L’usage des pseudonymes dans le black metal

Une polémique en cours entre différents blogs cathos à propos du pseudonymat sur internet (voir ici, ici, ici, ici, ici ou encore ici) m’a donné l’envie d’écrire ce billet, quoique le contexte n’ait pas grand chose (voire rien) à voir.

Il n’y a qu’à parcourir des pochettes d’album pour réaliser que beaucoup de musiciens de black metal ne signent pas leur musique de leur vrai nom:

 » Black metal artists also adopt pseudonyms, usually symbolizing dark values, such as Nocturno Culto, Gaahl, Abbath, and Silenoz » (article « Pseudonym », Wikipedia).

« La plupart des musiciens de black metal décident d’adopter des pseudonymes, souvent inspirés de personnages occultes ou imaginaires » (article « Black Metal », Wikipedia).

A la différence des pseudonymes utilisés par beaucoup d’internautes, les noms de scène des black metalleux n’ont généralement pas pour fonction de dissimuler leur identité. Pour reprendre les exemples donnés plus haut, cela prend quelques secondes sur n’importe quel moteur de recherche pour trouver les noms qui se dissimulent derrière: Nocturno Culto = Ted Skjellum, Gaahl = Kristian Eivind, Abbath = Olve Eikemo, Silenoz = Sven Alte Kopperud.

Pourquoi un pseudonyme? Des membres du forum Ultimate Metal, dans un fil de discussion intitulé  black metal stage name, proposent les réponses suivantes:

– La tradition musicale:  « Tradition, mostly, I would say », « Artists in general have done it for very long », « And they’ve done it in thrash to, like hellcunt, angelripper, etc. ».

– Pour des raisons esthétiques:  « Plus, « Baragathron: satanic death battery » sounds more sinister than « Brian: underproduced tinny drums » », « Because they are awesome », « because « Jeff Whitehead » probably would not gain attention, notoriety, or even sales as much as « Wrest » », « It’s all part of the aesthetic. Why do early heavy metal musicians wear leather? It fits with the music. », « It’s kewl that’s why », « It’s a lot more kvlt and grim to be called Necrobutcher than Jørn Stubberud, especially if you’re wearing corpse paint », « To make them sound cool ».

– Pour quelques uns, parce que leur vrai nom apparait antinomique avec les valeurs dont ils se réclament: « Some black metal musicians chooses stage names as a rebellion against their Christian names, if they have one, or if their last name was Christiansen for example » .

J’émets une réserve sur ce dernier argument: si certains black metalleux ont en effet modifié ou dissimulé leur nom en raisons de ses consonnances chrétiennes, il semble que cela ait été de paire avec une motivation d’ordre esthétique. Pour prendre l’un des exemples les plus célèbres, Kristian Larsson Vikernes a changé légalement son nom en Varg Qvisling Larssøn Vikernes, mais il a en plus pris le pseudonyme de « Count Grishnackh », du nom d’un personnage du Seigneur des Anneaux.

S’il est vrai que le black metal est loin d’être le seul courant musical, ou même artistique de manière générale, à faire un usage intensif des noms de scène, le caractère quasi systématique de ce dernier, associé à des caractéristiques telles que le « look » black metalleux (corpse paints, cuir et clous, armes médiévales), la mise en scène des concerts, les illustrations de pochettes,  l’imaginaire fantastique que de manière plus générale tous ces éléments  convoquent ensemble, tendent à en faire non seulement une forme d’expression musicale parmi d’autres, mais une revendication d’un « art total », qui puise ses significations non seulement dans la musique, mais également dans toute sorte d’autres medias artistiques ou idéologiques. Certains artistes contemporains ne s’y sont pas trompé, et ont puisé dans ses thèmes et son imagerie une partie de leur propre inspiration:

 » La multiplication des références au black metal dans la production artistique contemporaine n’est ni accidentelle ni fortuite. Depuis sa naissance en Norvège au milieu des années 1980, le black metal veut être plus qu’un genre musical, et revendique le statut de mouvement esthétique et politique total, avec des ramifications dans les arts plastiques, la littérature, et l’idéologie (plusieurs groupes entretiennent des liens étroits avec le mouvement de l’écologie radicale ou deep ecology, version extrême, conservatrice et anti-humaniste de l’écologie politique). Son lexique esthétique, qui emprunte à la fois au répertoire classique du heavy metal, à l’expressionnisme et au romantisme allemands, et ses références appuyées aux paganismes et aux motifs littéraires de la catastrophe et de la mélancolie en font un matériau privilégié pour l’art contemporain.

