Archive pour mars, 2011

Hellfest: respecter autrui, dans mon expression… comme dans la sienne

Posted in Hellfest with tags , , , , , on 17 mars 2011 by Darth Manu

Préambule:

La polémique autour du Hellfest, qui oppose chaque année des milliers de métalleux (parfois catholiques), tous passionnés, à des milliers de catholiques (parfois métalleux), également tous passionnés, donne lieu, comme tout débat de cette ampleur, à des approches unilatérales et à des réactions partisanes. Pour certains, une minorité de fanatiques chercheraient à entraver la liberté d’expression, et plus spécifiquement celle de création artistique, pour interdire toute critique contre leur vision du monde subjective et partiale. Pour d’autres, le Hellfest, et les subventions publiques dont il est bénéficiaire, consacreraient d’une manière inadmissible une tribune pour la discrimination d’une religion entière, à l’heure où les communautarismes sont en pleine croissance, et serait un dérapage de la liberté d’expression au profit de discours de haine et d’exclusion.

Schopenhauer, dans L’art d’avoir toujours raison, soulignait déjà l’intérêt, à cet effet, de caricaturer la position de l’adversaire, et j’imagine que c’est de bonne guerre. A l’autre finalement de se débrouiller pour assurer sa défense.

Ma propre expérience des conflits, quoique modeste, m’enseigne que la vérité est rarement unilatérale, et qu’il y a souvent de l’erreur et de la vérité mêlées des deux côtés d’un débat. L’enjeu est de les démêler, par une problématique qui englobe les deux positions du débat, et d’en dégager les proportions, par l’examen des arguments objectifs en présence.

L’objet de cet article est de contribuer à la formulation de cette problématique commune, afin de donner un cadre non polémique aux arguments des deux côtés, et d’en finir avec les dialogues de sourds.

Le problème ici est la question de la liberté d’expression, avec son corrélat: faut-il censurer, ou dans le cas des organisteurs du festival, s’auto-censurer, et si oui, jusqu’à quel point? Deux écueils semblent possibles, chacun plus ou moins valorisé suivant la partie concernée. Le premier: ne rien faire, tout permettre. Difficile à avaler pour les catholiques, alors que le moindre propos vaguement ambigu du pape ou d’un évêque peut susciter des campagnes très violentes sur internet et dans les médias. Des lois protègent les convictions religieuses de chacun, et la moindre des choses est d’en demander le respect. La seconde: tomber dans le politiquement correct et la censure de toute oeuvre un tant soit peu dérangeante ou choquante. D’une part parce que c’est une entrave manifeste à la liberté d’expression, d’autre part parce que c’est la mort de tout dialogue réelle, et donc de toute possibilité authentique d’une transformation effective des mentalités et des préjugés.

1) La nécessaire entrave à la liberté d’expression apportée par la censure:

Rappelons tout d’abord la définition de la censure:

 « La censure est la limitation arbitraire ou doctrinale de la liberté d’expression de chacun. Elle passe par l’examen du détenteur d’un pouvoir (étatique ou religieux par exemple) sur des livres, journaux, bulletins d’informations, pièces de théâtre et films, etc. — et ce — avant d’en permettre la diffusion au public. Par extension, la censure désigne différentes formes d’atteintes à la liberté d’expression, avant et/ou après leur diffusion (censure a priori et a posteriori). On distingue la censure politique (limitation par le gouvernement de la liberté d’expression) de la censure indirecte, non officielle, mais sous forme de pression, en particulier une forme de censure économique (due notamment à la concentration des médias, etc.) ; on peut aussi ajouter les phénomènes d’autocensure.

La censure peut aussi être institutionnelle ou sociale par la privation de l’information disponible à des particuliers ou à un groupe. Cette forme de censure peut se justifier dans certains cas pour des raisons médicales (voir psychiatrie)[réf. nécessaire] mais elle prend majoritairement une forme négative. La censure positive peut prendre aussi la forme de censure liée à l’âge. Un tel type de censure positive comporte par exemple la classification de film selon la thématique. (voir pornographie et violence) » (Article « censure » sur Wikipédia).

Toute censure n’est pas nécessairement mauvaise. Elle est même garante de la liberté de chacun, dans la mesure où elle nous protège contre la diffamation, l’outrage, ou les campagnes de haine. Ainsi mon hébergeur vénéré peut-il écrire dans son règlement:

« Responsibility of Contributors. If you operate a blog, comment on a blog, post material to the Website, post links on the Website, or otherwise make (or allow any third party to make) material available by means of the Website (any such material, “Content”), You are entirely responsible for the content of, and any harm resulting from, that Content. That is the case regardless of whether the Content in question constitutes text, graphics, an audio file, or computer software. By making Content available, you represent and warrant that:[…]

the Content is not pornographic, does not contain threats or incite violence towards individuals or entities, and does not violate the privacy or publicity rights of any third party […]

Without limiting any of those representations or warranties, Automattic has the right (though not the obligation) to, in Automattic’s sole discretion (i) refuse or remove any content that, in Automattic’s reasonable opinion, violates any Automattic policy or is in any way harmful or objectionable » (WordPress terms of service).

De même que ses concurrents d’ailleurs:

« Incitation à la haine¬: nous mettons Blogger à votre disposition pour vous permettre d’exprimer vos opinions, même si elles suscitent la polémique. Mais vous ne devez en aucun cas publier du contenu qui incite à la haine envers des groupes en fonction de la race ou de l’origine ethnique, de la religion, du handicap, du sexe, de l’âge, du statut de vétéran et de l’orientation/identité sexuelle. Par exemple, il est interdit de rédiger un blog affirmant que les individus d’une race donnée sont des criminels ou d’inciter à la violence contre les individus pratiquant une religion particulière » (Règlement relatif au contenu Blogger).

