Les récents débordements autour de la pièce de Castelluci ont fait prendre conscience aux catholiques « modérés » de l’urgence d’établir un dialogue entre l’Eglise et une culture qui lui est plus de plus en plus étrangère, voire hostile. Les évêques ont récemment mené à Lourdes une réflexion intéressante sur le sujet:
« Intervenant à huis clos devant l’Assemblée, le cardinal Vingt-Trois a cependant mis en garde contre le recours à une « stratégie de minorité ». Une évolution du catholicisme sur le modèle des religions minoritaires, qui ne réagirait que pour se défendre, serait contraire à la tradition d’un christianisme qui revendique un rôle plus large dans le débat social et politique, a-t-il dit en substance. »
Mais aussi:
« Car tous les évêques font le même constat : le cercle des catholiques exaspérés dépasse celui des groupuscules intégristes et activistes. Pour Mgr Éric de Moulins de Beaufort, ce sont même souvent des « catholiques assez simples, désemparés, car on se moque de ce à quoi ils croient fermement ». Une nouveauté qui inquiète l’archevêque de Bordeaux, le cardinal Jean-Pierre Ricard : « Il a toujours existé un courant d’extrême droite catholique et politique, à l’action violente. Mais aujourd’hui, leurs actions sont légitimées et justifiées par des catholiques désarçonnés par la sécularisation, et qui ont le sentiment d’être bafoués. » »
Deux écueils sont donc à éviter: rester passif face à l’outrage, au risque de négliger les réelles blessures d’une jeunesse catholique qui donne énormément pour son Eglise et pour sa foi, et celui du repli communautariste et de la rupture du dialogue avec la société, voire la tentation de la violence. Entre le silence complaisant et les jets d’oeufs et d’huile de vidange, intervenir sur le terrain des subventions publiques peut sembler un moyen terme séduisant: on n’agresse personne, on prend position clairement, avec des propositions concrètes, et on fonde notre proposition sur le droit: le respect de la laicité (pas de financement public d’une pièce qui traite de question religieuse), la lutte contre la discrimination (c’est porteur comme sujet)…Ca a même un petit côté citoyen sympathique: un bon moyen de réduire utilement la dépense publique, en ces temps de crise financière et économique: bloquer les subventions de pièces blasphèmatoires, c’est quand plus enthousiasmant que de supprimer des postes d’infirmières ou d’enseignants ou de supprimer les allocations pour les plus démunis!
Nous avons donc une proposition de Pneumatis: une lettre envoyée au ministre de la culture et à son secrétariat général, ainsi qu’à la mairie de Paris, dont l’argument central est le suivant:
« A travers cet amalgame entre la culture chrétienne et la terreur, la pièce dénigre non seulement les racines culturelles de notre pays, mais viole également le fondement cultuel des chrétiens. Dans un pays qui attache autant d’importance à la liberté d’expression, la critique des religions est un droit qu’il ne convient aucunement de remettre en cause. Cependant, cette critique ne devrait évidemment faire l’objet d’aucun financement ni d’aucune promotion publique, eut égard au principe de laïcité. Car de même que la république ne subventionne aucun culte, il va de soi qu’elle n’a pas non plus à en financer le dénigrement ni l’insulte. »
Cette initiative peut au demeurant se prévaloir de la bienveillance a priori du porte-parole de la CEF: Mgr Podvin. Personnellement, tout en reconnaissant l’importance et l’urgence d’établir des contre-propositions aux oeuvres d’art ouvertement hostiles au christianisme (le présent blog en est une d’ailleurs, pour rappel), je m’inscris en faux contre cette initiative en particulier, malgré toute la sympathie que j’éprouve envers son auteur, ses inspirateurs et promoteurs, qui est à rebours de l’agacement, du scepticisme, et de la tristesse que m’inspire la pièce Glogota Picnic en elle même, d’après ce que j’ai pu en lire.
Contrairement à ce qui était mon intention première, que j’avais annoncée à cerains sur facebook et twitter, je ne vais pas traiter dans ce billet de la question du financement public de la culture. J’ai conscience de tous les effets pervers de la politique culturelle française, de son impact sur les finances publiques qui sont déjà bien assez en difficulté comme ça, de la répartition souvent inégale des subventions, du caractère plus que contestable des bénéfices qu’elles apportent en terme de dynamisme de la création française. Je’ai cru comprendre également que la tendance est de promouvoir un mécénat privé par les entreprises. Je reste attaché à une certaine conception de l’Etat Providence qui me fait souhaiter une aide publique, non seulement à la diffusion de la culture mais également à son financement. Mais traiter à fond cette question me ferait dévier du sujet de ce billet et prendrais des mois de recherche et de réflexion. Une autre fois peut-être…
Cette question est en effet complexe et je comprend tout à fait que l’on puisse considérer que l’Etat n’a pas du tout à financer la culture. Maintenant, lutter contre les subventions versées au Glogota Picnic sur le fondement que » de même que la république ne subventionne aucun culte, il va de soi qu’elle n’a pas non plus à en financer le dénigrement ni l’insulte », cela me parait une question complètement différente, qui porte sur le contenu des oeuvres ou non finançables et non sur le principe même de ce financement, et beaucoup moins tenable à mon avis. L’argument, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à son auteur sur twitter, me parait assez fallacieux. Si la loi de 1905 interdit effectivement le subventionnement des cultes (et encore la question est plus complexe qu’elle en a l’air), des oeuvres ouvertement chrétiennes à caractère culturel bénéficient également en toute légalité d’aides financières publiques.