La plupart du temps, les plasticiens se contentent de recycler ou de citer ce lexique visuel, laissant de côté la musique. Aussi, l’œuvre de Mickaël Sellam fait figure d’innovation, puisqu’elle combine réflexion plastique et création musicale. Sa pièce Black Metal Forever est une machine de chantier, une nacelle pouvant s’élever à seize mètres de haut et réinterprétée en adéquation avec le vocabulaire esthétique du Black Metal. Cette machine se déploie de façon inquiétante, produisant au passage sa propre bande son » (« Le black metal pris dans un devenir-machine », par Morgan Poyau, sur le blog The Creators project).

A la lumière de cette revendication, on comprend que l’omniprésence de la pseudonymie, chez les artistes de black metal, n’a pour  fonction principale ni de dissimuler l’identité réelle, ni de sonner bêtement « cool », mais de participer à la construction d’un monde imaginaire, où tout ce qui renvoie à la quotidienneté banale de nos vies disparait au profit d’une imagerie sombre, fantastique, effrayante ou mélancolique, qui s’inscrit souvent dans un discours anti chrétien ou néo païen, mais qui plus profondément, peut intégrer toutes sortes de thématiques ou d’idées qui puisent dans l’onirisme, la fantasy, la mythologie, etc. (et le fantastique chrétien, l’heroic fantasy chrétienne, ça existe, dans la littérature, au cinéma, etc. Alors pourquoi pas du black metal chrétien, soit dit en passant?).

A noter que les black metalleux, souvent pétris de contradictions comme j’ai déjà eu l’occasion de le montrer,  tout attirés qu’ils sont par cette aspiration au « sérieux » contenue dans leur musique, n’hésitent souvent pas à prendre leurs distances avec celui-ci, en le brisant par la dérision. Concernant l’usage des pseudonymes, les exemples abondent dans le fil de discussion d’Ultimate Metal cité plus haut, et culminent dans la référence aux générateurs automatiques de pseudonymes de black metal (au passage, sur mon vrai nom, ça donne: « immortal Earl Anazarel », et sur Darth Manu: « dark Atheling Mammon » ;)). Il existe d’ailleurs également des générateurs de titres de chansons de black metal aléatoires, preuve que la plupart des black metalleux ne sont pas dupes de l’extremisme affiché du milieu, et ont mis en place des mécanismes de distanciations par rapport à ses aspects les plus morbides. A ce titre, beaucoup d’entre eux (pas tous, certes) ont beaucoup plus les pieds sur terre et font preuve de beaucoup plus de bon sens et de recul par rapport à l’imagerie black metal que certains de leurs dénonciateurs les plus féroces (genre Jacky Cordonnier et consorts).

Si je puis me permettre de revenir en conclusion sur le débat qui agite la cathosphère et que je citais en début de billet, il me semble que ce petit excursus dans le black metal montre une fonction du pseudonyme qui est à mon avis beaucoup plus centrale que l’anonymat, qui a été bien perçue par certains des blogueurs que je mettais plus haut en lien, mais pas vraiment semble-t-il par l’Abbé Amar qui est à l’origine de la polémique: le pseudonyme permet de créer du sens, de donner aux propos, très courts et avec peu de contexte sur twitter, plus développés sur les blogs, un contexte, une profondeur, une certaine ambiance, et surtoutune sorte de préambule, de déclaration d’intentions. Le pseudonyme de « Koz », sur le blog « Koztoujours », m’en apprend plus sur sa personnalité que son identité véritable: Erwan Le Morhedec. De même que des pseudos comme « Les Yeux Ouverts », « Pneumatis » ou « Darth Manu » en disent plus sur le contenu et la finalité de nos blogs respectifs que nos véritables patronymes (et je connais le vrai nom de chacun des blogueurs que je viens de citer). Et ce qui est le contraire des polémiques stériles sur internet, auxquelles cet appel du Père Amar à la levée des pseudos chez les catholiques entend répondre, c’est bien que chacun, nous contribuions à créer du sens. Si les pseudos nous le permettent, pourquoi s’en priver? Après, c’est à chacun de discerner dans son for intérieur sur l’usage véritable qu’il fait de son pseudonyme…

