Archive pour décembre, 2010

La « haine » dans le black metal

Posted in La "philosophie" du black metal with tags , , , , on 17 décembre 2010 by Darth Manu

A force de lire des interviews et des articles de black métalleux, ceux du moins qui se revendiquent d’une « philosophie du black metal », je suis très frappé par l’usage qu’ils font du vocabulaire lié aux notions morales, souvent utilisé dans un sens symbolique plutôt que littéral.

Ils s’accordent généralement sur l’énoncé suivant:

« Il y a une pensée claire qui résume l’essence du black metal: la haine » (blog de Ameduscias).

Mais quand le moment vient de définir cette « pensée claire« , le lecteur reste toujours un peu sur sa fin.

Par exemple, l’auteur du blog cité ci-dessus, une fois passés sa lecture ras des paquerettes de Niezsche et son usage surréaliste du mot « naturisme » pour désigner la philosophie du BM (certes cohérent avec son appel quelques lignes plus haut à la destruction des modes vestimentaires mais j’imagine qu’il ne pensait pas aller si loin) caractérise ce sentiment par le refus du progrès, l’antihumanisme et la conviction que « la notion de mort, et la négativité en général sont en fait des aspects essentiels de la vie, qui lui donnent une direction et un sens« . Puis il consacre les lignes suivantes à préciser que si le patriotisme est important pour les musiciens de black metal, ce n’est en aucune manière dans une perspective raciste ou xénophobe: « [les black métalleux] ne renient pas le droit des peuples d’autres nations d’être fiers de leur nation« . Enfin il explique que l’usage du mot « Hail » dans certaines chansons ne reflète pas nécessairement une sympathie quelconque pour l’idéologie nazie.

Je trouve tout à fait fascinant qu’après avoir présenté la haine comme le moteur essentiel de sa musique et sa pensée, l’auteur s’efforce d’absoudre le black metal de toute manifestation concrète de cette « haine ».

Autre exemple assez frappant, dans un forum de métal, un membre consacre un sujet à « l’idéologie du black metal ». On y trouve l’affirmation suivante:

« La mentalité black est complexe, très complexe, c’est une forme de voyage spirituel sur les émotions humaines engendrées par les humains et l’histoire du monde. Je ne vous apprends rien si je vous dis que les sentiments véhiculés par cette musique sont la haine, la souffrance, la misanthropie et bien sûr l’anti-christianisme. Mais la haine envers qui? Souffrir de quoi? je développe…

On fait du black-metal quand la haine à une certaine sincérité, si c’est encore une fois juste pour jouer les gros méchants passez votre chemin, le black-metal refuse dans un sens l’évolution du monde. Une conservation très forte s’est installée autour de cette musique et des ces thèmes, d’un autre coté il n’est pas obligé de réunir ces différents sentiments pour faire du black-metal. Il suffit simplement de savoir rester soi même dans n’importe quelle situation ».

Donc la haine est un élément essentiel de la vision du monde proposée par le black metal, mais haïr, ce n’est ni être méchant avec les gens, ni être raciste, etc. C’est « simplement de savoir rester soi même dans n’importe quelle situation ». La haine, ce serait tout simplement l’authenticité.

A cet égard, il me parait révélateur que le blogueur cité plus haut définisse la haine comme une « pensée très claire » et non comme un sentiment. La « haine » n’est pas l’expression d’une hostilité dirigée contre telle ou telle catégorie de population, comme l’est celle présente chez les mouvements racistes, religieux extrémistes, etc. mais une revendication assez abstraite de l’individualisme et d’un point de vue pessimiste sur la nature humaine et la vie en société. Ce n’est donc pas la haine qui caractérise le black metal en tant qu’idéologie, mais bien plutôt le désenchantement et le cynisme.

Autre caractéristique de l’usage du mot « haine » et de son champ sémantique dans le black metal, son utilisation , tout à fait étrangère au registre moral auquel il est normalement rattaché, pour juger de la qualité musicale de tel ou tel morceau ou de tel ou tel album. C’est très présent dans les chroniques musicales de sites ou de magazines de métal extrême.