Et pour cause, ces hébergeurs s’exposent aux mêmes à des poursuites s’ils n’opèrent pas cette censure:

« Article 23 En savoir plus sur cet article…

Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative de crime prévue par l’article 2 du code pénal.

Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes :[…]

Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l’alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal » (Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse , Version consolidée au 24 juillet 2010, articles 23 et 24).

 Le Hellfest s’est lui-même auto-censuré, sous la pression de certains groupes invités, en déprogrammant Satanic Warmaster, réputé proche du NSBM, mouvance effectivement connue pour pratiquer l’incitation à la haine.

L’an dernier, le groupe Sexion d’Assaut a eu de gros problèmes après avoir été suspecté de propos homophobes:

« Selon le site Internet du magazine Têtu, NRJ a décidé de suspendre son partenariat avec la Sexion d’Assaut. La radio a justifié sa décision auprès de Têtu et déclare ne pas souhaiter « alimenter la polémique ». NRJ avait lancé un concours, NRJ @ School, afin d’offrir à un jeune auditeur un concert privé du groupe dans son collège ou lycée.[24]

À la suite de cette polémique, fin septembre et début octobre 2010, plusieurs villes françaises ( Angoulême, Clermont-Ferrand, Strasbourg, Saint-Étienne, Marseille, Nancy, Angers, Le Mans, Caen, Guivapas (Brest), Saint-Cyr sur Loire (Tours)) ont annulé les spectacles de Sexion d’assaut.[25]

Afin de faire diminuer la polémique, les membres du groupe ont rencontré, selon leur manageur, des associations de lutte contre l’homophobie et ont affirmé avoir pris conscience de la gravité des propos de Lefa.[26] « On n’est pas là pour parler de ça, on s’est expliqué et maintenant on préfère agir. On a rencontré des associations de lutte contre les homosexuels (sic). On comprend la polémique, même si beaucoup de choses ont été déformées et sorties de leur contexte. Mais si les villes nous annulent par peur, qu’elles sachent qu’il n’y a jamais eu aucun problème à nos concerts. »[27] » (Article Wikipédia « Sexion d’assaut).

Le point fort de l’argumentaire catholique contre le Hellfest réside dans la dénonciation du déséquilibre entre les différentes minorités et convictions religieuses, lorsqu’il s’agit d’apprécier ‘l’incitation à la haine« . Les propos les plus violents contre le christianisme semblent faire sourire ceux là même qui montent au créneau lorsqu’il s’agit de dénoncer les propos anti-sémites ou homophobes de tels ou tels groupes. En ce sens, que Satanic Warmaster ou Anal Cunt soient très facilement déprogrammés sur la suspicion de propos antisémites, alors qu’il semble quasiment impossible de faire annuler les concerts de groupes avec des propos anti-chrétiens, donne à beaucoup de catholiques une impression légitime de « deux poids deux mesures« .

2) Problèmes juridiques et moraux d’une censure dans le domaine artistique:

Pour nécessaire qu’elle soit dans certains cas pour assurer la liberté d’opinion et la sécurité de chacun, la censure est quand même par nature une atteinte à cette autre liberté humaine fondamentale qu’est la liberté d’expression. En ce sens, à propos de l’affaire Orelsan, le blogueur et avocat (et par ailleurs catholique et amateur de metal) Eolas pouvait écrire:

« Per­sonne n’est obligé d’écou­ter, nul n’a à inter­dire.

Car c’est quel­que chose qu’on ne répé­tera jamais assez. La liberté d’expres­sion est tou­jours la pre­mière atta­quée, parce que c’est la plus fra­gile. Il y a tou­jours une bonne cause qui jus­ti­fie que ÇA, non, déci­dé­ment, on ne peut pas le lais­ser dire. Le res­pect dû aux morts tués à l’ennemi, le res­pect dû à la jus­tice, le res­pect dû à la femme. Tout ça, ça l’emporte sur le res­pect dû à la liberté, cette sale pute. Et les attein­tes qu’elle a d’ores et déjà subies, au nom de cau­ses infi­ni­ment nobles (comme la lutte con­tre le néga­tio­nisme), me parais­sent déjà exces­si­ves.

Lais­sez tom­ber Orel­san, et un jour, c’est votre dis­cours qui déran­gera. » (Journal d’un avocat, Quelques mots sur l’affaire Orelsan).

En sens, l’initiative l’an dernier de la Confédération des associations catholiques (CNAFC) de saisir en référé le tribunal de Nantes pour que lui soient communiqué systématiquement les textes des groupes invités pour « vérifier qu’ils ne portaient pas atteinte aux intérêts spirituels et moraux des familles » était bien imprudente. La demande, dépourvue de tout fondement juridique sérieux, a été déboutée sans surprise aucune, mais si elle avait abouti, qu’est-ce qui aurait empêché toutes ces associations de défense de la laicité, des droits de la femme, de défense des homosexuels, d’exiger la même chose de l’Eglise en préalable à tout rassemblement de catholiques? Le problème, quand on commence à toucher aux libertés fondamentales, c’est que les conséquences sont pour tout le monde.

Il convient donc d’être très prudent lorsqu’on commence à toucher à la liberté d’expression, et c’est précisément cette prudence qui caractérise la loi ci-dessus.

