Ce « billet » n’en est pas vraiment un, mais est un copier-coller d’un commentaire que j’ai posté sous le précédent, en réponse à certaines objections qui m’étaient faites sur la question de la légitimité ou non d’un black metal chrétien. En attendant un second billet plus approfondi sur cette question, à paraitre d’ici la mi-novembre, il a pour raison d’être, d’une part, d’éviter de trop « flooder » un article davantage axé sur les relations entre black metal, christianisme et art contemporain, d’autre part de rendre plus visible cette discussion intéressante qui est menée depuis plusieurs jours sur « l’unblack metal »:
Je pense qu’il y a un petit malentendu sur ce que j’entends par « black metal chrétien ». J’y consacrerai prochainement un billet à part entière, probablement d’ici la mi-novembre, mais je vais donner dès maintenant quelques éclaircissements très rapides.
En premier lieu, quand je parle de black metal « chrétien », je ne l’entends pas au sens où l’on peut dire que Glorious est de la pop chrétienne, ou même que HB, Stryper ou Theocracy sont du metal chrétien. Le black metal, en tant que support musical, ne permet pas de manifester toute la Gloire de la Résurrection dans toute sa plénitude et son achèvement. C’est en ce sens que j’écris plus haut qu’on ne peut pas faire d’alleluia black metal. Le black metal, précisément en ce sens que sa quête de la violence et du désespoir à l’état pur est aporétique, qu’elle ne débouche certes pas sur la révélation pleine et entière d’une transcendance, mais qu’il échoue également à concrétiser cette négation absolue de Dieu cherchée par ses géniteurs, pose une question, celle de la possibilité de la conversion (et inversement celle de la possibilité de l’apostasie). Il n’y répond pas, il la pose juste. Et en ce sens, d’un point de vue chrétien, il est intrinsèquement limité et effectivement « impuissant ». C’est pourquoi personnellement je n’écoute pas que du black metal, mais j’alterne avec des épisodes découte de heavy metal, de power metal, de metal symphonique, de msuique proprement religieuse même, toutes beaucoup plus à même d’exprimer la joie pascale. C’est pourquoi également je concluais un précédent billet, qui m’avait servi de méditation l’an dernier lors du samedi saint, par la phrase suivante:
« Et comme l’attente dans les ténèbres finit par céder place à la lumière, je vous laisse et vous souhaite une joyeuse Fête de Pâques! »
Pourtant, je défends cette quête d’un black metal chrétien pour les raisons suivantes:
– D’une part parce que cette question est un fait historique, et est posée par de nombreuses personnes dans de nombreux pays, et quasiment depuis l’apparition du black metal en tant que telle. Des personnes aiment profondément cette musique, sont chrétiennes, luttent pour trouver une cohérence entre ces deux aspects de leur vie, et je pense que la moindre des choses vis à vis de ces témoignages est de poser cette question à fond.
– D’autre part, du point de vue de mon expérience personnelle:j’ai commencé à écouter du black metal à l’âge de 18 ans (j’en ai 35 aujourd’hui) dans une période de révolte contre l’Eglise et le christianisme. A l’époque, j’étais profondément attiré par l’angle sataniste, au fond plus encore que par la musique elle-même. En fait, je voulais moi-même devenir sataniste, même si concrètement ça ne s’est jamaisfait. Je suis revenu définitivement dans l’Eglise, après un long et douloureux cheminement personnel, à 28 ans. A cette époque, je n’écoutais plus de msuique, mais vraiment plus du tout. Vers 31 ans, j’en ai conçu du regret, et ai recommencé à écouter du metal, en privilégiant son expression chrétienne. Ce que j’ai remarqué, c’est que bien que j’ai définitivement tourné la page de la révolte, et que l’aspect anti chrétien du black metal me parait aberrant, j’apprécie toujours la musique, et en fait davantage qu’avant, même si c’est par période alternée avec des périodes où j’écoute d’autres styles.Ma question est « pourquoi? ». Je ne dis pas que j’y ai pleinement répondu, mais c’est l’un des objectifs de ce blog d’y arriver.
S’il est certain que je n’imagine pas que l’on passe du black metal même chrétien dans des rassemblements type JMJ ou FRAT comme on y passe du Glorious ou du Agapè, il m’a semblé cepndant distinguer trois compréhensions de ce terme « black metal chrétien », qui me paraissent légitime.
