera au contraire toujours à l’œuvre. » (Ichtus, idem).

L’approche que les études de genre donnent de la culture comme « invisibilisation » et essentialisation de rapports de pouvoirs construits socialement, me parait particulièrement féconde, en ce qu’elle permettent, par exemple dans le conteste des rapports entre christianisme et metal, qui est l’objet principal de ce blog, de démonter certaines évidences suspectes. Ainsi, le fameux « le black metal est par nature satanique et anti-chrétien » est faux historiquement ( il existe des groupes de black metal chrétien dès le début des années 1990 et dans plusieurs pays, et la scène s’éloigne peu à peu au fil du temps de ses racines satanistes) et ne veut pas dire grand chose sur le plan littéral (le black metal est un courant musical, le christianisme une religion, et le lien d’opposition entre les deux parait malaisé à expliciter: cf. mon billet « Holy Unblack Metal?« ). Par contre, cet énoncé arrange un groupe considéré comme plus important numériquement et plus ancien dans le black metal, qui choisit d’exprimer par cette musique les difficultés personnelles de certains de ses membres avec la religion chrétienne, et également certaines factions du christianisme, pour qui une « culture de mort » visible et spectaculaire constitue un vecteur efficace de motivation et de mobilisation.  Malgré son caractère inintelligible et intrinsèquement contradictoire, il est présenté comme une évidence (et symétriquement le « black metal chrétien » comme un « oxymore ») parce qu’il essentialise et rend invisible les convictions contingentes des groupes dominants au sein de chacune des deux communautés.

2) sur le « militantisme », le lobbying, et « l’indignation »:

Un autre point commun pour le coup très visible des défenseurs de ces deux visions, ce sont les moyens d’action par lesquels ils choisissent souvent de mener cette « guerre culturelle »: le militantisme politique, et lobbying, et « l’indignation ». En effet, si l’ennemi est une normativité culturelle insidieuse, qui ne cesse de rendre invisibles des phénomènes d’oppression et d’essentialiser des rapports de force contingents, d’endormir chacun d’entre nous, en somme, l’enjeu, pour le militant, va être de réveiller la société, et de rendre visible, par une veille constante, ce qui ne cesse de se dérober à nos regards et à notre pensée.

Il va nommer ce qui est rendu innommable, par la mise en place d’ une veille de tous les signes discrets (ou non) d’oppression (les stéréotypes de genre dans la culture, les initiatives laïques type interdiction de crèches, etc.), par la création de néologisme qui permettent de mettre une appelation sur des discours et des pratiques rendues évidentes et invisibles par la pensée dominante (homophobie, hétéronormativité, ou encore homosexualisme, christianophobie), par la mise en évidence théorique d’un système d’occultation de la vérité .

Il va alerter, par des blogs, par des pétitions, par la sollicitation des politiques, par des campagnes de presse, par des pressions sur les actuers de la société et de la culture (pouvoirs publics, entreprises…) , des détournements, des parodies (on songe aussi bien à Superman en costume « traditionnel » de super héroïne qu’au clip parodiant Inquisitio l’été dernier)… Jouer sur l’émotion aussi bien que sur la raison, en « indignant », en montrant les conséquences injustes, inégalitaires, mortifères, de certains discours et certains usages…

Il va combattre, en intentant des procès, en demandant des lois plus restrictive de la liberté d’expression sur certains sujets, etc.

Bref, sans se faire d’illusion sur un hypothétique « grand soir », il va chercher à opérer une prise de conscience dans les mentalités, à rendre davantage visible son combat pour que l’évidence morale de celui-ci passe du statut d’invisible à celui de visible, et soit intégré progressivement dans le point de vue du groupe dominant.

Et il est évident, pour prendre par exemple le cas du féminisme, qu’une telle démarche permet de changer des choses: droit de vote pour les femmes, généralisation de l’accès à toutes les catégories professionnelles, effacement de la conception hiérarchique du rapport homme/femme. Côté catholique, beaucoup de personnes estiment qu’un relatif manque de combativité de l’Eglise dans les années 1970, une certaine stratégie de « l’enfouissement », a largement contribué à la déchristianisation de la société, et la transformation graduelle des catholiques en minorité (une grosse minorité quand même, comme leur pouvoir de mobilisation ces derniers mois le démontre).