12 Réponses to “L’usage des pseudonymes dans le black metal”

  1. Je suis tout à fait d’accord avec les réflexions déployées dans ce billet. Le pseudonyme entre dans l’imagerie black metal, tout comme le corpse paint qui ne paraît pas, à en croire les réponses de certains artistes, se porter pour masquer une identité mais au contraire, mettre en valeur le personnage le plus sombre enfoui à l’intérieur de soi. Le black metal fonctionne sous le terme de dualité, c’est un art qui se nourrit de l’énergie combative de deux protagonistes opposés. Sans ennemi contre qui crier, pas de black metal. Intègres, sincères, les artistes acceptent dans leurs performances de crier contre eux même et leur statut de « personnes civilisées », en employant l’outil du double symétrique, comme s’ils étaient placés devant un miroir. C’est cela qu’on retrouve dans la symétrie des couleurs froides exposée par Nicolas Walzer dans son ouvrage « Du paganisme à Nietzche, 2010, Camion Blanc ».

    Cette symétrie, ces opposés présents dans le black metal n’ont pas pour but d’élimination de l’un d’eux, mais de maintenir justement cette énergie combative. D’où la présence dans les médias des deux formes d’identité (nom et pseudo), des deux formes d’apparence (maquillé, non maquillé), et les artistes ne cachent pas non plus l’aspect tout à fait rangé de leur vie quotidienne qui privilégie le confort, la famille, le travail. Infernus (Gorgoroth) travaille dans un hôpital pour malade mentaux.

    Effectivement et comme Jean Baptiste Farkas le dit, « le black metal est l’un des derniers mouvements d’avant garde de l’art contemporain ». Ses artistes pionniers ont proposé une forme de mode d’emploi radical, pur, qui inclut une manière de jouer et d’apparaître. Le pseudonyme en fait partie.

  2. Je rejoins ton analyse. Le pseudonyme ne se limite pas à une fausse identité, ce n’est pas un faux nom choisit au hasard pour dissimuler son auteur.
    Bien sur, nous utilisons souvent nos pseudonymes afin de respecter un devoir de réserve imposé par notre métier ou pour protéger nos vies familiales. Mais au-dela de ces exigeances, il y a le sens de nos noms de plumes. Ce sens est parfois explicité par l’auteur lui-même (je pense au blogueur Joseph Gynt qui nous le donne), ou dans d’autres cas il se laisse deviner.

  3. Mouais!!! Pour y apporter un peu de contradiction, non pas que je remette en cause le carcactère souvent imaginaire que l’on rencontre dans les pseudos de black metal, mais que pensez vous de :
    Varg Vikernes (Burzum) ?
    Marylin Manson ?
    Axl Rose (Guns n’ roses) ?
    Lady Gaga ?
    Tous ces noms n’ont pas forcément de conotations provocatrices (comme celui de Axl Rose, ni même Lady Gaga), mais c’est parfois le cas (Marylin Manson)… Voire parfois pour se cacher d’un nom chrétien (c’est le cas de Varg Vikernes, si je ne m’abuse).
    Ils ne se rencontrent bien entendu pas que dans le black metal (Marylin Manson, et Axl Rose ne sont pas black metaleux, mais ça reste du metal), et pas non plus uniquement dans le metal (Lady Gaga).
    Il y a aussi Alice Cooper…
    La littérature a aussi beaucoup utiliser les pseudos (Stendhal, Georges Sand pour en citer deux célèbres…)
    Je ne pensais pas qu’on puisse polémiquer autant autour de pseudos… Moi-même en utilisant un, pour cacher quelque peu mon identité et conserver une certaine tranquilité, mais là, je ne vois pas ou est le problème, d’autant qu’en cherchant un peu, on peu savoir qui je suis… Même chez les cathos, on en utilise… Je pense notamment à Paul Sernine (Auteur de « La Paille et le Sycomore »)

    • Je parle de Vikernes dans l’article. Au passage, « Varg Vikernes » est techniquement son vrai nom, puisqu’il l’a fait changer légalement. Le pseudo est « Count Grishnakh ».