En effet:

« L’incitation est donc le fait de poursuivre des personnes ou un groupe de personnes qui sera suivi d’effets. L’incitation à la haine, discrimination ou violence est l’intention donnée par le ou les auteurs, il y a un désir que cela se produise par des faits ou des actes.

L’incitation à la haine, discrimination ou violence doit avoir un désir pour que cela soit suivie d’effets et non d’inciter qui ne soit pas suivi d’effets. C’est généralement un mouvement brutal contre un individu ou un groupe d’individu » (LégiBlog, « L’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence »).

 

Pour prouver qu’un groupe incite à la haine contre les chrétiens, il ne suffit donc pas de citer des textes à consonnance satanistes ou des propos qui condamnent le christianisme dans son ensemble, ou de dénoncer des métaphores morbides et blasphématoires. Il faut démontrer que les artistes incitent activement leurs auditeurs à passer à l’acte. En l’absence de cet élément, toute pression sur les autorités ou les organisateurs du festival pour censurer des groupes hostiles au christianisme est en elle-même une atteinte scandaleuse à la liberté d’expression, quand même garantie par notre Constitution et dont nous chrétiens nous réclamons nous-mêmes pour notre propre protection. En ce sens, les défenseurs du Hellfest ont parfaitement raison de souligner que tenir des propos satanistes pour le « fun » ou par tradition musicale, ce n’est pas la même chose qu' »inciter à la haine« .

Il est important de noter que s’abstenir de telles pressions, à l’encontre par exemple de groupes tenant des propos satanistes mais qui ne cherchent pas activement à provoquer des actions de haine, de discrimination ou de violence contre les chrétiens, n’est pas exclusif de dialoguer avec eux et leurs fans pour essayer de démontrer les limites et les dangers de leur propre discours. Mais lutter pour le bien commun, c’est aussi respecter et faire respecter les cadres établis par notre Constitution, établie pour protéger ce bien commun, et que nous chrétiens sommes appelés à respecter, comme toute autorité temporelle accordée par Dieu aux gouvernants humains.

3) S’exprimer dans le respect d’autrui, et aussi respecter l’expression d’autrui:

On m’objectera peut-être que même si l’expression de certains groupes est légale, elle n’est pas pour autant morale, et qu’il reste du devoir de tout chrétien citoyen de faire pression sur le festival pour qu’il se dote d’un « cahier des charges éthique ». Personnellement, je ne crois pas que la morale soit quelque chose qui ait vocation à être imposée, non seulement d’un point de vue juridique, mais également moral, précisément, ou même religieux.

« Tout le monde connaît l’adage : à celui qui meurt de faim au bord d’une rivière, il vaut mieux donner une canne à pêche que des poissons. Le premier cas résout le fond du problème, alors que dans la seconde option l’individu reste dépendant et passif. Pour neutraliser les idéologies dangereuses, il faut veiller à leur mise en perspective et à leur confrontation critique. Il s’agit donc de favoriser non pas une tutelle des citoyens par des instances régulatrices, mais plutôt la création d’espaces de débats qui permettent de démasquer les faiseurs d’illusions. C’est grâce à l’existence de structures et de règles de discussions contradictoires et rigoureuses, que nous pouvons désamorcer les manipulations dans le champ politique et médiatique » (« Faut-il tuer la liberté d’expression? », L’homme réseau: penser et agir dans la complexité, par Emmanuel-Juste Duits).

L’ordre public s’impose par la loi, et au besoin le recours à la force publique. La morale nait de la conversion des coeurs. Et celle-ci ne se suscite pas du dehors, mais provient d’une transformation intérieure. Or, pour qu’une telle transformation puisse être opérée, il faut que l’individu puisse faire retour sur l’état de son âme, ce qui suppose qu’il soit en mesure d’énoncer les troubles qui l’agitent éventuellement. De nombreux métalleux ont un rapport à la foi catholique qui est marqué par la méfiance, voire la souffrance. Ces dernières trouvent un exutoire dans les paroles des groupes qui blasphèment, dénoncent le christianisme comme force d’oppression, ou encore exaltent des thématiques morbides ou nihilistes. Ils sont comme nous créature de Dieu, comme nous marqués par le péché, et comme nous ils connaissent leurs moments de nuit. Et comme nous, ils ont le droit de témoigner de cette nuit et de crier leur souffrance et leur colère. Notre rôle de chrétiens, d’annonciateurs d’une Bonne Nouvelle, n’est pas de faire taire cette parole qui est la leur et qui exprime l’état présent de leur vie intérieure, mais de l’accueillir et de l’écouter, ce qui présuppose qu’elle puisse être dite librement, y compris dans l’espace public, pour ensuite proposer une autre parole, qui les prenne dans leur état actuel pour les amener éventuellement, s’ils acceptent de l’écouter à leur tour, vers plus de bonheur et de force intérieure. C’est seulement de cette manière que nous pourrons être convainquants, au lieu de nous contenter de créer notre propre communautarisme dans notre coin.

Lorsque Job a tout perdu, et qu’il a prononcé des paroles très dures de révolte contre Dieu, dans le livre du Premier Testament qui porte son nom, certains de ses amis lui ont fait la morale, et ont quand même un petit peu cherché à le faire taire. Dieu l’a laissé parlé avant de lui répondre. Et une fois que Job eut retrouvé à nouveau la foi et la confiance, Dieu fit reproche à ses amis de leur attitude simpliste de reproche, pourtant si semblable à ce dont certains milieux de l’Eglise font abusivement l’éloge sous le nom dévoyé par eux de « correction fraternelle ». On n’impose pas la conversion des coeurs, en faisant taire la parole de l’autre, si choquante soit-elle, au profit de la notre, mais on l’accompagne, en écoutant cette parole ennemie, en la laissant s’exprimer et se développer, puis en y répondant.