Il reste que cette guerre culturelle transforme la société en un champ de bataille permanent, générateur à son tour d’exclusions et de confiscations de paroles, pour les personnes se situant entre les partis ou à la fois dans différents partis, ou hors de ceux-ci.

Dans la seconde et dernière partie de cette série de billets, à paraitre d’ici le courant de la semaine prochaine, j’analyserai la manière dont les normes ne cessent d’évoluer et de réapparaitre par là où elles emblaient s’anéantir, à partir de la réflexion de Judith Butler sur le pouvoir et la norme. A partir de là, (en quittant la philosophie de J. Butler) j’essaierai de montrer que les mécanismes de cette guerre culturelle, qui ne cesse de se rallumer et de reconstruire des oppositions et des casus belli, n’a pour seul horizon que la coexistence des différentes parties, qu’elle soit pacifique ou belliqueuse, et j’essaierai à partir de là d’exprimer et de défendre mon éthique personnelle du dialogue et de l’entre-deux, que je souhaite attentive aux principes qui dirige mon action, mais aussi aux exclusions que celle-ci crée inévitablement à son tour par la transformation des normes à laquelle elle contribue nécessairement, et d’en proposer une application au débat metal/christianisme…

A propos de la pétition « Provocs Hellfest, ça suffit » 2/2

Posted in Hellfest with tags , , , , , , , , on 20 avril 2011 by Darth Manu

Je tiens en premier lieu à présenter à tous mes excuses pour le retard de cette seconde partie de mon billet sur le Hellfest, et plus particulièrement à mon confrère blogueur Les Yeux ouverts, qui attendait la publication de cette suite pour me répondre.

Cela dit:

2) Les demandes de la pétition:

« L’examen approfondi des groupes et des chansons de ceux-ci et à la non programmation de tout groupe et/ou chanson incitant à la haine contre quelque communauté que ce soit »:

OK là dessus, àla réserve près qu’inciter à la haine, ce n’est pas la même chose que critiquer ou qu’exprimer une aversion pour, comme je le montrais dans la première partie de mon billet.

A noter qu’historiquement, l’interdiction pure et simple de groupes de métal a généralement des incidences très faibles sur leur popularité, quand elle n’est pas récupérée purement et simplement à des fins publicitaires par leurs promoteurs:

Dans le cas par exemple du groupe de death metal Cannibal Corpse:

« Cannibal Corpse est considéré comme l’un des groupes phares du brutal death metal, bien que leur renommée vienne plus de leurs ventes, de leurs pochettes ultra-gores et de la polémique qu’il suscite un peu partout. Le groupe est notamment interdit en Corée, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En Allemagne les chansons des trois premiers albums du groupe sont interdites de concerts et les compilations contenant ces chansons sont tout simplement supprimées, ainsi que les pochettes de tous leurs albums. Malgré cela, Cannibal Corpse est un des seuls groupes de death metal a être rentré au billboard américain… » (MetalOrgie).

Quels ont été les résultats concrets de leur interdiction dans ces différents pays?

« Stemming from that, what are your views on censorship in general today?
Paul: Well it sucks. Censorship, it’s not good. It shouldn’t be there, it’s just one of those things, if you don’t like it, you don’t have to look at it, you don’t have to buy it. If you’re brought up right it all comes down to the parents. It’s also on the other hand something we know that we can’t let bother us. We know it’s going to be there, and if we sit there and try and fight it, there’s really no point to waste time on it. Worry about what we do is obviously what we’ve been doing. We had those problems in Germany for years. The first three records are banned, we can’t play songs off the first three CDs and everything. That didn’t make us think, hmm we aren’t going to go there then, or what do we do now, we just find a way to work around it. You’re not stopping us, we won’t play songs from the first 3 CDs then, we’re still playing, making CDs, fans are coming. You know, so you just take it in stride and work around it. It’s a lot better now. Last tour we did in Europe we were allowed to play the songs. I don’t know what happened, whether it’s a statute of limitations or they just don’t care anymore or something. But now we’re allowed to go and play the songs. So we just stuck to it. Stuck to what we’ve done, don’t play some songs, and now we’re able to. So yeah, you just can’t let it bother you. It’s unfortunate that it exists. What can you do? I guess, just do your thing and work around it. » (puregrainaudio).

