Fire de Elgibbor: du satanisme au black metal chrétien

 

Groupe sympathique sans être totalement incontournable au sein du BM chrétien, Elgibbor a deux particularités: c’est un one man band à la manière de Burzum, et c’est le projet d’un ancien sataniste, converti au christianisme, qui utilise sa musique pour diffuser le message qui a transformé sa vie.

« Fire » (alias Jarek…) également membre de Fire Throne, explique dans une interview comment sa conversion a transformé sa vie pour le meilleur:

« – You were known to be a Satanist in the past, but you have converted to Christianity. That’s quite a different take on life, any particular event that caused this change? Was it a sudden change, or a slow transition? How is it to be a Christian and live with a satanic past?

My life was on a downward spiral. I was pretty deep in to drugs and alcohol and had lost all sense and reason in life. A lot of my friends had committed suicide and I knew I was on the same road. The day came when I did try to commit suicide and a friend of mine found me and told me that God had changed his life and that there really was hope and sense in this life. I had hit rock bottom and had nowhere else to turn… so I listened to him and made the decision to give my life to Christ. I realized that God could rebuild everything that I had torn down in my life. I gave up the drugs and alcohol immediately. I finally saw past the “religion” and saw God as someone I could have a true friendship with » (Interview sur le site Metal Storm).

Il précise les circonstances de celle-ci dans une interview accordée au site Christian Metal Fellowship:

« I asked the Lord to be my Savior around 12 years ago. A drummer and great friend in my band got saved and he witnessed to me over and over again. He never gave up on me and still cared for me like a brother even when I didn’t see things his way. He invited me to a Christian conference and I decided to go because I didn’t have anything better to do. God met me there in a mighty way and I ran forward during the altar call and threw up my hands and surrendered my life to Him. The next night He delivered me from drugs, alcohol, cigarettes and black magic! We serve an awesome God ».

Nous avons là le portrait type du black metalleux pris dans une spirale de désespoir et d’autodestruction,tellement stéréotypé qu’il est en fait plutôt rare dans ce milieu, qui rencontre un jour Dieu et abandonne tout ce qui était source de perdition dans sa vie. A ce titre, son parcours rappelle beaucoup quelques témoignages allègrement diffusés sur certains sites catholiques (celui-ci par exemple), qui sont présentés comme des mises en garde contre les dangers supposés du métal extrême.

Jarek se distingue cependant de ces derniers sur un point important: s’il abandonne immédiatement et de manière spectaculaire tous les comportements mortifères qu’il associait jusqu’ici à son écoute et à sa pratique du black metal, il ne va pas se détourner de ce dernier, et va même jusqu’à créer son propre groupe, avec pour objectif d’évangéliser son ancien milieu:

« Alex:
What is Elgibbors goal as a band?
Jarek:
To let people in the « metal world » know that God loves them right where they are no matter what they look like or how they feel. And to infiltrate the « enemy’s territory » with the Light, Love, Grace, Mercy and Forgiveness that only comes with a saving knowledge of Christ!!! » (Christian Metal Fellowship).

La formulation du projet peut paraitre un peu naïve, mais celui-ci me fascine par deux aspects:

1) Le black metal, avec l’alcool, la drogue, la magie noire, etc. était l’un des éléments centraux de l’ancienne vie de Jarek. Après sa conversion, non seulement il retire de cette musique une satisfaction qui parait tout aussi grande (tout au plus il privilégie désormais l’écoute de groupes de black metal avec des paroles chrétiennes, et n’écoute plus les « autres » groupes que dans des festivals comme Wacken) , mais il y voit le terrain et l’instrument privilégiés de sa nouvelle mission de baptisé.

« Alex:
What are some of your favorite bands? Christian then secular
Jarek:
DC Talk, Toby Mac, Newsboys, Amy Grant…haha….just kidding! (Those are great bands, just not my style!) I like Narnia, Arvinger, Slechtvalk, Antestor, Horde etc. Too many to list! The only secular music I listen to is Vivaldi! Other than that, I only listen to music that exalts the Lord » (Christian Metal Fellowship).

« The notorious vocalist of Gorgoroth, Ghaal, once said in a video: « Black metal is a message ». Does your music contain a message too, and if so, what is your message?
Yes my music always contains a very strong message. The main messages in my music are about the spiritual battles that we all go through and the relationship between humankind and their Creator » (Metal Storm).

