(Disclaimer: je ne suis pas théologien et j’espère ne pas commettre trop d’erreurs dans mon exposé sur le blasphème).
Les paroles de beaucoup de groupes de black metal sont blasphématoires. Ceci au moins fait l’unanimité.
Quest-ce qu’un blasphème, cela dit, et quelles conséquences un black metalleux chrétien doit-il en tirer?
L’Eglise Catholique définit le blasphème de la manière suivante:
« 2161 Le deuxième commandement prescrit de respecter le nom du Seigneur. Le nom du Seigneur est saint.
2162 Le second commandement interdit tout usage inconvenant du Nom de Dieu. Le blasphème consiste à user du Nom de Dieu, de Jésus Christ, de la Vierge Marie et des saints d’une façon injurieuse » (Catéchisme de l’Eglise Catholique).
Le blasphème est un péché grave, au sens où il y a matière grave:
« Certains péchés sont toujours graves comme le meurtre, l’avortement, l’euthanasie, le blasphème, les péchés contre la pureté et la chasteté (non seulement les actes mais aussi le consentement les désirs impurs dans la mesure où on a pleinement consenti (cf Mt 5 ; 28) (ne pas confondre consentement et tentation)), l’omission de la messe le dimanche sans cause raisonnable, le spiritisme, communion et confession sacrilège, etc… » (Source www.serviam.net).
Le Catéchisme de l’Eglise Catholique caractérise ainsi le péché:
« 1849Le péché est une faute contre la raison, la vérité, la conscience droite; il est un manquement à l’amour véritable, envers Dieu et envers le prochain, à cause d’un attachement pervers à certains biens. Il blesse la nature de l’homme et porte atteinte à la solidarité humaine. Il a été défini comme « une parole, un acte ou un désir contraires à la loi éternelle ». S. Augustin, Faust. 22, 27: PL 42, 418; S. Thomas d’A., s. th. 1-2, 71, 6.
1850 Le péché est une offense faite à Dieu: « Contre toi, toi seul, j’ai péché. Ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait » (Ps 51, 6). Le péché se dresse contre l’amour de Dieu pour nous et en détourne nos coeurs. Comme le péché premier, il est une désobéissance, une révolte contre Dieu, par la volonté de devenir « comme des dieux », connaissant et déterminant le bien et le mal (Gn 3, 5). Le péché est ainsi « amour de soi jusqu’au mépris de Dieu ». S. Augustin, civ. 14, 28. Par cette exaltation orgueilleuse de soi, le péché est diamétralement contraire à l’obéissance de Jésus qui accomplit le salut. Cf. Ph 2, 6-9. »
Le péché n’est pas synonyme de faute morale: la faute est dirigée contre autrui; le péché, lui, est toujours contre Dieu. Il est matérialisé par tous les actes que nous commettons qui atténuent en nous la relation à Dieu et à Son amour.
Il existe deux types de péchés: le péché véniel, qui diminue en nous la grâce sans la faire disparaitre, et le péché mortel, qui nous en coupe totalement.
Le péché mortel, pour être remis, nécessite de recevoir le sacrement de réconciliation.
Pour qu’il y ait péché mortel, trois éléments doivent être rassemblés: il faut qu’il y ait matière grave (c’est le cas pour le blasphème, comme nous l’avons vu), pleine conscience et propos délibéré.
Dansle cas des paroles et représentations blasphématoires dans le black metal, il parait évident d’après ce qui précède qu’il y a matière grave et propos délibéré. Le débat porte davantage sur la question de la pleine conscience. Le site www.serviam.net nous rappelle les termes généraux dans lesquels elle se pose:
« Rôle de la conscience
Les deux autres conditions (pleine connaissance et entier consentement (cf CEC n° 1859) montrent l’importance de la conscience dans l’acte du péché (cf CEC, n° 1776 et sq) ; C’est la conscience de l’homme qui en définitive porte le jugement moral sur ses actes (cf CEC 1776 et sq). D’où l’importance d’avoir une conscience droite (c’est-à-dire tournée vers le bien) et vraie (c’est-à-dire qui sache ce qui est conforme à la loi divine), (cf. tout le chapitre du CEC sur la conscience).
L’homme a le devoir de bien former sa conscience : un médecin qui refuserait de continuer ou perfectionner sa formation, même après l’obtention de son diplôme, ou qui se serait insuffisamment formé dans la période antécédente, porterait de graves responsabilités sur les fautes professionnelles commises dans l’exercice de son métier. De même tout homme qui néglige la formation de sa conscience, est responsable des fautes commises dans sa vie humaine et chrétienne.