« On vous a interdit de jouer des chansons des trois premiers albums en Allemagne mais cette interdiction s’est éventuellement expirée et vous avez pu jouer de ces chansons lors de votre passage au Wacken… comment étaient les réactions?

  Pat O’Brien :: Cannibal Corpse
R C’était vraiment dément. Les fans de Cannibal Corpse là-bas veulent entendre Hammer Smashed Face depuis toujours! La dernière fois que nous avons joué au Wacken, nous avons pu le faire alors les réactions s’en sont suivies! Ces gens ne veulent pas que le gouvernement choisisse pour eux quoi écouter. Ils ne veulent pas de censure. C’est ridicule tout cela… Pendant des années, nous allions jouer dans des petits bars ou des petites salles et nous devions signer des papiers comme quoi aucun titre des trois premiers albums ne serait joué. De temps en temps, nous en échappions une sans faire trop exprès (rires) et, je te le jure, les exécutifs de la compagnie de disques en Allemagne en entendaient parler le lendemain. De temps en temps, un gars aucunement subtil s’approchait de nous en nous demandant si nous avions joué Hammer Smashed Face à Leipzig, par exemple. Évidemment, si nous avions joué une chanson des trois premiers albums dans un contexte comme un festival ou quelque chose du genre, nous aurions tous étés arrêtés. Il arrivait très fréquemment que des officiers de police se pointaient à nos spectacles avec une expression de « Que diable fais-je ici » au visage, alors que nous étions en train de jouer. Comment veux-tu qu’ils sachent la différence entre Hammer Smashed Face et Fucked With a Knife? Et ne me laisse pas te parler d’à quel point je trouve cela aberrant d’avoir dit cela moi-même… penses-y, nous pouvions jouer Fucked With a Knife, mais pas question de jouer Hammer Smashed Face…
  Fred Laroche :: CDM
Q J’ai décidément du mal à imaginer qu’ils puissent différencier les chansons des 3 premiers albums des autres chansons…

  Pat O’Brien :: Cannibal Corpse

R

Pfff… bien sur qu’ils ne sont pas capables! Voyons! A moins que l’un d’eux soit un fan de notre musique en secret… De toute façon, ils l’ont dans le cul aujourd’hui puisque cette censure a fait en sorte que les fans ont voulu entendre les chansons encore plus. Ça a fait en sorte que les fans étaient encore plus intéressés à acheter ces albums puisqu’ils étaient difficiles à trouver et qu’ils étaient en fait des items de collection. » (Capitale du Metal)

Non seulement les résultats concrets de la censure sont généralement très discutables (publicité paradoxale, contournement des décisions de justice éventuelles, piratage) mais ils passent complètement à côté du problème très légitime auquel celle-ci vise à répondre. Non seulement en effet la plupart des fans de metal les plus hostiles au christianisme ne se sentent pas particulièrement poussés à se remettre en cause, mais ils se braquent et tirent de ce type d’action la confirmation de leur vision des chrétiens comme bornés et intolérants: ou comment le repli communautaire des deux côtés tue le dialogue et ne fait qu’alimenter la popularité et l’argumentation des groupes les plus hostiles au christianisme.

Le refus de mettre en avant et/ou de proposer à la vente tout support de quelque forme que ce soit et incitant à la haine contre quelque communauté que ce soit »

Reprenons l’exemple de Cannibal Corpse:

« As of October 23, 1996, the sale of any Cannibal Corpse audio recording then available was banned in Australia and all copies of such had been removed from music shops. At the time, the Australian Recording Industry Association and the Australian Music Retailers Association were implementing a system for identifying potentially offensive records, known as the « labelling code of practice. »

As a result, until April 1, 2006, only one Cannibal Corpse album, Gallery of Suicide, was listed in even the most explicit class of records allowed to be sold in Australia, and even that one disappeared from all legal classification after 2001. Thus, from at least April 1, 2003 to March 31, 2006, it was illegal for Australian music retailers to sell any audio recording produced by Cannibal Corpse. However, from April 1, 2006 to March 31, 2007, it became legal to sell all ten of the studio albums that the band had recorded by them, as well as the live album Live Cannibalism, the boxed set 15 Year Killing Spree, the EP Worm Infested, and the single « Hammer Smashed Face. » » (Corpseclothing).