« Le 26 février, alors qu’il venait de recevoir le césar du meilleur film, Xavier Beauvois remercia Lambert Wilson et… l’avance sur recettes du Centre national du cinéma (CNC). Il pouvait. Sans elle, Des hommes et des dieux (Grand Prix à Cannes, plus de trois millions d’entrées en salles) n’aurait peut-être jamais vu le jour… L’avance sur recettes avant réalisation, quèsaco ? Une aide financière publique qui a, aussi, permis l’existence des trois autres films français présents à Cannes en 2010 : Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, La Princesse de Montpensier, de Bertrand Tavernier, et Tournée, de Mathieu Amalric. Mais aussi de Vénus noire, d’Abdellatif Kechiche, ou de quelques premiers films originaux : Angèle et Tony, d’Alix Delaporte, Belle Epine, de Rebecca Zlotowski, ou Jimmy Rivière, de Teddy Lussi-Modeste. » (www.telerama.fr).
Entre pas de Golgota Picnic ni de Les Hommes et et les Dieux ou les deux à la fois, j’ai personnellement la faiblesse de préférer la seconde option. Mais ce passage du texte de Pneumatis contient un second argument, que d’autres m’ont également opposé.
« Ca ne me choque pas qu’on subventionne une pièce qui défende des idées ou une foi. Par contre, ça me dérange que l’on subventionne une pièce qui s’attaque à des idées, une foi. Je crois que ce sont 2 choses très différentes. Une pièce religieuse ou athée, ce n’est pas la même chose qu’une pièce qui s’attaque à une religion » (Guillaume Duvillaret à Pneumatis et à moi-même sur Twitter).
J’avoue que j’ai un peu de mal avec cette distinction entre les pièces « qui défendent des idées ou une foi » et celles qui « s’attaquent à une idée, une foi ». Vous en connaissez beaucoup vous, des idées ou des croyances qui ne sont pas exclusives (y compris gravement) d’autres idées ou d’autres croyances? Avec les « principes non négociables », se dire catholique aujourd’hui, c’est attaquer implicitement tout un tas d’idées, de courants de pensées et de choix personnels, souvent reliés à des expériences et des blessures personnelles très douloureuses (ce qui n’est d’ailleurs probablement pas sans lien avec l’émergence d’oeuvres du type Golgota Picnic: « Disons que cette écriture a commencé sans écrire, elle a commencé comme toute écriture, à partir d’expériences vécues, que j’ai récupérées par la suite. C’est par exemple le cas de la peur que Dieu m’inspirait quand j’étais enfant. Ensuite, il faut donner forme à tout cela, et j’ai pensé qu’il serait plus élégant de parler d’iconographie (Mantegna, Grünewald, Giotto, Van der Weyden… ). Lorsque je cite ces fresques ou ces tableaux peints sur des toiles ou sur du bois, je fais des détours pour ne pas raconter ma peur de Dieu quand j’étais enfant, mon au revoir à Dieu et à la peur de Dieu quand j’ai cessé de croire, à l’âge de seize ans (grâce à un livre de Schopenhauer). » Entretien avec Rodrigo Garcia, dans le dossier de presse de Golgota Picnic ). Si le ressenti d’autrui face à une affirmation ou une idée est le critère de ce qui peut être ou non dit publiquement, alors tous ceux qui estiment que la religion doit être reléguée à la sphère privée ont raison (notez qu’en tant que catholique je suis fidèle à l’enseignement de l’Eglise et que j’approuve les « points non négociables »: je pointe juste le caractère très insuffisant des arguments sur le registre du pathos du type: « les chrétiens demandent à ce que l’on respectent la souffrance qu’ils éprouvent lorsque l’on s’en prend à ce qui leur est cher »).