Conclusion:

C’est pourquoi, si je suis d’accord pour lutter par la censure contre les groupes qui incitent effectivement à la haine (encore faut-il le prouver au cas par cas, par l’examen non seulement des paroles mais également des intentions réelles de leurs auteurs), si je suis d’accord pour répondre par l’écoute et le dialogue aux groupes qui blasphèment contre Dieu et l’Eglise ou qui mettent en cause de manière virulente le christianisme sans toutefois menacer les personnes, je NE suis PAS  d’accord pour mélanger ces deux approches et chercher à censurer les groupes simplement blasphématoires, morbides, ou opposés au christianisme. Car cette troisième démarche, loin d’être une attitude chrétienne ou même morale, me parait intrusive et dégradante pour l’âme humaine, tant celle de son auteur que celle de ses victimes.

Black Metal: le mythe de la Haine universelle

Posted in La "philosophie" du black metal with tags , , , , , , , , , , , on 10 mars 2011 by Darth Manu

En lisant Eunolie, l’ouvrage du compositeur Frédérick Martin sur le black metal, je suis tombé sur cette fascinante profession de foi sataniste écrite en réaction au NSBM (National  Socialist Black Metal) parEklezjas’tik BerZerK, chanteur du groupe toulousain Malhkebre et responsable du label Battkeskr’s:

« Etre sataniste c’est rejeter l’humanité, donc soi-même.Le problème réside donc dans la capacité ou l’incapacité de l’être à accepter cette partie de lui-même qu’il méprise. Certains le font à la perfection: ils choisissent la mort. Amen. Tout absolu humaniste implique une idée de perfectibilité et admet par à-même l’incomplétude de l’homme. Le satanisme, en tant qu’absolu, se fonde, quant à lui, sur l’idée de l’imperfection humaine. Or, il est beaucoup plu difficile de vivre au quotidien en reconnaissant la médiocrité humaine, sa propre médiocrité. Pourtant, c’est en prenant conscience de cela qu’on peut la rejeter. Une fois ce processus effectué, il est possible de se battre pour ses idées avec ce que cela implique: se mettre en danger au risque de perdre son petit confort personnel. En revanche il est beaucoup plus simple d’accepter le système: de se battre pour ses proches, de protéger son pays en estimant que l’homme, ainsi, fait montre de sa perfectibilité par son dévouement envers autrui, envers l’Homme. Et il est encore plus évident d’estimer que l’homme est perfectible mais que ce sont les autres qui l’en empêchent ce qui amène à des idées telles que la supériorité de la « race blanche ». En cela, il s’agit encore de choisir la facilité: les autres sont un prétexte à l’imperfection que l’on trouve en soi et que l’on refuse d’accepter. Ainsi, lutter contre ceux qui, pense-t-on, nuisent à la perfection de l’Homme, donne un sens à la vie. Chimère, chimère; simple réflexe humain témoignant de la faiblesse humaine.

[…] Je ne suis pas pour un chaos sélectif. Satan n’a pas de couleur de peau. Le satanisme est une idéologie à laquelle peut adhérer tout être humain, toute nation confondue. Il serait donc temps que sonne le glas de la scène NSBM.

Si Montaigne, dans une perspective humaniste, se déclarait « citoyen du monde », c’était certes parce que tel était son sentiment profond mais aussi parce qu’il se heurtaitdéjà à cette peur ancestrale qu’est la peur de la différence. Or, en concédant que le Satanisme est l’exact opposé de l’humanisme, tout Sataniste devrait être un anti-citoyen du monde, monde étant à comprendre bien évidemment au sens d’humanité, sans distinction de pays ou de couleur. Le satanisme prône la destruction de toute valeur humaine, raison pour laquelle nous, êtres affaiblis par notre humanité, ne pourrons jamais ^^etre en totale adéquation avec cette idéologie. Nous devons du moins y tendre. C’est de cette façon que nous nous rapprocherons du Seigneur, c’est de cette manière qu’il vous reconnaitra comme l’un de ses fidèles » (Eklezjas’tik BerZerK « au nom des Apôtres de l’Ignominie », propos rapportés par Frédérick Martin dans Eunolie: Légendes du Black Metal, p. 214 à 216, Editions MF, 2nde édition enrichie, 2009).

Dans un premier temps, j’ai pensé: « 1-0 en faveur de l’équipe Satan contre l’équipe Hitler sur le plan de la cohérence« . Puis, à y réfléchir, je me suis rendu compte combien ce texte mettait en évidence une contradiction à mon avis intenable au coeur du projet du satanisme, dont le black metal s’est voulu l’expression musicale. Il se lit comme une volonté d’absolutiser, d’universaliser la haine: « Le satanisme, en tant qu’absolu, se fonde, quant à lui, sur l’idée de l’imperfection humaine ». Il se veut un nihilisme total, et en même temps comme une doctrine fédératrice, un nouveau sytème de valeur contre tous les systèmes de valeur: « Le satanisme est une idéologie à laquelle peut adhérer tout être humain, toute nation confondue« . Il se veut un anti humanisme, mais également un projet qui peut rassembler l’humanité sans distinction.

