Avant d’examiner plus particulièrement le sens que le christianisme donne à l’amour, rappelons qu’il y a plusieurs sortes d’amours, qui ne se donnent pas ni ne se vivent de la même façon: l’amour des enfants, l’amour dans un couple, l’amitié, l’amour du prochain.
En fait, sous ce même mot « amour » que le français utilise, des réalités très différentes en apparence les unes des autres sont décrites, auxquelles d’autres langues donnent des noms différents. Ainsi, le grec ancien distinguait entre l’amour sexuel (eros), l’amour d’amitié (philia) et l’amour don (agapè).
C’est avec le christianisme que l’amour don au sens d‘agapè prend une importance croissante.
Comme le Pape Benoit XVI le rappelait en effet dans l’encyclique Dieu est Amour:
» À l’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être humain, la Grèce antique avait donné le nom d’eros. Disons déjà par avance que l’Ancien Testament grec utilise deux fois seulement le mot eros, tandis que le Nouveau Testament ne l’utilise jamais: des trois mots grecs relatifs à l’amour – eros, philia (amour d’amitié) et agapè – les écrits néotestamentaires privilégient le dernier, qui dans la langue grecque était plutôt marginal. En ce qui concerne l’amour d’amitié (philia), il est repris et approfondi dans l’Évangile de Jean pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples. La mise de côté du mot eros, ainsi que la nouvelle vision de l’amour qui s’exprime à travers le mot agapè, dénotent sans aucun doute quelque chose d’essentiel dans la nouveauté du christianisme concernant précisément la compréhension de l’amour. Dans la critique du christianisme, qui s’est développée avec une radicalité grandissante à partir de la philosophie des Lumières, cette nouveauté a été considérée d’une manière absolument négative. Selon Friedrich Nietzsche, le christianisme aurait donné du venin à boire à l’eros qui, si en vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice[1]. Le philosophe allemand exprimait de la sorte une perception très répandue : l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin ? » (Dieu est Amour, 3).
Il parait manifeste que c’est surtout l’amour au sens de don, d’agapè, qui est visé par Corvus, lorqu’il écrit: « Ce rapprochement et ce dépassement s’articulent autour de la soumission, du retrait surtout lorsqu’il est univoque. Ils effacent l’individu au profit de l’autre, qui est bien heureux de ne pas avoir à se battre pour “imposer” son point de vue, ou plutôt sa différence puisque auparavant, cela se faisait par les armes . » De même que les théoriciens de la Nouvelle Droite, ainsi Guillaume Faye, réprouvent dans le christianisme, là encore à la suite de Nietzsche, cette « préférence systématique pour le faible, la victime, le vaincu« .
Cet amour qui se soumet, qui « effacerait l’individu au profit de l’autre », on peut en effet être tenté de l’opposer à l’eros, l’amour corporel, instinctif, possessif, celui qui selon Corvus, pousserait à dominer son partenaire plutôt qu’à s’effacer devant son être et sa manière de vivre: « Il n’y a pas fusion ou émulation parce que comme dans un couple, comme dans tout bipartisme, il y a toujours l’un des deux partis qui finit par imposer son individualité, ou son existence à l’autre. L’un des deux partis finit toujours par plier. Par nécessairement par la force d’ailleurs. Souvent par les sentiments« .
Dans son encyclique Dieu est amour, Benoit XVI rend bien compte de cette tension entre l’amour eros et l’amour agapè:
» Dans le débat philosophique et théologique, ces distinctions ont souvent été radicalisées jusqu’à les mettre en opposition entre elles : l’amour descendant, oblatif, précisément l’agapè, serait typiquement chrétien; à l’inverse, la culture non chrétienne, surtout la culture grecque, serait caractérisée par l’amour ascendant, possessif et sensuel, c’est-à-dire par l’eros. Si on voulait pousser à l’extrême cette antithèse, l’essence du christianisme serait alors coupée des relations vitales et fondamentales de l’existence humaine et constituerait un monde en soi, à considérer peut-être comme admirable mais fortement détaché de la complexité de l’existence humaine. En réalité, eros et agapè – amour ascendant et amour descendant – ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre. Plus ces deux formes d’amour, même dans des dimensions différentes, trouvent leur juste unité dans l’unique réalité de l’amour, plus se réalise la véritable nature de l’amour en général. Même si, initialement, l’eros est surtout sensuel, ascendant – fascination pour la grande promesse de bonheur –, lorsqu’il s’approche ensuite de l’autre, il se posera toujours moins de questions sur lui-même, il cherchera toujours plus le bonheur de l’autre, il se préoccupera toujours plus de l’autre, il se donnera et il désirera «être pour» l’autre. C’est ainsi que le moment de l’agapè s’insère en lui ; sinon l’eros déchoit et perd aussi sa nature même. D’autre part, l’homme ne peut pas non plus vivre exclusivement dans l’amour oblatif, descendant. Il ne peut pas toujours seulement donner, il doit aussi recevoir. Celui qui veut donner de l’amour doit lui aussi le recevoir comme un don. L’homme peut assurément, comme nous le dit le Seigneur, devenir source d’où sortent des fleuves d’eau vive (cf. Jn 7, 37-38). Mais pour devenir une telle source, il doit lui-même boire toujours à nouveau à la source première et originaire qui est Jésus Christ, du cœur transpercé duquel jaillit l’amour de Dieu (cf. Jn 19, 34) » ( Dieu est Amour, 7).