On m’objectera qu’on peut critiquer sans insulter. Peut-on subventionner avec des deniers publics une insulte? Je répondrai que l’insulte me parait très difficile à caractériser dans le domaine de l’art: celui-ci n’a en effet pas pour vocation une plate représentation d’un « Beau » abstrait et idéalisé, mais faire contempler à l’âme des réalités difficilement communicables par le raisonnement. Ce qui l’amène à user de techniques telles la parodie, la satire et, oui… se livrer aussi à des relectures de la Bible qui peuvent prendre extérieurement l’apparence d’un blasphème. Lisez certains poèmes de William Blake, pourtant un auteur chrétien… La question n’est pas de savoir si l’art outrage ou insulte, mais s’il le fait de manière gratuite ou qui donne à penser.
Donc, non seulement la « morale » de l’art, les valeurs qui lui sont propres, ne sont pas tout à fait les mêmes que celle de la morale, mais le jugement qui porte sur l’oeuvre d’art n’est pas dans sa nature du même type que celui qui évalue si un acte est ou non moral. Le jugement moral est en effet déterminant: « c’est bien » ou « c’est mal ». On en dispute: c’est-à-dire qu’on peut le trancher sur la base des normes qui s’imposent aux deux interlocuteurs (avec des nuances certes). La morale n’est pas censée être subjective.
Pour le jugement esthétique, c’est très différent (et oui, je suis ultra kantien sur cette question). S’il tend effectivement vers la représentation d’une vérité universelle qui est la Beauté, l’appréciation de celle-ci comporte une part de subjectivité, à la différence du Bien: tel morceau de musique, tel tableau touchera une personne mais rebutera l’autre, sans qu’on puisse dire que l’une est en tort et l’autre dans son bon droit. Pour autant, il ne s’agit pas purement d’une appréciation purement subjective, comme les jugements qui portent sur l’agréable (est-ce que ce vin est bon, est-ce les haricots verts sont meilleurs que les frites…?). L’art tend vers l’expression d’une vérité universelle qui s’impose à tous, celle du Beau, sans jamis totalement y arriver. On en discute donc, plutôt que d’en disputer: c’est-à-dire que l’on tend vers un accord, sans jamais totalement y parvenir.
Alors est-ce que la représentation outrageante du christianisme que la pièce Golgota Picnic propose s’inscrit dans un débat artistique légitime, dissimulant derrière l’insulte une vraie réflexion sur la nature de la foi et l’Eglise, digne d’être discutée et non disputée, ou est-ce qu’elle est purement insultante. Personnellement, je tendrai pour la seconde solution, et en tant que chrétien, je suis choqué de certaines des scènes qu’elle semble proposer (je n’ai pas vu la pièce et je n’en est pas franchement envie). Cela dit, quand je lis le dossier de presse, par exemple:
« Cette partie est une sorte de réponse ex negativo à la première, sans parole ni image. Beaucoup de gens ont pensé que c’est dans cette seconde partie que la pièce atteint un autre niveau, spirituel ou supérieur, comme si la musique « niait » la partie théâtrale. Pour moi c’est l’inverse : toute la destruction de la figure de Christ au début relève d’un amour pur, elle est la conséquence logique d’une transformation historique. Regardez l’histoire de la peinture. D’abord, il y les icônes byzantines : le Christ n’y est pas encore un homme. Ensuite,c’est progressivement une humanisation, une « incarnation » à travers les siècles. Et si vous comparez Les Sept Dernières Paroles de Haydn avec les Passions de Bach, chez Bach, le Christ porte encore sa couronne, il dit « Je suis le Roi », et le choeur répond « Tu le dis » – et il a besoin d’un double choeur, d’un choeur d’enfants, d’un double orchestre, de quatre solistes, d’un narrateur… Le Christ de Haydn n’a besoin que de quatre instruments à cordes ou d’un pianiste. Il est maintenant absolument homme, devenu humain comme le personnage d’un opéra de Mozart. Rodrigo accomplit alors le dernier pas. Il dit des choses invraisemblables, bien sûr, il compare le Christ à un terroriste, il ose des comparaisons très perturbantes, mais également drôle, il lui fait dire : quand on n’a que douze personnes qui vous suivent, il vaut mieux se retirer de la politique… Certes, c’est radical mais, le spectateur, qui reste bouche bée, parvient aussi, à travers cet étonnement et ces chocs, à une interrogation spirituelle, à une réévaluation de la figure du Christ » (entretien avec Marino Formenti dans le dossier de presse).
… Je ne suis pas nécessairement très convaincu, pas du tout même, mais dans mon for intérieur, je dois reconnaitre que je n’en sais rien, que ça se « discute »…
L’article du Chafouin sur la polémique donnait un autre argument en faveur d’un combat sur le terrain du financement public:
« Des actions fermes mais non-violentes sont possibles. Distribution de tracts, dialogue avec les organisateurs, avec les élus, interpellation sur la distribution de subventions pour un spectacle qui heurte les sensibilités (quelle collectivité oserait subventionner Dieudonné, par exemple?), sont des pistes possibles ».
