Dialoguer d’âme à âme…

Radio Metal vient de publier un article sur les émeutes de Londres, et leurs conséquences potentiellement catastrophiques pour les petits labels de metal indépendants.

Le passage suivant m’a particulièrement touché:

« Un entrepôt appartenant à Sony et contenant les stocks de plus de 150 labels indépendants a été incendié dans ces émeutes. Parmi ces labels, on trouve le nom de Nuclear Blast, mais aussi d’autres qui n’ont guère de places pour la moindre prise de risque, dont la moindre production est un pari, et qui ont vu leurs efforts partirent en flamme en quelques heures. Certains labels n’avaient certainement pas d’autre stock à part dans cet entrepôt et leur remplacement leur coûtera énormément, leur coûtera peut-être leur entreprise.

Le travail de nombreuses âmes qui espéraient par leurs efforts changer quelque chose dans la musique réduit à néant par de faux rebelles avec le faux prétexte de changer des choses dans leurs vies ».

Je ne connais pas bien le contexte des émeutes de Londres, et peut-être ont elles (ou non) des motifs légitimes, je n’en sais rien… Toujours est-il qu’elles ont mené certaines personnes , certaines âmes, aveuglées par leur colère ou leur haine, à remettre en cause l’action créatrice d’autres âmes, à contrecarrer potentiellement de manière grave leurs rêves et leurs ambitions.

Mon blog ne porte ni sur l’actualité sociale du Royaume Uni ni sur celle économique de l’industrie musicale. Par contre il a à coeur de promouvoir le dialogue entre métalleux, chrétiens, et « métalleux chrétiens », de surmonter les antagonisme et de promouvoir tout ce qui peut construire ou dévoiler des ponts et des luttes en commun.

Ce que me rappelle cet article,  en lien avec cette thématique centrale pour le présent site, est que ce dialogue qu’avec d’autres j’essaie de construire n’engage pas seulement des deux côtés des ennemis, des étrangers, ou même des frères ou des amis. Au niveau le plus basique, il engage des âmes, avec certes leurs préjugés, leurs excès, leurs arguments plus ou moins honnêtes ou leur refus de l’autre, mais aussi avec leurs rêves et leurs idéaux, au noms desquels elles se sont engagées dans cette polémique du Hellfest, de manière conflictuelle ou conciliante suivant les cas.

Certains ont tout donné pour la musique: leurs études, leur carrière, leurs économies, j’en connais, par amour pour la musique, et tout particulièrement pour le metal. Certains ont même été sauvés de la dépression ou du suicide par cette passion. D’autres ont choisi de centrer leur vie autour du Christ et de sa mort sur la Croix, de la rythmer autour de la Bonne Nouvelle des évangiles, et y ont trouvé le sens de leur vie et une forme particulièrement puissante et vraie d’aspiration au Bien. D’autres encore, tel l’auteur de ces lignes, ont construit leur personnalité et leurs valeurs sur la conjonction de ces deux héritages.

Tous, nous nous représentons aisément dans la situation de ces petits labels, qui ont tout misé sur u rêve ou un idéal, ou une certaine représentation du Beau ou du Bien, et nous sommes prompts à identifier notre contradicteur comme l’émeutier londonien, qui sous le prétexte d’une révolte aux motivations incertaines va briser ou salir tout ce qui nous est cher, tout ce qui meut notre âme: le catho qui sort des immondices sur la musique à laquelle il ne connait rien, le métalleux « borderline » ou carrément haineux ou sataniste qui va vomir sur le Christ ou l’Eglise, le tradi ou le « true black metalleux » obtus qui va refuser le dialogue, le trendy ou le catho bisounours qui fait chier avec son dialogue irréaliste…

Mais l’émeutier londonien a peut-être aussi ses motivations et ses rêves, il a aussi son âme et potentiellement son geste créateur (ce n’est pas une analyse des émeutes londoniennes, que je n’ai suivi que de loin et sur les quelles je n’ai pas vraiment d’opinion: je file juste la métaphore). Il ne se considère pas nécessairement comme quelqu’un de brutal ou de mauvais: il défend ses idéaux: et pourtant il va briser ceux d’un autre, de son « prochain » serais-je tenté de dire en bon catho que je suis, lui faire obstacle, par pure ignorance. Il va mettre l’entreprise d’une vie en grand péril. De même que certains métalleux blessent la ferveur de certains chrétiens par des provocations un peu grossières et gratuites, ou que des chrétiens montent des tribunes faciles contre les métalleux « haineux » à partir d’une poignée de citations déformées ou hors contexte.

Ce que je vais dire n’a rien d’original, j’en suis conscient. Cette année a été plus calme que les précédentes, dans le cadre de la polémique qui nous occupe. L’année prochaine, avec l’actualité électorale liée aux présidentielles, avec son cortège de postures des uns et des autres, pourrait être plus violente, je ne l’espère pas…

Pour nous y préparer, les uns et les autres, et puisque j’ai la chance d’être lu par des représentants des différents « clans », je propose que nous nous mettions tous, à titre d’exercice heuristique, dans la représentation mentale que nous nous faisons de nous mêmes et de notre contradicteur, non pas dans la position, si facile à adopter. de la victime », en l’occurrence du petit professionnel de la musique menacé, mais, au moins de temps en temps,  dans celle de « l’agresseur », l’émeutier qui tout à sa colère, peut-être fondée en elle-même en justice et en vérité, va détruire à son insu un trésor: celui d’une autre âme, celle du petit label qui lutte au jour le jour pour survivre et faire son trou. Ainsi le chrétien qui va blesser l’engagement musical de métalleux pas forcément hostiles au christianisme, ou le métalleux qui va insulter cet héritage du Christ et de son Eglise cher au chrétien pas nécessairement ennemi des sons saturés, vandalisent tous les deux à leur manière un trésor, celui d’une vie ou de plusieurs, au nom très souvent de blessures personnelles ou d’arguments objectifs tout à fait respectables et dignes de considération en eux-mêmes, mais sans suffisamment d’égard pour l’âme de l’autre, « l’ennemi », et tout les valeurs, le témoignage, l’effort de création qu’elle représente.

