A propos de la pétition « Provocs Hellfest, ça suffit » 2/2
Je tiens en premier lieu à présenter à tous mes excuses pour le retard de cette seconde partie de mon billet sur le Hellfest, et plus particulièrement à mon confrère blogueur Les Yeux ouverts, qui attendait la publication de cette suite pour me répondre.
Cela dit:
2) Les demandes de la pétition:
« L’examen approfondi des groupes et des chansons de ceux-ci et à la non programmation de tout groupe et/ou chanson incitant à la haine contre quelque communauté que ce soit »:
OK là dessus, àla réserve près qu’inciter à la haine, ce n’est pas la même chose que critiquer ou qu’exprimer une aversion pour, comme je le montrais dans la première partie de mon billet.
A noter qu’historiquement, l’interdiction pure et simple de groupes de métal a généralement des incidences très faibles sur leur popularité, quand elle n’est pas récupérée purement et simplement à des fins publicitaires par leurs promoteurs:
Dans le cas par exemple du groupe de death metal Cannibal Corpse:
« Cannibal Corpse est considéré comme l’un des groupes phares du brutal death metal, bien que leur renommée vienne plus de leurs ventes, de leurs pochettes ultra-gores et de la polémique qu’il suscite un peu partout. Le groupe est notamment interdit en Corée, en Australie et en Nouvelle-Zélande. En Allemagne les chansons des trois premiers albums du groupe sont interdites de concerts et les compilations contenant ces chansons sont tout simplement supprimées, ainsi que les pochettes de tous leurs albums. Malgré cela, Cannibal Corpse est un des seuls groupes de death metal a être rentré au billboard américain… » (MetalOrgie).
Quels ont été les résultats concrets de leur interdiction dans ces différents pays?
« Stemming from that, what are your views on censorship in general today?
Paul: Well it sucks. Censorship, it’s not good. It shouldn’t be there, it’s just one of those things, if you don’t like it, you don’t have to look at it, you don’t have to buy it. If you’re brought up right it all comes down to the parents. It’s also on the other hand something we know that we can’t let bother us. We know it’s going to be there, and if we sit there and try and fight it, there’s really no point to waste time on it. Worry about what we do is obviously what we’ve been doing. We had those problems in Germany for years. The first three records are banned, we can’t play songs off the first three CDs and everything. That didn’t make us think, hmm we aren’t going to go there then, or what do we do now, we just find a way to work around it. You’re not stopping us, we won’t play songs from the first 3 CDs then, we’re still playing, making CDs, fans are coming. You know, so you just take it in stride and work around it. It’s a lot better now. Last tour we did in Europe we were allowed to play the songs. I don’t know what happened, whether it’s a statute of limitations or they just don’t care anymore or something. But now we’re allowed to go and play the songs. So we just stuck to it. Stuck to what we’ve done, don’t play some songs, and now we’re able to. So yeah, you just can’t let it bother you. It’s unfortunate that it exists. What can you do? I guess, just do your thing and work around it. » (puregrainaudio).
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Non seulement les résultats concrets de la censure sont généralement très discutables (publicité paradoxale, contournement des décisions de justice éventuelles, piratage) mais ils passent complètement à côté du problème très légitime auquel celle-ci vise à répondre. Non seulement en effet la plupart des fans de metal les plus hostiles au christianisme ne se sentent pas particulièrement poussés à se remettre en cause, mais ils se braquent et tirent de ce type d’action la confirmation de leur vision des chrétiens comme bornés et intolérants: ou comment le repli communautaire des deux côtés tue le dialogue et ne fait qu’alimenter la popularité et l’argumentation des groupes les plus hostiles au christianisme.
‘Le refus de mettre en avant et/ou de proposer à la vente tout support de quelque forme que ce soit et incitant à la haine contre quelque communauté que ce soit »
Reprenons l’exemple de Cannibal Corpse:
« As of October 23, 1996, the sale of any Cannibal Corpse audio recording then available was banned in Australia and all copies of such had been removed from music shops. At the time, the Australian Recording Industry Association and the Australian Music Retailers Association were implementing a system for identifying potentially offensive records, known as the « labelling code of practice. »
As a result, until April 1, 2006, only one Cannibal Corpse album, Gallery of Suicide, was listed in even the most explicit class of records allowed to be sold in Australia, and even that one disappeared from all legal classification after 2001. Thus, from at least April 1, 2003 to March 31, 2006, it was illegal for Australian music retailers to sell any audio recording produced by Cannibal Corpse. However, from April 1, 2006 to March 31, 2007, it became legal to sell all ten of the studio albums that the band had recorded by them, as well as the live album Live Cannibalism, the boxed set 15 Year Killing Spree, the EP Worm Infested, and the single « Hammer Smashed Face. » » (Corpseclothing).