Il est inexact en ce sens de décrire l’amour chrétien comme un pur retrait, un effacement ou une soumission. De même que l’amour « mondain » n’est pas en totalité un bipartisme ou une lutte de pouvoir. Si les rapports de force sont évidemment présents dans toute relation amoureuse et en constituent une composante importante dans la durée, y voir le fond de celle ci apparait extrêmement réducteur.
Cette lutte de pouvoir, si elle existe, n’est en effet pas première dans la relation, que celle-ci ait pour cadre l’amour de Dieu, l’amour du prochain, ou l’amour en couple. Ce qui vient tout d’abord, c’est une rencontre entre deux personnes: il convient de noter en effet que l’amour ne nait pas de la seule volonté, comme Benoit XVI le rappelle. Il « s’impose à l’être humain« , il nous est donné. C’est vrai pour l’amour entre deux amants. Cela l’est également pour l’amour du prochain ou l’amour de Dieu, qui nous est donné par la Grâce, selon l’enseignement de l’Eglise. Après, on peut choisir d’accueillir ou non cette amour, de s’y « soumettre » ou non, dirait Corvus. Mais au départ, quoiqu’il arrive ensuite, il est reçu.
L’amour, c’est donc à l’origine une inclination que nous recevons à l’occasion d’une rencontre, que ce soit celle de notre prochain, de la Grâce Divine ou de la personne avec qui nous choisiropns de créer un couple. L’amour n’a donc pas pour origine un retrait, un diminution de notre être mais un apport, quelque chose que nous recevons d’un autre et qui nous fait sentir plus vivants, plus nous même. Lorsqu’il nait en nous, l’amour nous procure de la joie parce qu’il semble nous apporter un surcroit d’être.
Il est cependant vrai que cette joie, et le sentiment qui est à l’origine de notre amour, ne durent habituellement pas, et sont souvent la proie du temps et de l’usure. Ainsi les couples qui, au bout de quelques semaines, quelques mois, quelques années, découvrent qu’ils n’éprouvent plus rien l’un pour l’autre, que la passion qui les avait unis semble irrémédiablement disparue. Ainsi également le converti qui les premiers jours, les premières semaines, prend beaucoup de plaisir à prier Dieu et à vivre les sacrements, et qui au fil du temps ressent de la sécheresse dans sa prière, de l’ennui à la messe, et dont la foi s’estompe peu à peu:
» Dans le développement de cette rencontre, il apparaît clairement que l’amour n’est pas seulement un sentiment. Les sentiments vont et viennent. Le sentiment peut être une merveilleuse étincelle initiale, mais il n’est pas la totalité de l’amour. Au début, nous avons parlé du processus des purifications et des maturations, à travers lesquelles l’eros devient pleinement lui-même, devient amour au sens plein du terme. C’est le propre de la maturité de l’amour d’impliquer toutes les potentialités de l’homme, et d’inclure, pour ainsi dire, l’homme dans son intégralité. La rencontre des manifestations visibles de l’amour de Dieu peut susciter en nous un sentiment de joie, qui naît de l’expérience d’être aimé. Mais cette rencontre requiert aussi notre volonté et notre intelligence. La reconnaissance du Dieu vivant est une route vers l’amour, et le oui de notre volonté à la sienne unit intelligence, volonté et sentiment dans l’acte totalisant de l’amour. Ce processus demeure cependant constamment en mouvement: l’amour n’est jamais «achevé» ni complet; il se transforme au cours de l’existence, il mûrit et c’est justement pour cela qu’il demeure fidèle à lui-même. Idem velle atque idem nolle[9] – vouloir la même chose et ne pas vouloir la même chose; voilà ce que les anciens ont reconnu comme l’authentique contenu de l’amour: devenir l’un semblable à l’autre, ce qui conduit à une communauté de volonté et de pensée. L’histoire d’amour entre Dieu et l’homme consiste justement dans le fait que cette communion de volonté grandit dans la communion de pensée et de sentiment, et ainsi notre vouloir et la volonté de Dieu coïncident toujours plus: la volonté de Dieu n’est plus pour moi une volonté étrangère, que les commandements m’imposent de l’extérieur, mais elle est ma propre volonté, sur la base de l’expérience que, de fait, Dieu est plus intime à moi-même que je ne le suis à moi-même[10]. C’est alors que grandit l’abandon en Dieu et que Dieu devient notre joie (cf. Ps 72 [73], 23-28) » ( Dieu est Amour, 17).