La censure, comme souvent (cf. par exemple le destin du Comic Code Authority aux Etats-Unis, ou de la censure cinématographique en France), n’a duré qu’un temps. A-t-elle réduit le succès de Cannibal Corpse? Non. A-t-elle incité le groupe a adoucir les textes de ces morceaux? Non. A-t-elle suscité une prise de conscience dans le milieu du métal sur le contenu des paroles? Non. A-t-elle contribué à l’essort de la christianophobie chez une partie des métalleux? Manifestement oui, si j’en crois les réactions sur les sites de metal à chaque occurrence de ce type de censure.

En effet, la censure n’est pas efficace contre le metal pour la raison suivante: le métal y a été confronté tout au long de son histoire, et la plupart de ses courants les plus extrêmes se sont définis et ont trouvé leur audience en réaction à ses exigences:

« Un autre point, sur lequel nous avons déjà quelque peu discuté précédemment, a également contribué à la solidarité du milieu: nous faisons ici allusion à l’union du milieu Metal contre la censure. Contre le PRMC (cf. supra), contre les opprobres faites u Metal par certaines associations religieuses ou parentales, le Metal s’est retrouvé d’autant plus soudé au sein de la micro-famille qu’il forme. Il est pourtant à noter que ses réponses aux diverses accusations furent souvent de minces stratégies de défense, le Metal ne reniant pas son côté ostentatoire et parfois amoral. A cela notre question précédente refait surface: la liberté de tout dire que nombreux de ses protagonistes s’octroient peut-elle coexister avec le système en vigueur et ses valeurs? Nous ne pouvons donner présentement une réponse claire à cette question. Néanmoins ces deux facteurs-statut de paria, censure- que nous venons d’évoquer permettent de mieux saisir la force unitaire dans laquelle le Metal s’est formé. En cela les acteurs du milieu Metal s’avèrent engagés et solidaires, attributs qu’ils expriment au travers de leur distinction sociale-visuelles ou autres-, au travers de leur connaissance partagée du genre et qui circule par une médiation passionnelle, mais surtout par une forme de rebellion qui consiste à aller contre le courant principal (en anglais: le mainstream), contre le socialement ou le politiquement correct, ou d’une manière générale à se tourner vers ce qui leur semble le plus proche de l’authenticité » (Le Metal: étude d’un genre ambigu, extrême, protéiforme, mémoire de DEA par David Moussion, sous la direction de Jean-Paul Olive, PU à l’Université Paris VIII, p. 47).

Le métal est né de la confrontation à la censure, et en chercher les failles est l’une des raisons d’être de ses variantes les plus extrêmes, comme le grindcore, le death ou le BM. Comment croire que ce qui a suscité initialement ces provocations va parvenir à les museler sur le long terme? Le blogueur hostile au Hellfest Les Yeux Ouverts s’est plaint récemment du communautarisme des métalleux (dans une interview accordée au site Liberté Politique) , mais il ne semble pas se rendre compte que celui-ci est né historiquement d’une réaction contre la censure mainte fois exercée et dès l’origine du genre sur certains groupes de métal, et qu’en appelant lui-même à la censure du festival, il ne fait que l’alimenter et confirmer la raison d’être de groupes tels Belphégor ou Mayhem. C’est en montrant que nous sommes capable de dialoguer et de nous remettre en cause que nous infirmerons l’idéologie de ces groupes, et non en répétant à l’infini les maladresses qui les ont fait naître et leur ont donné leur popularité.