Par exemple:

« En effet dès ce premier album Shining offre à ses auditeurs terrifiés un black metal cruellement froid, malsain et dépressif. L’esprit écoeurant qui s’échappe de cet album frappe dès les premières notes pour ne faire que s’amplifier au fil des écoutes répétées. Kvarforth, puisqu’il est le seul compositeur, possède une vision de la musique viscéralement repoussante » (Site Les Eternels, chronique de Within Dark Chambers de Shining).

Et un peu plus loin dans la même chronique:

« En plus, il faut saluer Kvarforth qui trouve toujours les riffs glaciaux et haineux justes » .

En effet, la « haine », en plus de signifier un état d’esprit individualiste et cynique, désigne la recherche d’une certaine ambiance musicale opressive, malsaine. Les musiciens de black metal, dans leurs compositions, mettent en scène l’expression la plus pure possible du mal-être et de la souffrance. Ce sentiment qu’ils appellent la haine est finalement un cri d’abandon et de solitude.

Et pourtant, comme mon précédent billet visait à le montrer, il y a également un désir d’éternité et de permanence dans cette musique. En construisant une « idéologie » du black metal, en définissant leur intériorité comme sous l’emprise d’un sentiment absolu (la haine, tout autant universelle dans son aspiration que l’amour), en affirmant éventuellement leur rattachement à des religions recomposées (néopaganisme, satanisme…) ou à des doctrines philosophiques ou ésotériques (nietzschéisme, matérialisme, néodarwinisme, traditionnisme, etc.), ils cherchent à appartenir à quelque chose de plus grand qu’eux, à faire corps, à communier dirais-je si je faisais du mauvais esprit…

En ce sens, si beaucoup de black métalleux aiment illustrer leur antichristianisme par l’expression de sentiments effectivement malsains et dont la spiritualité chrétienne appelle à se détacher, ainsi la haine, le désespoir, la mélancolie…, ceux-ci sont finalement les symboles d’une signification bien plus profonde et humaine de la recherche musicale propre au black metal: l’expression de la souffrance et d’une certaine forme d’attente qui perce à travers elle. Ce qui explique que par delà ceux des black métalleux qui sont effectivement fous, satanistes, criminels ou néo-nazis, et qui ne sont finalement qu’une minorité au sein de ce courant musical, beaucoup de personnes tout à fait ordinaires et équilibrées (autant que n’importe qui puisse l’être du moins) trouvent cette musique belle et évocatrice, et sentent qu’elle élève quelque chose dans leur âme.

Et c’est cette élevation que le black metal a à mon avis tout intérêt à approfondir, au delà de la question de ses rapprts avec le christianisme et le unblack metal, car c’est là qu’il redécouvrira ce qui fait sa richesse et qu’il accomplira tout son potentiel musical.

Le désir d’éternité dans le black metal

Posted in La "philosophie" du black metal with tags , , on 15 décembre 2010 by Darth Manu

Ce qui me frappe quand je lis des textes de morceaux de BM ou des interviews de groupes, et sans être un spécialiste, est la place accordée par l’imaginaire du black metal à la « nature humaine », et son lien avec la nature en général.

On sait que beaucoup de groupes de BM axent leur philosophie sur l’aversion de l’âme humaine, l’exaltation de la Nature avec un grand N, le pessimisme et l’individualisme. Ces intuitions sont souvent maladroitement défendues par des références erronées à la philosophie de Nietsche, une critique primaire du christianisme, l’exaltation sans nuances des racines païennes de l’Europe ou encore le renvoi à différents courants de l’occultisme ou de l’ésotérisme…

Et il est donc de bon ton de s’en moquer. Les chrétiens un peu susceptibles deviennent hystériques lorsqu’ils sont confrontés à ces idées, les métalleux « sérieux » haussent les épaules et expliquent de manière ironique et même un peu condescendante que les paroles ne sont que du folklore d’adolescents qui se prennent un peu trop au sérieux, et que l’important c’est la musique, et la plupart des gens se contentent de rire d’une façon un peu méprisante des black métalleux si détachés de la réalité.