Le propre de cette rencontre de l’autre qu’est l’amour est qu’il nous fait désirer le connaitre davantage, non pas pour mieux le posséder ou le dominer, non pas non plus d’une manière morbide qui nous pousserait à nous annihiler pour lui, mais pour être plus proche de lui. Il nous transforme à son image, ce qui conduit certes à faire parfois le sacrifice de certaines choses qui nous définissaient, mais dans une relation qui n’est pas à sens unique, où chacun tout à la fois donne à l’autre et reçoit de lui.
L’amour, pour durer, doit en effet s’éprouver et se transformer. Un amour qui culmine dans la domination ou la soumission, c’est un amour qui meurt, des deux côtés. Là où l’amour de l’autre enrichissait à l’origine les deux parties, il ne reste que l’anéantissement et la frustration pour la personne qui s’est totalement soumise, et l’ego pour celle qui al’affrontement. La logique du dominant est en ce sens tout aussi nihiliste que celle du dominé, dans la mesure où elle vient tuer à la source ce qui lui avait procuré la joie du partage et un surplus d’être.
C’est pourquoi un amour qui veut durer, qui veut vivre, est un amour qui veille à toujours donner, mais qui est aussi attentif à toujours recevoir, ou peut être plus précisément à réaliser combien il reçoit et à en concevoir de l’épanouissement et de la reconnaissance. Dans un couple, il s’entretient dans la fidélité et le pardon des infidélités. Dans la relation à Dieu, il persévère par la prière, la fréquentation de sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation, et dans le service. Cette fidélité ne se résume pas à un pur sacrifice de sa liberté au profit de l’être aimé. Elle veille non seulement à toujours donner, mais également à toujours être reconnaissante: elle est attentive à toutes les attentions de la part de l’être aimé, à tout ce qui est reçu en même temps que donné. Un couple heureux le demeure, non seulement parce que chacun des membres de ce couple persévère dans l’amour de son partenaire, mais également parce qu’il se sait aimé de lui en retour. Et le croyant n’aime pas dans le vide, malgré les apparences, mais est fréquemment appelé à convertir son regard, et à rendre Grâce de tout ce que l’Amour Divin lui apporte dans sa vie, de combien sa joie est plus grande depuis qu’il a fait le choix de l’Amour, malgré toutes les épreuves et les souffrances du quotidien, ce qui se manifeste régulièrement par des signes très concrets dans sa vie de foi.
Un exemple très concret que l’amour qui se donne est aussi un amour qui reçoit peut être trouvé dans l’aboutissement par excellence de la vie de couple, qui est la naissance d’un enfant. Je n’en ai pas personnellement, mais j’ai toujours été frappé par le témoignage de ces nombreux parents parmi mes proches, qui donnent tout, sacrifient tout pour leur(s) enfant(s), et en retirent une joie profonde et une vie bien plus pleine que par le passé. En donnant beaucoup, on reçoit souvent beaucoup, et aimer, loin « d’effacer » l’individu, permet de l’affirmer pleinement, dans la relation à autrui qui constitue aussi à chaque instant son être, par dela toute définition abstraite du moi comme un ilôt indépendant du reste du monde.