La question n’est pas de savoir à mon avis quelle collectivité « oserait » financer Dieudonné, mais si elle peut le faire, certaines des représentations de cet humoristes lui ayant valu d’être condamné pour diffamation publique à caractère racial. Sur cette question, qui est celle du conflit entre la liberté d’expression et le respect des personnes, il est clair que l’artiste n’est pas au dessus des lois. Il s’agit d’ailleurs d’une vieille polémique, comme en témoigne la controverse autour des libelles aux 18ème siècle. Pour ma part, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer dans un article précédent, je conjugue ma foi catholique avec un certain attachement pour la démocratie, et la liberté d’expression qu’elle garantit constitutionnellement. C’est pourquoi entre la voie préventive face à l’injure publique (censure préalable: par exemple faire pression sur les collectivités pour interdire la représentation, ou chercher à l’entraver en gênant son financement) et la voie répressive (le procès pour undélit constitué: injure, diffamation, discrimination…) je choisis résolument la seconde. Je reconnais qu’elle est très difficile à appliquer, comme ce billet de Nicolas Mathey tend à le démontrer, et je dis « tant pis! »: la liberté d’expression a plus de prix pour moi que l’interdiction d’une ou deux pièces obscures jouant la provo facile. Vous pouvez consulter à ce sujet ce billet d’Eolas, qui rejoint mon avis en l’exprimant mieux que moi.
Je suis également très réservé sur le principe face à des arguments du type: « je ne veux pas que mes impôts servent à payer une pièce qui outrage ce qui m’est cher ». Il est vrai que le prélèvement des imôts en France repose sur le principe du « consentement » de chaque citoyen:
« L’obligation de déclarer ses revenus relève d’un autre principe : le consentement à l’impôt. Les premières critiques émises à l’encontre du système d’Ancien Régime ont porté sur la question de l’impôt et, en particulier , s ur le fait que les sujets ne pouvaient pas indiquer leur consentement à l’impôt. L e régime politique anglais s’est peu à peu démocratisé à partir cette question, en laissant une place grandissante au Parlement en matière de finances publiques ( Pétition des droits , 1628). En France, le principe de consentement à l’impôt a été définitivement acquis avec la Révolution française et la Déclaration des droits de 1789. Tous les citoyens ont le droit de consentir librement à la contribution publique, par eux-mêmes ou par leurs représentants (ex : députés), et d’en suivre l’emploi (art.14). Aujourd’hui, lorsque le Parlement vote les lois de finances, il accorde son consentement, et celui du peuple qu’il représente, à l’impôt » (vie-publique.fr).
Je rappelle néanmoins que la décision définitive de l’Etat ou des collectivités d’accorder ou non telle ou telle subvention s’appuie sur le principe de la volonté générale, qui diffère de la somme des intérêts particuliers pour le droit français. L’utilisation du lobbying, qui est la proposition de Pneumatis, correspond certes à une tendance croissante inspirée de la conception anglo-saxonne du droit. Je voudrais juste remarquer qu’elle ne va pas de soi, et pose un débat de fond sur la manière dont nous concevons le fait de vivre ensemble dans une démocratie multi-culturelle:
« Dans la conception française, l’intérêt général ne résulte pas de la somme des intérêts particuliers. Au contraire, l’existence et la manifestation des intérêts particuliers ne peuvent que nuire à l’intérêt général qui, dépassant chaque individu, est en quelque sorte l’émanation de la volonté de la collectivité des citoyens en tant que telle. Cette conception, exprimée par Rousseau dans Le contrat social et, à sa suite, du fait de son influence au moment de la Révolution française, dans une grande partie de l’histoire juridique française, est celle de la » volonté générale « . Or, si » la loi est l’expression de la volonté générale » (art. 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789 ), il ne peut être admis que des groupes d’intérêts puissent tenter d’influencer son auteur, à savoir les parlementaires. La tradition issue de la période révolutionnaire est dès lors marquée par la défiance, la suspicion envers toute tentative de manifestation d’appartenance à un groupe d’intérêts particulier. Les corporations de métiers sont interdites comme les syndicats ouvriers (loi le Chapelier, 1791) : il faut attendre 1901 pour qu’une loi sur la liberté d’association soit votée. Il n’est en effet que tardivement admis que l’État puisse être concurrencé dans sa mission de détermination et de poursuite de l’intérêt général. Si l’action des lobbies est avérée en France, elle n’a donc aucun caractère officiel. Cependant, l’évolution récente liée à la montée des réflexes communautaristes tend à infléchir cette conception » (vie-publique.fr).