      Que la pseudonymie soit fréquente dans d’autres styles musicaux ou artistiques, tout le monde en convient. Mais dans le black, non seulement elle est systématique, mais elle s’inscrit avec les corpsepaint, la mise en scène, l’imagerie, etc. dans une entreprise de transfiguration radicale du réel. A ce titre, il y a à mon avis une spécifité de l’usage du pseudonyme dans le black metal, par rapport à celui certes récurrent qui en est fait par d’autres artistes (même si des musiciens d’autres styles de metal en font une utilisation qui en est proche, je pense que le black metal a radicalisé et systématisé cette dernière).

      « Je ne pensais pas qu’on puisse polémiquer autant autour de pseudos… Moi-même en utilisant un, pour cacher quelque peu mon identité et conserver une certaine tranquilité, mais là, je ne vois pas ou est le problème, d’autant qu’en cherchant un peu, on peu savoir qui je suis… Même chez les cathos, on en utilise… Je pense notamment à Paul Sernine (Auteur de “La Paille et le Sycomore”) »

      Je suis moi-même d’avis que cette polémique sur les pseudos qui embrase la cathosphère est un faux débat, mais il mobilise pas mal de monde depuis quinze jours. Alors puisque ça m’a donné l’occasion de parler d’un aspect du BM que je n’avais pas traité jusqu’ici, autant en profiter pour donner mon avis.

  4. Je ne savais pas que Varg Vikernes était un nom qui avait été changé légalement… Merci pour cette précision.

  5. Si je comprends bien cette polémique est une histoire de morale?
    Tout ce que le loi permet, c’est la marge d’action maximale acceptable moralement.
    Malheureusement pas mal de gens ont une morale plus restreinte que cette loi.. et se prive d’un partie de cette liberté. C’est leur choix, pas le mien!
    Pour internet, l’anonymat ou pas est un choix privée de protéger ou non ses données sur sa vie. Il faut pas être mercantile, nous sommes filtrés, mis en statistiques commerciales, pisté, fiché, voir surveillé. Je me fais l’avocat du diable, mais imaginons un fou de Dieu qui en voudrait à ma peau parce que j’ai posté ici un texte. Si je laisse mon nom et prénom, il a plus qu’a prendre l’annuaire et aller ensuite m’assassiner froidement sur le pas de ma porte.
    La Loi a pour exigence de me protéger.
    Pour les pseudo en black metal, c’est aussi courant que n’importe média. Le choix du nom est forcement conforme à l’imaginaire de l’univers mis en œuvre.
    Cela fera crétin dans un film d’héroic fantasy (lord of the ring) d’avoir un acteur (le fils de sarkozy!?) qui se ferait appeler par son vrai nom et prénom: Jean Sarkozy. Ce détruirait la crédibilité du film à coup sur.
    Le black metal ,c’est comme du théâtre, on se déguise, on parle plus haut que la moyenne, on gesticule, on donne des leçons, et surtout on se divertit!!! Il y a qu’a voir un clip de cradle of fith, on est en plein délire fantastique.
    Puis mon vrai nom et prénom, j’ai l’ai pas choisi, je trouve cela impersonnel. Alors que mon pseudo, il y a une recherche, un part de créativité, qui me correspond! Dans le jeu castelvania, inspiré du roman de Bram stoker, la famille Belmont sont des chasseurs de vampires. Angel, par que porte le nom d’un ange.

  6. […] semaines après la polémique sur le pseudonymat et après voir beaucoup tourné et retourné la question, je me suis aperçu qu’une autre question était sous-jacente à celle […]

  7. […] en effet ce point commun de vouloir recréer le réel, le transfigurer. Dans mon article sur “l’usage des pseudonymes dans le black metal“, j’avais souligné que ce dernier se veut un “art total”, qui transfigure […]

  8. […] quotidienne.  Ils portent quasi-universellement un nom de scène, ainsi que je le rappelais dans un billet spécialement centré sur la question des pseudonymes dans le black metal. Leurs pochettes et leur […]

  9. […] l’esprit: un pseudo qui renvoie donc , par son étrangeté pour les non héllénisants, à la tradition pseudonymique, déréalisante, oniriquedu black metal, mais aussi, par sa signification, à la spitiualité […]

  10. […] du musicien (religion, idéologie, actes de la vie courante), ainsi que je l’exprimais dans un billet écrit sur Inner Light il y a 6 ans et […]

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