De façon sans doute un peu moins évidente, mais tout aussi profonde, il en va de même de cet amour du prochain, quand bien même celui-ci serait un parfait inconnu ou mon pire ennemi, auquel nous appelle le Christ. Cet autre que je m’efforce d’aimer, pour le coup souvent pontre mon inclination ou mon sentiment, il ne conduit pas ma volonté à s’anéantir devant lui, mais à se transformer, pour passer de l’affrontement stérile du « je » et du « toi » au « nous » qui me permet d’envisager mon prochain, non comme une source de frustration et de colère, mais comme une occasion de construire quelque chose qui dépasse mon petit moi ballotté par les émotions éphémère et ma courte existence, de témoigner d’une signification plus profonde et plus durable que la somme de mes réussites et de mes échecs personnels. Il me permet de faire corps avec autrui, de retirer de la joie et non plus de la souffrance ou de l’envie de sa joie, et de l’espérance et non plus de l’indifférence de sa tristesse. Aimer mon prochain me fait certes expérimenter au jour le jour quantité de petites frustrations, de petites révoltes et de petites désespérances, mais à moyen terme me transforme, et me donne une paix intérieure, alors que vivre selon ma propre volonté m’enfermait dans l’angoisse et la méfiance, et me fait connaitre la joie de construire quelque chose de durable au fil des années, là où le temps joue inéluctablement contre ceux qui prétendent ne vivre que pour eux et que par leur propres forces. L’amour donne du fruit, qui germe bien souvent au delà de notre existence éphémère. La haine est stérile: elle nous enferme dans une opposition à une adversité que nous ne pouvons jamais soumettre ou détruire, surtout quand on prétend haïr de manière absolue, et ne mène qu’à une mort dans la solitude après une existence vide.
Pour re situer ce fruit dans une perspective chrétienne:
« L’amour du prochain se révèle ainsi possible au sens défini par la Bible, par Jésus. Il consiste précisément dans le fait que j’aime aussi, en Dieu et avec Dieu, la personne que je n’apprécie pas ou que je ne connais même pas. Cela ne peut se réaliser qu’à partir de la rencontre intime avec Dieu, une rencontre qui est devenue communion de volonté pour aller jusqu’à toucher le sentiment. J’apprends alors à regarder cette autre personne non plus seulement avec mes yeux et mes sentiments, mais selon la perspective de Jésus Christ. Son ami est mon ami. Au-delà de l’apparence extérieure de l’autre, jaillit son attente intérieure d’un geste d’amour, d’un geste d’attention, que je ne lui donne pas seulement à travers des organisations créées à cet effet, l’acceptant peut-être comme une nécessité politique. Je vois avec les yeux du Christ et je peux donner à l’autre bien plus que les choses qui lui sont extérieurement nécessaires: je peux lui donner le regard d’amour dont il a besoin. Ici apparaît l’interaction nécessaire entre amour de Dieu et amour du prochain, sur laquelle insiste tant la Première Lettre de Jean. Si le contact avec Dieu me fait complètement défaut dans ma vie, je ne peux jamais voir en l’autre que l’autre, et je ne réussis pas à reconnaître en lui l’image divine. Si par contre dans ma vie je néglige complètement l’attention à l’autre, désirant seulement être «pieux» et accomplir mes «devoirs religieux», alors même ma relation à Dieu se dessèche. Alors, cette relation est seulement «correcte», mais sans amour. Seule ma disponibilité à aller à la rencontre du prochain, à lui témoigner de l’amour, me rend aussi sensible devant Dieu. Seul le service du prochain ouvre mes yeux sur ce que Dieu fait pour moi et sur sa manière à Lui de m’aimer. Les saints – pensons par exemple à la bienheureuse Teresa de Calcutta – ont puisé dans la rencontre avec le Seigneur dans l’Eucharistie leur capacité à aimer le prochain de manière toujours nouvelle, et réciproquement cette rencontre a acquis son réalisme et sa profondeur précisément grâce à leur service des autres. Amour de Dieu et amour du prochain sont inséparables, c’est un unique commandement. Tous les deux cependant vivent de l’amour prévenant de Dieu qui nous a aimés le premier. Ainsi, il n’est plus question d’un «commandement» qui nous prescrit l’impossible de l’extérieur, mais au contraire d’une expérience de l’amour, donnée de l’intérieur, un amour qui, de par sa nature, doit par la suite être partagé avec d’autres. L’amour grandit par l’amour. L’amour est «divin» parce qu’il vient de Dieu et qu’il nous unit à Dieu, et, à travers ce processus d’unification, il nous transforme en un Nous, qui surpasse nos divisions et qui nous fait devenir un, jusqu’à ce que, à la fin, Dieu soit «tout en tous» (1 Co 15, 28) » (Dieu est Amour, 18).