Je ne vais pas trancher sur cette question, même si subjectivement, je tend à préférer une conception de la volonté générale distincte de la somme des intérêts particuliers. Je voulais juste faire remarquer que la démarche qui consiste à cosntituer des groupes de pression sur les élus n’est pas une évidence, mais engage une conception de la vie politique bien précise, qui n’est pas la seule possible, qui est très respectable en elle-même mais qui ne s’impose pas avec la force d’une évidence, et qui pour ma part me déplait par le fractionnement de la société en groupes d’influence qu’elle semble opérer (et me remémore cet extrait de la tribune de plusieurs catholiques dans le monde sur la pièce de Castelluci: « La question qui se pose, au fond, est simple et essentielle : voulons-nous laisser notre société se scinder en plusieurs groupes qui s’ignorent et se craignent ? Face à ce danger, une seule voie est possible : nous devons accepter de renouer un vrai dialogue, risquer l’aventure de l’écoute, de la confiance et de l’échange rationnel autour de la question de la foi« ).
Ce qui m’amène à l’argument du courrier de Pneumatis qui a failli me faire tomber mon smartphone des mains, lorsque je l’ai lu pour la première fois:
« A l’exemple du récent rassemblement interreligieux à Assise, où plus de 300 dignitaires de toutes les religions, ainsi que des non-croyants, étaient réunis, l’heure est plus que jamais au dialogue et à l’amitié, dans le but commun de servir la paix. Aussi, vous conviendrez que de contribuer financièrement à un fond de commerce, dont le produit a pour vocation de nuire à la paix entre les chrétiens et les non-chrétiens, est pour le moins contraire à l’esprit d’un pays qui se veut profondément humaniste, soucieux de la paix et du respect de chacun« .
Malgré tout le respect et l’admiration que je voue à l’auteur de ce passage, et toute mon immense reconnaissance pour l’effort prodigieux de dialogue qu’il a fait jusqu’ici avec des métalleux, pourtant pas toujours tendres avec lui loin s’en faut, dans le cadre de la polémique sur le Hellfest, je trouve que ça sonne un peu: « Viens fermer ta gueule, pour qu’on puisse dialoguer toi et moi! ». C’est-à dire que ce paragraphe pose à mon avis comme préalable au dialogue d’agréer à une position qui est précisément l’objet de celui-ci, un peu comme si le Pape avait demandé que ne viennent à Assise que des personnes qui reconnaissent que Jésus est Fils de Dieu et sans péché, puisque dire le contraire blasphèmerait sa part divine et constitue une offense pour la foi de tout chrétien.
Alors certes, entendre traiter le Christ de « terroriste » sonne plus mal à mes oreilles que la qualification de « prophète » qui lui est attribuée par le Coran.
Cela dit, la règle, quand on pose un dialogue, est de partir du terrain commun, et de définir les noeuds de divergences. En l’occurrence, ce qui s’oppose, c’est le refus absolu du blasphème pour les catholiques, et la défense de la liberté artistique pour les partisans de Golgota Picnic et autres. On l’a bien vu aux réactions de certains lecteurs du Monde au titre de la tribune récemment publiée par plusieurs personnalités catholique: « Le symbole du Christ doit être respecté par les artistes« . La question de la censure, et tout particulièrement quand on abord des qustions religieuses, est douloureusement sensible chez la plupart de nos contemporains.
La question qu’on peut alors se poser est la suivante: est-ce que convaincre les mécènes d’oeuvres apparemment antichrétiennes de retirer leur financement est de nature à encourager un dialogue entre croyants et non croyants sur la gravité du blasphème, ou à empêcher celui-ci. Je pense que l’histoire récente nous donne quelques exemples éclairants. Rien que concernant la polémique sur le Hellfest, j’en trouve deux. Les pressions sur les sponsors du Hellfest en 2009 ont partiellement réussi, puisque Coca-Cola a alors décié de retirer sa participation. Loin de sensibiliser les métalleux hostiles au christianisme aux blessures que certains groupes infligent aux chrétiens, cette décision les a révoltés, et a été le point de départ d’une guerre de tranchée qui dure encore. Bien plus, cela a profondément blessé ceux qui étaient à la fois catholiques et métalleux, ou qui essayaient déjà de susciter le dialogue. Alors certes, des éléments positifs ont surgi peu à peu de ce bourbier, mais comme l’Evangile dit: « il faut que le scandale arrive, mais malheur à celui par qui le scandle arrive ». Second exemple: l’initiative du blog Les Yeux Ouverts qui a réussi à entrainer la déprogrammation par le Hellfest du groupe Anal Cunt. Bien que la polémique portait sur un sujet éminemment plus consensuel que le blasphème, la shoah, les réactions, même des métalleux les plus favorables en principe au dialogue avec les cathos, furent hystériques, et leur violence m’a éffaré au point que j’ai ressenti alors le besoin de créer la page facebook « Pour un dialogue constructif sur les relations entre metal et christianisme » pour essayer de calmer un peu le jeu. Ce que ces exemples nous rappellent à mon avis, c’est qu’il n’est ni réaliste ni constructif d’essayer de mener de front à la fois une démarche de dialogue et une démarche de pression via les autorités publiques et les sponsors. Que chacun réfléchisse en conscience à la manière dont il réagirait à une sollicitation menée sous cette forme, et il réalisera que prétendre dialoguer tout en organisant simultanément une forme de censure, quelle qu’elle soit (et chercher à entraver le financement d’une manifestation culturelle est une forme de censure) d’un discours toléré par la loi est i-n-a-c-c-e-p-t-a-b-l-e aux yeux de n’importe quel contradicteur ou même de la plupart des observateurs plus ou moins neutres.