Si ce texte n’exprime que le point de vue d’une variété du satanisme parmi tant d’autres, il a le mérite de toucher du doigt une ambiguité au coeur du projet idéologique du black metal. J’ai montré dans un précédent article que beaucoup de black metalleux placent l’expression de la haine au coeur du projet musical du BM. Une haine universelle, qui écrase tout espoir, toute utopie, toute valeur humaine. Ce qui les amène souvent à condamner le nazisme, non pas disent-ils parce que c’est une doctrine de haine, mais parce que sa haine est trop imparfaite, dirigée seulement contre l’autre au lieu de manisfester un rejet de Tout:

« Ta position par rapport à l’idéologie NS qui ronge le black-metal ?
Le black-metal n’a rien de politique, comment peut on prôner le chaos et la haine de l’humain en glorifiant une race et en insufflant une morale ? Le black-metal est un art noir, pas un parti politique » (Interview du groupe Haemoth par Spirit of Metal).

Et pourtant la haine, contrairement à l’amour, ne semble pas universelle dans son essence. La haine au contraire, se manifeste généralement par le refus de l’autre, le rejet de toute universalité:

« Pour sa part, après avoir lu Mein Kampf, […]Georges Canguilhem préférait parler de «contre-philosophie», car «le principe de cette systématisation, improvisée aux fins de conditionnement collectif, consistait dans la haine et le refus absolu de l’universel» (Trouvé ici).

La haine n’assume pas l’imperfection comme le propre de chacun, mais la rejette sur l’autre, en se fermant à ses propres limites:

« L’un des principaux leviers de la haine concerne la condamnation sans appel, comme une assignation d’identité. L’accusation qui annule l’autre sous-entend : je sais qui tu es ; je dis que tu ne vaux rien, tu ne vaux rien » ( S. Tomasella, Le sentiment d’abandon, Eyrolles, 2010, p. 92, cité dans l’aticle « Haine » de Wikipédia).

En ce sens, la haine n’assume rien, elle n’est pas un idéal vers lequel on tend:

« La haine n’attrape pas la vérité, elle l’enserre à l’intérieur d’une pensée immobile où plus rien n’est transformable, où tout est pour toujours immuable : le haineux navigue dans un univers de certitudes » (H. O’Dwyer de Macedo, Lettres à une jeune psychanalyste, Stock, 2008, p. 340, cité dans l’article « Haine » de Wikipédia).

La haine rejette l’universalité, elle affirme l’individu contre l’autre, nie toute essence commune. Même les idéologies comme le nazisme qui la fondent sur une forme d’idéal (la Race etc.) associe celui-ci à la différence, au rejet… C’est en celà qu’elle s’oppose à l’amour, qui lui suppose un idéal commun et tend vers le rapprochement et le dépassement des antagonismes.

En ce sens, ceux des groupes de BM qui s’inspirent du satanisme, dans la synthèse qu’ils proposent entre une revendication de la haine et une aspiration à un universel, fusse-t-il un idéal de destruction absolu, mettent en forme dans leurs textes, et dans leur musique qu’ils veulent l’expression de cet idéal, une tension entre deux mouvements inverses: un qui prone le repli sur soi-même et l’anéantissement de toute transcendance et de tout partage, de toute communauté, présent par exemple dans le refus de certains musiciens d’organiser des concerts, et un autre qui aspire néanmoins à cette dernière, et qui veut faire corps, relier les métalleux entre eux, sinon dans une nouvelle religion, du moins au sein d’une nouvelle philosophie ou d’une forme de spiritualité à rebours. Cette tension se retrouve dans l’identité musicale même du black metal, qui vise à exprimer le nihilisme le plus total, tout en étant par nature, comme courant artistique, un acte de création.

Il n’est donc pas étonnant que tout au long de son histoire, il ait vu se développer à ses marges deux courants opposés, qui ne diffère pour ainsi dire pas musicalement mais qui se réclament de doctrines radicalement contraires: l’unblack metal, qui choisit la quête de l’Universel contre la revendication de la haine, et le NSBM, qui cherche à aller au bout de l’exploration de cette haine, mais qui abandonne toute aspiration universaliste (à ce sujet, il est révélateur que les actes authentiques et concrets de haine soient souvent le fait de groupes de NSBM, y compris les profanations religieuses, par exemple celles à Toulon par le groupe Funeral: le nazisme est une doctrine véritablement fondée sur la haine, l’histoire l’a prouvé, alors que le satanisme est une construction intellectuelle, qui vise à donner une signification existentielle, « mystique » à la haine, tout en refusant d’en tirer toutes les conséquences).

Le black metal est donc traversé par deux mouvements, un qui va de l’amour à la haine, de l’espoir au dése^poir, de la vie à la mort, de la lumière aux ténèbres, et le second qui va de la haine à l’amour, du désespoir à l’espoir, de la mort à la vie, des ténèbres à la lumière. Il en constitue la fine pointe, et c’est ce qui fait son originalité musicale et doctrinale. Mais il est, je l’ai dit, un acte de création. C’est -à-dire que par son existence, il nie déjà le nihilisme et la destruction de toutes valeurs qu’il se propose d’exprimer initialement. En ce sens, la quête de l’universel me parait une revendication plus essentielle, plus profonde de ce courant musical, et c’est pourquoi je pense que l’unblack metal, s’il était davantage pris au sérieux dans ses thématiques par ce milieu, pourrait être la source d’un renouveau d’inspiration et d’un enrichissement de la recherche musicale.

Pour conclure, je répondrai brièvement à une objection qui m’a été faite indirectement sur le Forum de la Cité Catholique. Un intervenant métalleux, en réponse à un catholique qui lui demandait si à son avis le BM était intrinsèquement anti-chrétien, faisait la réponse suivante:

« Grosso modo, oui. Il y a quelques exceptions (textes d’inspirations mythologique, romantique (même si la personne de satan y est aussi utilisée), historique, naturelle ou religieuse (cf. la scene chrétienne de Black metal dont manu ventait le mérite sur ce forum). Mais ces groupes ne sont qu’une minorité.