1) D’un point de vue interne au black metal: le black metal ne peut exprimer la conversion en tant que telle, mais il en suggère la possibilité. Le fait qu’il y ait du black metal chrétien peut se concevoir comme un phare dans la nuit du black metal (d’où le titre de mon blog, même si c’est aussi une chanson des Beatles).Ce que les groupes de black metal chrétien rappellent, qu’on soit convaincu ou pas par l’adaptation du black metal à leur foi (en fait très diverse, comme je le montrerai dans mon billet) qu’ils proposent, c’est que même au plus profonde de la nuit, au plus profond de la révolte, la possibilité d’être touché par Dieu, la proposition de sa Grâce, demeure. Ce qui me parait exprimé de façon tout à fait géniale par l’intro de l’abum Hellig Usvart, de Horde: « A Church Bell Tolls Amidst the Frozen Nordic Winds ». Commel’indique ce titre, on entend les murmures d’un vent qu’on imagine souffler puissament sur les étendues désertiques de la Norvège, tant célébrées par certains groupes de black metal, et au loin, la cloche d’une église. D’une manière différente, l’unique membre du groupe Elgibbor, qui était sataniste, drogué, alcoolique, s’est converti et abandonné quasi instantanément, et à vrai dire miraculeusement toutes ses addictions (et pour connaitre des personnes en proie à certaines, je sais que c’est loin d’être évident). Il ne faisait plus siennes cette souffrance et cette impuissance présentes dans le black metal. Pourtant il a éprouvé le besoin de rester dans le milieu du black metal, et de monter son groupe, non pas pour exprimer sa propre impuissance, son propre désespoir, sa propre souffrance, mais comme un témoignage qu’il a connu les sentiments exprimés par le black metal, et que pourtant il a trouvé une issue dans sa foi (en gardant à l’esprit qu’il est préférable de ne pas inscrire cette démarche dans une perspective de prosélytisme ou d’entrisme, que beaucoup de black metalleux craignent et dénoncent à juste titre, mais comme un simple témoignage, qui renvoie chaun à son jugement propre et à son parcours: la conversion ne s’impose pas: elle inspire (ou non) les coeurs).
2) D’un point de vue interne au christianisme, sans doute plus intellectuel que spirituel: le black metal, comme je l’ai souvent écrit, exprime le point de passage limite entre la négation la plus absolue de Dieu et la conversion, précisément parce qu’il est si limité et ontradictoire, que vouloir vivre pleinement la « philosophie black metal » mène soit à l’enfermement et à la folie, soit à essayer de briser ce cercle vicieux, en posant des limites ou en changeant son point de vue, entre autre, et de façon extrême, par la conversion. Et c’est intéressant d’un point de vue chrétien, et il ne me parait guère surprenant que certains groupes d’unblack, ainsi Antestor, par exemple avec son morceau Betrayed qui porte sur le suicide, se soient attachés à cette thématique. Il est certes évident que se focaliser sur cet aspects de la vie de foi, qui peut être aussi bien l’instant précédent la conversion, que celui où on endure l’attente de Dieu au plus profond des ténèbres d’une épreuve, peut mener à l’enfermement aussi sûrement que le « true black metal », si on oublie qu’il doit nécessairement s’effacer pour laisser place à la conversion, mieux exprimée sans doute par d’autres genres musicaux. Il est évident aussi que la « violence » de l’art chrétien est très différente de la violence du black metal, précisément parce qu’elle est moins complaisante, qu’elle est orientée vers un sens, mais c’est justement le choc de cette différence qui rend cette confrontation intéressante à mes yeux.
3) Toujours d’un point de vue interne au christianisme, mais probablement plus spirituel, quoique plus diffus, parfois, la musique proprement chrétienne, orientée vers la joie, l’espérance et tout, peut enfermer et couper de la vie de foi elle-même. Parfois, dans certains rassemblements, dans certaines célébrations, l’accent mis sur cette joie peut paraitre un peu artificiel, détacher un peu du souvenir de toutes ces souffrances bien réelles, qui peuvent briser nette notre foi si celle-ci est trop naïve et idéalisée. Parfois, après un « temps fort » chrétien, je ressens vraiment le besoin d’écouter du black metal, à la manière dont on tend en sens inverse un ressort pour le redresser.
Enfin, il existe de nombreux (quoique pas très très très nombreux ) black metalleux chrétiens, qui chacun à leur manière, tentent de répondre à cette question que je me pose avec eux. Et même si il y a des exemples de ratages criants, ainsi certains groupes dont le discours me ferait presque regretter celui des black metalleux plus traditionnels ou ce cas récent d’un groupe d’unblack qui a brutalement retourné sa veste pour faire du black violemment anti chrétien (Ancient Plague, désormais renommé Litany of Scars), ce qui nous rappelle que ce point de passage exprimé par le black metal est dans les deux sens, vers la conversion, mais aussi vers l’apostasie, je choisis de faire confiance à la majorité d’entre eux pour me surprendre et apporter des réponses auxquelles je n’aurais pas pensé (ainsi l’un des morceaux les plus convaincants de Crimson Moonlight, tant musicalement qu’au niveau du texte, Thy Wilderness, réinterprète dans une perspective chrétienne, de manière très intéressante, l’exaltation de la nature et des paysages scandinaves présente chez de nombreux groupes de black).
Je comprends que cette approche du black puisse paraitre « ennuyeuse » pour des personnes qui ne sont pas habitées par de telles questions. Mais force est de reconnaitre qu’elle ne l’est pas pour tous (et de même, il y a aussi des personnes, même bien disposées, que le black metal en général ennuie profondément)…