Archive pour Vikernes

Musique et religion: en quel sens peut-il y avoir du black metal chrétien?

Posted in Unblack Metal with tags , , , , , , , , , , , , on 15 septembre 2011 by Darth Manu

S’il y a une thèse récurrente sur les sites et forums de métal, dès que l’on évoque les polémiques avec certains chrétiens ou encore l’unblack metal, qui m’a toujours étonnée, c’est bien la suivante: la musique et la religion seraient deux réalités complètement séparées, qui n’auraient rien à voir, et la tradition chrétienne, par exemple, n’aurait rien à apporter à la compréhension de telle ou telle musique, ni à l’activité de création musicale elle-même.

Ce week end, sur un forum de black metal, l’un des membres m’écrivait encore que parler d’une relecture chrétienne du black metal, cela a autant de sens pour lui que parler de la relecture du BM par un vendeur de merguez (EDIT: il s’agit de Sakrifiss, sur le forum Postchrist (http://forum.postchrist.com/post240086.html#p240086), qui me fait par ailleurs savoir qu’il n’a pas écrit que cela n’avait pas de sens mais qu’il trouvait ça « drôle ». J’aurai dû effectivement relire son commentaire avant de le citer et je lui présente mes excuses. Je pense néanmoins que sa remarque traduit un certain étonnement de beaucoup de black métalleux face à l’idée de joindre  religion et musique dans le projet d’un « BM chrétien », ce qui justifie quand même à mes yeux l’écriture de cet article) .

En sens contraire, certains des plus grands noms de la musique pensaient juste l’inverse.  Selon Jean-Sébastien Bach:

« Le but de la musique ne devrait être que la gloire de Dieu et le repos des âmes. Si l’on ne tient pas compte
de cela, il ne s’agit plus de musique mais de nasillements et beuglements diaboliques. » (Etre témoins de l’Evangile aujourd’hui (2/4): Jean-Sébastien Bach, sur Protestants.org).

D’une manière certes très différente, je remarque que si la plupart des musiciens célèbres du black metal sont très opposés au christianisme, la religion semble être une préoccupation très importante pour eux:

Ainsi, Euronymous, dans une interview accordée une semaine avant sa mort, déclarait:

« Je crois en un Diable cornu, un Satan personnifié. Mon avis est que les autres représentations ne sont que des conneries. Je déteste ces gens qui pensent ces trucs débiles pour aboutir sur une paix éternelle dans le monde, et oser se qualifier de satanistes, comme tant le font. Le satanisme vient de la religion chrétienne, un point c’est tout. Je suis une personne croyante, et je combattrai ceux qui utilisent ce nom n’importe comment. Les gens ne sont pas supposés croire en eux mêmes et être individualistes. Ils sont supposés obéir, et être les esclaves d’une religion » (Interview Euronymous
Par Esa Lahdenpera pour KILL YOURSELF ! MAGAZINE
Traduction : Vivien, sur le site Antithetik
,).

Vikernes a contribué à fonder une nouvelle religion recomposée, l’odalisme, et s’exprime dans certaines de ses interviews comme s’il se croyait revenu à l’époque viking.

Morgan, de Marduk, se dit sataniste théiste. Il déclare dans une interview:

« Black Metal is meant to be Satanic« , donc qu’il est lié par essence à une forme de croyance religieuse (Interview par Terrorizer) .

Et son acolyte Legion déclare ailleurs:

 » L: Yeah, they will, for sure. If the only supernatural Evil that ever existed on Earth was in the dark ages, in 1300 or something, then why would we be around doing what we do, if we didn’t believe that thing still exists? We’re looking at it from a different point of view, in a different century, but the lyrics regarding Marduk will always have a Satanic base, because that is what this band is really all about. It will be the same lyrics as always, but with a different touch, you could say. […] L: Just because you don’t believe that the trolls are running around in the forest anymore doesn’t really mean to me that there is no higher power. I believe in an [incomprehensible] divinity, a force so great our brains cannot get the whole picture, we can only see fractions of it. And it’s so powerful, you are -nothing-, you’re like a tiny little shit compared to that power, and that is what we believe in. That is our aim, with our lyrics, to hammer the last nail in the coffin of Christianity, and give praise to something which we feel is better » (Interview de Legion de Marduk par le site Chronicles of Chaos).

Je n’en fait pas non plus une loi universelle. Beaucoup de métalleux sont athées, probablement une majorité, et les convictions religieuses exprimées plus haut peuvent être jugées de manière assez légitime comme étant malsaines et détachées des réalités, et suscitent la défiance et l’ironie, même chez la plupart des adeptes du black metal. Ces citations visent juste à montrer que la préoccupation religieuse, si dévoyée et paradoxale soit-elle, n’est pas étrangère à l’histoire du black metal.