« La non promotion sous quelque forme que ce soit à l’intérieur de l’enceinte du festival : de la violence y compris à caractère sexuel ; des transgressions contre nature ( nécrophagie, profanation…) ; des comportements dommageables pour l’intégrité physique des personnes ( mutilation, suicide, appel au meurtre…) ; du satanisme. « 

L’ajout du satanisme à cette liste est révélatrice de la confusion d’esprit des auteurs de cette pétition, qui mêlent en une même approche apologétique et argumentation juridique. Si le satanisme est bien évidemment condamnable dans une perspective chrétienne, et doit être combattu sur le terrain des idées, comment justifier son interdiction sur le plan du droit positif au nom d’une démarche qui entend combattre « la haine contre quelque communauté que ce soit »:

N’importe quelle personne hostile à l’Eglise et sachant additionner « 2+2 » aura tôt fait de retourner l’argument contre les auteurs de cette pétition, et de les accuser de tentative de discrimination contre les minorités religieuses qu’ils désapprouvent. C’est ce qui arrive quand on tente de retourner soit-même le discours victimaire des minorités hostiles au christianisme: on finit par s’enfermer dans des contradictions logiques.

En effet, il est possible: soit de mener le combat sur la terrain juridique, donc dans une perspective éventuellement contraignante,  et de défendre le respect de toutes religions, sans préjudice de leur enseignement, soit de le faire sur le terrain doctrinal, et donc de se donner les moyens de critiquer ce contenu, mais dans une démarche qui est une démarche de dialogue et non de contrainte politique et juridique, soit d’essayer éventuellement de tenir ces démarches de manière parallèle. Mais les confondre au sein d’une même demande, une même phrase a fortiori,  est très maladroit, et donne une impression de sectarisme et de logique partisane.

3)L’esprit de la pétition:

Le collectif auteur de cette pétition entend marquer la fin du dialogue:

« Le dialogue instauré depuis des années avec les organisateurs et qui s’est traduit l’année dernière par une table ronde n’a pas porté les fruits escomptés puisque les organisateurs et les pouvoirs publics n’ont tenu aucun compte des alertes et des appels à la responsabilité.