Donc il faut choisir: soit on dialogue, soit on cherche à censurer, mais chercher à faire le deux à la fois, c’est vraiment tomber dans la fausse solution de compromis rose bonbon. Franchement, ce type de propositions me fait relire avec plus de bienveillance les accusations venant des cathos « durs » telles que « bisounours », « tièdes », « cathos honteux »… Ca pue la mauvaise conscience du type qui a des remords après une bonne engueulade et qui va un peu forcer dans l’autre sens pour essayer de tout arranger. C’est de la mobilisation sous le coup de l’émotion, avec tous les effets pervers de ce type de réaction. J’ai bien compris que cette initiative visait à donner aux jeunes cathos blessés par la pièce (qu’ils n’ont pas encore vu pour la plupart et qu’ils ne sont pas obligés de voir mais ce n’est pas grave) une alternative pacifique au militantisme dur d’organisations d’extrême droite, pour faire barrage au pouvoir de séduction de ces dernières. Le problème, c’est qu’il ne s’agit pas dans les faits d’une véritable alternative, mais de la même démarche reformulée de manière plus consensuelle. On prend le coeur de l’action de Civitas: le lobbying auprès des élus pour contourner le problème posé par la liberté d’expression, et on remplace les jets d’oeufs et d’huile de vidange par de grands appels généreux au dialogue. Le problème est que comme je viens de le montrer, cette contre -proposition est remplie de contradictions internes et présente au final un projet affaibli par rapport à celui de Civitas car moins cohérent. Il ne va pas plus convaincre les partisans de la pièce de dialoguer, car il s’assied royalement d’emblée sur ce qui leur est le plus cher: le supposé « droit au blasphème », et il va à mon avis plutôt faire rire qu’autre chose les cathos partisans de Civitas, car les mêmes (pas seulement Pneumatis) qui n’avainet pas de mots assez durs pour condamner ces dernières semaines leur démarche ne trouve rien de mieux à proposer à la place qu’une version délayée de ce qu’ils ont déjà tenté. Car cette nouvelle tentative de lobbying a de bonnes chance d’échouer, comme la plupart de celles qui l’ont précédée ces dernières années, augmentant encore le désespoir des jeunes cathos, et entre ceux qui proposent un lobbying « mou » sur fond d’un dialogue rendu impossible par cette même initiative, et ceux qui revendique un lobbying avec des couilles, décomplexé sur la question de la confrontation, le choix sera à mon avis vite fait. Ce type d’initiative confirme les « durs » dans leurs opinions, et affaiblit la position des partisans du dialogue.
Et puis il y a à mes yeux quelque chose de malsain dans la façon dont tout le monde se retourne contre la pièce Golgota Picnic après s’être déchiré la tronche sur celle de Castelluci. Comme si elle était la victime expiatoire d’une sorte de grand rituel païen de la réconciliation entre cathos, le bouc émissaire commode, sans ambiguité apparente, le vrai méchant contre lequel tout le monde s’unit à la fin. Avec à mon avis le risque d’un nouveau décalage avec la réalité et de nouvelles injustices envers des personnes…
Alors j’entends déjà mon « meilleur ennemi » Le Yeux Ouverts m’adresser à nouveau les critiques qu’il avait déjà émises après lecture de mon billet sur la christianophobie. Il est clair que ce billet s’inscrit en faux d’une part contre une position du porte-parole de la CEF en faveur de l’appel aux élus contre les subventions publiques accordées à la pièce. Maintenant, je ne crois pas que Mgr Podvin, avec tout le respect sincère que j’éprouve envers sa personne et son ministère, énonce alors un avis qui engage la foi de l’Eglise, mais qu’il émet une proposition d’ordre tactique. Je pense que j’ai le droit de ne pas être d’accord avec une telle proposition sans que quiconque ait à émettre des soupçons sur ma communion avec l’Eglise, tant que je le fais de façon argumentée et respectueuse. Je pense que sur ce type de questions, même les évêques ne sont pas nécessairement d’accord entre eux et qu’il ne faut pas confondre communion avec l’Eglise et conformisme intellectuel.