Deux thèses semblent donc s’affronter: 1) la musique n’a aucun rapport avec un contenu religieux, et chercher à les relier tendrait même à l’appauvrir, 2) certaines musiques ont un rapport extrêmement fort et originaire avec certaines formes de religiosité (le classique avec le christianisme, le BM avec le satanisme ou le néo-paganisme) et représentent en quelque sorte la traduction en notes des idées etdes valeurs véhiculées par ces religiosités.

A l’appui de la première thèse, la citation suivante apporte un éclairage intéressant:

 » Il y a une manière d’utiliser la musique à des fins évangélisatrices qui revient en dernière analyse à pervertir la musique aussi bien que le message au service duquel on entend l’instrumentaliser; ainsi lorsque des gens soucieux d’évangélisation se demandent quel genre musical plaît au milieu dans lequel ils aimeraient faire des adeptes, et collent des paroles censément « chrétiennes » sur des musiques dont l’inspiration originelle est contrairement étrangère au christianisme, ou composent des pièces qui, comme dans une bonne partie du « rock chrétien », singent ces genres musicaux là. La démarche est en l’occurrence exactement l’inverse de celle qui, au XVIème siècle, fit le succès des psaumes huguenots: les étudiants parisiens, dit-on, s’amusaient à les chanter dans Le-Pré-aux Clercs, sans même avoir aucun désir d’adhérer à la Réforme; cette musique, tout simplement, leur plaisait; mais à l’origine, c’est bel et bien la lecture des psaumes et la piété réformée qui en avaient inspiré la composition.

Personne ne songerait à reprocher à Johann Sébastien Bach ou à Felix Mendelssohn l’inspiration profondément chrétienne et protestante de leur musique: elle fait trop étroitement corps avec ce qu’ils ont composé, et, dans le cas des messes et oratorios, avec les paroles que portent leurs oeuvres. Les mélomanes ne se demandent pas non plus si ces pièces-là sont chrétiennes ou non; il leur suffit qu’elles soient de la bonne et grande musique.  Et parmi eux, les chrétiens les plus convaincus ne voient pour leur part aucun inconvénient à écouterdes pièces composées ou jouées par des artistes peut-être complètement étrangers à leurs propres convictions, pourvu que ces prestations musicales aient à leur tour la qualité, donc aussi toute la spiritualité voulue (la spiritualité n’est pas une exclusivité du christianisme ou de la religion); à l’occasion, ils n’hésiteraient pas à faire place à de telles oeuvres dans un cadre expréssement cultuel. Mais en même temps, il faut reconnaitre que toutes les musiques ne conviennent pas à toutes les circonstances: les unes sont faites pour l’opéra, les autres pour le culte, ou pour des concerts en chambre. Là encore personne ne songerait à leur reprocher » (Théâtre et christianisme Par Bernard Reymond,François Rochaix, p.167 et 168).

On retrouve dans les premières lignes de ce passage un excellent résumé des reproches souvent exprimés par les métalleux au métal chrétien (celui notamment de plaquer, pour plaire, des paroles sur un contenu musical qui n’a rien à voir). Avouons-le, cet écueil n’a pas toujours été évité.

Les dernières lignes rappellent également cette critique légitime du rapport entre paroles et musique dans le metal chrétien.: « toute les musiques ne conviennent pas à toutes les circonstances« . Ainsi, j’ai moi-même beaucoup de mal à imaginer un Alleluia, chant exprimant par excellence la joie de la résurrection pascale, sur du black metal, musique sombre, souvent dépressive, souvent violente (par contre je connais plusieurs Alleluia joués sur du metal symphonique).

Il ya donc là un écueil potentiellement sérieux pour l’unblack metal: plaquer des paroles sur une inspiration musicale qui leur est étrangère, voire opposée. Est-ce à dire que l’unblack metal est un oxymore, comme beaucoup le soutiennent?