Mais moi, par exemple, j’aime bien cette profession de foi d’un black métalleux:

 » Comment as-tu appréhendé le black metal quand tu l’as découvert ?
Clevdh : Ca correspond à l’adolescence, période où tu cherches à te découvrir, à te tester. Quand j’ai écouté pour la première fois « In The Nightside Eclipse » d’Emperor, je me rappelle d’un sentiment de nouveauté, une impression de toucher de manière idéaliste un brin de vérité ; je me suis dit qu’il y avait là quelque chose qui surpassait l’actualité, la banalité. Ce coté délié de la réalité, hors de tout ce que peut véhiculer la vie quotidienne… ce côté presque inhumain… ou « très » humain, surhumain. J’avais l’impression que c’était un peu intemporel, qu’on touchait quelque chose d’authentique et perpétuel. »(Interview d’Orakle par Nicolas WALZER).

J’avoue que cette analyse rejoint ma propre expérience du black metal. La noirceur et le désespoir apparents des morceaux sont presque toujours sublimés par une ambiance fantastique et irréelle qui laisse transparaÏtre une certaine intuition de l’absolu derrière la souffrance et la solitude, même dans le True Black, ne serait-ce que dans l’exagération de la noirceur et de la violence.

Derrière la condamnation apparente de la nature humaine, et le cynisme des propos de certains, il y a donc bien une aspiration à une surnature, j’irai jusqu’à dire un désir d’éternité, qui a certes mené trop de black métalleux au satanisme, voire au néo-nazisme, mais qui est en soi une aspiration valide et même légitime, voire potentiellement bénéfique de l’âme humaine.

Prenons par exemple les paroles du premier morceau de « In The Nightside Eclipse », intitulé « Into The Infinity Of Thoughts« :

« As the Darkness creeps over the Northern mountains of Norway
and the silence reach the woods, I awake and rise…
Into the night I wander, like many nights before,
and like in my dreams, but centuries ago.

Under the Moon, under the trees.
Into the Infinity of Darkness,
beyond the light of a new day,
into the frozen nature chilly,
beyond the warmth of the dying Sun.
Hear the whispering of the wind,
the Shadows calling…

I gaze into the Moon which grants me visions
these twelve full Moon nights of the year,
and for each night the light of the holy disciples fades away.

Weaker and weaker, one by one.

Weaker and weaker, one by one.

I gaze into the Moon which makes my mind pure as crystal lakes,
my eyes cold as the darkest winter nights, by yet there is a flame inside.

It guides me into the dark shadows beyond this world,
into the infinity of thoughts… thoughts of upcoming reality ».

In the name of the almighty Emperor I will ride the Lands in pride,
carrying the Blacksword at hand, in warfare.

I will grind my hatred upon the loved ones.
Despair will be brought upon
the hoping children of happiness.

Wherever there is joy the hordes of the eclipse
will pollute sadness, sadness and hate
under the reign if fear.

The lands will grow black.
There is no Sunrise yet to come
into the wastelands of phantoms lost.

The lands will grow black.
There is no Sunrise yet to come.

May these moments under the Moon be eternal.
May the infinity haunt me… In Darkness ».

Il est évident que prises littéralement, les aspirations exprimées par ce morceau sont inacceptables sur le plan moral. Quelle personne saine d’esprit voudrait remplacer le bonheur et la joie par la tristesse et la haine, détruire les êtres aimés et promouvoir le désespoir?

En même temps, il est paradoxal d’associer l’éternité et l’infinité au désespoir, et le bonheur et la joie à la finitude et à une certaine forme de corruption. Cela correspond bien à une inversion des valeurs cohérente avec le projet du satanisme, mais on peut se demander qu’est-ce qu’elle vise à exprimer dans l’âme de l’auditeur.