La personne dont la conscience est bien formée, verra en fonction de la gravité des avertissements de celle-ci, ce qui est une faute grave ; et comme elle est bien formée cette gravité qu’elle perçoit sera effectivement ce qui est conforme à la réalité, c’est à dire à la loi divine ».
Je pense que cette question, pour ce qui concerne les groupes de black metal qui utilisent une thématique blasphématoire dans les paroles de leurs morceaux et la mise en scène de leurs concerts, doit être abordée sous deux angles:
1) La responsabilité des groupes de black metal « problématiques »:
Sur ce point, je pense que tout en restant ferme sur les principes, il convient de ne pas trop dramatiser.
Certains groupes, tels que Gorgoroth, Marduk, Godseed,… confessent certes ouvertement des convictions satanistes, et le blasphème est une thématique omniprésente et essentielle dans leurs morceaux et l’imagerie de leurs albums et de leurs concerts. Ils définissent eux-même l’hostilité au christianisme et aux valeurs qu’il représente comme l’essence même de leur engagement musical et idéologique:
« CoC: Marduk are renowned for extreme Satanic lyrics; are the lyrics on _Panzer Division Marduk_ going to be in the same vein as on _Heaven Shall Burn…_ and your latest releases?
L: Yeah, they will, for sure. If the only supernatural Evil that ever existed on Earth was in the dark ages, in 1300 or something, then why would we be around doing what we do, if we didn’t believe that thing still exists? We’re looking at it from a different point of view, in a different century, but the lyrics regarding Marduk will always have a Satanic base, because that is what this band is really all about. It will be the same lyrics as always, but with a different touch, you could say. […] L: Just because you don’t believe that the trolls are running around in the forest anymore doesn’t really mean to me that there is no higher power. I believe in an [incomprehensible] divinity, a force so great our brains cannot get the whole picture, we can only see fractions of it. And it’s so powerful, you are -nothing-, you’re like a tiny little shit compared to that power, and that is what we believe in. That is our aim, with our lyrics, to hammer the last nail in the coffin of Christianity, and give praise to something which we feel is better » (Interview de Legion de Marduk par le site Chronicles of Chaos).
De telles positions, bien qu’elles n’aient rien d’illégal en soi du point de vue du droit français, sont bien sûr inacceptables pour tout chrétien, et il me parait être, à mon modeste avis, du devoir de tout croyant de les désapprouver et les combattre.
Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas de discernement à opérer en parallèle sur les personnes et sur l’équation personnelle ou la vie intérieure qu’elles essaient de traduire par le satanisme. J’ai montré dans un précédent article que pour Nergal de Béhémoth, par exemple, le christianisme représentait l’hypocrisie et l’asservissement et le satanisme la liberté. Dans un autre article, un morceau d’Emperor illustrait combien le satanisme explicite laissait transparaitre un désir d’éternité et une certaine forme de nostalgie inconsciente de Dieu. Si l’adoption du satanisme comme philosophie ou religion personnelle n’est vraisemblablement pas sans conséquence sur l’évolution spirituelle et le jugement moral des black metalleux concernés, il n’en résulte pas nécessairement que le mal véhiculé par leur discours soit le reflet d’une inclination sincère et profonde pour ce dernier, ni d’une relation particulière avec Satan himself, dont l’Eglise catholique affirme certes l’existence personnelle. On peut penser d’une manière qui me parait assez légitime que l’action de ce dernier est sans doute un peu plus subtile que soutenir unilatéralement tous les groupes qui se réclament de lui, et qu’elle peut être présente aussi, au moins en germe, dans les réactions de peur et de haine que ces provocations grossières suscitent trop souvent dans certains milieux chrétiens. D’où la nécessité de discerner derrière les propos de chacun les motivations et les sentiments réellement à l’oeuvre:
« Avoir un esprit large, ce n’est pas avoir un esprit libéral et laxiste, mais avoir un esprit qui prenne en compte toute la réalité et qui ne réduise pas la réalité à ce qu’il perçoit et à ce qu’il comprend. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Il y a du bien partout et en toutes choses. Il y a aussi du mal qui vient vicier ce bien mais sans pour autant le pervertir complètement. La réalité étant très complexe, il ne faut pas la réduire à des schémas simplistes. En d’autres termes, il faut bien étudier et se renseigner sur un sujet ou une personne, prendre en compte tous les éléments possibles, avant de porter un jugement et être prêt à le réformer dès que les informations nouvelles nous parviennent. Un esprit large est aussi un esprit qui ne se limite pas à son cadre de vie habituel, mais qui s’intéresse à tout. Pour élargir notre esprit, il faut un intelligence qui aime et qui vive dans l’instant présent en étant attentive à l’ensemble de la réalité » (Marc-Antoine Fontelle Construire la civilisation de l’Amour, « Méthode de réflexion de la doctrine sociale de l’Eglise, Editions Pierre Téqui, 1998)
Les black métalleux qui blasphèment abondamment dans leurs chansons ont une conception généralement erronnée du christianisme, qui assimile souvent son enseignement à un mal qu’ils ont constaté. Si leurs actes en eux-mêmes sont graves, ils ont donc rarement conscience de cette réalité, et au contraire croient combattre pour ce qui est juste. Ce qui signifie, d’une part, que leur âme n’est pas nécessairement coupée de la Grâce divine, d’autre part, qu’il peut demeurer une part de bien, par exemple de critique vraie de telle ou telle injustice ou hypocrisie ou d’expression d’un désir sincère d’élevation spirituelle, dissimulée en germe derrière le blasphème explicite. Leur discours, s’il est à rejeter dans son contenu littéral, doit donc faire l’objet d’un discernement systématique sur ses intentions et motivations réelles. Ce qui m’amène au deuxième point:
2) La responsabilité des black métalleux chrétiens (et des chrétiens en général):
Pour les black métalleux chrétiens, la question de la pleine conscience se pose un peu différemment. En tant que chrétiens, nous savons que nous avons le devoir de « bien former [notre] conscience ». Notre baptême nous engage à rejeter le péché, et Satan qui en est l’auteur. il ne nous est donc pas possible, me semble-t-il, ni de cautionner des blasphèmes en se réfugiant derrière les arguments de la licence artistique ou de l’ignorance de leurs auteurs, ni de rester silencieux face à tout discours qui tend à assimiler notre musique à l’expression de convictions satanistes.
Ce qui mène vers deux types d’actions: d’une part nous faire connaitre, pour mettre en évidence la possibilité de thématiques différentes et plus riches pour le black metal que celles empruntées au satanisme et au néo-paganisme, thématiques qui ne sont pas nécessairement explicitement chrétiennes ou prosélytes mais qui conribuent à séparer l’identité de ce courant du metal extrême de ses racines antichrétiennes. D’autre part déconstruire systématiquement l’idéologie revendiquée par certains black metalleux, par exemple ceux de la mouvance du « true black metal » , qui conduit à réduire l’expression musicale du BM à la mise en forme artistique d’une opposition radicale aux valeurs chrétiennes, suivant le mot de Morgan de Marduk: « Black Metal is meant to be Satanic » (interview par Terrorizer), tant pour libérer le BM en lui-même de celle-ci que pour faire prendre conscience aux auteurs de la gravité de leurs actes. Ce qui suppose à mon avis de bien cerner aussi les apports éventuellement positifs de ces groupes, afin de bien distinger l’essence du BM des thématiques satanistes qui lui sont superposées.
C’est ce que j’essaie de faire sur ce blog. C’est également la démarche de beaucoup de groupes de BM chrétien, qui semble plus constructive que les polémiques déclenchées chaque année par les initiatives antihellfest qui s’attaquent finalement aux personnes sans analyser en profondeur les idées. Car il s’agit d’un combat sur le terrain des idées et des symboles, et non d’un rapport de force entre lobbies, comme « l’ennemi » lui-même le rappelle:
« –There will always be a problem with Christianity.
-Will there comme a time when there will be an actual conflict?
-No, I think Christianity will eventually end by itself. But when I say we are waging a war against Christianity, I mean a symbolic war. You can never go to war against Christianity. Of course, you could try, but it’d be pointless. You can only do it symbolically and awaken people’s mind. At least if 20,000 people buy our records they will be inspired to do something about it. Spreading the message is about as much you can do for the time being » (interview par Terrorizer de Morgan).
Remarque qui a le double mérite, antichristianisme mis à part, de très bien cerner le lieu et les enjeux réels de la polémique, et de dédramatiser les soit disant « appels au meurtres des chrétiens » et agissements répréhensibles devant la loi dénoncés par certains.