Le texte cité comporte un autre passage qui devrait permettre à mon avis de répondre à cette question, et d’illustrer la seconde des thèses que j’ai évoquées:

« Personne ne songerait à reprocher à Johann Sébastien Bach ou à Felix Mendelssohn l’inspiration profondément chrétienne et protestante de leur musique: elle fait trop étroitement corps avec ce qu’ils ont composé, et, dans le cas des messes et oratorios, avec les paroles que portent leurs oeuvres.« 

La musique doit faire corps avec l’inspiration. Si le black metal chrétien est possible, il semble donc qu’il puisse y avoir deux types d’unblack: un « mauvais », qui singe le black metal dans son inspiration tout en plaquant dessus des paroles chrétiennes, et un « bon », qui arrive  à faire correspondre à la musicalité propre au black une inspiration proprement chrétienne. L’inspiration chrétienne doit toucher la musique, la rendre meilleure, faire que le morceau d’unblack soit appréciable non seulement par ses paroles, mais parce que c’est de la bonne musique, du bon black metal. Le black metalleux chrétien doit apporter la preuve que sa foi chrétienne n’influe pas seulement sur ses textes, mais transfigure sa musique, apporte quelque chose sur le plan artistique au black metal.

Arrivés à ce point, beaucoup de black metalleux vont me faire l’objection suivante: faire « correspondre » la musicalité du black à une « inspiration chrétienne » n’a pas de sens, puisqu’il s’agit de réalités d’ordre complètement différent. Le black metal est avant tout de la musique, avec une finalité esthétique, qui touche à la sensibilité et aux émotions. Alors que le christianisme semble avoir pour objet une croyance d’ordre intellectuel en un être invisible , et avoir pour finalité le combat du bien et du mal, la morale et non l’esthétique.

Reprenons: d’une part, le christianisme, comme toute religion, ne se réduit pas à une « croyance »: il engage tout l’être du croyant, y compris ses émotions, sa sensibilité: sa foi pousse le croyant à se détacher de certaines émotions, comme la haine, la jalousie, pour se tourner vers d’autres: la joie, l’amour, la confiance, l’espérance…Cette sensibilité est mobilisée par diverses activités de sa vie chrétienne: la messe, par la liturgie, la symbolique, la prière personnelle, le service dans la paroisse, les échanges en communauté… Plus profondément, sa foi engage l’ensemble de l’existence du croyant, lui donne un sens, une perspective, une espérance: elle introduit de la beauté dans sa vie et dans son âme.

Et c’est un peu pareil pour la musique, d’une certaine façon: beaucoup de métalleux témoignent du sens qu’elle a donné à leur vie, de la manière dont les sonorités du metal touche à quelque chose à l’intérieur d’eux-mêmes, leur permet de se sentir autrement et mieux:

« Le sentiment dionysiaque de dépassement dont je te parlais, il m’arrive de le retrouver tout seul quand je bosse ma batterie […], ce sentiment de facilité, de force qui te dépasse, qui te fait te sentir puissant » (« Christophe », cité par Niclas Walzer dans Du paganisme à Nietzsche: se construire dans le metal, Ed. du Camion Blanc, 2010, p. 188).

Il ya donc un fond d’esthétique dans le sentiment religieux, qui donne pour ainsi dire une harmonie à notre existence, et un fond « religieux » dans le métal, qui donne du sens à notre être, notre « âme », et nous fait appartenir à une « communauté », celle des métalleux, nous donne une identité, au delà du plaisir esthétique ressenti à l’écoute des morceaux:

« Le domaine de l’esthétique – dans son lien étroit avec le symbolique, le sacré, le rituel, le communautaire – est un espace de compréhenion de l’homme et de l’univers, imprégné par la norme et par le concept; il nous renvoie ainsi à l’éthique et à la pensée. Or, si la religion est directement concernée par cette référence à l’esthétique, ce n’est pas seulement parce qu’elle emprunte à l’art des signes sensibles lui permettant de s’exprimer et de s’identifier, ou parce qu’elle est, dans une large mesure, source d’inspiration d’oeuvres d’arts, c’est aussi, et d’abord, parce qu’elle procède des mêmes interrogations fondamentales de l’homme sur lui-même et sur son image, et/ou parce qu’elle se trouve réinterprétée elle-même sur le mode esthétique » (Jacques Sutter, Musique et religion : l’emprise de l’esthétique, p.20, Archives des sciences sociales des religions, n° 94, 1996).

 Il apparait donc clairement que réinterpréter religion et musique l’une par l’autre n’a rien d’absurde, et est même très peu original, même s’il est vrai que cette entreprise comporte le danger toujours présent d’asservir l’une à l’autre. En effet, la musique traduit les sentiments et l’intériorité de l’artiste, et le sentiment religieux nourrit cette intériorité, et lui donne une profondeur, pour peu qu’on y adhère et qu’on cherche à l’approfondir. L’inspiration chrétienne doit soutenir la force musicale du morceau, et non l’assujettir à des paroles plaquées sur une musique « neutre ». Elle doit faire sens par, dans et pour la musique, et non indépendamment d’elle ou malgré elle.