On peut donc aisément mesurer à quel point l’affirmation suivante de Corvus est d’une absurdité sans nom:
« Voilà pourquoi le Christ a été abandonné. Parce qu’il ne symbolise plus la crainte, ni la peur. Parce que ses messages se sont féminisés un peu comme l’ensemble de la société. Les jeunes hommes ont besoin de se sentir Homme. Ils ont besoin de sentir qu’ils en ont une entre les deux jambes. Je sais, c’est animal mais c’est aussi profondément humain.
Parce que l’image de Marie a remplacé l’image d’un dieu dur, guerrier, qui peut être cruel. Parce que la tolérance tout azimut du Christianisme actuelle mène à la tombe, au remplacement, à la soumission et à la collaboration.
Que le Christianisme des Templiers ressuscitent, et vous verrez que les Eglises se rempliront à nouveau » (source).
L’amour est au centre de l’Evangile, et Marie est le symbole par excellence de notre Eglise. Remplacez les par une religion de la crainte et de la peur, par un « christianisme des templiers » (si tant est qu’une telle chose, au sens où Corvus l’entend, ait jamais existé), et le christianisme est mort. Alors qu’importe de nous brandir la menace de l’Islam, du black metal, du communisme, ou de que sais-je encore, si c’est pour renoncer à ce qui fait le coeur même de notre foi? Ce « christianisme culturel » tant revendiqué par certains, qui prétend minimiser l’importance de la charité en conscience et en acte et l’accueil de l’autre devant la défense de la « chrétienté », ne nous mène pas ver la victoire, mais bel et bien au suicide. Rome a combattu les barbares par les armes, et s’est écroulée. L’Eglise leur a fait connaitre ses martyrs, et les rois francs, wisigoths, etc. ont fini par se convertir.
Quand à la hargne de certains black metalleux contre les chrétiens, je ne crois pas qu’elle soit dûe à une intention inconsciente de les éveiller et leur faire reprendre les armes. Le black metal, qui s’est voulu la musique de la haine, du désespoir et du néant, s’est détaché au fil des années de ses origines satanistes, pour se tourner ver le néo-paganisme (Enslaved), l’imaginaire fantastique (Cradle of Filth) ou même le christianisme (Antestor). Les musiciens sont nombreux à minimiser l’idéologie pour mettre l’acte de création musicale au premier plan. Cette revendication de l’égoïsme et de la solitude, « par delà le bien et le mal », qui est bel et bien revendiquée par certains black metalleux, j’y vois moins l’expression d’une domination virile qu’une manière d’exprimer sa souffrance et en même temps de la fuir (si j’épouse l’origine du mal, si je suis la source de la souffrance d’autrui, comment pourrais avoir mal et souffrir en retour?), qui n’échappe pas à l’aspiration finalement si proche de n’importe quelle religion de faire corps par l’expression d’une recherche esthétique commune, de fonder une communauté. Mais le black metal, loin d’exprimer une force naturelle instinctive, sûre d’elle-même et dominatrice, est parcouru de paradoxes et d’hésitations: musique du néant, et par là même acte de création, exaltant la Nature originelle, mais irréalisable sans une technologie avancée (cf. Du paganisme à Nietzsche de Nicolas Walzer Editions du Camion Blanc, 2010), jouée par des « solitaires » pourtant très attachés à leur communauté, parfois jusqu’au conformisme, qui se réclament souvent d’une sorte d' »élite » musicale, mais se délectent de l’amateurisme des morceaux de raw black metal. Quand on creuse un peu derrière les postures et les grands discours, le black metal n’exprime ni une assurance particulièrement impoortante de ses membres, ni l’expression de je ne sais quel instinct naturel élitiste, mais une grande fragilité, et le souci de définir de nouvelles normes face à une existence souvent bien incertaine. Et ce sont cette fragilité et cette incertitude qui le rendent bien souvent profond, bien plus que les pseudos philosophies volontaristes et le culte de la force de certains de ses zélateurs, car c’est là qu’il touche aux grandes questions qui traversent un jour ou l’autre toute âme humaine. Y compris celles chrétiennes, parfois pour leur perte, mais souvent aussi de telle sorte qu’elles cheminent vers le repentir et la conversion.