En second lieu, Les Yeux Ouverts aime à souligner que je ne cite jamais la Doctrine Sociale de l’Eglise. Alors j’admets que je la connais assez peu. Cela dit, il m’arrive de la parcourir, et je n’y ai jamais lu que l’appel à la censure préalable ou au lobbying sur les élus était le moyen qui s’imposait à tout catholique pour faire face à la déchristianisation de la culture. Par contre, je considère que de telles méthodes ne vont pas de soi dans un cadre démocratique et pluraliste, et j’avais cru comprendre qu’on pouvait se dire catholique tout en étant attaché à ce dernier. Peut-être me suis je trompé ou ai-je été induit en erreur sur ce dernier point, mais dans ce cas j’aimerais qu’on me le dise clairement.
Professeur d’histoire des religions à la faculté de théologie de l’université Marc-Bloch à Strasbourg, et éminent historien de l’art, le dominicain François Boespflug a rappelé à ce sujet une belle vérité que j’aimerais rappeler pour conclure la partie « critique » de ce billet:
« On ne peut aucunement en faire une question politique, et espérer faire interdire ce qui est de l’ordre de l’opinion. La censure a bien plus d’inconvénients que la liberté religieuse ! On peut débattre sur le registre religieux – une œuvre nourrit-elle la foi, l’espérance et la charité ? – ou sur le registre artistique, et les chrétiens ne doivent pas hésiter à s’exprimer. Il reste tout à fait possible de développer un point de vue critique par rapport à ceux qui se moquent ! Dans le cas de Castellucci, je ne m’explique pas qu’une pièce assez médiocre fasse tant de bruit. Pour autant, je me réjouis qu’elle puisse être représentée dans mon pays, et je me déclare prêt à défendre coûte que coûte la liberté d’expression… qui me permet de dire que bien des œuvres qui défraient la chronique ne valent pas vraiment ledéplacement ! » (entretien dans La Vie du 9/11/2011, par Joséphine Bataille)
Conclusion: Que faire?
Comment donc poser ce fameux dialogue, puisque la passivité n’est pas non plus une solution, comme en témoigne la radicalisation des jeunes catholiques en réaction à une certaine « pastorale de l’enfouissement »? J’ai bien aimé les propositions de Jean-Baptiste Maillard et certaines de celles du Spirituel d’abord (pas la seconde par contre). La meilleur façon de dialoguer avec le monde de la culture, c’est de se placer sur cette dernière, en soulignant d’une part tout ce qu’il ya de cliché ou de faux dans certaines représentations contemporaines du christianisme, comme le présent blog essaie de le faire pour le black metal, et en proposant des alternatives artistiques qui montrent que l’apport de la foi chrétienne peut renouveler la perception et la mise en forme de la Beauté, comme là encore j’essiae de le faire en essayant de mieux faire connaitre la scéne chrétienne du black metal et en essaynt de contribuer à lui donner une assise théorique.
Je voudrais pour conclure ce billet rappeler deux principes qui me paraissent pouvoir cadrer utilement la réflexion des uns et des autres.
D’une part, je ne pense pas qu’il y ait lieu de choisir son « camp » entre les artistes blasphémateurs et les manifestants. L »Eglise est une communion, c’est certain. Elle n’est pas pour autant un club de rugby. Il n’y a pas les cathos et les autres. Telles que je vois les choses, on a d’un côté un metteur en scène et auteur qui a très profondément souffert dans sa jeunesse d’une compréhension erronée du christianisme, qui a longtemps été une source de terreur dans sa vie d’enfant et d’adolescent, et qui décompense dans ses pièces. Et de l’autre, on a des jeunes qui souffrent de la déchristianisation apparente de la société et de la culture, souffrance renforcée par une conception parfois discutable et simpliste que certains d’entre eux ont de l’art et du péché de blasphème. Et cette souffrance obscurcit également leur discernement en leur faisant approuver ou participer à des opérations violentes, sinon physiquement, du moins psychologiquement (il n’y a qu’à lire les commentaires sur certains blogs et certaines pages facebook). Personnellement, je comprends les souffrances exprimées des deux côtés, et je désapprouve chacun des discours qu’elles ont engendrés. Je n’établis pas de hiérarchie entre les blessures personnelles et les erreurs de discernement de mes prochains en fonction de la proximité éventuelle de leurs croyances et des miennes.