La censure, comme souvent (cf. par exemple le destin du Comic Code Authority aux Etats-Unis, ou de la censure cinématographique en France), n’a duré qu’un temps. A-t-elle réduit le succès de Cannibal Corpse? Non. A-t-elle incité le groupe a adoucir les textes de ces morceaux? Non. A-t-elle suscité une prise de conscience dans le milieu du métal sur le contenu des paroles? Non. A-t-elle contribué à l’essort de la christianophobie chez une partie des métalleux? Manifestement oui, si j’en crois les réactions sur les sites de metal à chaque occurrence de ce type de censure.
En effet, la censure n’est pas efficace contre le metal pour la raison suivante: le métal y a été confronté tout au long de son histoire, et la plupart de ses courants les plus extrêmes se sont définis et ont trouvé leur audience en réaction à ses exigences:
« Un autre point, sur lequel nous avons déjà quelque peu discuté précédemment, a également contribué à la solidarité du milieu: nous faisons ici allusion à l’union du milieu Metal contre la censure. Contre le PRMC (cf. supra), contre les opprobres faites u Metal par certaines associations religieuses ou parentales, le Metal s’est retrouvé d’autant plus soudé au sein de la micro-famille qu’il forme. Il est pourtant à noter que ses réponses aux diverses accusations furent souvent de minces stratégies de défense, le Metal ne reniant pas son côté ostentatoire et parfois amoral. A cela notre question précédente refait surface: la liberté de tout dire que nombreux de ses protagonistes s’octroient peut-elle coexister avec le système en vigueur et ses valeurs? Nous ne pouvons donner présentement une réponse claire à cette question. Néanmoins ces deux facteurs-statut de paria, censure- que nous venons d’évoquer permettent de mieux saisir la force unitaire dans laquelle le Metal s’est formé. En cela les acteurs du milieu Metal s’avèrent engagés et solidaires, attributs qu’ils expriment au travers de leur distinction sociale-visuelles ou autres-, au travers de leur connaissance partagée du genre et qui circule par une médiation passionnelle, mais surtout par une forme de rebellion qui consiste à aller contre le courant principal (en anglais: le mainstream), contre le socialement ou le politiquement correct, ou d’une manière générale à se tourner vers ce qui leur semble le plus proche de l’authenticité » (Le Metal: étude d’un genre ambigu, extrême, protéiforme, mémoire de DEA par David Moussion, sous la direction de Jean-Paul Olive, PU à l’Université Paris VIII, p. 47).
Le métal est né de la confrontation à la censure, et en chercher les failles est l’une des raisons d’être de ses variantes les plus extrêmes, comme le grindcore, le death ou le BM. Comment croire que ce qui a suscité initialement ces provocations va parvenir à les museler sur le long terme? Le blogueur hostile au Hellfest Les Yeux Ouverts s’est plaint récemment du communautarisme des métalleux (dans une interview accordée au site Liberté Politique) , mais il ne semble pas se rendre compte que celui-ci est né historiquement d’une réaction contre la censure mainte fois exercée et dès l’origine du genre sur certains groupes de métal, et qu’en appelant lui-même à la censure du festival, il ne fait que l’alimenter et confirmer la raison d’être de groupes tels Belphégor ou Mayhem. C’est en montrant que nous sommes capable de dialoguer et de nous remettre en cause que nous infirmerons l’idéologie de ces groupes, et non en répétant à l’infini les maladresses qui les ont fait naître et leur ont donné leur popularité.