Cette minorité est d’autant plus petite que certains groupes aux paroles neutres ont un comportement extrême (cf. Burzum qui chante des histoires inspirées de Tolkien, la solitude et la nature. %Mais en dehors de ses texte, le groupe n’est pas recommandable du tout.

Donc même si tous les groupes de BM ne sont pas anti chrétiens, l’immense majorité l’est » (échange ici).

Ces groupes ne sont en effet qu’une minorité (de même dans l’autre sens que le NSBM ou que les groupes sincèrement satanistes d’ailleurs) mais une minorité qui est présente dès les débuts du BM (Antestor a été fondé en 1990) et qui l’a accompagné dans la plupart des pays où il est représenté, sur tous les continents. Il s’agit donc d’une constante, d’un des aspects intrinsèques, quoique minoritaire, de son identité telle qu’elle s’est développée historiquement. Un aspect qui, comme je viens de le montrer, corrrespond peut-être à son essence la plus profonde, à l’aspect le plus mûr de la démarche de création de nouvelles formes et de nouveaux sens qui est la sienne, et qui est peut-être d’autant plus niée par certains black métalleux qu’elle pointe sur les contradictions de l’idéologie qui l’a vu naitre et l’incite à grandir, à passer à l’âge adulte. L’aversion pour le christianisme de la plupart des black métalleux, si elle passe trop souvent par la moquerie ou l’insulte, est finalement beaucoup moins grande que leur rejet du nazisme (j’ai souvent vu des groupes comme Crimson Moonlight ou Antestor rabaissés et moqués par des blackists, mais les groupes de NSBM comme Nokurnal Mortum ou Graveland, même lorsqu’il sont considérés de qualité sur le plan musical, suscite une méfiance et une hostilité bien plus directe et viscérale de la majorité), preuve qu’ils ne sont finalement pas habités par cette haine qu’ils affectent de revendiquer. Les raisonnements compliqués que certains utilisent pour distinguer haine absolue et haine fondée sur le rejet de l’autre prouve combien cette thématique du BM, qui est le corrélat de son anti-christianisme affiché, en est finalement, un aspect bien superficiel.

Et s’il est vrai que quelques groupes aux paroles neutres ont des comportements extrêmes, cela fait finalement d’autant plus ressortir le fait historique que la plupart des groupes aux paroles extrêmes ont un comportement neutre. Preuve qu’il faut dissocier la haine des paroles de la haine des coeurs, et que si les deux doivent finalement être rejetées, la plupart des black métalleux, entre affirmation de la haine et aspiration à l’universalité, ont finalement choisi pour eux-mêmes la seconde, ne serait-ce que dans la famille qu’ils ont pu fonder, les amis qu’ils ont, le travail qu’ils effectuent « dans le civil »… Et si leur comportement dans la vie de tous les jours, qui est d’une certaine manière le miroir concret de leur âme, est conforme à ce que pourrait être la vie de n’importe quel chrétien, pourquoi leur musique, qui exprime les mouvements de cette même âme par la création artistique, devrait être intrinsèquement anti-chrétienne? Cela parait dénué de sens…

Les paroles sont-elles importantes dans le black metal?

Posted in La "philosophie" du black metal with tags , , , , , , , , , , on 2 mars 2011 by Darth Manu

En lisant une chronique de Hellig Usvart (qui le descendait d’une manière assez lapidaire) je suis tombé sur l’affirmation suivante:

 « Mais laissons de côté cette contrariété, nous savons de toute façon que les paroles n’ont aucune valeur en black metal du simple fait de leur caractère inaudible » (Chronique par Possopo sur le site Nightfall in Metal Earth).

Ce jugement rejoint beaucoup d’affirmations émises par des métalleux, lors des différentes polémiques autour du Hellfest, qui tendaient à dire que de toute façon les paroles des groupes de BM, en plus d’être souvent ridicules, étaient incompréhensibles, et que c’était la musique uniquement qui comptait:

 « De nombreux « métalleux » ont réagi sur nos forums affirmant qu’il fallait savoir dissocier la musique des paroles. À les entendre, ce n’était pas pour les messages de violence qu’ils se rassemblaient au Hellfest, d’autant plus que nombre d’entre eux ne comprenaient pas les paroles en anglais. Cette dissociation est-elle selon vous réellement possible ? » (Antoine Besson pour Liberté politique.com en entretien avec le Père Benoit Domergue).


En sens contraire de cette opinion commune à beaucoup de métalleux, Morgan, du groupe Marduk, estime que « les paroles sont aussi importantes que la musique »:

  « MI. Quiconque a jeté un oeil à vos paroles un jour ou l’autre aura pu remarquer sans difficultés à quel point l’histoire te passionne. A ton sens, quelle place ont les paroles dans MARDUK ? Penses-tu qu’il est fondamental de les comprendre pour parfaitement appréhender MARDUK ?
Morgan. Je le crois, oui. Bien évidemment, quiconque va jeter un œil aux paroles va les percevoir d’une manière différente. Ca ne me pose pas de problème mais pour moi elles sont aussi importantes que la musique. Quand j’aime un groupe, je me plonge toujours dans leurs paroles et quand celles-ci s’avèrent minables je perd une partie du respect que j’ai pour ce groupe. Il est important que les paroles et la musique forment un tout et se reflètent à tout point de vue.