L’un des auteurs du morceau, Isahn, déclare dans une interview: « Art is something constructive. Even though it may be reflecting on destructive forces, or at least forces that are viewed by the wide majority of people as destructive, it is a constructive thing. We wouldn’t be doing this otherwise« .

En ce sens, il ne s’agit pas de détruire pour détruire, mais pour recréer. Le bonheur, l’amour,  la joie ne sont pas « haïs » entant que tels dans ce morceau, mais comme des signifiants amoindris, affaiblis, « weakened » de l’Eternité. La haine, la tristesse etc. sont exaltées non pas nécessairement parce que les auteurs du morceau les considèrent comme des sentiments désirables ou estimables en soi, et qu’ils veulent leur accorder une plus grande place dans leur vie, mais en tant qu’ils permettent de subvertir une vision trop idéalisée, stéréotypée, banale de l’absolu, de dépasser « l’actualité, la banalité » en eux. Le nihilisme apparent du black metal, considéré sous cet angle, n’a pas pour fonction d’exalter le désespoir, la folie et tout ce qu’il y a de malsain dans l’ame humaine, mais de dénoncer une certaine conception étriquée, mondaine, affaiblie de l’amour et de l’espoir, et de faire sentir l’abîme entre la ruine quotidienne de cette dernière et la soif d’absolu, d’éternité, qui demeure dans le coeur de chacun. C’est pourquoi également beaucoup d’albums alternent entre la description de la corruption inhérente à l’âme humaine et l’exaltation des paysages de la Norvège, des puissances naturelles etc.

Après, il me parait clair que le choix philosophique du satanisme, de l’athéisme ou du néo-paganisme me parait être le pas de trop dans l’expression en soi légitime de ce désir d’éternité frustré.  On ne subvertit pas le contenu d’une foi comme on peut le faire pour les signifiants d’une oeuvre d’art, et on ne crée pas de nouvelles formes de religiosité comme on peut créer de nouvelles formes de musicalité. Il y a là une sorte de confusion entre les recherches de l’absolu propres à la religion et à l’art qui a fait beaucoup de mal au black metal.

Mais l’intuition qu’elle traduit demeure juste et intéressante, en ce qu’elle souligne l’écartèlement quotidien de notre âme entre l’infinité de notre désir de Dieu, et l’imperfection d’une certaine forme de discours mondain et convenu sur le bien, le bonheur, etc., qui ignore la souffrance et la solitude qui sont souvent notre lot. Et il y a là un champ de significations et d’expérimentation musicale qui me parait légitimer la relecture chrétienne du black metal proposée par certains groupes.

Qu’est-ce que l’unblack metal?

Posted in Unblack Metal with tags , , , on 14 décembre 2010 by Darth Manu

L’unblack metal n’est pas un genre musical en soi, mais désigne la production d’un (encore trop) petit nombre de groupes de black metal qui ont choisi d’exprimer dans leurs textes des thématiques explicitement chrétiennes ou antisatanistes, par réaction aux textes blasphématoires ou antireligieux qui sont souvent associés étroitement à l’identité musicale de ce genre.

Les partisans de cette « école » du black metal, qui d’ailleurs ne sont pas unanimes sur l’opportunité du terme « unblack metal » pour les désigner, espèrent démontrer que cette musique n’est pas en elle-même incompatible avec l’expression de la foi chrétienne, et que c’est à tort et de façon purement conjoncturelle que les excès de certains groupes fondateurs du genre ont conduit beaucoup d’observateurs, métalleux et non métalleux, à l’y opposer.

Pour une introduction générale au unblack metal, on peut se reporter avec profit à l’article en anglais de Wikipédia.

De mon modeste côté, j’ai mené une première réflexion personnelle sur l’unblack metal dans l’article « Unblack Metal: évangéliser l’enfer » de mon autre blog.

C’est tout pour aujourd’hui… Bonne lecture!