2) Jarek ne perçoit pas son background de black metalleux anciennement sataniste comme un simple égarement de jeunesse heureusement rectifié, mais comme une opportunité:

« I think that coming from a satanic background makes me even stronger. I saw the side of life that was filled with hopelessness and despair and stepped in to a life full of hope and grace. I also think God allowed me to go through what I went through so that I could have a better understanding of where people are coming from when they too get to a point where life doesn’t make sense anymore. No matter how hard you try to understand someone, you can never fully understand what they’re going through unless you’ve been there yourself and I’ve been there too… I can totally relate and understand what it’s like to live without hope… something that not many Christians can truly do » (Metal Storm).

La communauté constituée par les black metalleux n’est pas la source du mal, mais ce qui doit être sauvé de celui-ci. Fire s’est converti, a abandonné miraculeusement toutes ses addictions, et pourtant sa passion pour le black metal n’a pas faibli. Non seulement elle est devenue à son tour un germe d’espérance, à travers son projet musical: Elgibbor, mais la fréquentation de ce style musical préserve sa sensibilité à une forme de souffrance qui passe souvent inaperçue, et qu’il a expérimentée intimement lorsqu’il était sataniste. Le black metal lui permet de ne pas oublier cette absence apparente de Dieu qui, sans qu’il le sache, était la cause de ses souffrances et de son désespoir, de témoigner pour toutes ces personnes qui au travers de leur engagement dans le milieu du BM expriment la frustration de leur désir d’absolu, par le cynisme, la provocation, le blasphème, pour qui la formulation usuelle de l’espérance chrétienne ne fonctionne pas  …

A travers sa musique, il dénonce bien sûr l’idéologie du satanisme, mais souligne aussi certaines insuffisances du discours que nous chrétiens, tenons aujourd’hui sur notre foi, qui non seulement échoue à toucher certains, mais passe parfois tellement à coté de leurs souffrances et de ce qui leur tient à coeur qu’elle les insupporte et suscite leur révolte et leur colère. Faire le choix de ne pas les condamner d’emblée, mais de comprendre leur logique et leur démarche intérieure permet de discerner ce qui a pu décevoir leurs attentes dans l’annonce de l’Evangile et de reformuler celle-ci d’une manière qui correspond à leur histoire personnelle et leur vie intérieure. Jarek, en ce sens, est la preuve vivante que non seulement le black metal n’est pas opposé par essence au christianisme, mais qu’il a quelque chose à lui apporter.

Le black metal n’est donc ni tout à fait indissociable de l’idéologie mortifère qui lui est généralement associée, ni tout à fait distinct de celle-ci, mais constitue un point de passage entre désespoir et espérance, entre blasphème et conversion, révolte et adhésion… Pour le désespéré et le cynique, il est, en tant que musique, création artistique, une ouverture vers l’éternité et la transcendance. Et au chrétien, à l’homme qui essaie de faire grandir en lui la foi, l’espérance et la charité, il est un rappel de la douleur que l’on éprouve lorsqu’on manque de tout cela, une mémoire de la souffrance et du péché qui permet de prendre davantage conscience encore de la vie nouvelle apportée par le souffle de l’Esprit,  tout en conservant de la sympathie et une forme de proximité envers ceux qui errent encore

Dans les interviews précédemment citées, Fire témoigne des réticences de beaucoup de chrétiens et de métalleux devant ce message, et j’y retrouve la souffrance que je ressens quand je vois mes deux communautés d’appartenance s’entre-déchirer et se déclarer mutuellement l’ultime ennemi de tout ce qui est bon, beau et vrai, ce qui motive d’ailleurs l’existence du présent blog.  Et s’il m’arrive de trouver que  son discours sur le christianisme manque parfois de nuances et de subtilités théologiques, pour le peu que j’en connais, je trouve que les paroles qui suivent traduisent bien la profondeur et la sincérité de la vie spirituelle et de la démarche de Fire:

« Heaven or Hell

I was the one who condemned him to die,
I was one of them who blasphemed his name,
I was the one who laughed when I saw evil on the Earth,
I thought I was strong and that others didn’t matter.
When I saw the place I was blindly headed, Fear gripped my soul.
I saw that hell existed! But when I hear your name, a door opened to heaven.
I saw that heaven existed! I want to live there forever.
With your life is easier. I know you are always close when I need you.
You are mightier than Lucifer the liar. Many souls are still in prison,
Only you give true freedom » (« Heaven or Hell », Repent or Perish, paroles sur Encyclopaedia Metallum).

2 Réponses to “Fire de Elgibbor: du satanisme au black metal chrétien”

  1. […] toutes sensibilités, sont touchés par le black metal. Ainsi le membre unique du groupe Elgibbor, à sa conversion, a renoncé à son satanisme passé, mais également à toutes ses addictions, mais a persévéré […]

  2. Comme quoi la religion ça peut être bon parfois, tout le monde dit que c’est de la merde, ben non, dans tout il y a du bon

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