MI. Oui, mais beaucoup de groupes ne pensent pas ainsi.
Morgan. Et c’est pour ça qu’il y a beaucoup de merde dans ce qu’on peut lire. Mais, après tout, qui suis-je pour en décider ? Les gens aiment toujours beaucoup de choses différentes. Personnellement, je met beaucoup d’énergie à les écrire et les modifier, et ce jusqu’à la dernière minute. Parfois même je pars d’un titre ou d’un texte que j’ai en tête puis construit la musique à partir de là. Ou bien c’est un riff qui m’inspire une ligne de chant ou un bout de texte. C’est comme ça que je travaille » (interview par Metal Impact).

  Indépendamment de ce que je pense du contenu sataniste des paroles de Marduk (qui sont, il est vrai, assez travaillées dans la forme), je suis plutôt d’accord pour le coup avec Morgan. La musique et les paroles sont un tout, qui vise à traduire une idée, une émotion, un évènement intérieur que le compositeur veut partager. La musique ne se réduit pas nécessairement au support ou à l’illustration du texte, mais les hiérarchiser dans l’autre sens ne parait pas non plus pertinent. D’autant que s’ ils peuvent faire sens séparément (si on lit les paroles d’un livret sans avoir écouté l’album, ou inversement si on entend un morceau sans avoir le texte sous les yeux, le chant black metal rendant il est vrai très ardue se restitution par l’oreille), chacun peut éventuellement enrichir l’autre par un jeu de miroir et de correspondances, à l’issue d’une écoute plus investie des morceaux, ainsi chez Meshuggah, (groupe de death metal expérimental, donc normalement hors du cadre d’Inner Light, mais je pense que l’analyse qui suit est également intéressante pour le BM):

            «  Idées et absence d’idées

Dualité

Étant donné l’austérité de l’écriture, l’ambivalence entre le « moi » et « l’autre » (ou la technologie et la spiritualité, etc.) est permanente. Nous la retrouvons musicalement dans la construction complexe mais violente du Métal de Meshuggah, l’opposition en voix brute et soli de guitare très mélodiques. Elle est contenue dans l’écriture même du texte et de la musique : les termes sont toujours accolés sous forme d’oxymore. Les idées contradictoires, les termes ou idées accolés sont ainsi étroitement liés, comme le texte de « Vanished »27 nous le prouve. Le narrateur est peut-être, alors, son propre bourreau.
Le Vide et son remède

L ‘obsession du vide, du noir déjà présente par le titre dans « We’ll never see the day » par exemple ou dans celui du mini-CD None, traverse l’album Nothing. Les titres « Closed Eye visuals », « Obsidian », « Perpetual Black Second », « Nebulous » en sont la preuve. Il s’agit là d’une unité consciente28 entre les textes de l’album. Paradoxalement, dans « Closed Eye Visuals », Haake crée cette ambiance de peur mêlée de descriptions lumineuses. L’idée de l’ « obscur » va au-delà de la peur : elle est fascination, transcendance dans la fatalité. Le mal sauve d’un état psychique donné puisqu’il produit et s’oppose en cela au vide ; il réorganise, améliore, se mêle à la lumière.

Au-delà du sens, le poème sonore

Puisque Jens Kidman ne se concentre pas sur le sens du texte quand il l’interprète, la voix chez Meshuggah est aussi envisagée comme un instrument. La prosodie ne dépend pas vraiment du sens du texte : les paroles sont calées sur la musique en fonction de leur propre musicalité. Le lien entre texte et musique est loin du figuralisme : il se situe plus dans un système de correspondances, de résonances entre l’ambiance du texte et celle de la musique » (Meshuggah: une formation de metal atypique. Esthétique et technique de composition, Mémoire de maîtrise de mucicologie de Matthieu Metzger, soutenu le 23 juin 2003, sous la direction de Benoit Aubigny, MCF à l’Université de Poitiers).

On pourrait distinguer en ce sens deux façon d’écouter le black metal, comme toute musique d’ailleurs: une ludique, qui goûte la musicalité sans nécessairement s’intéresser au message ou aux intentions du compositeur, et une seconde plus prospective, qui au delà du plaisir de l’écoute, va chercher, par une étude plus approfondie de la composition musicale et des paroles,  à dégager le sens profond du morceau, voire ses différents niveaux de sens. Ainsi dans le cas de Meshuggah:
 
 « Il en résulte un texte difficilement intelligible pour un néophyte, mais qui reste assez clair. Le vocabulaire particulier n’aide pas non plus à la compréhension immédiate de la chanson. L’auditeur est alors considéré comme « volontaire », et doit faire la démarche de lire le texte sur le livret, ou, depuis Nothing, sur la plage multimédia du disque, encore moins directe. Il peut bénéficier en cela de plusieurs niveaux d’écoute successifs : une écoute rock de la musique, puis polyrythmique et mélodique avec les riffs et les soli, pour enfin envisager le tout dans le cadre de la chanson (peut-être le moins évident) » (idem).
 Certains nieront l’intérêt d’une telle démarche. Elle me semble pourtant soulever, dans le cadre d’une relecture chrétienne du black metal, deux enjeux d’importance:
 
 
1) L’apport éventuel du BM au christianisme: la recherche esthétique et existentielle/spirituelle dans le black metal