« La non promotion sous quelque forme que ce soit à l’intérieur de l’enceinte du festival : de la violence y compris à caractère sexuel ; des transgressions contre nature ( nécrophagie, profanation…) ; des comportements dommageables pour l’intégrité physique des personnes ( mutilation, suicide, appel au meurtre…) ; du satanisme. «
L’ajout du satanisme à cette liste est révélatrice de la confusion d’esprit des auteurs de cette pétition, qui mêlent en une même approche apologétique et argumentation juridique. Si le satanisme est bien évidemment condamnable dans une perspective chrétienne, et doit être combattu sur le terrain des idées, comment justifier son interdiction sur le plan du droit positif au nom d’une démarche qui entend combattre « la haine contre quelque communauté que ce soit »:
N’importe quelle personne hostile à l’Eglise et sachant additionner « 2+2 » aura tôt fait de retourner l’argument contre les auteurs de cette pétition, et de les accuser de tentative de discrimination contre les minorités religieuses qu’ils désapprouvent. C’est ce qui arrive quand on tente de retourner soit-même le discours victimaire des minorités hostiles au christianisme: on finit par s’enfermer dans des contradictions logiques.
En effet, il est possible: soit de mener le combat sur la terrain juridique, donc dans une perspective éventuellement contraignante, et de défendre le respect de toutes religions, sans préjudice de leur enseignement, soit de le faire sur le terrain doctrinal, et donc de se donner les moyens de critiquer ce contenu, mais dans une démarche qui est une démarche de dialogue et non de contrainte politique et juridique, soit d’essayer éventuellement de tenir ces démarches de manière parallèle. Mais les confondre au sein d’une même demande, une même phrase a fortiori, est très maladroit, et donne une impression de sectarisme et de logique partisane.
3)L’esprit de la pétition:
Le collectif auteur de cette pétition entend marquer la fin du dialogue:
« Le dialogue instauré depuis des années avec les organisateurs et qui s’est traduit l’année dernière par une table ronde n’a pas porté les fruits escomptés puisque les organisateurs et les pouvoirs publics n’ont tenu aucun compte des alertes et des appels à la responsabilité.
Avec les programmations d’une quinzaine de groupes de la même veine, voire pire que l’édition 2010, la fête de l’Enfer continue les provocations et la promotion du satanisme.Le temps du dialogue est donc arrivé à son terme.C’est pourquoi le collectif de lutte contre toutes les provocations violentes et haineuses« Provocshellfestcasuffit » a été constitué.A-confessionnel au sens de son autonomie par rapport aux instances religieuses et a-politique au sens de son indépendance par rapport aux partis politiques, le collectif a pour objectifs :Continuer d’alerterFaire pression afin que les provocations évoquées plus haut cessentSon action n’est donc en aucun cas dirigée contre les métalleux en tant que personne, tout en soulignant tout de même leur propre responsabilité.Le collectif « Provocshellfestcasuffit » est par conséquent ouvert à toute personne, physique et/ou morale, qui souhaiterait apporter sa pierre à cette démarche qui s’inscrit dans le temps » (« Qui sommes nous?« ).
« À l’occasion du 40è anniversaire de la dissolution des Beatles, le Vatican a rendu hommage samedi aux quatre garçons dans le vent dans son hebdomadaire l’Osservatore Romano. Dans un article, le Vatican déclare qu’il pardonne aux Beatles pour leurs commentaires « sataniques » et notamment ceux de John Lennon qui déclarait en 1966 que son groupe était plus populaire que Jésus Christ. Le Vatican a également déclaré que les Beatles était « un joyau » de la musique. « Il est vrai que le groupe consommait de la drogue, qu’ils vivaient dans l’excès à cause de leur succès. Ils ont même dit qu’ils étaient plus connus que Jésus Christ et on fait passer d’autres messages mystérieux à connotation satanique. Ils n’ont peut-être pas été le meilleur exemple qui puisse être pour la jeunesse de l’époque, mais ils n’étaient pas les pires. Leurs belles mélodies ont changé le monde de la musique et continue encore aujourd’hui à donner du plaisir », écrit l’Église Catholique. John Lennon avait également déclaré lors de cette fameuse interview que la chrétienté finirait par disparaître. « Elle va s’éteindre et sombrer. Je n’ai même pas besoin de le prouver…Je ne sais pas qui du rock and roll ou de la chrétienté des disparaîtra le premier » avait-il affirmé, choquant le Vatican. Une page est donc tournée aujourd’hui et l’Eglise Catholique semble définitivement réconciliée avec les Beatles. Interviewé sur la chaîne américaine CNN, l’ancien batteur du groupe, Ringo Starr, qui vient de sortir un nouvel album intitulé « Y Not », a déclaré mardi qu’il se fichait du pardon du Vatican. « Ils ont déclaré à l’époque que nous étions sataniques et ils ont quand même réussi à nous pardonner ? Je pense qu’ils ont mieux à faire que de parler des Beatles », a-t-il expliqué » (Le Parisien).