Je ne demande bien sûr pas à chacun d’entre nous d’abandonner les excellentes analyses que nous déployons contre l’intolérance des cathos, la cathophobie des métalleux, pour le dialogue ou contre le dialogue: il y a peut-être là notre part d’émeutier, obscure, destructrice, mais aussi notre propre part de lumière, notre propre trésor. Ce que je nous demande, c’est de confronter notre trésor au trésor d’autrui, et non notre part d’ombre à la sienne comme trop souvent. De ne pas être aussi défensifs que jusqu’ici, mais de nous demander à nous-mêmes, sincèrement et en conscience, nous « pro hellfest »: ce que les critiques de certains sites cathos, en ce qu’elles sont l’expression d’une ferveur et d’une recherche du Bien et du Vrai, peuvent apporter en maturité et et en évolution de ses présupposés (ce qui fait aussi vivre l’art) à notre musique de prédilection: le métal. Et nous « anti hellfest »: ce que l’incompréhension et la colère des métalleux nous donne en témoignage d’une forme de recherche du Beau propre à cette musique, et de l’engagement de milliers de personnes, jeunes et moins jeunes (les fondateurs du BM flirtent avec la quarantaine et ceux du heavy avec la soixantaine voire beaucoup plus) au service d’une passion qui a certes ses aspectes sombres, mais leur a le plus souvent désirer créer plutôt que détruire.

Ainsi nous redécouvrirons ensemble la signification profonde et véritable du dialogue: non pas l’utopie d’un accord qui se dérobe toujours devant les divergences d’arguments et de vécu, mais la confrontation constructive de deux parcours, qui tout en continuant à s’opposer découvrent progressivement le trésor de l’autre, et en profitent pour faire fructifier leur propre trésor, qui renforcent leur singularité et leur désaccord, d’une certaine manière, en reconnaissant la richesse du témoignage de leur contradicteur, et en l’honorant par des objections nourries sur une réflexion au moins aussi riche. J’ai plusieurs fois rencontré de tels dialogues, entre des militants de droite et de gauche, voire d’extrême gauche et d’extrême droite, entre des chrétiens et des musulmans, des croyants et des athées… Tous, nous en avons vécu, et sommes marqués beaucoup plus profondément par,  de telles expériences que par les polémiques auxquelles nous avons pris part. Rechercher le meilleur dans les arguments de l’autre, plutôt que le pire, lui faire confiance pour sinon nus convaincre, du moins nous surprendre, nous entraine à plus de rigueur et de sincérité dans notre propre recherche de la vérité, de telle sorte que non seulement nous opposons des arguments plus réfléchis et fouillés à notre contradicteur, mais que nous gagnons son respect par le témoignage que nous lui donnons de la prise en compte de ses idées dans nos réflexions, de telle sorte que lui-même se sente poussé à davantage se remettre en cause et progreser vers plus de vérité et de justice.

C’est pour moi ce que doit devenir la polémique autour du Hellfest: le modèle d’un débat parti sous les plus mauvais auspices, que tous ensembles, à l’image des alchimistes qui transforment le plomb en or ou de l’Esprit saint qui transforme la mort en vie, nous faisons évoluer vers un dialogue, sinon amical, du moins fratermel, entre contradicteurs aussi attentifs au trésor de l’autre qu’au sien propre…

C’est une utopie je le sais, mais qui nous donne, par dela nos différences et nos divergences, un idéal commun: non pas la guerre de tranchée que nous avons vécu jusqu’ici, non pas la soumission de l’autre, non pas la lente érosion de ses soutiens publics (fusse au nom d’inspirations aussi respectables que la Doctrine Sociale de L’Eglise ou l’oeuvre du philosophe marxiste Gramsci que jai vu certains invoquer), non pas une plate issue de « compromis », mais un rapport qui soit celui que j’imagine voulu par Dieu, qui préserve l’identité aussi bien que l’altérité en un même tout où chacun vit la contradiction comme un enrichissement mutuel et non comme une blessure ou une insulte…

Un dialogue d’âme à âme…

3 Réponses to “Dialoguer d’âme à âme…”

  1. Ce très bel article me donnerait presque envie d’écouter du metal, moi qui du côté de la musique pop en suis resté aux Beatles… le gap est peut-être trop profond quand même 🙂
    Mais, un grand merci de nous aider ainsi à nous focaliser sur la part de lumière de l’autre, et à accueillir notre propre part d’ombre.

  2. […] Inner Light Pour une relecture et une réinterprétation chrétiennes des thématiques du black metal et des genres culturels qui lui sont associés « Dialoguer d’âme à âme… […]

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