Alors certes il y a le Christ, outragé par les auteurs de Golgota Picnic, et par ceux des manifestants qui ont choisi la violence et l’idéologie pour défendre leur foi. Le Christ dont il faut rappeler au monde de la culture qu’il s’est sacrifié pour l’ensemble de l’humanité, et dont le témoignage d’amour infini à donné à cette culture une grande partie de ses chefs d’oeuvres. Mais le Christ également qui nous a rappelé qu’il ne faut seulement aimer nos rpoches, mais nos ennemis également comme nous-mêmes. Et qui nous invite à mon avis à écouter les reproches qui sont faits à l’Eglise pour mieux y répondre, à comprendre ce qui a pu conduire ceux qui nous détestent à se détourner de lui, avat de les condamner. Et chercher à les faire taire, ce n’est pas la solution. Si j’appelais à assécher financièrement Civitas, au delà des question de possibilité d’une telle entreprise, je pense que cela serait pris par beaucoup comme une manière de jeter de l’huile sur le feu. Alors pourquoi faire de même avec Golgota Picnic?
A ce sujet, j’étais assez peu surpris par le courrier de Pneumatis en lui-même, car je le sentais venir depuis une de ses intervention sur le blog note de Radio Notre Dame il y a quelques semaines. Il y a juste une petite chose qui m’a un peu heurté quand même:
« J’attire votre attention sur le fait que l’auteur de la pièce use sciemment de ce dénigrement à des fins mercantiles, puisqu’il dit lui-même dans un entretien pour le festival d’automne parisien : « Mes pièces sont toujours mal reçues. Une bonne partie du public est bête : il continue à remplir les théâtres, parfois juste pour réprouver ce qu’il voit. […] En ce qui me concerne, le comportement de ces gens porte ses fruits : vu qu’ils paient leur billet d’entrée, ils nous permettent de gagner de l’argent pour vivre. » Voilà ce que vous dit l’auteur de cette production du festival d’automne parisien. »
A mon avis, c’est un détournement de citation pur et simple, que j’imagine dû à l’émotion… Cette citation, extraite d’une interview citée dans le dossier de presse de la pièce, répond à la question suivante: « De quelle façon votre pièce a-t-elle été reçue lors de sa création en Espagne ? » Pour moi, il est évident, après avoir lu l’intégralité de l’entretien, que le metteur en scène ne dit pas qu’il cherche à choquer pour gagner de l’argent, mais qu’il relativise la mauvaise réception de ses pièces en disant qu’au moins ceux qui les critiquent contribuent aussi à leur façon à leur existence en les finançant. C’est sûr que ce n’est pas super cool de dire « une bonne partie du public est bête », mais quand on lit l’ensemble du dossier de presse, il est clair que les choix de mise en scène de l’auteur obéissent à des mobiles artistiques, aussi contestables soient-ils en eux-mêmes, et non à l’appât du gain. Diaboliser l’adversaire tout en appelant au dialogue, il fallait le faire, et c’est pour moi le signe d’un discernement qui est encore amené à se préciser et à s’étoffer.
En second et dernier lieu, je vois nombre de personnes, sur Twitter, sur Facebook, qui s’émeuvent de la polémique actuelle et déplorent tous ces conflits et toutes ces polémiques et toutes ces divisions au sein de l’Eglise. Si je comprends leur lassitude, qui est souvent aussi la mienne, je suis tenté de leur dire quand même: « et alors? ». Pierre et Paul se sont frités sévère aux premiers jours de l’Eglise, et la Communion de celle-ci n’en a pas pour autant souffert, au contraire. Ce sont des questions importantes dont il est question: du blasphème, du rapport de l’Eglise à la culture, à la démocratie, au monde politique. Mieux vaut affirmer clairement nos désaccords, plutôt que de les dissimuler sous le silence et les compromis de façade. C’est sûr que c’es t moins agréable à vivre que le Frat ou les JMJ, et j’en sais quelque chose, moi qui me retrouve à aligner un blogueur dont je me sens particuièrement proche dans mes opinions, qui a été le premier à lire le présent blog, à le commenter et à m’encourager, sans lequel je ne me serais peut-être pas autant investi dans la cathosphère. C’est difficile de se dire les choses en face, mais le conflit d’idées n’est pas à craindre en lui-même: c’est lui aussi qui fait que notre Eglise est vivante, qu’elle a des propositions à faire à un monde qui nous comprend de moins en moins. Ce qu’il faut, c’est trouver un moyen de dédramatiser ces conflits, de condamner les idées tout en respectant les personnes. A ce titre, j’ai été touché par ce très beau témoignage, sur un blog dont je réprouve pourtant les idées et dont je n’aime pas la sensibilité, et sur lequel je conclus quand même, parce que condamner les idées, ce n’est pas la même chose que refuser d’écouter la parole qui les porte et qui peut à l’occasion nous déplacer.