Avec les programmations d’une quinzaine de groupes de la même veine, voire pire que l’édition 2010, la fête de l’Enfer continue les provocations et la promotion du satanisme.
Le temps du dialogue est donc arrivé à son terme.
C’est pourquoi le collectif de lutte contre toutes les provocations violentes et haineuses« Provocshellfestcasuffit » a été constitué.
 A-confessionnel au sens de son autonomie par rapport aux instances religieuses et a-politique au sens de son indépendance par rapport aux partis politiques, le collectif a pour objectifs :
Continuer d’alerter
Faire pression afin que les provocations évoquées plus haut cessent
Son action n’est donc en aucun cas dirigée contre les métalleux en tant que personne, tout en soulignant tout de même leur propre responsabilité.
Le collectif « Provocshellfestcasuffit » est par conséquent ouvert à toute personne, physique et/ou morale, qui souhaiterait apporter sa pierre à cette démarche qui s’inscrit dans le temps » (« Qui sommes nous?« ).
On peut se demander si le dialogue a effectivement commencé, tant les échanges sur certains sites sont parfois violents et péremptoires des deux côtés. On peut également s’interroger sur l’étrange conception du dialogue qu’a ce collectif, qui semble placer la remise en question d’un seul côté, et ne juger les fruits du dialogue qu’en fonction des concessions obtenues sur le court terme (alors que le collectif inscrit sa propre démarche « dans le temps ».
Je m’interroge pour ma part sur les fruits qu’espèrent obtenir à long terme les auteurs de cette pétition: on ne change pas les mentalités par la contrainte, l’Histoire l’a assez prouvé. Et quel sens donnent-ils à leur engagement de chrétien dans la cité?
Etre chrétien, ce n’est pas la même chose qu’être homosexuel, femme, membre d’une minorité ethnique, etc. Il ne s’agit pas simplement de revendiquer d’être ce que l’on est sans être embêté par personne, ce n’est pas juste une question d’identité à affirmer et à défendre. Le sens de notre baptême, c’est certes de refuser le mal, mais plus profondément encore  de répandre le bien, d’annoncer une Bonne Nouvelle, d’évangéliser, de convertir les coeurs des païens, de les disposer  à entendre  l’Evangile… C’est non seulement l’une des significations primordiales de notre engagement de baptisés, mais également une revendication très actuelle de notre communauté. J’assistais hier soir à la messe chrismale de mon diocèse. Lors de l’homélie, l’évèque fit le bilan des remontées des différentes équipes paroissiales qui ont participé au synode lancé en septembre dernier (je suis paroissien du diocèse de Versailles). L’une d’elles était la suivante: que la nouvelle évangélisation soit moins dans les paroles et davantage dans les actes.
Quel est l’apport de cette pétition à cet impératif de l’évangélisation? Il est à mon avis égal à zéro. Comment disposer en effet à l’écoute et à la conversion des gens à qui on commence par dire « le temps du dialogue est révolu », qu’on tente de faire céder sous la pression du nombre et des menaces de procès? Le Hellfest attend en moyenne chaque année autour de 70 000 festivaliers: et bien cela fait 70 000 personnes que cette pétition risque de dégoûter durablement du christianisme. Bravo pour l’effort d’évangélisation: c’est bien la peine qu’on se casse le c… dans nos paroisses, avec notre famille, nos amis ou au travail pour essayer de faire évoluer la vision de l’Eglise, si c’est pour se faire pointer que les catholiques sont les premiers à proclamer la fin du dialogue dès que le cours de celui-ci n’évolue pas comme ils l’auraient souhaité!
Je ne résiste pas à ce sujet à la tentation de faire le parallèle avec cette polémique autour de l’exposition à Avignon d’une oeuvre intitulée Piss Christ, qui représente un crucifix plongé dans de l’urine, et qui a suscité la vindicte de diverses organisations catholiques.
Les similitudes avec la polémique autour du Hellfest sont nombreuses: une manifestation artistique semble verser dans le blasphème: en réponse, une association catho, Civitas, au demeurant très liée à Catholiques en campagne qui était l’auteur de la pétition anti-Hellfest de l’an dernier, lance une pétition demandant aux pouvoirs publics d’interdire cette oeuvre, avec des arguments très proches de ceux habituellement invoqués contre le Hellfest. Les résultats à ce jour sont édifiants: une oeuvre relativement confidentielle acquit une notoriété extraordinaire, quelques jeunes crurent bons de la détruire, pour rien puisqu’elle est à nouveau exposée, si ce n’est qu’ils ont faipasser par leur acte les catholiques du statut de victimes à celui d’agresseurs, et les responsables de l’exposition de celui d’agresseurs à celui de victimes.
Ce fait divers déplorable me parait lourd d’enseignement pour la polémique autour du Hellfest. En effet:
-On parle beaucoup de la responsabilité des groupes et des organisateurs du Hellfest, et de leur influence éventuelle sur les jeunes les moins aptes à discerner. Cette interrogation me parait pouvoir s’appliquer également aux collectifs anti-Hellfest: à force de présenter l’Eglise comme une citadelle assiégée, victime des pires discriminations et exactions, il parait peu étonnant que des jeunes soient poussés à des actes de révoltes, voire à des délits, et (pourquoi pas un jour prochain?), à des crimes, en croyant protéger leur foi contre une société corrompue et les maneuvres du démon. La christianophobie croissante de certains milieux, et les outrances de certains sites et associations cathos sont les deux versant d’un même problème, qui est la dissolution du tissu social et le repli derrière les belles idéologies communautaires. Ne nous laissons pas gagner par ce cancer en cherchant à l’opérer chez l’autre.