Est-ce  possible dans le cas du black metal chrétien? Je viens d’écrire moi-même que  »  sa foi pousse le croyant à se détacher de certaines émotions, comme la haine, la jalousie, pour se tourner vers d’autres: la joie, l’amour, la confiance, l’espérance ». Or, c’est précisément les émotions dont le chrétien cherche à se détacher peu à peu qui sont valorisés par le black metal. Contradiction insoluble? Je ne le pense pas. En effet, comme j’ai cherché à le montrer précédemment, la souffrance, la colère, l’angoisse, le désespoir, toute la palette des sentiments négatifs joue un grand rôle dans la vie spirituelle de tout chrétien. Chaque croyant engagé de façon active dans sa foi a fait de temps à autre l’expérience d’une rencontre avec Dieu, dans sa prière, par des rencontres, etc. Mais il fait le plus souvent l’expérience de l’absence apparente de Dieu, dans la sécheresse de la prière, dans la subsistance du mal dans le monde, etc. Plusieurs psaumes commencent par l’expression du désespoir ou de la colère du palsmiste, dans le livre de Job, Job passe l’essentiel du récit à se plaindre et à adresser des reproches à Dieu. Dans l’Ecclésiaste, l’auteur écrit que tout est vanité parle du désespoir. La Passion du Christ et sa mort ont une place centrale dans les évangiles, ainsi que dans la foi chrétienne, et sont rappeléesà chaque messe, lors de l’anamnèse.

Si la Bible elle-même évoque si souvent ces thématiques très proches de celles du black metal, pourquoi pas les musiciens chrétiens? Il est vrai que pour un chrétien, à la fine pointe du désespoir et de la souffrance, il y a toujours l’espérance et le Salut qui se profilent. Mais pourquoi cette spécificité ne viendrait pas nourrir l’inspiration musicale de l’unblack metalleux, apporter une plus value à sa musique par rapport aux courants préexistants du BM, et lui permettre un apport proprement musical, et pas seulement idéologique, à la palette de contenus d’intériorité et à l’expression esthétique de ceux-ci déjà présentes dans les plus grands morceaux du BM?

Je ne me juge pas assez compétent musicalement pour prendre un par un les groupes d’unblack et pour examiner si c’est ou non le cas pour chacun d’entre eux, mais je voulais juste montrer que le black metal chrétien ne se réduit pas à un oxymore ou un instrument de prosélytisme, mais qu’il peut véritablement apporter quelque chose musicalement, même si évidemment la musique ne se confond pas avec la religion, et qu’on peut évidemment composer et jouer des morceaux très profonds et intenses de BM sans du tout s’intéresser au christianisme ou avoir une réflexion particulièrement poussée sur la portée spirituelle ou existentielle de la musique (c’est d’ailleurs le cas majoritaire jusqu’ici, comme chacun sait).

En effet, le black metal traduit musicalement la souffrance (plus que le mal à mon avis: la mélancolie, la haine, la colère, le désespoir, le nihilisme sont pour moi l’expression d’une souffrance, d’un mal être) et l’épreuve de la souffrance est essentielle dans la vie spirituelle de tout chrétien et dans la Bible (même s’il ne s’agit pas pour le chrétien de s’y complaire mais de l’endurer dans l’Espérance). Il y a donc bien des thématiques et des inspirations compatibles entre le christianisme et le black metal, des états d’être qui peuvent être traduits de manière cohérente et avec force par la musicalité propre au BM et en même temps trouver une signification positive dans  le contenu de la foi chrétienne.

Ainsi, le groupe d’unblack Lengsel propose la traduction chrétienne suivante de thématiques propres au black metal:

  Avmakt

[Words: Ole Halvard, Music: Ole Halvard and Lengsel]

Vind vær min Herre
Du Er
Vind vær min Herre
Du Er
Du river meg løs
Fra verdens
Min tomhet
Jeg kan intet gjøre
Jeg føres
Storm
Du minste vindpust
Lær meg
Jeg lever

Hvordan kan jeg
Knuser alltid egne drømmer
Fører skam over egen higen
Det levde liv spotter
Det største under
Så flommer hatet

[PARALYSIS]

Wind be my Lord
You Are
Wind be my Lord
You Are
You take me (tear me) away
From this world’s
My emptiness
I can nothing do
I’m moved
Storm
You smallest Breath of Wind
Teach me
I live

How can I
Always ruining my own dreams
Bringing shame upon my own will
When the life lived scorns
The Greatest Wonder
 Hate overflows (Paroles sur Dark Lyrics).