 
Comme je le soulignais dans un précédent article, le black metal, en tant que musique, est un acte de création. Il est également une tentative de communiquer, de donner un nom, une forme, une structure, à des angoisses, des désirs, des pulsions, des états de consciences, Je ne suis pas musicologue, ni même compétent musicalement, mais je pense que chaque morceau est une rencontre entre une idée, un projet conscient de son auteur, combiné éventuellement avec l’approche de chaque instrumentiste, et l’expression d’une intuition, voire d’un état d’etre, qui peut être beaucoup plus large que le précédent aspect, voire le dépasser ou le contredire. En ce sens chaque chanson est un paradoxe, une tension entre le point de vue des musiciens, individuellement et collectivement, et le fond de leur être, les problématiques qui les habitent sans qu’ils en soient nécessairement conscients. Cette tension est  particulièrement présente, dans le genre musical qui nous intéresse, dans la rupture des harmonies, des rythmes, l’aspect déstructuré des morceaux, etc. Mais l’écart éventuel entre le contenu littéral, ou meme figuré des paroles, et les sensations véhiculées par la musique, est également source de sens (et éventuellement, a contrario de l’argument cité plus haut de Morgan, un groupe musicalement inspiré avec des paroles pauvres peut être ‘autant plus intéressant par cet écart…).
 
En ce sens la recherche musicale est en même temps une quête existentielle, qui traduit l’être de ses auteurs sous toutes ses facettes, conscientes et inconscientes. Elle est un témoignage de la diversité, de la complexité, de chaque être humain, de chaque créature de Dieu. Et l’analyse comparée des textes et de la musicalité des groupes de BM, non seulement dans ce qu’ils disent explicitement (blasphèmes, etc.), mais également dans ce qu’ils taisent ou dans ce qui contredit ces derniers dans l’expression musicale, par exemple le sentiment de confrontation à une transcendance qu’elle superpose parfois à un discours nihiliste, me parait source d’enrichissement possible dans cette quête de la présence de Dieu dans toutes les facettes, existentielles, spirituelles… de sa création humaine, et un rappel salutaire de la présence de la Grâce, mais sous les apprences les plus disgracieuses et anti-esthétiques au premier regard.
Une telle complexité de l’être peut être traduite dans la seule musique; elle est d’autant plus enrichie par l’utilisation intelligente des paroles et de leur rapport avec la musique qu’elles illustrent et qui les accompagne…
 
 
2) L’apport éventuel du christianisme au black metal: élargir, enrichir et approfondir ses thématiques

L’une des revendication du black metal contre le christianisme accorde une grande importance au rôle de la mort, du désespoir, de la haine, des sentiments négatifs dans toute vie. Il s’agit en ce sens d’une réaction contre une religion perçue comme trop idéaliste, naïvement optimiste, et qui dissimulerait la pluralité des situations individuelles et des éthiques posibles sous un moralisme abstrait. Compris en ce sens, le black metal défendrait la complexité de  l’existence, et du réel en général, contre l’abstraction chrétienne et ses arrières-mondes hypocrites.
 
Cette critique du christianisme repose à mon avis sur un malentendu, comme j’ai essayé de le montrer dans l’un de mes articles sur le black metal chrétien. En effet, non seulement le christianisme, dans son catéchisme comme dans sa spiritualité, accorde une large place à,la nuit de l’âme, au doute, à l’angoisse, à la souffrance ou la colère (il n’y aqu’à lire les psaumes ou les oeuvres de nombreux mystiques pour s’en convaincre) et considère comme l’un des fondements de sa foi, rappelé lors de chaque célébration eucharistique, l’affirmation de la mort du Fils de Dieu (Saint Paul allait jusqu’à dire que si le Christ n’était pas mort en croix et ressuscité alors la foi chrétienne était sans fondement),  mais la vie chrétienne au jour le jour est souvent présenté, par le Christ comme la tradition chrétienne, comme un combat, un discernement de tous les instants, qui oblige à remettre en cause ses motivations et sa perception du prochain, ne serait-ce que par la pratique régulière de la prière et du service. Le philosophe chrétien Kierkeggaard parlait très justement de « pensées qui attaquent dans le dos ».
 
En ce sens, les thématiques du black metal et du christianisme sont en fait très proches, et se proposent toutes deux de rendre justice à la complexité et à la richesse sans cesse renouvelées du réel. C’est pourquoi un morceau de black metal avec des paroles chrétiennes, bien loin de superposer platement et pour des raisons de propagande un texte qui dit une chose à une musique qui dit le contraire, s’il est bien écrit, peut apporter un atout important à ce jeu de miroirs et de dissemblances entre texte et musicalité qui est à mon avis l’une des richesses du metal extrême, ne serait-ce que dans la relation paradoxale entre une espérance annoncée et une lourdeur et une noirceur ressenties.
 
Les métalleux, prompts à diminuer l’importance des textes pour ne pas paraitre cautionner leurs aspects parfois choquant, utilisent également ce discours pour disqualifier a priori l’apport du black metal chrétien. Cependant, il passent à mon avis à côté d’opportunités musicales importantes, et rendent un bien mauvais service au black metal: en effet l’enjeu n’est pas ici de convertir, ou de substituer une idéologie à une autre.
Si le black metal en tant que musique arrive en effet à la fois à s’accorder, d’une manière qui fasse sens et élève la recherche musicale et existentielle de chaque artiste, à des paroles qui peuvent exprimer une opposition au christianisme, mais également à des paroles qui reflètent une foi chrétienne et un cheminement spirituel véritable, alors c’est une preuve de sa richesse en tant que courant musical, puisqu’il est alors capable d’exprimer la complexité souvent paradoxale de l’existence dans toutes ses nuances et ses oppositions éventuelles, jusque dans les divergences de croyances et d’opinions en apparence les plus irréductibles.