-Pour éviter d’être des victimes, certains catholiques décident de se faire des agresseurs, par des pétitions, des menaces, des manifs, … et, nous l’avons vu, parfois par la violence. Voilà qui renverse dramatiquement l’enseignement de l’Evangile, qui incite à tendre l’autre joue et à se faire serviteur . Je sais bien que dans certains milieux on aime à parler de la « Sainte Colère » et à citer abondamment l’épisode des marchands du temple. Je suis peu convaincu: cette scène ne décrit pas Jésus appelant ses disciples à la résistance civile, mais un Fils chassant des intrus de la maison de SON Père. Hors de cette maison, point de « Sainte Colère », mais les humiliations et les tortures subies, en restant ferme sur le message, mais dans l’humilité,  de la Passion. Nous ne sommes pas le Christ, et je ne pense pas que nous sommes à même de juger avec la même autorité des pécheurs tels que nous, et de les chasser de semblable façon. Le Christ nous appelle en effet à nous juger nous mêmes avant de juger autrui, et à porter notre propre croix. Il nous appelle à vivre par cette dernière plutôt que par l’épée, et c’est donc à mon avis sur notre imitation de sa Passion que nous serons jugés, de préférence à celle de sa Sainte Colère. Dans le cas du Hellfest, vivons notre Passion en répondant aux outrages de certains groupes par le témoignage de tout ce que notre foi nous a apporté de Bon, de Beau et de Vrai, et ainsi nous changerons les coeurs avec succès, de même que le Christ a préféré la Croix et la promesse du rachat des péchés aux condamnations et aux menaces (même s’il a toujours veillé à rappeler les conséquences d’un refus de la Grâce proposée, mais sans chercher à contraindre quiconque). Même lorsqu’il a envoyé ces disciples annoncer l’Evangile, il ne leur a pas demandé de menacer ceux qui refuseraient de les accueillir, ou de lancer des campagnes contre eux, mais de secouer la poussière de leurs semelles et de s’en aller.
-Certains disent que ces pétitions ont au moins le mérite d' »être là » pour défendre l’Eglise, et que « c’est toujours mieux que de ne rien faire ». Quel a été le résultat de la pétition de Civitas: une oeuvre qui était connue de peu de catholiques (elle date de 1987 et c’est seulement maintenant que la polémique surgit!), et qui donc en choquait peu, est devenue connue de tous, et en a donc choqué un nombre beaucoup plus importants. Et les catholiques, qui étaient les victimes et qui à se titre pouvaient demander la sympathie, sont devenus les  agresseurs et ont suscité l’opprobre. Je vais peut-être passer aux yeux de certains pour un « tiède » (et franchement je m’en moque bien), mais je pense que pour le coup, ne rien faire aurait été beaucoup mieux…
Voilà donc pourquoi je ne signerai pas cette nouvelle pétition contre le Hellfest, et déconseille de le faire, même si je salue un certain effort d’information et de nuance par rapport à celle de Catholiques en Campagne l’an dernier.
Pour conclure et ouvrir le débat, je signale l’information suivante:
« À l’occasion du 40è anniversaire de la dissolution des Beatles, le Vatican a rendu hommage samedi aux quatre garçons dans le vent dans son hebdomadaire l’Osservatore Romano. Dans un article, le Vatican déclare qu’il pardonne aux Beatles pour leurs commentaires « sataniques » et notamment ceux de John Lennon qui déclarait en 1966 que son groupe était plus populaire que Jésus Christ. Le Vatican a également déclaré que les Beatles était « un joyau » de la musique. « Il est vrai que le groupe consommait de la drogue, qu’ils vivaient dans l’excès à cause de leur succès. Ils ont même dit qu’ils étaient plus connus que Jésus Christ et on fait passer d’autres messages mystérieux à connotation satanique. Ils n’ont peut-être pas été le meilleur exemple qui puisse être pour la jeunesse de l’époque, mais ils n’étaient pas les pires. Leurs belles mélodies ont changé le monde de la musique et continue encore aujourd’hui à donner du plaisir », écrit l’Église Catholique.  John Lennon avait également déclaré lors de cette fameuse interview que la chrétienté finirait par disparaître. « Elle va s’éteindre et sombrer. Je n’ai même pas besoin de le prouver…Je ne sais pas qui du rock and roll ou de la chrétienté des disparaîtra le premier » avait-il affirmé, choquant le Vatican. Une page est donc tournée aujourd’hui et l’Eglise Catholique semble définitivement réconciliée avec les Beatles. Interviewé sur la chaîne américaine CNN, l’ancien batteur du groupe, Ringo Starr, qui vient de sortir un nouvel album intitulé « Y Not », a déclaré mardi qu’il se fichait du pardon du Vatican. « Ils ont déclaré à l’époque que nous étions sataniques et ils ont quand même réussi à nous pardonner ? Je pense qu’ils ont mieux à faire que de parler des Beatles », a-t-il expliqué » (Le Parisien).
Si on peut pardonner à certains groupes leurs « messages mystérieux à connotations sataniques » au nom de la musique, pourquoi pas à tous?