20 avril 2011 à 13 09 40 04184
Merci, de faire partager votre réflexion, qui est pertinente et objectif, voila un belle exemple de ce que devrait être le christianisme actuellement, qui évolue avec son temps. Cela change du discours radicaliste et haineux de site comme les intransigeant.
bonne continuation
Un metaleux qui écoutent pas mal de groupe anti chrétiens ^^
20 avril 2011 à 13 09 40 04284
Merci! 🙂
20 avril 2011 à 13 09 40 04264
Le recours déposé par une association catholique devant la justice pour un retrait du Piss Christ vient d’être rejeté:
http://www.20minutes.fr/ledirect/710625/culture-la-justice-refuse-retrait-piss-christ-serrano
Voilà qui rend sceptique devant les menaces de procès brandies contre le Hellfest…
21 avril 2011 à 13 05 40 04054
Durant les quelques jours qui viennent, je donne la priorité à la montée vers Pâques. Retour promis semaine prochaîne: j’ai des choses à dire comme tu l’imagines !
A propos du Piss Christ : http://www.libertepolitique.com/
Pax et Bonum
21 avril 2011 à 13 08 40 04294
@Les Yeux Ouverts:
Ca marche! Je te souhaite un triduum pascal plein de fruits spirituels et une très joyeuse fête de Pâques! 🙂
Encore désolé pour le retard de ce billet…
En UDP…
24 avril 2011 à 13 05 40 04054
Excellente analyse!
Merci pour ton réalisme et ta lucidité!
Tu devrais écrire un livre sur ce thème franchement!
26 avril 2011 à 13 10 40 04044
Merci à vous pour l’influence qu’a eu sur moi votre travail dans L’Age du Metal…
27 avril 2011 à 13 04 40 04044
L’idée du livre est à creuser… Songes-y, songes-y…
5 septembre 2011 à 13 02 40 09559
[…] inopportun dans le cas du Hellfest pour les raisons que j’ai exprimées notamment dans mes articles en réponse à la pétition du Collectif ou encore dans Hellfest: respecter autrui dans mon […]
2 décembre 2011 à 13 12 40 125112
Un site qui me réconcilie avec les cathos. Merci et bravo. De plus n’y connaissant rien en foi chrétienne ce discours respectueux me parait beaucoup plus correspondre à la base de votre religion que beaucoup d’horreurs lues un peu partout et relayées sur les sites Metal. Si tout le monde pensait comme vous cette religion aurait beaucoup plus de fidèles, et pas mal de chevelus ! Bonne continuation
2 décembre 2011 à 13 07 40 122912
Larsen, il ne faut pas en effet croire que tous les catholiques sont contre le Metal ou veulent faire censurer le Hellfest… Ceux qui parlent le plus fort et avec le plus de virulence contre des tas de choses (pas que le Hellfest, des pièces de théâtre, des œuvres d’art contemporain etc) ne représentent pas l’ensemble des catholiques loin de là… Je suis un prêtre qui apprécie la musique Metal et qui fréquente beaucoup de métalleux et entretient avec certains d’entre eux des discussions passionnantes et souvent très profondes sur la religion et des tas d’autres thèmes. Je connais au moins 3 autres prêtres en France qui apprécient eux-aussi la culture Metal et la défendent quand elle est injustement attaquée. Je te recommande pour connaître ma position la lecture de mon livre L’âge du Metal aux éditions Camion Blanc (Robert Culat). Un livre sur Opeth sortira l’année prochaine écrit avec Nicolas Bénard. Tu peux aussi lire l’ITW que j’ai donnée au webzine U-Zine:
http://www.u-zine.org/interview.php?id=183
15 février 2012 à 13 04 40 02392
[…] ou en Nouvelle Zélande comme un argument contre l’efficacité supposée de cette dernière dans une réponse à l’argumentaire déployé par le Collectif l’an dernier. Dans un billet récent, le Collectif cite cette censure dont a été victime Cannibal Corpse, sans […]